CHAPITRE .03
03
La décoration extérieure est magnifique. Je ne sais pas s'il a fait ça tout seul mais si c'est le cas, il est clair que ce garçon a du goût. Des guirlandes sont suspendues aux arbres et le jardin est parfaitement éclairé.
Le jardin entoure la maison et nous prenons le soin d'en faire le tour avant d'entrer. La maison parait immense de l'extérieur, je comprends mieux la réputation de cette propriété. Nous croisons quelques amis, que nous saluons rapidement. La plupart des invités ont un verre à la main, les autres sont dans la piscine. Certains ont même un verre à la main, dans la piscine.
Lorsque nous rentrons dans la maison je réalise que c'est encore plus grand que ce que je pensais. Les plafonds sont extrêmement hauts, les espaces sont grands et j'ai l'impression qu'il y a plusieurs étages. Thomas a sûrement vidé les lieux : il n'y a quasiment pas de meubles.
Je me rappelle qu'avant l'accident j'adorais aller en soirée avec la bande. Julien faisait attention à mon comportement mais ne m'a jamais empêchée de sortir puisque j'étais très bonne élève.
Ce soir cependant, c'est différent. Qui a décidé que ce soir j'allais m'amuser alors que ma sœur ne s'amusera plus jamais ? Je regarde tous ces jeunes autour de moi, nous sommes au moins une centaine dans cette maison ce soir. Ils ont l'air tellement insouciants et naïfs... Mais comment pourrais-je les blâmer ? Ils ont raison de l'être, d'ailleurs je crois que je l'étais aussi avant.
Alors que l'accident aurait du me forcer à profiter de chacun de mes jours parce qu'ils sont précieux, je n'ai retenu que le fait que la vie pouvait à tout moment me retirer ce qu'elle m'a précédemment donné. Par moment, cela me semble particulièrement ridicule. Je ne suis pas la première personne sur terre à perdre un être cher. Et pourtant cela m'a terrassée.
Tout à coup je manque cruellement d'air. Je cherche mes amis des yeux et vois Laura, Jeremy, Jo et Maxime. Ils ont l'air de bien s'amuser. Pas de trace des autres. Je me demande si Lola, où qu'elle soit, ressent la même chose que moi. Soyons honnêtes, je suis jalouse de tous ces jeunes. J'aurais voulu m'amuser ce soir. Evidemment, nous avons tous nos problèmes. Seulement je suis incapable d'oublier les miens, même le temps d'une soirée.
Je sors de la maison, j'ai l'impression d'étouffer. L'obscurité est déjà tombée sur la ville et la fraîcheur de l'air me fait du bien. Je m'éloigne un peu de la maison et me balade dans les rues adjacentes. Je connais cet endroit par cœur, je sais que je ne risque rien.
Après avoir marché quelques minutes, je m'assois sur un banc et retire mes escarpins. Je me force à faire de longues respirations pour me calmer. J'entends des rires au loin et je prie pour que personne ne vienne me voir.
Décidée à rentrer chez moi, je remets mes chaussures. Choisir une robe, s'habiller, se maquiller, se coiffer... C'était du gâchis, du temps inutilement perdu. Tout ça pour repartir lamentablement chez moi comme une voleuse. Déjà, je me demande comment je vais avoir le courage d'affronter les autres demain.
Plongée dans mes réflexions, je ne vois pas que je fonce droit sur quelqu'un.
- Oups excusez-moi, je chuchote sans faire attention.
Je ne lève pas la tête.
- Aucun problème, me répond une voix beaucoup plus grave que ce à quoi je ne m'attendais.
Instinctivement, je lève la tête pour identifier l'inconnu. L'obscurité ne me facilite pas le travail et j'ai besoin de plusieurs secondes pour distinguer son visage.
Grand, les yeux verts, cheveux bruns... Mon professeur principal.
Cette fois-ci c'est officiel : ma vie est une vaste blague.
Je crois qu'il me reconnait à peu près au même moment.
-Vous êtes une de mes élèves, non ?
-Oui, Marine Lemans, je balbutie en rougissant.
Heureusement qu'il fait nuit.
-Je me souviens de vous. Je suis vraiment désolée d'avoir été maladroit en cours ce matin, dit M. Lems.
-Pas de problème, je lui réponds, gênée.
Quoi de mieux qu'une réponse automatique pour cacher son embarras ? J'ai peur du silence qui s'installe entre nous.
-Mariiine ? Tu es où ? J'entends crier Lola.
A cet instant, je bénis ma meilleure amie et me promets de la remercier plus tard. Je lance un regard faussement désolé à mon professeur et bredouille un « au revoir » en montrant Lola qui a retiré ses chaussures et court vers nous.
-J'allais rentrer, je dis à Lola lorsqu'elle arrive à mon niveau. Tu veux rentrer aussi ?
-Attends attends. Je rêve où tu étais en train de parler à notre professeur principal en pleine nuit et en robe de soirée ? Dis-moi que je me trompe et qu'il ne nous a pas vues dans cet état ? Ça fait bien dis donc, premier jour et hop soirée.
-Je ne crois pas que ce soit ce genre de professeur, tu sais.
-Ah parce-qu'en plus tu as eu le temps de faire ami-ami ? Génial. Au moins cela lui a laissé l'occasion de remarquer que tu es sobre.
-Ça pour être sobre, je le suis... Je grommelle.
Soudain, le regard de Lola change, elle vient de réaliser ce que je lui ai dit.
-Marine, tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas partir maintenant sans rien dire à personne. Tu es en train de faire la même erreur que cet été quand on s'est coupées du monde. Alors maintenant tu viens et tu essaies de t'amuser au moins le temps d'une soirée, me dit Lola en me tirant par le bras.
J'en viens presque à regretter la période où Lola avait perdu son sens de l'autorité. Là, elle ne me laisse clairement pas le choix. A contrecœur, je la laisse me guider jusqu'à la maison de Thomas.
Ils sont tous dans la maison, en train de danser. Cette marée humaine m'effraie légèrement mais je continue à suivre Lola. On rejoint la bande et très vite, je me retrouve un verre à la main. L'alcool aidant sûrement, je n'ai pas tant de mal à oublier mes problèmes et à me laisser aller.
Ma voix rejoint celle des autres et je me déhanche aux côtés de Maelys et Jeremy. Enfin ce dernier est surtout occupé à draguer la fille d'à côté. Sait-il au moins son nom ? J'en doute. Je laisse la musique m'entourer et me porter, tout en continuant à boire.
Quand tout commence à tanguer je décide de m'asseoir et de faire une petite pause. Danser c'est chouette, faire un malaise c'est déjà nettement moins drôle. Je me force à rester assise quelques minutes mais quand le DJ décide de mettre un rock je ne peux m'empêcher de rejoindre mes amis.
C'est à ce moment là que je réalise que je n'aurais pas du boire autant. Mis à part mon mal de tête, tout me parait fantastique. J'adore le rock, j'adore mes amis, j'adore ma famille et surtout, j'adore le garçon qui nous a invités à cette soirée géniale.
-Tu m'accordes cette danse Malou ? Me dit une voix grave derrière moi.
Je grince des dents en entendant cet affreux surnom mais me retourne en sautillant de joie :
-Accordée !
-Marine, tu as bu... Commence Maxime.
-Ne sois pas rabat-joie s'il te plait. Alors, on danse ou non ?
Maxime soupire mais il se détend pendant qu'on danse le rock. J'avais presque oublié cette sensation magique. Johanna, Maxime, Jeremy et moi avions appris le rock ensemble il y a quelques années. Maxime était mon cavalier attitré, j'ai l'habitude de danser avec lui.
Jeremy, qui danse avec la jeune fille qu'il draguait tout à l'heure, n'hésite pas à faire un commentaire avec son tact habituel.
-Franchement Maxime, c'était intelligent de la faire boire pour qu'elle accepte de danser avec toi !
-Dégage Jeremy, je grogne.
Tout à coup, je me sens agacée, plus rien ne parait beau. C'est normal ces sautes d'humeur ? Je me détache de Maxime quelques instants. Pour une raison que j'ignore complètement les larmes me montent aux yeux. Heureusement, mon meilleur ami s'en rend rapidement compte et me prend dans ses bras.
-Je ne peux qu'imaginer ce que tu ressens Marine. Mais je peux te promettre que je serai toujours là, d'accord ? Je ne te laisserai plus prendre tes distances pour souffrir seule. Alors s'il te plait, détends-toi et apprécie ces beaux moments. Tu es bien placée pour savoir qu'il faut profiter de chaque instant...
Je sais qu'il a raison. Mais j'ai aussi envie de lui dire qu'être restée est déjà un exploit personnel. Partagée, je décide de me taire.
Maxime n'insiste pas : il me connait, il sait que le message est passé. On s'éloigne un peu de la piste de danse et j'en profite pour lui parler de ma rencontre avec mon professeur principal.
Honnêtement, cette rencontre m'a perturbée. Au lycée j'ai toujours eu de vieux professeurs qui, de toute évidence, n'avaient pas de réelle vie sociale en dehors du lycée et de leur domicile familial. Il faut dire que s'enterrer dans un village n'est pas tellement le rêve des professeurs tout juste diplômés.
En une journée M. Lems a ruiné les statistiques des quinze dernières années. Les jeunes professeurs attirants n'existent que dans les livres. Du moins, j'en étais persuadée jusqu'à aujourd'hui.
Je secoue la tête en soupirant, ce n'est clairement pas le moment de fantasmer sur mon professeur. Outre le fait que mon nombre de problèmes soit déjà bien trop élevé, le bac m'attend à la fin de l'année. Si je suis incapable de me concentrer à chaque fois qu'il parle ca ne va pas être pratique.
-Eh ! C'est les dépressifs anonymes ici ?
Jeremy le retour. Je suis étonnée de voir qu'il a lâché la jeune fille qu'il suivait depuis tout à l'heure.
-Elle a pris peur ? Je demande, le sourire aux lèvres.
-Pas du tout mademoiselle, elle est partie me chercher un verre. Espèce de langue de vipère !
-C'est pas aux garçons de faire ça normalement ?
-Marine Lemans, vous êtes terriblement old school.
-Je te taquine, Jeremy. Tu ne me proposes pas de danser ? Je suis sûre que ta cavalière te pardonnerait.
Le jeune homme lève les yeux, me prend par la main et m'entraine au milieu de la foule. Bientôt toute la bande est là et nous dansons tous ensemble, comme autrefois. Je perds la notion du temps, depuis combien de temps sommes-nous là ? Je crois que peu de personnes sont encore parfaitement sobres.
Nous ne quittons la soirée que plusieurs heures plus tard, lorsque la fatigue nous rattrape. Ce n'est qu'en arrivant chez moi que je réalise qu'il est 4h du matin. J'ai le sentiment que la journée de demain sera longue, très longue... Une chose est sûre : une fois l'année scolaire réellement entamée, je ne pourrai plus me permettre ce genre d'écart !
Pour la première fois depuis très longtemps, je m'endors directement.
Je fais bien de me reposer. Le futur me réserve encore bien des surprises. Et pas que des bonnes.