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Le regard du garçon s'emplit alors d'une émotion que je n'aurais jamais pensé lire à ce moment précis : du soulagement. Il pose délicatement ses mains sur mes joues, son corps devenant un rempart contre le monde extérieur pour nous emprisonner dans l'intensité de nos pupilles, noyant tout ce qui n'est pas fait d'émeraude ou de topaze dans un brouillard quelconque.
-Ce n'est pas parce que tu as des marques sur le corps que tu n'es pas belle. Je m'en fous de tes cicatrices Em'. Moi, je veux faire l'amour à celle qui me fait tourner la tête depuis que j'ai trois ans, à celle qui fout constamment en l'air ma vie trop sage, à celle qui me connaît mieux que personne. A toi qui es bien trop belle pour laisser ces insignifiantes cicatrices te définir.
Mon cœur explose dans ma poitrine tandis que je me love de nouveau contre son torse, enrubannée dans bulle goûtant la confiance et l'adoration. Je chéris les lèvres de celles-là même qui viennent de me guérir un peu, rien qu'un peu. Mais c'est déjà tellement énorme. Les mains du garçon fondent sur mes épaules et reprennent leur course folle à travers mon corps.
-Maintenant, je vais te déshabiller et te faire l'amour si fort que tu ne sauras même plus pourquoi tu voulais m'arrêter, souffle-t-il au creux de mon oreille.
-Je... non, je ... laisse moi mon chemisier. S'il te plait, ne me l'enlèves pas.
-Non Em'. Je te veux tout entière, pas seulement cachée derrière un bout de tissu. Je veux le plus beau et le plus sombre. Tout, Em'. Je veux tout.
Je ne peux m'empêcher de l'embrasser violemment.
-Tu... tu es absolument parfait mais je... je ne suis pas encore prête pour ça. Je t'en prie, ne m'en veux pas.
Le garçon pose alors son front contre le mien en soupirant. Derrière ses paupières closes, j'entends ses pensées se déchirer de toutes parts.
-D'accord Em', d'accord. Mais il est hors de question que je te fasse l'amour alors que tu te caches. Par contre, je... je n'en ai pas fini avec toi.
Mon cœur disjoncte lorsque les lèvres de s'écrasent à nouveau contre les miennes. Il ravage ma bouche et le peu de conscience qui me restait encore ; il éteint tout ce qui me faisait trembler et réveille tout ce qui était sur le point de s'embraser. Et je m'accroche à lui, je m'accroche à lui comme si ma vie en dépendait parce que je refuse que tout s'arrête.
Au contraire, tout s'accélère. Ma petite culotte valse au pied du lit, les caresses du garçon affluent entre mes jambes, le bout de ses doigts dessine une arabesque sensationnelle et ses baisers pleuvent. C'est même le déluge. Au nord, ses lèvres sont tendres. Au sud, elles sont exquises. Et je ne tiens plus.
-... j'ai tellement envie de toi !
-Moi aussi poupée, putain moi aussi !
Nos gémissements s'intensifient, nos baisers ne sont plus que passion, nos corps se cherchent et se frôlent sans jamais s'imbriquer mais peu importe. Le plaisir monte, monte, monte et nous nous libérons au même instant, dans les bras l'un de l'autre, explosant toutes les notes de cette partition inattendue, atteignant des octaves insoupçonnés, faisant voltiger des si et des la, libérant les paroles silencieuses d'une chanson qui n'existera jamais que dans nos têtes.
Partageant des caresses adolescentes pour rattraper toutes ces années perdues.
Nous flottons un long moment dans une béatitude délicieuse, de laquelle il ne s'échappe que quelques soupirs de contentement. Ma tête est juchée sur sa poitrine et je savoure tous les battements délirants de son cœur, ensevelis au milieu de sa respiration chaotique. Notre silence vaut mille mots et c'est parfait ainsi. Parce qu'il y a des maux qui ne trouveront jamais de mots mais que la simple présence de l'autre peut apaiser même les tourments les plus enfouis.
-C'était...
-Parfait, complété-je timidement.
Je crois que c'est à cet instant que nous tombons tous les deux de sommeil. Je sens ses lèvres dans mes cheveux et sa peau chaude sous ma joue. Ses muscles fermes sous mes doigts et ses jambes autour des miennes. Formant un tout, fermement accrochés l'un à l'autre.
dort toujours aussi profondément quand je me réveille, le lendin matin. Je ne porte que mon chemisier et mon soutien-gorge et même si tout ce que nous avons fait hier me comble encore de bonheur, ces vêtements me ramènent à ce que je suis encore incapable de lui offrir. Et l'espace de quelques minutes, je me convaincs que je suis une fois de plus celle qui gâche tout. Alors pour chasser ces idées noires, je m'extirpe du lit et j'attrape le premier t-shirt que je trouve. L'odeur de s'infiltre à nouveau sous ma peau, apaisant le tumulte qui menaçait, et je me recouche à ses côtés.
Je ne peux m'empêcher d'admirer la beauté de son corps. Le garçon est nu, allongé sur le dos, une jambe par dessus le drap blanc froissé qui recouvre son côté droit jusqu'à l'aine. Sa poitrine se lève et s'abaisse paisiblement, faisant tressaillir les vallons et les replis de ses muscles. La douceur de sa peau bronzée m'appelle, je ne résiste pas à l'envie à l'enduire de caresses. soupire et se tourne pour me prendre dans ses bras. J'installe son visage sur ma poitrine, le laissant écouter la mélodie de mon cœur à travers son sommeil pendant que je trifouille ses mèches brunes. Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, tout ce que je sais c'est que les doutes qui m'habitaient à propos du garçons n'existent plus.
Je sais désormais qu'il veut la même chose que moi et même si cela me donne le tournis, je me sens enfin en paix. Je n'ai plus à lutter contre l'évidence.
-Je veux me réveiller comme ça tous les jours, marmonne en tortillant sa tête contre ma poitrine.
-Moi aussi, soufflé-je.
Après un bref instant de silence, je lui pose la question qui me hante depuis mon réveil.
-Est-ce que tu m'en veux ?
redresse immédiatement la tête, m'offrant le luxe de m'ensevelir dans le bleu de ses yeux. Ce bleu turquoise, presque cristallin.
-Bien sûr que non ! J'étais sincère quand je t'ai dit que je comprenais. Vraiment. Mais je veux que tu essaies Em'. Essaie de me faire confiance s'il te plait.
-Je te fais confiance . Tu es d'ailleurs le seul en qui j'ai réellement confiance. Mais il ne s'agit pas de toi là. C'est moi... c'est moi le problème. Et je donnerais tout pour effacer ces horribles cicatrices de mon corps.
-Tu vas apprendre à vivre avec elles et tu verras qu'elles n'ont aucune importance. Tu as des cicatrices, et alors ? Moi j'ai des tâches de rousseur sur le nez et je déteste ça ! Sérieusement, c'est moche non ? On dirait un gamin de cinq ans !
-Je. Les. Adore, objecté-je en embrassant quelques-uns de ses petits points colorés. Je les ai toujours adorés et je crois même que je pourrais les caresser les yeux fermés.
-On ne se voit jamais comme les autres nous voient. Oublie ces bêtises et laisse-moi te prouver à quel point je te trouve belle.
Les joues écarlates, je me penche pour capturer ses belles lèvres. Nous nous perdons dans ce baiser, laissant la fougue de nos débuts nous emporter dans un second round. C'est essoufflés et en sueur que nous émergeons de notre cocon, encore un peu sonnés par ce lien que nous dévorons.
se lève pour enfiler un boxer noir. Je me faufile dans son dos, enlaçant son torse de mes bras frêles. Ma tête trouve refuge dans le creux de ses omoplates et je ferme les yeux, me gavant de son odeur jusqu'à ne plus rien sentir d'autre. Ses mains rendues rêches par les cordes se coulent le long de mes bras et je prends une seconde pour graver ce moment parfait dans ma mémoire.
-Aujourd'hui, on va désobéir à tes parents. Va vite te préparer, je t'attends.
J'embrasse furtivement la peau de son dos et, sans lui laisser le temps de répondre, je file dans ma chambre. Une vingtaine de minutes plus tard, nous nous mettons en route. Le ciel est dégagé, la température idéale, le paysage côtier prometteur et le garçon assis à ma droite absolument canon avec ses cheveux au vent et ses lunettes de soleil sur le nez. Sa main s'est échouée sur ma cuisse, nous fredonnons paisiblement la musique qui passe à la radio.
Quand nous arrivons à destination, je me tourne vers . Il ouvre des yeux ronds comme des soucoupes en comprenant le sort que je lui réserve. Je lui offre mon plus beau sourire pour le tirer hors de l'habitacle. Devant nous, un homme à la carrure plutôt imposante s'avance dans notre direction. Je reconnais immédiatement Mark, l'ami de mon père propriétaire de l'écurie où nous nous sommes arrêtés.
- ! Quelle joie de te voir ici ! Tes doigts te démangent ?
-Bonjour Mark ! Est-ce que tu as des voitures disponibles aujourd'hui ? J'aimerais faire un tour avec .
-Hm... je devrais pouvoir vous trouver ça. Suivez-moi.
Je glisse ma main dans celle du garçon et nous marchons dans les pas du cinquantenaire. Fouler l'asphalte au bord du circuit de course me rappelle tant de souvenirs. Je venais régulièrement ici avec mon père lorsque j'étais gamine. Il adorait piloter et Mark le laissait souvent prendre le volant d'un de ses bolides pour assouvir sa passion. Je le tannais toujours pour qu'il me laisse monter avec lui mais je n'ai obtenu l'autorisation que le jour de mes treize ans. Ce moment est gravé dans ma mémoire pour toujours. Le sourire de mon père, sa fierté, la joie dans ses yeux quand il a lu la mienne. Nous partagions la même adrénaline, propulsés dans la même dimension.
Les deux pressions que m'offre me ramènent sur terre. Il me couve du regard, soucieux de me voir perdue dans le passé.
-Tu veux vraiment le faire ? Si c'est trop dur pour toi, on rentre.
-Ça va, ne t'en fais pas. Et j'ai vraiment envie que tu vives ta première fois avec moi.
-Oh poupée, ne te vexe pas mais ma première fois a déjà été prise par une autre. Mais si tu veux, on peut tout faire pour l'effacer et la remplacer par la nôtre..., me lance-t-il d'une voix soudain très grave.
-Idiot ! pouffé-je en lui tapant le bras. Je parlais de ton baptême de pilotage. Il est temps de braver les interdictions de tes parents, tu ne crois pas ?
Une ombre traverse tout à coup son regard triste. Quelques secondes de silence nous tiennent en haleine mais il se reprend et hoche la tête. Pour cacher son malaise, il s'approche d'une voiture blanche tachetée de logos de sponsors. Avec sa silhouette sportive et ses larges roues, elle nous promet une bonne dose d'excitation. Le volant en cuir est monté sur une tige en métal qui rejoint le tableau de bord où peu de manettes sont à disposition. Les sièges baquets m'appellent, je sens déjà le plaisir de la vitesse me faire frissonner jusqu'aux os.
inspecte le véhicule sous toutes ses coutures. En retrait, je le laisse apprivoiser la bête qu'il va pousser à plus de 200 km/h sur le circuit en face de moi. Autour de nous, les moteurs ronronnent sauvagement, déjà impatients de faire des folies. Je me revois petite, à sautiller entre les jambes de mon père alors qu'il me dndait de l'attendre sagement dans les gradins. Je n'en ai jamais été capable, passant le plus clair de mon temps dans les paddocks, à tenir compagnie aux mécanos qui s'activaient dans tous les sens. Chaque fois que je venais ici, je proposais à de m'accompagner. Et chaque fois, ses parents refusaient, prétextant que c'était trop dangereux. Aujourd'hui, plus personne ne peut nous empêcher de réaliser nos rêves d'enfants.
est en grande discussion avec Mark qui a trouvé deux autos ainsi que deux pilotes pour nous accompagner sur notre tour de chauffe.
-Prêts à vous éclater tous les deux ?
-Oui ! réponds-je, impatiente.
-Bon, je suppose que vous êtes tous les deux en pleine forme, qu'aucun de vous deux ne souffre d'un problème cardiaque ou d'un quelconque problème de santé et que vous n'êtes pas sous l'emprise d'alcool ou de stupéfiant ?
-Oui, oui, on va bien. Tu nous laisses partir sur le circuit maintenant ?
Mark se tourne vers resté silencieux.
-Pour toi aussi tout va bien ?
me lance un petit coup d'œil paniqué mais je l'entends tout de même répondre un faible « oui ». Mark nous conduit alors jusqu'au paddock où le staff technique nous confie des combinaisons, des chaussures et des casques. Après les ajustements de rigueur, les deux pilotes nous accueillent au pied des voitures. Un dernier échange de regard et nous voilà séparés, chacun confiné dans un habitacle fait de métal et de soif de sensation.
Le premier tour n'est qu'une entrée en matière en peu trop sage à mon goût. J'ai déjà conduit des voitures de course et je trouve que le pilote un peu trop raisonnable. Lorsqu'il me cède le volant, je ne me fais pas prier pour prendre sa place. Immédiatement, je retrouve mes vieux réflexes. Je me concentre, je m'immerge dans une bulle où le moteur est le seul avec qui je communique et je fais corps avec la voiture. Je m'imprègne de ses réactions, j'anticipe les virages, je pousse les accélérations jusqu'au point de rupture et je vibre. Le sang dans mes veines baigne dans un torrent d'adrénaline et j'avale les tours de piste, dans mon rétroviseur.
Pour le dernier tour, je n'hésite plus, j'écrase la pédale de droite. Mon bolide fend l'air au milieu de l'asphalte et j'avale les kilomètres. Les changements de vitesse créent des à-coups maitrisés qui boostent mon avidité tandis que mes doigts s'agrippent de plus belle sur le volant. J'aime la vitesse. J'aime cette sensation de puissance que me procure ce genre de course. Je contrôle mon bolide, je fais les bons gestes pour rester sur la piste et je laisse derrière moi tout ce que je veux fuir.
Le drapeau à damier se dessine devant mes yeux. Je ne vois rien de plus que le gris de la piste et le blanc tacheté de noir qui m'appelle. Alors je fonce droit devant moi en maitrisant à la perfection l'engin lancé à plus de 150 km/h que je tiens entre les mains.
passe la ligne d'arrivée quelques minutes plus tard, complètement chamboulé. Il tient à peine sur ses jambes et sa main droite s'accroche à son cœur, comme si elle lui dndait de se calmer. Mais ce qui me saute aux yeux, c'est son sourire. Il irradie jusque dans ma poitrine.
Il sourit comme un enfant à qui on accorde enfin un petit bout de bonheur. Qu'importe ce que ses parents lui ont interdit, aujourd'hui il rattrape le temps perdu. Et je suis si heureuse d'être à ses côtés pour partager ce moment.
Son regard fouille le paddock. Quand il m'aperçoit, il engloutit la distance nous séparant pour prendre mon visage en coupe et écraser ses lèvres sèches contre les miennes, affamées.
-Putain Em', c'était trop bon ! Toutes ces sensations, je ne les avais jamais ressenties avant ! Et encore, je ne roule pas aussi vite que toi mais putain ! C'était... wahou !
-Deux putains en une seule phrase ?! Je confirme que ça t'a vraiment plu ! me moqué-je en le serrant contre moi.
-Non mais sérieusement je veux recommencer au plus vite. Et faire aussi tous ces trucs que mes parents refusaient. Et vite !
-Tu es prêt à braver les interdits et à me suivre dans toutes mes folies ?
Le visage de se fait soudain plus sérieux. Pendue à ses lèvres, je tente de déchiffrer son silence, faisant chauffer mes méninges pour entendre ce qu'il ne prononce pas, en vain.
-Je ne veux plus être raisonnable. Finie ma petite vie tranquille, je suis prêt à prendre le risque. Je veux vivre Em', je veux vivre.
Et sur cette litanie énigmatique, il m'embrasse. Cette fois, je comprends tout ce qu'il veut me dire. Et je rougis. Je rougis parce que c'est exactement ce que je rêvais d'entendre sur mes lèvres.