Chapitre 02
Chapitre II
~~ Amara Bertine Sakumuna ~~
« Ri Bababababababa ba ba ! Ri ba bababa ba baba ba ! »
« — Tu entends ? Tu entends ? je chuchote en désignant la porte de la chambre de maman Chadé. Et c'est comme ça tous les matins ! Je sais même pas comment vous faites pour ne pas entendre !
— Humm.
— Approche-toi !Approche-toi, tu vas entendre !
— Non. J'ai pas trop envie. dit ya IB en reculant. »
Je vois bien sur son visage qu'il est troublé, inquiet mais qu'il se retient de me le dire.
« — Elle fait des incantations. Peut-être qu'elle est en train de nous jeter un sort et nous, on le sait pas.
— J'en sais rien. il lance en se grattant l'arrière de la tête. Mais j'avoue que c'est louche. Faudrait peut-être en parler à maman. C'est flippant. »
Au moment où il termine sa phrase, ya Mwinda sort de sa chambre et s'avance vers nous, somnolente, et les yeux mi-clos.
« — Qu'est-ce que vous faites ? elle nous demande en se frottant les yeux.
— Amara m'a dit qu'elle entendait des bruits étranges provenant de la chambre de maman Chadé. Je suis venu voir et c'est vrai que c'est étrange. Ça peut faire peur. Ecoute. »
Ya Mwinda tend l'oreille, fronce les sourcils pendant plusieurs secondes avant de pouffer de rire en secouant sa tête, tandis que ya IB et moi, nous la regardons interloqués par son attitude.
« — Mais vous aussi ! Vous êtes bêtes ou vous le faites exprès ? Elle est en train de prier en langue !
— Elle prie en quoi ? l'interroge ya IB. C'est quoi ? Une pratique d'initié ?
— Quand je te disais qu'elle était en train de dire des trucs bizarres ! je rebondis en me tournant vers ya IB !
— Mais non ! Vous aussi ! Ça n'a rien à voir avec une quelconque pratique d'initié ! Vous l'auriez su si vous preniez la peine d'ouvrir vos bibles même une fois par mois ! Païen là !
— Mais moi je m'en fous ! souffle ya IB, en haussant ses épaules. C'est la p'tite qui avait peur. Moi, qu'elle invoque les esprits ou tout ce que tu veux, je m'en fous ! »
Menteur là ! Il était à deux doigts de partir en courant prévenir maman tellement il avait peur ! Et maintenant qu'il sait que ça un rapport avec la bible, il n'a subitement plus peur ! Quel menteur ! En plus il m'appelle la petite alors que je n'en suis plus une ! C'est même lui qui me rappelait ça hier matin !
« — C'est pour ça que tu es venue dormir dans notre chambre les deux dernières nuits là ? elle me demande.
— Tu crois que c'était pour quelle autre raison ? balance ya IB en ricanant. Bon maintenant que le mystère est résolu, je vais aller terminer ma sommeil… Dans ma chambre ! Et tu ferais mieux d'en faire autant Amara ! De toute façon, elle est censée partir bientôt ! Donc prends courage. »
Et sur ces mots, il se dirige vers sa chambre et ya Mwinda poursuit son chemin vers les toilettes.
Je pouffe de rage !
Il est hors de question que je dorme à côté d'elle encore un soir. Moi ces choses de langue là, j'y comprends rien et ça me fait peur. J'ai l'impression d'avoir une folle dans la chambre d'à côté, capable de venir me réveiller, m'étrangler ou me trucider d'une manière lente et douloureuse pour son plus grand plaisir.
Je refuse !
Je prends quand même sur moi, pour entrer dans la chambre, attraper un livre, puis je vais m'installer dans la salle à manger pour le lire, en attendant que tout le monde se réveille. Surtout que maman se réveille pour que je puisse lui parler. Elle me comprendra et trouvera une solution.
Je suis encore fatiguée, je n'ai pas bien dormi, ya Merveille n'arrêtait pas de me donner des coups et je n'ai même pas essayé de me glisser dans le lit de ya Mwinda, elle dort tellement mal que c'est impossible de s'incruster dans son lit. Comme si, même dans son sommeil, elle ne voulait pas partager. Elle est vraiment chiche en tout temps comme dirait ya IB.
Je suis arrivée au troisième chapitre de mon roman, quand j'entends des pas traînants s'approcher de moi.
Vu l'heure qu'il est, ça ne peut qu'être maman alors je souris de toutes mes dents et me tourne vers l'entrée pour l'accueillir. Mais ce n'est pas maman qui entre, c'est maman Chadé.
Sans sa perruque et son maquillage, elle a l'air encore plus méchante ! Comme si la méchanceté sortait par tous les pores de son corps. C'est vraiment pas une gentille tante, mais je la salue quand même parce que c'est comme ça que maman m'a éduqué.
« — Bonjour maman Chadé. »
Comme à son habitude maintenant, elle ne me répond pas et se contente de soupirer en me regardant de travers. Je baisse mes yeux sur mon livre, mais peux facilement imaginer ses mouvements, ses allers-retours entre la cuisine et la salle à manger, pour préparer son petit déjeuner.
J'aimerai pouvoir me bouche le nez pour ne pas sentir l'odeur de son plat, qui lui sert de petit déjeuner et qui chatouille mes narines, mais ce serait malpoli. Alors je me contente de le froisser en retenant le plus longtemps possible ma respiration. Mais c'est super difficile, surtout qu'à chaque fois que je reprends ma respiration, elle devient saccadée, comme si j'avais couru un marathon.
« — Bonjour ! j'entends derrière moi. »
Au son de la voix, là, je peux affirmer avec certitude qu'il s'agit de maman ! Je reconnaitrais entre mille l'odeur de son parfum naturel ! Trop bon ! On a l'impression qu'elle se lève avec de la rose et que ça la suit partout, partout !
« — Et ben Amara ! Tu es matinale ce matin ! elle s'étonne en venant me prendre dans ses bras. »
Je me blottie tout contre elle et prends une grande inspiration pour me remplir les poumons de son odeur ! Elle sait vraiment bon !
« — Ça va mon bébé ? Tu as bien dormi ? elle me demande en me caressant le visage. »
Je voudrais lui répondre que non, je n'ai pas bien dormi parce que maman Chadé n'arrêtait pas de crier en langue mais un regard vers cette dernière m'en dissuade. Je vais devoir parler à maman que lorsqu'on sera toute les deux.. Du coup, je réponds à sa question par l'affirmative en hochant la tête avant de la serrer dans mes bras une nouvelle fois.
« — Maman, je pourrai te parler ? je murmure contre son ventre.
— Oui mais tout à l'heure mon bébé. Je vais déjà commencer à préparer le petit déjeuner. lance maman en sortant de la pièce. »
De nouveau, je me retrouve avec maman Chadé qui garde toujours son regard braqué sur moi. C'est chiant ! Elle peut pas regarder ailleurs !
Je retourne m'asseoir à ma place, puis poursuis ma lecture comme s'il n'y avait personne devant moi.
Après cinq minutes, elle finit par se lever de la chaise et sortir de la pièce pour mon plus grand plaisir.
Je commence à me détendre un peu, parce que ça signifie que je ne vais plus me retrouver dans la même pièce qu'elle ni même la croiser de toute la journée, si je calcule bien mes mouvements.
Sauf qu'à ma grande surprise, je revois maman Chadé apparaitre dans la avec un bol dans main, qu'elle dépose devant moi avec une cuillère.
« — C'est quoi ? je lui demande en regardant la mixture devant moi.
— Bèh ! C'est le cérélac ! elle me répond comme si c'était logique.
— Mais qu'est-ce que je dois faire de ça ?
— Oh ! Mais tu ne sais pas ce que tu dois faire avec la nourriture ? Mais tu manges ! Ou bien c'est trop compacte. Que je rajoute le lait ? »
Je la regarde les yeux ronds, sans trop comprendre ce qui est en train de se passer.
Elle est en train de perdre la tête ou quoi ? Y'a que ça comme explication.
« — Donc quoi ? Tu n'es plus le bébé de ta maman ? elle me demande avec un petit sourire en coin avant de se diriger vers la porte de la pièce. »
Je viens enfin de comprendre.
Sans que je ne me l'explique, je me mets à serrer mes poings aussi fort que je le peux, puis je me tourne vers elle et lui dis les sourcils froncés :
« — Je ne suis pas un bébé mais une femme !
— Ah bon ? Une femme ? Vraiment ? Tu es réveillée depuis qu'elle heure ? 5h-6h ? Tu as pris le balaie pour le passer avant que la gouvernante n'arrive ? Tu as dépoussiéré les meubles ? Je suis venue te trouver dans cette salle à manger mais est-ce que tu as pensé à préparer le petit déjeuner pour la famille ? Même sortir les ustensils ? Bol, couverts, assiettes et tout ce qui va ? Tu l'as fait ? Et tu veux qu'on t'appelle femme ? Comporte-toi alors comme tel ! elle me balance l'air hautain.
— Je.. je…
— Je… Je quoi ? Ce n'est pas parce que tu parles comme une blanche, qu'on vous fait croire que vous êtes blanc qu'il faut agir comme des blancs. A ton âge, je préparais pour toute la maison et ne me comportais pas comme un bébé de 3 ans ! »
Je sens monter en moi une torrent d'émotions négatives, dirigé vers maman Chadé !
J'en peux vraiment plus de sa présence ici ! J'en peux plus !
Si je n'ai rien fait, c'est parce que …. Parce qu'il y a la gouvernante et la femme de ménage qui le font ! Sinon je l'aurai fait ! Y'en a marre d'être traitée comme un bébé ! J'en suis plus un depuis longtemps !
« — Bonjour tout le monde. lance ya Merveille en entrant dans la pièce. Amichou, qu'est-ce qu'il y a ?
— Rien. je réponds en fermant mon livre.
— Merveille, tu pourras emmener Amara chez le coiffeur ? lui demande maman en entrant dans la pièce.
— Oh non maman ! Je peux pas !
— Mais pourquoi ? Tu m'as bien dit que tu allais te coiffer aujourd'hui ? Où est le problème.
— Mais maman ! elle ronchonne. J'y vais avec mes copines ! On sera entre nous ! Je vais pas la traîner avec moi !
— La trainer comment ? Tu ne vois pas l'état de ses cheveux ! Elle doit se faire coiffer. Et si tu veux sortir, tu m'emmènes avec toi ! »
Elle continue de rouspéter et moi je sors de la pièce pour ne plus les voir. Tous !
Je vais m'enfermer dans ma chambre pour lire mon livre, tranquillement, sans être dérangée.
« — Oh ! madame ! fait ya Merveille en ouvrant la porte de ma chambre. Prépare-toi, on va y aller.
— …
— Tu m'as entendu ? elle me questionne avant de remettre son téléphone à l'oreille. »
« Non, je parlais pas à toi ! Je parlais à la petite … Non ma petite soeur. Elle vient avec nous… Ouais je sais ! Ah toi aussi, c'est un bébé ! »
« — JE SUIS PAS UN BEBE ! j'hurle face à elle, avant de courir me réfugier dans la salle de bain histoire d'éviter ses coups. »
Ses coups et ceux de maman, ils peuvent être redoutables.
Je pleure pendant un bon moment, pour me vider de toute cette colère et cette tristesse, puis vais me laver pour me rafraîchir.
J'en ai assez qu'on me prenne tout le temps pour un bébé, j'en suis pas un ! Je fais pas de bétises, j'ai des bonnes notes à l'école, je suis quand même assez sage, alors je comprends pas pourquoi on continue à me prendre pour un bébé ou m'appeler la petite ! Je peux très bien comprendre les choses qui se passent autour de moi ! Et je sais aussi tenir une maison contrairement à ce que maman Chadé pense. Quand la femme de ménage n'est pas là, des fois, c'est moi qui passe le balaie et époussète les meubles ! Je sais aussi préparer de la nourriture ! Quand Baby prépare, je suis souvent à côté d'elle pour l'aider si bien qu'il m'arrive de le faire. Le souci c'est juste qu'on me donne pas l'occasion de le faire pour les autres !
Avec tout ça, on peut pas dire que je sois encore un bébé, parce que je connais très peu de bébé pour ne pas dire aucun, qui soit capable de faire ça !
Je sors de la douche, prends ma serviette pour m'essuyer puis prends ma crème de corps pour me pommader. J'ouvre la pompe, puis utilise le petit tube pour faire sortir le fond de crème que j'espère trouver, sans succès. Ça fait déjà une semaine que j'utilise cette méthode et on dirait qu'il n'y en a vraiment plus maintenant.
Je cherche des yeux, une crème que je pourrai emprunter et tombe sur la trousse de toilette de ya Marie Anne.
Je m'en empare puis m'applique sur le corps la crème que je trouve à l'intérieur et la remets dans la trousse lorsque je finis. Sauf qu'en la remettant, je me rends compte qu'il y a quelques tubes de maquillage. Gloss, mascara, crayon et paillettes. Tout pour être belle, pour être femme.
« — Moi aussi je suis une femme ! je décrète en me regardant dans le miroir. Je devrais aussi pouvoir me maquiller. »
J'entends souvent ya Marie Anne, ya Mwinda et ya Merveille se prêter leur maquillage entre elles.
Maintenant que moi aussi je suis une femme je peux aussi leur emprunter. Le temps d'avoir le mien.
Bon, je ne vais pas faire un gros truc. Juste un peu de mascara sur les cils, du crayon sur les sourcils. Je vois souvent ya Merveille mettre un tube pour que ses sourcils soient bien, mais c'est trop compliqué pour moi. Je préfère faire comme ça, comme maman. Juste un peu pour ajouter. Je mets ensuite un peu de gloss pour faire briller mes lèvres et je termine avec un contour sur mes lèvres.
« — C'est réussi quand même. je me félicite en regardant mon résultat.
— Amara ! Sors de la salle de bains là ! hurle ya Mwinda. »
Je sursaute en entendant ses cris et les coups qu'elle assène à la porte.
J'ai même pas le temps de finir de me préparer. J'essaie d'attendre un peu pour pouvoir sortir de la salle de bains tranquillement, mais elle n'a pas l'air de voir partir.
Je suis obligée de prendre dans mes mains toutes mes affaires, ouvrir la porte et cacher mon visage dans mes affaires pour ne pas qu'elle le voit.
Je suis peut-être une femme, mais je tiens quand même à ma vie. Ya Mwinda sera capable d'aller me trahir auprès de ya Marie Anne qui serait peut-être pas trop contente si je prenais ses affaires.
Je me jette sur mon lit où je retrouve mon téléphone que j'avais laissé là depuis le début de la matinée. Je prends quelques photos parce que le résultat est quand même jolie et les envoie à Kaïs, ma meilleure amie.
« — Amara tu es… AHHHH ! Mais qu'est-ce que tu as fait !
— On toque avant de rentrer ! je crie en voulant me cacher le visage.
— Merveille, IB, Pitchou, Marie Anne ! Venez voir ! elle hurle en riant ! Vite ! Venez ! »
Ils débarquent tous, excepté ya Marie Anne, dans ma chambre en moins d'une minute et on tous la même réaction en me voyant : ils éclatent de rire à gorge déployée.
Ya IB tombe même par terre en essuyant ses larmes, qui ne font que redoubler. Ya Pitchou lui se met à me comparer à toute sorte de personne que je ne connais pas mais qui semble faire rire les autres.
J'essaie de rester forte, de pas montrer qu'ils sont en train de me faire de la peine, afin qu'ils ne se disent pas que je suis un bébé, mais c'est plus fort que moi. Je me mets à pleurer devant eux, ce qui accentue les rires de ya IB.
« — Avec le maquillage qui coule et la morve au nez ! »
Je les déteste ! Je les déteste tous !
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~~Marie Anne Sakumuna~~
« — Donc là tu vas me dire que c'est fini avec Raoul ?
— Mais il m'a trompé Raï ! C'est même toi qui m'as permis de le savoir !
— Oui mais, c'était pour que tu puisses prendre tes dispositions ! Je t'ai dit qu'il fallait faire attention, toi tu étais là, tu dormais. Elle a attaqué, c'est normal. Maintenant, il faut juste que tu le punisses un peu et puis tu lui donnes ça correctement pour qu'il sache qui tu es.
— Mais je lui donnais ça correctement ! C'est juste que j'étais pas trop emballée pour le faire… Tu vois non !
— Humm…
— Qu'est-ce qui va me garantir qu'après lui avoir vraiment tout donné, il va pas encore me tromper ?
— Rien. me répond Raï du tac au tac. Absolument rien mais ça ne changera aussi rien autour de toi. Tous les hommes trompent maintenant c'est à toi de t'adapter. D'au moins faire en sorte d'être la titulaire parce que si tu t'amuses à rompre avec tous les hommes qui vont te tromper on risquerait de vite te confondre avec une pute. On ne quitte pas un pays parce qu'il pleut, on prend le parapluie et on supporte. »