Chapitre 3
Sous les premières lueurs du matin, la clairière semblait figée dans une tension que même les brumes persistantes n’arrivaient pas à masquer. Les loups, fatigués par les récents affrontements, vaquaient en silence à leurs occupations. Quelques-uns soignaient des blessures encore fraîches, d’autres échangeaient des murmures discrets en lançant des regards furtifs vers Kaden, posté à l’écart comme une ombre vigilante.
Il scrutait chaque membre de la meute avec une attention inhabituelle. Les mots d’Elira et l’audace de Darian occupaient son esprit, bouillonnant sous la surface. Il ne pouvait pas ignorer les implications. La moindre faiblesse pouvait leur coûter la vie. Mais son instinct lui hurlait que Darian n’était pas un simple agitateur. Ce jeune loup incarnait une énergie qu’il n’avait pas encore su canaliser.
De son côté, Darian semblait plus confiant que la veille. Il se tenait parmi un petit groupe de loups, expliquant quelque chose avec des gestes animés. Kaden devina facilement le sujet : une autre proposition, une autre tentative de redéfinir les règles.
Quand Darian finit par s’approcher, Kaden le fixa de son regard perçant, une invitation muette à parler.
« Je crois que tu dois m’écouter, » déclara Darian, d’une voix posée mais déterminée.
« Je t’écoute, » répondit Kaden, son ton neutre masquant une pointe de défi.
Darian croisa les bras, réfléchissant à ses mots. « Ce qu’on fait depuis des années ne marche plus. Les Chasseurs nous étudient, anticipent nos mouvements. Si on continue à agir comme avant, on va droit à l’échec. »
Kaden haussa un sourcil, invitant Darian à aller plus loin.
« Je propose qu’on divise nos forces en équipes plus petites et mobiles. Chaque groupe aurait un rôle spécifique, des compétences précises. Quand on les attaquera, ils ne sauront plus où donner de la tête. »
Le silence qui suivit sembla s’étirer. Kaden évalua la proposition sans rien laisser transparaître.
« Tu veux briser l’unité de la meute ? » demanda-t-il enfin, sa voix lourde de sous-entendus.
« Non, » rétorqua Darian immédiatement. « Je veux la rendre plus forte. C’est un changement de méthode, pas une fracture. »
Un éclat de défi traversa les yeux de Kaden, mais il finit par céder, du moins en apparence.
« Soit. On verra si ton idée vaut quelque chose. Prépare-toi à expliquer ton plan à la meute. Et prépare-toi à leur prouver que ça peut marcher. »
Darian hocha la tête, visiblement soulagé mais conscient du défi à venir.
Quelques heures plus tard, la clairière bourdonnait d’activité. Sous les directives de Kaden, les loups avaient transformé l’espace en un champ d’entraînement rudimentaire mais efficace. Des troncs abattus, des fosses et des parcours improvisés formaient un terrain semé d’embûches, prêt à mettre chacun à l’épreuve.
Darian se tenait face à la meute, expliquant son plan avec une assurance qui surprit même ses détracteurs. Il parlait de vitesse, de ruse, d’adaptation, insistant sur la nécessité d’abandonner les vieilles méthodes pour survivre face à des ennemis plus organisés. Certains loups écoutaient avec intérêt, d’autres semblaient sceptiques.
Quand il eut fini, Kaden prit la parole, sa voix coupant l’air comme une lame.
« Ce plan est ambitieux, » déclara-t-il. « Mais des mots ne suffisent pas. Vous allez devoir prouver que vous êtes capables de l’exécuter. Pas de faiblesses. Pas d’excuses. Si vous échouez ici, vous mourrez sur le champ de bataille. »
L’entraînement commença dans une ambiance lourde. Chaque exercice testait non seulement la force brute, mais aussi la stratégie et la coordination. Les loups, habitués à des combats directs, avaient du mal à s’adapter. Les erreurs s’accumulaient, alimentant frustration et tensions.
Kaden supervisait les séances avec une rigueur implacable. Chaque mouvement mal exécuté attirait une remarque cinglante. Pourtant, sous sa surveillance stricte, certains loups commençaient à s’améliorer. Ils comprenaient, lentement mais sûrement, l’importance de ces nouvelles tactiques.
Darian, infatigable, passait d’un groupe à l’autre, encourageant et corrigeant. Sa présence rassurait les jeunes loups et apaisait les doutes des plus anciens.
Mais tout changea brusquement lorsqu’un cri perçant interrompit l’entraînement.
Tous les regards convergèrent vers un jeune loup, étendu au sol, le flanc ensanglanté. Une branche cassée, dissimulée dans le terrain accidenté, lui avait perforé la peau. Le silence s’installa, chargé d’une tension insupportable.
Kaden accourut, s’agenouillant près du blessé. Son regard s’assombrit en évaluant la plaie.
« Apportez-moi de quoi arrêter le saignement, maintenant ! » ordonna-t-il, sa voix tranchante brisant l’immobilité générale.
Elira, qui observait à distance, s’approcha rapidement, portant avec elle des herbes médicinales. Elle repoussa Kaden sans ménagement, prenant en charge la situation.
« Bouge, » ordonna-t-elle, son ton autoritaire ne laissant aucune place à la discussion.
La meute observait, partagée entre inquiétude et colère. Les murmures commencèrent à s’élever.
« Tout ça, c’est à cause de ces nouveaux exercices, » lança un loup plus âgé, d’un ton acerbe.
« On ne faisait pas ces entraînements avant, et on n’avait pas ce genre d’accidents, » ajouta un autre.
Darian, debout à proximité, serra les poings. « Ce n’était pas prévu, » dit-il d’une voix tendue.
« Pas prévu ? » cracha un ancien, le regard dur. « Rien de tout ça n’aurait dû arriver. »
Kaden, se redressant lentement, fit taire les protestations d’un simple regard.
« Vous voulez rejeter la faute sur quelqu’un ? Faites-le. Mais souvenez-vous de ceci : si on reste faibles, si on refuse d’évoluer, alors ce n’est pas un entraînement qui nous tuera. Ce seront les Chasseurs. Vous croyez qu’ils nous donneront le temps de nous plaindre ? Non. Ils nous traqueront, un par un, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de nous. Alors, choisissez : l’effort ou l’extinction. »
Le silence retomba. Les mots de Kaden avaient frappé juste, même si la peur et le doute restaient palpables.
Elira se releva, essuyant ses mains couvertes de sang. « Il survivra, mais il devra se reposer. Ne le poussez pas à reprendre trop vite. »
Kaden hocha la tête. « Merci. »
Alors que le blessé était transporté vers un abri, la meute se dispersa, chacun retournant à ses tâches. Mais l’incident laissait une ombre, une question non résolue : étaient-ils prêts à payer ce prix pour leur survie ?
Darian s’approcha de Kaden à la fin de la journée, son visage fermé.
« Je suis désolé pour ce qui s’est passé, » dit-il, presque à voix basse.
Kaden le regarda fixement. « Tu n’as pas à t’excuser. Mais souviens-toi de ça : chaque décision a des conséquences. Si tu veux diriger un jour, tu devras apprendre à les porter. »
Darian acquiesça, son regard brûlant d’une détermination renouvelée.
Kaden posa une main ferme sur son épaule. « Maintenant, montre-moi que tu es prêt à assumer. Parce que ça, ce n’était qu’un début. »
Alors que la nuit tombait, un sentiment incertain gagnait la meute. Ils savaient que leur chemin serait parsemé d’obstacles, mais ils voyaient aussi, pour la première fois, un espoir d’évoluer. Et cet espoir, fragile mais réel, leur donnait la force de continuer.