L'Alpha du Sang et Des Ombres

Les bois semblaient dormir, mais Kaden savait que ce sommeil était trompeur. Il s’arrêta au bord d’une clairière sombre, ses sens en alerte. Chaque bruissement d’arbre, chaque craquement de branche contenait une menace. Ses yeux dorés balayèrent l’obscurité, cherchant ce qu’il ne pouvait encore voir mais qu’il sentait, juste au-delà du voile.

Derrière lui, la meute avançait en silence, leurs pas légers malgré la tension. Ils n’étaient pas nombreux ce soir, juste assez pour constituer une escouade capable de se défendre. Une douzaine, pas plus. Certains étaient des vétérans aguerris, d’autres, de jeunes loups encore inexpérimentés, mais tous savaient qu’ils n'étaient pas seuls.

« Ils sont là. Je le sens, » murmura Kaden, la voix grave, plus proche d’un grondement que d’une phrase.

Elira se glissa à ses côtés. Sa stature frêle aurait pu la faire passer pour vulnérable, mais ses yeux racontaient une autre histoire. Cette louve sage, pilier de la meute, observait l’Alpha avec une attention minutieuse.

« La forêt ne nous protégera pas éternellement, Kaden. La situation exige un changement, » dit-elle calmement.

« Pas ce soir, Elira, » répondit-il sans la regarder.

Le regard d’Elira s’assombrit. Elle connaissait son obstination, mais elle pressentait que son entêtement les menait droit au désastre. Kaden dirigeait la meute d’une main ferme, mais la force brute ne suffirait plus dans un monde où les ennemis apprenaient à les traquer, à les vaincre.

Un bruit lointain retentit, suivi d’un silence qui sembla durer une éternité. Le murmure des bois s’était arrêté. Kaden tourna la tête, le regard perçant, tandis qu’un frisson parcourait les rangs.

« Formation, » ordonna-t-il d’une voix coupante.

Les loups s’exécutèrent. Habitués à l’obéissance, ils se placèrent rapidement en cercle défensif, les plus forts à l’extérieur, prêts à encaisser le premier choc. Kaden prit place à l’avant, son imposante silhouette rappelant qu’il était plus qu’un chef : il était une force à part entière.

Darian, le jeune loup, se plaça à ses côtés. Ses gestes étaient vifs, presque nerveux. L’impatience émanait de lui comme une chaleur, une énergie difficile à canaliser.

« Qu’est-ce qu’on attend ? » souffla-t-il, incapable de contenir son ardeur.

Kaden lui jeta un regard dur. « La première erreur vient toujours de l’ennemi. »

Un sifflement fendit l’air. Une flèche se planta dans un arbre non loin. Puis, tout bascula.

Les Chasseurs de la Lune émergèrent de l’ombre, des silhouettes furtives vêtues de noir. Armés de lames d’argent et de fusils spécialisés, ces humains avaient appris à ne plus craindre les créatures surnaturelles. Ils étaient précis, méthodiques, et chaque mouvement était calculé pour faire mal.

La meute réagit en un instant, leur humanité se dissolvant dans une transformation brutale. Des corps se tordirent, des os craquèrent, des membres s’allongèrent, et bientôt, des loups massifs se dressèrent là où des hommes se tenaient quelques secondes auparavant.

Kaden mena la charge. Dans sa forme lupine, il était immense, une masse de muscles noirs dont les yeux lumineux trahissaient une intelligence froide et implacable. Son premier adversaire n’eut pas le temps de réagir : il fut projeté au sol par l’impact, la gorge déchirée avant même de comprendre ce qui l’avait frappé.

Darian, transformé en loup gris, s’élançait avec une agilité qui le distinguait du reste. Ses crocs claquaient, ses griffes fendaient l’air, mais son impatience le poussait à se disperser.

« Darian, reste avec le groupe ! » gronda Kaden, un ordre mêlé de colère et de frustration.

Le jeune loup ignora l’avertissement, poursuivant un Chasseur qui s’éloignait de l’affrontement principal. Ce moment de désobéissance faillit lui être fatal. Un coup rapide d’une lame d’argent effleura son flanc, lui arrachant un hurlement de douleur.

Kaden, voyant le danger, se précipita à son secours. Il bondit sur le Chasseur, le projetant violemment contre un arbre avant de se transformer brièvement pour réprimander Darian.

« Tu veux mourir ? » tonna-t-il.

Darian, haletant mais obstiné, répondit d’un ton défiant. « Je fais ce que toi, tu refuses de faire : agir. »

L’Alpha plissa les yeux, mais avant qu’il ne puisse répliquer, un cri d’alerte détourna leur attention.

Un jeune loup, encore fragile dans sa transformation, était tombé. Trois Chasseurs s’avançaient vers lui, des armes levées. Elira, dans un geste désespéré, s’interposa. Elle tenait une dague volée, mais face à trois adversaires armés, elle paraissait dérisoire.

Kaden sentit une rage froide l’envahir. Ce n’était pas seulement une attaque contre la meute, mais un affront personnel. Sans hésitation, il se lança dans la mêlée, écrasant tout sur son passage.

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Le combat s’acheva aussi brutalement qu’il avait commencé. Le sol était jonché de corps, humains et lupins, et l’odeur métallique du sang saturait l’air.

Kaden, de nouveau sous sa forme humaine, observa les lieux avec une expression dure. Son corps était couvert de blessures, mais c’était la douleur morale qui pesait le plus lourd. Trop de pertes.

Elira approcha, soutenant le jeune loup blessé qui peinait à marcher. Ses yeux gris croisèrent ceux de Kaden, un mélange de reproches et d’épuisement dans leur regard.

« Ce chemin nous mène droit à notre perte, » murmura-t-elle.

Kaden détourna les yeux. Il n’avait pas besoin qu’on le lui dise.

Darian, lui, se tenait à l’écart, son regard alternant entre les morts et Kaden.

« On ne peut pas continuer comme ça, » déclara-t-il, sa voix basse mais ferme.

L’Alpha se tourna lentement vers lui, ses traits durs comme la pierre.

« As-tu une meilleure idée, Darian ? »

Le jeune loup ne recula pas. Il planta son regard dans celui de Kaden, défiant l’autorité du chef sans fléchir.

« Peut-être. »

Un silence pesant s’installa, chargé de tensions latentes. Elira, sentant le conflit prêt à éclater, intervint.

« Ce n’est ni le moment, ni l’endroit, » dit-elle. « Nous avons d’autres priorités. »

Kaden serra les mâchoires, mais il se détourna, mettant un terme à l’échange.

Ils rassemblèrent les blessés et les morts, chaque perte pesant lourdement sur leurs épaules. Mais au-delà des cadavres, au-delà du sang et des larmes, une vérité implacable émergeait : le monde avait changé, et Kaden devait changer avec lui.

Alors qu’ils quittaient la clairière, une pensée persistait dans l’esprit de l’Alpha.

Le plus grand combat ne serait pas contre les Chasseurs de la Lune. Ce serait contre lui-même.