4 - La cafétéria
Yanie :
Je cours pour rejoindre des visages amicaux. Je cours pour fuir ceux de ma classe. Je ne me sens pas trop à l'aise avec eux. On dirait que je fais tout de travers, et cela les agace. Ce premier contact avec ces étudiants n'est pas très concluant. Je parcours la cafétéria du regard et je les aperçois. Je me dirige vers eux, en soufflant de soulagement.
Je suis déjà installée à une table à manger tranquillement, mes frères en face de moi. Je profite pour me détendre un peu. Je réfléchis beaucoup à tout ce qu'il s'est passé ce matin. Je peux dire que je ne suis pas du tout en osmose avec eux. J'ai même l'impression que ma présence les dérange.
Puis tout à coup, les cinq beaux gosses du cour de danse font leur entrée dans la cafétéria. Tous les regards féminins sont posés sur eux avec fascination. Ils se comportent comme des "bad boys". Franchement, ils sont ridicules. Ils se prennent pour des stars ou quoi ! Je les regarde et je ne peux m'empêcher de rire. Ils se croient au-dessus de tout le monde. Et à en croire par les réactions des autres, ils parviennent à convaincre. Vraiment, si cela fonctionne avec les coréennes, personnellement cela me laisse totalement indifférente. Je déteste ce genre de personnes. Ils ne prennent même pas la file d'attente, comme tout le monde. Personne n'ose protester et on leur permet de prendre leurs places. Dément ! Ils sont détestables. Je secoue la tête pour ne pas leur accorder plus d'importance.
Ils passent devant nous et nous dévisagent méchamment. Ils s'installent à la table derrière nous. Honnêtement, je suis heureuse de leur tourner le dos. Ils se prennent pour des tueurs de cœurs, je ne peux m'empêcher de me moquer en souriant. Nous finissons notre repas, lorsqu'ils se déplacent pour s'installer à notre table en face de nous. Il y en a un qui se colle à moi. Et cela me déplaît, je me pousse en soufflant.
Je ne me souviens pas comment il s'appelle. Mais, il me parle en anglais.
"- Alors la française, il paraît que les filles de là-bas sont faciles."
Très relevé comme discussion ! Je souffle à nouveau, me lève et fait signe à mes frères de venir. Ce qu'ils ne font pas. Je m'éloigne car dans un quart d'heure, je commence à travailler. J'enfile la tenue que tous les salariés de la cafétéria portent. Et me voilà prête, derrière le guichet à servir les clients. De temps en temps je regarde à la table où sont mes frères. Ils discutent encore avec les cinq "bad boys". Celui que je trouve à tomber est en train d'embrasser à pleine bouche une fille de notre classe. Aucune réserve ! Il m’écœure.
Je serre les clients, je comprends tout ce qu'ils commandent. Mais, parfois quand les demandes sont différentes, je suis perdue. Également, au début pour rendre la monnaie. Alors, une de mes collègues le fait et ensuite j'y parviens. Un client me commande un café. Je ne lève pas la tête, prépare la boisson. Et quand je lui tends sa commande, il me fusille du regard. C'est ce bon danseur qui me dévisageais en cours. Je ne comprends pas pourquoi, il ne m'aime pas. Mais bon, je m'en moque en vérité. J'ai d'autres chats à fouetter.
Quand, j'ai fini mon travail, je me change, et sors de l'école en courant. Merde ! Je suis obligée de passer devant eux en courant. Je le fais, et j'en bouscule un qui me hurle dessus. Tant pis, je me retourne et me fiche de lui. Il me tue du regard. J'arrive juste à temps à la crèche pour récupérer ma petite Li-anne. Je la serre dans mes bras. Là, c'est le meilleur moment de ma journée. Heureusement que je suis parvenue à arriver à l'heure.
Mes yeux se brouillent, ma mère me serrait souvent dans ses bras aussi. Ces moments tendres avec elle me manquent tellement. J'ai peur de mon avenir sans elle. C'est troublant de se dire que je ne pourrais plus que compter sur moi, et être un support pour les autres, notamment cette petite fripouille. Je lui souris en pinçant affectueusement sa joue. Elle me sourit. Et ce sourire me rend bien toute l'affection que je lui donne. Je caresse ses cheveux. Elle s'accroche à mon cou.
Je remercie la Directrice de la crèche. Nous sortons en flânant. C'est bien la première fois depuis que nous sommes arrivées à Séoul, que je peux profiter pour trainer un peu et prendre tout mon temps. Je me préoccupe de rien, peu importe l'heure à laquelle nous allons rentrer.
Je profite du paysage, et j'observe la vie autour de moi. Cette contemplation m'arrache un sourire, le premier depuis si longtemps. Je ne comprends pas pourquoi mon humeur est meilleure. Je hausse les épaules. Peut-être que finalement Séoul sera une ville salvatrice pour moi. Enfin, ici, rien ne me rappelle constamment mes parents. C'est déjà cela. Puis, je fronce les sourcils. La douleur revient rien qu'à penser à eux. Je souffle pour chasser mon mal être. Mais pour moi, rien ne sera plus du tout évident. La Yanie d'avant ne pourra plus être. Je pose mon front sur celui de Li-anne. Elle tente d'attraper mes cheveux, et quand elle y parvient elle tire dessus. Ce qui m'éloigne de mes pensées noires, l'espace de quelques minutes. Je ne veux plus me lamenter sur mon sort. Je souhaite m'en sortir. Suis-je véritablement la seule à souffrir ?
Je lève ma tête pour observer le ciel. Est-ce qu'ils me voient de là-haut ? Je serre mes lèvres, parce qu'un pincement au cœur me détourne de mes motivations et de mes bonnes résolutions pour m'en sortir.
Je dépose ma sœur au sol. Main dans la main, nous marchons lentement vers la maison, en riant. J'ai réussi à chasser ma tristesse. Elle me raconte sa journée avec ses mots d'enfant, et je me retrouve en face du beau "bad boy" de ma classe. Il me dévisage surpris. Je préfère l'ignorer. Je passe à côté de lui, sans un regard et je continue ma route...