3 - Cours de danse
Yanie :
Le professeur de coréen commence par les bases. Quelques mots me semblent familiers. J'avoue que cette langue n'est pas simple à apprendre pour nous. Mais, je n'ai pas l'intention de baisser les bras. J'ai décidé d'entrainer mes frères à Séoul, donc, je ne compte pas faire marche arrière. Je veux m'habituer à cette nouvelle vie. J'avais besoin de ce dépaysement total. Quand le professeur évoque un peu l'histoire de la Corée, notamment la période des trois royaumes, je ne peux m'empêcher d'imaginer leur vie, avec comme référence les dramas que j'ai visionnés. Vu ainsi, avec une référence visuelle, cette époque me parle plus.
J'ignore si je vais me plaire dans cette immense ville. Mon objectif est de réussir à évacuer ma colère et mon chagrin. Je m'occupe beaucoup pour ne pas avoir de temps pour penser à la tragédie que nous venons de vivre. Nous n'en parlons pas entre nous. Mes frères évitent ce sujet. Je m'évade un peu du cours, et je plonge ma main dans mon sac. J'en retire un cliché important pour moi.je caresse du bout des doigts la photo de notre famille réunie, une photo rare puisque que nous sommes tous ensemble. Nous étions heureux à cette époque. Aujourd'hui, il ne reste plus rien de ce bonheur. Et je crois que c'est ce qui est le plus insupportable, savoir que nous ne pourrons plus jamais être tous réunis ainsi, avec insouciance.
Une boule se forme dans ma gorge. La douleur ne s'atténue pas. Je me sens comme brisée à vie. Qu'est-ce qui pourrait me sauver de mon effondrement mental ? Mon silence ne signifie pas que j'ai accepté la situation, il est plutôt le reflet de mon impuissance.
Parfois, c'est insupportable. Je me sens trop mal pour cacher mon chagrin. Je serre les poings. Ce n'est pas l'endroit pour laisser libre court à mon chagrin. Je réfrène mes émotions pour le bien de mes frères et ma petite sœur. Ce n'est pas évident de ne pas pleurer parce qu'ils me manquent. Nous quittons la salle de classe, la prochaine fois, je serais plus attentive.
Le cours de danse. Je l'attendais. J'adore la danse depuis que j'ai vu un film sur les concours de danse de rue, de danse libre. Je travaille beaucoup pour arriver à danser comme eux. J'ai répété, et répété des journées entières, pendant des années pour arriver à un niveau satisfaisant. J'ai déjà danser avec tout un groupe d'amis comme dans le film, et j'ai adoré. Mon rêve secret est de recommencer. J'ai mis une tenue de danse et je rejoins les autres. Ils ont tous des shorts et des tee-shirt très strictes. Et moi, j'arrive avec ma tenue extravagante. J'ai honte d'être différente d'eux, je tente de me cacher . Quand j'entre dans la salle de danse, ils me déshabillent tous des yeux. C'est moi l'extra- terrestre. J'aurais crié cela en entrant dans la pièce, auparavant. Mais depuis que j'ai du chagrin, je n'en ai plus le cœur.
Le professeur de danse est relativement jeune. Il est plutôt pas mal. Il commence son cours, et à peu près cinq minutes plus tard, il s'aperçoit qu'il y a une nouvelle étudiante. " Et oui, je suis là" j'avais envie de lui dire.
Comme avec le professeur de chant, il me demande de me présenter, si j'ai déjà suivi un cours de danse.
"- Oui, j'ai suivi des cours de danse "hip hop" en France !" Dis-je avec fierté.
- "Hip hop", je vois. Essayez de suivre ce que nous faisons. " Il répond.
Je me place au dernier rang, je ne connais pas la chorégraphie. Je préfère regarder pour l'apprendre. Rien de bien compliqué à première vue. Qu'est-ce que c'est classique comme enchaînement ! Ils sont coincés dans ce pays. Je sens que ça va être galère. Ce n'est pas grave comme cela je vais avoir tout le loisir de regarder les autres. Au premier rang, il y a cinq garçons, tous très mignons, surtout un. Il est magnifique, à tomber. Il danse pas trop mal, les mouvements qu'on lui imposent. Plus je le regarde, plus je le trouve charmant. Mais, là, je préfère regarder ailleurs, car il vient de voir que je l'observais. Pour ma première journée de cours, je préfère éviter les ennuis. Et, puis, il a l'air imbu de sa personne. Alors, je ne vais pas lui faire plaisir en le laissant croire que je succombe à son charme.
Je regarde plusieurs fois les mouvements, je pense les avoir enregistrés. Et je me mets à danser avec eux. Je danse bien, alors des pas de base comme ceux-là, il n'y a rien de compliqué pour moi. Sans prétention, je suis douée en danse et en chant, j'ai même un don pour cela. Mais, ici, j'ai l'impression que si tu montres que tu es excellent, tu risques de te faire mal voir.
"- Et toi là-bas, vient devant !" Me crie le prof.
J'écarquille les yeux. Je n'ai rien fait de spécial. J'avale difficilement ma salive. Il me fait signe de m'avancer. Je n'en ai vraiment pas envie, mais j'obéis par la force des choses.
Je m'avance, donc, au premier rang à côté des cinq "beaux gosses". Plutôt un peu devant eux. La chorégraphie reprend et je me débrouille pas mal. Je suis dans le rythme, mes mouvements sont parfaits. Je crois que le coach est convaincu par mon style. Il n'est pas le seul d'ailleurs car tous me regardent. Surtout un, le coréen à tomber parterre. Son regard est descendu sur mes formes, et ma tenue. J'espère qu'il apprécie la vue. Je préfère ignorer l'antipathie démontrer à mon égard. Je ne savais pas qu'il y avait une tenue stricte également pour le sport. J'implore leur indulgence. Au lieu de m'épier comme une pestiférée, il serait de bon ton de m'expliquer un peu les règles d'ici. Je me concentre sur la chorégraphie, et mon esprit s'évade pour libérer mon corps, et lui permettre de s'exprimer en toute liberté.
Fin du cours de danse. Je quitte la pièce en premier. Je me hâte de me doucher et je pars rejoindre mes frères à la cafétéria...