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CHAPITRE V

CROSSED DESTINIES

CHAPITRE V

ANTONIA MARIA: Papa tenait sa réputation d'expert en matière de piège. La moisson avait été abondante, on était privilégiés. On devait savourer des mets succulents à l'immédiat, des perspectives des plus alléchantes se profilaient à l'horizon d'après ses prévisions, la cuisine de maman ne désemplirait pas, nombre de gibiers se feraient encore prendre. La famille allait se régaler. Nos cousins ne seraient pas en reste. Mon père avait le cœur sur la main. La générosité était son essence même. Il était l'un des chantres irréductibles de la valeur africaine communément partagée selon laquelle : ''Lorsqu'il y en a pour un, il y en a pour deux''. Il s'était fait le devoir de nous transmettre cette vertu de partage et y travaillait sans mollir. A cet égard, le discours ci-après à notre adresse était constant :

Clément Richard : Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir. La générosité est une valeur fondamentale. Gardez-vous donc d'être pingres, mettez un point d'honneur à vous départir de l'individualisme, l'égocentrisme qui sont totalement étrangers à notre culture. L'altruisme doit être l'un des piliers de votre interaction avec les autres, bref, il doit être au centre de la vie en société. Soyez toujours enclins à donner, à apporter de l'aide, à soutenir quelle que soit la circonstance. Plus vous donnerez, plus vous optimiserez vos possibilités. Une main qui a du mal à se rendre, recevra péniblement, un proverbe bantou nous l'enseigne.

ANTONIA MARIA: On nous avait tellement asséné, martelé ce discours qu'il était devenu prégnant. C'était la rengaine de papa. De fait, elle ne pouvait que conditionner notre attitude vis-à-vis des autres, elle s'imposait à nous. Lorsqu'on était en capacité d'offrir quelque chose à notre prochain qui était dans le besoin, on ne se faisait pas prier. Il me souvient que j'avais eu à subir les foudres de maman, j'avais pour ainsi dire, reçu une correction mémorable, tout simplement parce que je n'avais cru devoir partager avec ma petite sœur qui était en ma compagnie, une noix de palme ramassée sur le chemin. Pour ma part, elle était tellement petite que je n'avais pas jugé utile d'en donner une part à qui que ce soit. C'était un casus belli pour les parents, un crime de lèse majesté. Maman en avait fait une affaire d'État. J'en avais eu pour mon grade et J'ai tiré les leçons de cette mésaventure. En tout état de cause, les parents ne transigeaient pas sur la valeur de partage. Pour eux, c'était le pilier, le socle de la solidarité au sein de la famille, et partant le catalyseur de l'amour, de la cohésion, en somme de la cordialité entre ses membres. Pour ces derniers, la famille n'avait vocation à prospérer que si elle était soudée, si elle n'était pas divisée contre elle-même, si tout problème qui se posait en son sein ou alors qui affectait l'un de ses membres était géré à l'unisson, pris à bras le corps par tous les individus qui la composaient. On devait se sentir concerné par le problème de l'autre comme si c'était le sien propre. Pour ce faire, il fallait taire avec la plus grande fermeté toute velléité de dissenssion, qui pourrait émaner d'une attitude, du comportement individualiste de l'une des composantes ou alors de l'un des maillons de la famille. La solidarité et l'harmonie au sein de la famille, devaient toujours être de mise, et chacun de ses membres devait jouer sa partition pour qu'il en soit ainsi. Dans cette optique, papa nous recommandait, mieux, nous imposait de ne jamais laisser perdurer un différend, une incompréhension entre nous. Il fallait mettre sous l'éteignoir, dans les délais les plus raccourcis, tout malentendu. A cet égard, lorsqu'il y avait une dispute au sein de la fratrie, il était établi, que l'un de ses membres, sans autre forme de procès, devait se saisir du problème, c'est-à-dire assurer la médiation, pour taire les animosités. Si le malaise persistait malgré sa tentative de conciliation, il devait en référer à quelqu'un de plus aguerri, son aîné notamment ou alors les parents. Papa faisait preuve d'une sévérité saisissante lorsqu'il s'agissait de réprimer ceux des membres de la fratrie dont la rancune était tenace. En effet, lorsqu'il se rendait compte, qu'après une dispute, malgré la volonté de rapprochement des parties en conflit, l'une d'elle, nonobstant les concessions, la volonté d'ouverture faite par l'autre partie, restait camper sur ses positions, il était particulièrement virulent envers celle-là. Il n'était pas du tout tendre avec le fauteur de trouble. Il fulminait généralement ainsi contre la partie réfractaire à la réconciliation :

Clément Richard : Je ne tolérerai pas que tu sois celui par qui le diable passera pour mettre en lambeaux la famille que j'ai souffert à construire. Je te combattrai jusqu'à la dernière énergie. Un tel comportement est inadmissible, c'est cette attitude qui ouvre la voie à la sorcellerie au sein de la fratrie. Je vous ai toujours dit que quelle que soit la gravité du problème entre vous, il ne doit durer que le temps de l'incompréhension. Aussitôt qu'une mise au point est faite, vous devez revenir à de meilleurs sentiments, taire vos griefs. L'échange véhément, les joutes oratoires doivent en même temps être le prologue et l'épilogue de votre différend. Toute rancœur qui va au-delà de ce cadre relève de la sorcellerie, et là dessus aucune concession n'est envisageable. Le tumulte doit céder le pas à la concorde au sein de la famille, sinon mes prêches matinales à l'église, mon sermon quotidien n'aurait pas sa raison d'être, il serait vide de sens. Vous devez faire preuve d'exemplarité dans ce village, tracer le chemin à suivre de par vos attitudes et comportements, être des modèles véritables pour les autres enfants. Vous avez toute conscience de ce que les regards sont fixés sur vous, je ne cautionnerais pas que mon autorité et l'éducation que je vous donne, souffrent de quelques ambiguïtés, et qu'ainsi ma personnalité soit traînée à la fange.

ANTONIA MARIA: A ce sermon sur un ton martial, s'accompagnait un châtiment corporel digne de ce nom. Ne dit-on pas que, qui aime bien châtie bien. Cette rigueur paternelle avait assis une certaine orthodoxie dans nos relations fraternelles et interpersonnelles. On s'arrangeait lorsqu'on était en bisbilles, que la pomme de discorde se limite dans le cadre strict de la fratrie et ne parvienne pas aux oreilles des parents. Un modus vivendi avait tôt fait d'être trouvé, quelle que soit l'ampleur de le ''fracture'' pour annhiler toute possibilité d'immixtion de papa notamment, dont les méthodes de gestion de pareil cas, n'étaient pas des plus conventionnelles, autrement dit, hautement draconiennes. On les avait en horreur en tout état de cause.

Comme on pouvait le subodorer, après avoir laissé les paquets, le gibier pris notamment, papa enchaîna dans sa cacaoyère en compagnie de mes frères. Ce n'était pas dans ses habitudes de manger de bonne heure. Par ailleurs, il ne s'éternisait pas dans ses plantations. En général, il sortait de bonne heure et s'arrangeait à être de retour à la maison au plus tard à midi, d'abord parce qu'il avait horreur de travailler sous la canicule, et puis parce que ses autres activités l'y obligeaient. Au moment du départ pour la cacaoyère, il laissa cette consigne à maman:

Clément Richard : Je souhaiterais, sauf meilleur avis de ta part, qu'Antonia Maria ne fasse pas partie de l'expédition de la plantation aujourd'hui. Je suggère que tu t'y rendes uniquement avec ses grandes sœurs, comme ça elle s'occupera de concocter les hérissons que j'ai apportés. Ainsi, je pourrai me nourrir dès mon retour de la cacaoyère, prévu dans deux heures et demie tout au plus. Je ne dînerais pas avec les reliefs du repas d'hier, alors que j'ai rapporté de la bonne viande fraîche.

Véronica: C'est bien que tu l'aies dit en sa présence, elle sait désormais ce qui lui reste à faire. Elle a été bien formée, l'art culinaire n'a plus de secret pour elle, de même que pour ses sœurs, je leur ai tout appris.

Clément Richard : Elles excellent toutes dans ce domaine, c'est une vérité d'évidence irréfragable. Mais tu détiens quelque chose en plus, quelque chose de spécial. C'est pour ça que je préfère de loin que tu sois à la manœuvre lorsqu'il s'agit de mon repas. Tu tutoies les cimes, avec toi, on expérimente l'art culinaire dans toute sa splendeur. L'élève a beau se bonifier, surpasser son maître demeure généralement un extremum. Je sais que tu as fort à faire à la plantation aujourd'hui, je sais également que lorsque tu t'y mets, tu n'y vas pas de main morte, c'est généralement pour une durée de temps conséquente. Tu es douée de cette capacité là à travailler pendant plusieurs heures d'affilées. Je suis donc à peu près sûr, que tu ne saurais être de retour avant 15 heures. Aussi, pour ne pas te bousculer dans tes programmes, la solution médiane me semble être celle d'Antonia Maria. Il est mieux qu'elle s'y colle. Comme ça tu n'auras pas à te tuer au travail ici, et à t'affadir de fait, avant ton départ pour le champ. Il est fortement conseillé, ce n'est pas à toi que je vais l'apprendre, d'investir le théâtre des opérations, de s'attaquer à la forêt lorsqu'on a encore toutes ses forces, toute sa vigueur, c'est-à-dire très tôt le matin. L'autre formule aurait été que tes filles s'avancèrent, mais c'est généralement toi qui donnes du rythme, de l'impulsion. Lorsque tu n'es pas aux commandes, elles tirent la dynamique par le bas, elles lambinent. Ta présence seule suffit à ce que le travail à effectuer le soit de moitié.

Véronica: Je perçois bien ta démarche dérobée pour m'inciter à faire la cuisine pour toi ce matin avant toute chose. Je n'aurais pu m'y soustraire. Je travaillerai en synergie avec Antonia Maria, comme ça, on sera plus diligentes.

Clément Richard : C'est toi qui gères la cuisine, tu y es souveraine. Organise ta maison comme tu l'entends. Je me réjouis de ce que tu aies pu trouver une fenêtre pour me faire plaisir.

ANTONIA MARIA: Sur ces entrefaites, papa pris congé pour vaquer à ses autres activités de la journée. Maman était très endurante, sa résilience était subliminale. Elle pouvait travailler une journée entière sans mollir. Il lui était arrivé plusieurs fois, lors de nombreuses expéditions au champ, de s'oublier à la tâche. C'étaient nos plaintes et complaintes, les signes de fatigue manifestes qu'on donnait, qui l'amenaient à comprendre qu'on n'en pouvait plus, que son équipe était lessivée, complètement sur les rotules et qu'il était temps de s'arrêter pour la journée, de ''battre en retraite''. A chaque jour, sa peine suffisant.

Afin qu'elle puisse tenir ses engagements de la journée, nous nous étions immédiatement mises à la tâche. Papa n'avait pas un appétit pantagruélique, c'était plutôt une personne frugale, ce qui fait que, lorsqu'il demandait à manger, on s'arrachait pour qu'il soit servi sans délai. Lorsqu'il passait une commande d'un mets particulier, ou alors lorsqu'il annonçait son retour anticipé à la maison, comme ce fut le cas ce jour-là, il fallait se mettre en quatre pour que tout soit fin-prêt à son arrivée.

Véronica : Antonia Maria, rapproche-toi du jardin pour y cueillir les condiments que nous utiliserons pour la cuisson et découpe-les. Dans l'intervalle, je vais apprêter les compléments.

Antonia Maria : Maman avait aménagé un petit jardin derrière sa cuisine, c'était une pratique courante dans notre contrée, on l'a d'ailleurs perpétuée au fil des générations. Ledit jardin était dédié à la culture des condiments, épices et tomates. On en trouvait de tous ordres. Je m'y rendis tout devoir cessant et pris le nécessaire. Je savais exactement ce dont-on avait besoin, relativement au plat à apprêter. Plusieurs années durant, on se regroupait systématiquement autour de maman lorsqu'elle faisait la cuisine, pour apprendre, pour nous approprier ses bonnes recettes. C'était d'ailleurs un exercice obligatoire, il fallait bénéficier d'une dérogation spéciale pour s'y soustraire. Seule une autre sollicitation éminemment importante pouvait nous-y dispenser. Toutes choses qui nous avaient façonnées, édifiées, dotées d'arguments et armes nécessaires pour nous exprimer dans le domaine culinaire avec autorité. Cette étape franchie, je m'employai immédiatement au nettoyage du gibier et le dépéça.

Véronica : Tu conviens avec moi que lorsqu'on s'y met ensemble, on va plus vite. Une heure ou tout au plus, une heure et demie suffira à nous libérer de cette responsabilité. Pendant que j'assaisonne la viande, rajoute du bois au feu et attise-le, pour que le complément cuise rapidement. On en aura pas pour plus de vingt minutes pour que la sauce soit prête, alors je pourrai aller fouetter mes autres chats.

ANTONIA MARIA: Maman, je comprends maintenant pourquoi tu veilles toujours à ce que le bois soit fendu et qu'on en ait toujours en réserve, bien que les aînés réchignent la plupart de temps à se coller à cette tâche, pourtant typiquement masculine de mon point de vue, ça nous facilite la tâche à la cuisine. Ç'aurait été très laborieux s'il avait fallu commencer par fendre le bois avant de faire le feu. C'est véritablement indiqué d'avoir du prêt à consommer, c'est très astucieux. A titre personnel, je trouve cet exercice très rébutant, je ne m'y colle que lorsque j'y suis contrainte, lorsqu'il y a pas d'alternative possible. Elle nécessite une bonne posture au niveau de la condition physique.

Véronica : En toutes hypothèses, c'est un exercice qui tombent dans le champ des responsabilités des hommes. A cet égard, je partage entièrement ton avis. C'est en plus un bon exercice physique pour eux, qui, du reste, ont plus de force. Il est tout à fait normal, que les activités qui nécessitent une débauche d'énergie conséquente, soient effectuées par eux. Nous remplissons déjà notre part du contrat, en bravant parfois des sentiers sinueux de la forêt pour en chercher. Le transport pour le village est également une autre paire de manche. Plusieurs fois, je suis rentrée avec le dos en capilotade, en raison de la charge importante que je transportais dans ma hotte.

Antonia Maria: Ce qui est constant maman, c'est qu'on avance sans encombre dans notre office à la cuisine, lorsqu'on n'a pas à consacrer du temps à cette tâche énergivore et rébarbative.

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