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CHAPITRE VI

CROSSED DESTINIES

CHAPITRE VI

ANTONIA MARIA: une cinquantaine de minutes avaient suffi à tout apprêter. Le repas était prêt. On avait fait preuve d'une diligence inouïe. Le fumet qui émanait de la marmite de hérisson était enivrant, tout simplement envoûtant. Je m'en léchais d'ores et déjà les babines. Il allait y avoir un grand festin. La famille allait se régaler. En tout état de cause, les recettes de maman étaient connues de toutes, elle nous avait transmis toutes les astuces et techniques de mise pour concocter des repas copieux. Seulement, sa main était singulière, elle était atypique, absolument magnifique. Son doigté était incomparable. Quand bien même, on reprenait fidèlement ses gestes à la cuisine, en utilisant les mêmes épices et condiments qu'elle, dans les mêmes conditions, on ne parvenait pas au même résultat. Elle était toujours un cran au-dessus de nous, ses repas avaient quelque chose de spécial, d'original, ils sortaient des sentiers battus. C'est la raison sérieuse et profonde pour laquelle, la préférence de papa, sans équivoque possible, avait toujours été, que ses repas furent apprêtés par elle. Ce qu'elle faisait d'ailleurs de bonne grâce, c'était son obligation de premier plan, en qualité d'épouse de Monsieur notre père, comme elle aimait à le rappeler. Cependant, papa, au regard des journées longues et laborieuses de maman, mettait tout en œuvre pour lui aménager un temps de repos donc de récupération conséquent. Il était un fervent militant de la thèse selon laquelle: pour aller loin, il fallait ménager sa monture. En cela, il multipliait artifices et stratagèmes, pour la libérer de certaines de ses obligations, dont la cuisine aussi, certainement à son corps défendant pour cette dernière. Mais c'était peine perdue. Maman avait un sens élevé de responsabilités, elle réchignait toujours à passer la main, à laisser faire, lorsqu'on manifestait quelque volonté à intervenir dans ce qu'elle appelait son domaine réservé. Papa ne se résignait pour autant. Elle avait droit au repos, il était de son devoir d'y veiller.

La cuisine à peine terminée, maman me lança:

Véronica : Je venais de terminer avec ce pourquoi j'étais retenue ici à la maison, le moment de rejoindre tes sœurs au champ est arrivé. Tu attendras le retour de ton père sur place et occupe-toi-en dès son arrivée. Il est bien qu'il mange chaud, c'est d'ailleurs comme ça qu'il faut toujours lui servir à manger; le fait étant que le repas est plus appétissant lorsqu'il est chaud. De fait, on est à son aise. Donc, si d'aventure, il ne rentre pas tout de suite après mon départ, rassure-toi que ce soit le cas.

Antonia Maria : Je vous emboîterai le pas tout de suite après m'être occupée de lui.

Véronica : Ce ne sera pas nécessaire que tu nous rejoignes. Tu peux prendre ta journée. Par contre, ça me ferait plaisir, le cas échéant, que tu sarcles le verger et fasses des réserves d'eau s'il te reste encore des forces.

Antonia Maria: Tu peux partir tranquille maman, va travailler le coeur en paix, je m'occupe de tout. Je veille au grain, tu ne seras pas déçue à ton retour. Passe une excellente journée et du courage à la plantation.

J'avais pratiquement passé la matinée dans une douce oisiveté, faire la cuisine était trivial, c'était ce qu'il y avait de plus simple, de plus élémentaire. Il n'y avait donc pas de raison que je ne fasse pas les commissions à moi laissées par maman.

Véronica : A plus tard ma chérie.

Antonia Maria : Conformément à l'engagement pris vis-à-vis de maman, la parole donnée étant sacrée comme on nous l'avait enseigné, j'attendis sagement le retour de papa, en m'occupant de petites tâches ménagères de la maison, dont-on se serait occupées à notre retour du champ, si je n'avais pas été réquisitionnée pour les besoins de la cause. Je fus obligée de remettre le sarclage à un peu plus tard, pour ne pas dégouliner de sueur, lorsque le moment de m'occuper de papa arriverait. Toute chose qui m'aurait contrainte à prendre mon bain avant le service à table, ce qui occasionnerait une perte de temps pour quelque chose qui devait se faire instamment, et puis, j'avais encore pas mal de petits travaux à effectuer avant le retour de maman.

Dans l'intervalle, papa fit son entrée. Il avait à faire à la maison, notamment dans son atelier de couture, des commandes à honorer. Mes frères étaient restés au charbon, il y avait encore du grain à moudre à la cacaoyère. En effet, papa était rentré plus tôt que d'habitude en raison de ses autres sollicitations, il était sur plusieurs fronts en même temps.

Clément Richard : Connaissant ta diligence, ta promptitude à exécuter les tâches à toi assignées, je présume que tout est prêt par-ici.

Antonia Maria: Depuis un bon moment papa. Ça été un jeu d'enfant. Il y avait de la main d'oeuvre et de la méthode derrière, en somme du métier. Maman même était aux commandes, avec à ses côtés, l'assistante aux états de service fort appréciables que je suis.

Clément Richard : Toute une organisation alors. C'est bon à savoir. Où est-elle passée ?

Antonia Maria: Tu l'as manquée de peu. Elle a rejoint les sœurs aînés au champ et m'a chargée de gérer ce qui reste à faire ici. Je m'occupe de toi immédiatement papa.

Clément Richard : Infiniment merci ma petite fille. Fais-le pendant que je vais sous la douche.

ANTONIA MARIA: Je servis le repas dans le strict respect des consignes qui m'avaient été données. Papa mangea avec grand appétit, tout en ne tarissant pas d'éloges à notre endroit. J'eus droit à une avalanche de compliments.

Clément Richard : Lorsque la fine fleur d'une maison, tous domaines confondus, se met ensemble pour faire quelque chose, le résultat est tout simplement explosif. Qui plus est, lorsqu'il s'agit de son domaine de prédilection, l'art culinaire notamment, le mets concocté ne peut qu'être pur délice. Je salue avec faste votre chef d'œuvre. Ceci est le résultat éloquent de la synergie d'actions entre une constellation de talents. Recevez mes vives félicitations pour ce plat exquis, j'y associe l'expression de ma déférente gratitude. Je passe là un moment unique, inédit, avec en trame de fond un goût de revenez-y. Quelle merveille !

Antonia Maria: Régale-toi papa, nous sommes très honorées. Mange à ta faim.

Je restai aux côtés de papa pendant qu'il mangeait. Maman nous avait appris à ne jamais nous éloigner de lui à ce moment-là. Il pourrait avoir besoin de quelque chose, il ne serait pas avenant qu'il parlât à gorge déployée, pour qu'on la lui apportât. Le repas avait vocation à être un moment paisible, de pur bonheur.

Une trentaine de minutes plus tard, papa renoua avec la causette, il avait quasiment fini de manger.

Clément Richard : J'ai pris là des forces pour pouvoir tenir jusqu'au coucher du soleil. Ça pourrait même être mon unique repas de la journée, tellement il était consistant et copieux. Je me suis véritablement lesté l'estomac. Je suis repu. J'ai même de la peine à me lever. Vous avez mis les petits plats dans les grands, je vous en sais sincèrement gré. Une petite sieste s'impose, pour une bonne digestion de ce fabuleux repas dont vous venez de me gratifier. Ce sera aussi l'occasion pour moi de recharger les batteries, je suis assommé. Ce n'est que plus tard que je pourrai me remettre à la tâche. En effet, j'ai encore fort à faire. Si je m'y mets pas dès ce jour, je ne tiendrais pas les délais, et ma réputation de personne sérieuse et digne de confiance en prendrait un sacré coup. Ce ne serait pas bon pour les affaires, bien que je sois en situation de quasi-monopole. Débarrasse s'il te plaît et merci encore une fois.

ANTONIA MARIA: Je t'en prie papa. Je le fais de suite. Je suis ravie que tu aies apprécié et surtout que tu te sois régalé. Nous sommes à ton service. Tes encouragements sont très gratifiants et sources de motivation supplémentaire. Pendant que te reposes, je vais m'occuper des tâches ménagères pendantes, pour ménager les grandes-soeurs qui sont allées au champ avec maman. Comme ça à leur retour, elles n'auront qu'à se baigner et à dîner. Je commencerai par la source, les réserves d'eau sont presque épuisées. C'est d'ailleurs l'une recommandation forte qui m'a été faite par maman. Donc, si tu as besoin de autre chose, fais-moi savoir, pour que je m'en occupe maintenant. Je vais m'abstenter pendant un moment.

Clément Richard : Tu peux t'en aller, je n'ai besoin de rien d'autre. J'aspire seulement à un petit sommeil. Ferme la porte en ressortant.

Antonia Maria: Très bien papa. J'avais à peine fait trois allers et venues à la source que papa s'activait déjà sur sa machine à coudre.

Ton repos a été anecdotique papa. Tu ne t'es même pas reposé une heure.

Clément Richard : J'ai pu récupérer ma fille. J'ai fort à faire comme je te l'ai indiqué, je ne pouvais pas m'éterniser au lit. Et puis, tu sais que c'est exceptionnellement qu'il m'arrive de dormir pendant la journée. C'est arrivé aujourd'hui, parce que je suis allé un peu fort avec le repas.

Antonia Maria: Je ne m'inquiète pas outre mesure. Tu as toujours su bien doser ton effort. Si tu es déjà à pied d'œuvre, c'est que tu es d'attaque, c'est-à-dire en capacité de le faire. Moi, j'ai un ultime tour à faire à la source, et puis, je vais sarcler le jardin et j'en aurai terminé pour la journée. Du courage papa.

Clément Richard : Merci ma chérie. A toi de même.

Antonia Maria: Papa avait une trentaine de tenues à coudre, pour un mariage qui devait se célébrer deux semaines plus tard, dans une contrée voisine. Sa couture était appréciée. Sa réputation le précédait. Il avait un immense talent. Des clients partaient de loin pour solliciter ses services. Les commandes arrivaient de partout. Lui-même était parfois obligé de se déplacer, tous frais pris en charge, pour répondre à des sollicitations dans le cadre de son travail, parfois à des centaines de kilomètres du village, dans d'autres régions. Il s'était toujours arrangé à honorer les engagements pris vis-à-vis de ses clients, notamment le respect des délais impartis, et avait parfaitement conscience qu'un mariage pouvait ne pas avoir l'éclat, le rayonnement ou alors la réussite escomptée, parce que les tenues commandées n'avaient pas été livrées à temps. Pour lui, une telle éventualité était inimaginable, inenvisageable. Il ne pouvait pas être la source du malheur d'autrui. Une déconvenue de cette nature ne pouvait pas passer par lui. En conséquence, il prenait les dispositions utiles pour ne jamais tomber dans ces travers. C'est sa grande générosité, son grand cœur qui m'avaient toujours fascinée. Quand bien même, il avait été particulièrement sollicité donc était quasiment débordé, il lui était difficile de laisser un client sur le bas côté en refusant sa commande, il préférait de loin s'aménager des heures supplémentaires, travailler sans répit jusqu'à des heures plus qu'indues, pour satisfaire tout le monde. Il n'avait jamais bâclé une tâche à lui confiée sous prétexte que les délais étaient courts, il s'était toujours organisé, quelles que soient les circonstances, à travailler avec soin, en tout professionnalisme. Ce n'est pas tant l'appât du gain qui le séduisait, mais l'amour de son métier, celui qui l'avait choisi comme il aimait à le dire. Il avait un amour prononcé, une appétence folle pour ce qu'il faisait et il se donnait à fond pour que ce soit une réussite. De même, il se plaisait à rendre service à autrui, à distiller de la joie, du bonheur. C'était très gratifiant pour lui, de voir un client heureux dans la tenue qu'il lui avait confectionnée. Un simple mot ou geste de gratitude de sa part, lui procurait pur bonheur. L'évènement pour lequel il travaillait, approchait à pas de géant, il devait donner un coup sur l'accélérateur pour que tout soit prêt avant le jour-dit. Je le savais pointilleux, véritablement soucieux du détail, son aiguillon était par dessus tout la satisfaction du client. Aussi, s'aménageait-il le temps qu'il fallait pour parvenir au résultat souhaité par le client, pour honorer sa commande au millimètre près.

Pour dissiper mes appréhensions, je l'interrogeais sur la commande en cours: Trente tenues en deux semaines, ça me semble très limite papa, je connais un peu ta cadence au travail. Sera-t-il possible que tu sois dans les temps?

Clément Richard : J'ai rarement éconduit un client, soit, pour autant, je n'aurais pas accepté le contrat, s'il y avait des risques que je n'honore pas une seule de ses clauses. Le gros œuvre est fait, le travail de base est accompli: les découpes. C'est l'étape la plus ardue de mon point de vue. Le modèle étant le même pour tous les clients, en m'organisant bien, il y a fort à parier qu'une dizaine de jours suffisent à livrer la commande. Le challenge que je me suis fixé, c'est la confection d'une moyenne de trois tenues par jour, je mettrai une partie de la nuit à contribution pour ce faire. Tiens-toi tranquille, ça va se faire. Tu peux me faire confiance.

Antonia Maria: Effectivement, papa avait tenu le pari. Au bout de neuf jours tout était fait. J'étais subjuguée, absolument admirative. C'était tout simplement fabuleux.

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