CHAPITRE III
CROSSED DESTINIES
CHAPITRE III
ANTONIA MARIA: Les fondamentaux sus-énumérés ont constitué l'ossature, c'est-à-dire, le socle même de notre éducation. Nos parents étaient particulièrement regardants sur leur respect scrupuleux, sur la stricte observance de cette ligne directrice qu'ils nous avaient donnée. A la moindre incartade, nous étions sévèrement punis.
Cette vision du monde et cette façon de faire, avaient été la pierre angulaire de notre développement personnel. Pour le fond, papa étant pieux, un croyant connu et reconnu, un craignant-Dieu de la première heure, il était tout à fait normal que la religion, mieux, la pratique chrétienne, ait conditionné sa vie et par ricochet la nôtre; étant entendu que c'était notre maître à penser en ce moment-là, c'était la locomotive et nous les wagons. L'orientation qu'il donnait, s'imposait à nous. Aussi, ne pouvait-il que nous donner ce qu'il avait reçu, ce qu'il possédait, ce qu'il avait de plus précieux à savoir sa foi en Dieu. Ne dit-on pas que, la femme la plus belle du monde ne peut donner que ce qu'elle a.
Il convient de souligner ici que, la synergie entre papa et maman, dans le domaine de l'éducation de leur progéniture que nous sommes en l'occurrence, était tout à fait méritoire. Ils formaient un véritable tandem, leurs complicité et complémentarité étaient sans faille. Maman était beaucoup plus orientée vers l'éducation de la jeune fille, c'est-à-dire celle de ses enfants de sexe féminin, dont la délicatesse était particulière. Toute sortie de route ici pouvait être irréversible. C'était son domaine d'intervention prioritaire, son champ de déploiement par excellence. Les rôles avaient été bien définis. Cependant, elle s'arrangeait toujours à ce que, les hommes soient parfaitement au fait de ce qui se passait à la cuisine, sans nécessairement en être des protagonistes de première main. Cela, pour leur permettre, de ne pas être déconnectés, c'est-à-dire totalement détachés, mieux, ignorants de ce pan tout aussi important de la vie en famille. En cela, elle participait à leur éducation, à leur formation intégrale, et bien plus encore. Pour maman, la nommée Véronica, il fallait tout aussi adresser la question des tâches ménagères, dans l'éducation de ses enfants de sexe masculin. Aussi, leur tenait-elle le discours ci-après de manière récurrente :
Véronica : Les circonstances de la vie peuvent exiger, que vous soyez amenés, pour X ou Y raison, à reprendre partiellement ou alors totalement la main à la cuisine, c'est-à-dire à vous occuper des tâches ménagères. Cela, sur une très courte période ou alors sur un intervalle de temps un peu plus conséquent, notamment, lorsque vous serez dans vos foyers respectifs; l'homme ayant vocation à quitter son père et sa mère, pour s'établir avec sa femme, afin que les deux ne fassent plus qu'un, la bible le souligne d'ailleurs fort à propos. Vous êtes donc tous, des chefs de famille en puissance, vous devez vous préparer dès maintenant à assumer convenablement les responsabilités s'y rapportant. En conséquence, je vous-y engage.
ANTONIA MARIA: Le format, c'est-à-dire la démarche pour mes deux parents était quasiment la même, ils avaient évolué dans le même environnement culturel et avaient donc été façonnés dans des moules qui s'apparentaient. De ce fait, tout raisonnement ou alors toute prise de position de leur part, était la plupart de temps, adossé sur des références bibliques. On aurait dit des frères siamois. Leur relation était à tout le moins fusionnelle.
En écho à la réflexion à eux faite par maman, Dieudonné, le deuxième enfant de la fratrie, mon frère aîné le plus âgé, répliqua ainsi:
Dieudonné : Les paroles sincères manquent souvent d'élégance et les paroles élégantes ne sont pas toujours sincères. L'élégance consiste à avoir la nécessaire clairvoyance pour cerner cette subtilité. J'opine du même bonnet que toi maman. Il est tout à fait intéressant que l'homme porte son attention sur ce qui se passe à la cuisine. Cela participe même de l'équilibre au sein de la famille. Le bonus pater familia, c'est-à-dire le bon père de famille, le chef de famille paternaliste, c'est celui-là, qui est au fait, de tout ce qui se passe chez lui, du moins, de la quasi-totalité du fonctionnement de sa maison, notamment dans ses aspects les plus saillants. C'est cette information peu ou prou complète, qui lui permettra de bien gérer son foyer, sa maisonnée. Qui a l'information, a le pouvoir, et donc la capacité de s'aménager la marge de manœuvre nécessaire, pour mobiliser le plus facilement possible, les moyens de l'exercer de la manière la plus efficace qui soit, pour le bien-être de tous. Cependant, il y a une limite, un palier qu'il ne doit pas franchir, celui des activités purement féministes y attachées. C'est la chasse-gardée, le domaine réservé de son épouse. Jamais, je n'ai vu pas au fourneau. Déjà qu'il supporte mal que les hommes séjournent à la cuisine. Il préfère de loin, qu'on s'appuie sur nos cadettes, pour toute sollicitation qu'on pourrait y avoir. Pour lui, entre la cuisine et la salle de séjour, normalement prévu comme espace de résidence des hommes, la frontière est étanche.
Clément-Richard: C'est à dessein, c'est-à-dire, pour que les hommes intègrent bien, qu'ils n'ont pas leur place à la cuisine, que j'ai détaché cette dernière du reste de la maison. Je lui ai aménagé son coin à part, une toute autre bâtisse, pour que la ligne de démarcation soit claire, pour lever tout équivoque, pour que les différents protagonistes identifient clairement l'espace à eux réservé au sein de la concession.
ANTONIA MARIA: Maman qui, après la réplique du grand-frère, avait eu la sensation qu'il n'avait pas bien perçu le message qu'elle s'était employée à véhiculer, sonna à nouveau la charge.
Véronica : On ne te demande pas de te substituer à la femme, en reprenant à ton compte les tâches ménagères. Les rôles sont clairement définies, les responsabilités claires, les domaines de déploiement des protagonistes bien connus. Cependant, il faut faire un effort de transversalité, car le maître-mot dans toute vie de couple, mieux, sa poutre maîtresse c'est la complémentarité. Aussi, était-il arrivé à maintes reprises, alors que vous étiez encore tout-petits, que votre père s'occupât non seulement de labourer le champ avec moi, mais également, de s'impliquer dans le processus d'ensemencement. Pourtant, selon une opinion très répandue et qui bénéficie d'une certaine solvabilité, le travail de l'homme ne devrait se limiter qu'à défricher le champ pour son épouse, et ensuite, à s'investir à plein régime dans les activités qui lui sont propres dont la cacaoyère. Or, un bon chef de famille devrait être chef en tout, sur tout et partout. Qui peut le plus, peut le moins. Pour ta gouverne, ton père est un sacré cordon bleu, plusieurs fois, il a eu à faire à manger dans cette maison, bien que fortement ancré dans les us et coutumes de chez nous, qui commandent que ce soit une tâche qui tombe exclusivement dans le champ des attributions de la femme. Pour me soutenir il y a quelques années, il a eu à s'y coller. Il a quelque peu bousculé ''la norme communément admise'', pour que l'équilibre au sein de la famille, pendant ma période de ventre mou, demeure. En tout état de cause, le contexte était tel que, s'il n'avait pas pris le taureau par les cornes, on aurait été butés, on se serait embourbés.
Dieudonné : Je n'ai pas souvenance de cet épisode, mieux, de cette période digne d'intérêt. Pourtant, jusque-là, me semble-t-il, j'ai vécu avec vous de façon ininterrompue. J'ai toujours été en famille.
Véronica: Lorsque j'ai accouché de ta grande-soeur à titre illustratif, ma mère était en proie à des problèmes de santé criards. Il me souvient qu'il s'agissait d'un accès palustre sévère. Elle n'avait pas pu être à mes côtés au moment de l'accouchement comme convenu, et même plusieurs jours après, son incapacité avait perduré. Votre père, qui ne voulait pas perturber le programme de ses soeurs, en demandant qu'elles mettent en veilleuse leurs activités pour m'assister, s'était résolu à se jeter lui-même à l'eau, à prendre l'affaire à bras-le-corps. De façon très régulière, il faisait lui-même à manger à la maison pour me ''ménager''. D'ailleurs, il s'était fait le devoir de ne me concocter que les mets que j'affectionnais le plus. Certes, il était soutenu dans cette dynamique admirable, par mes belles-sœurs du village, qui m'apportaient autant que faire se pouvait des repas. Toutefois, je dois reconnaître qu'il s'était mis en quatre, pour être un palliatif majeur, une alternative de poids, à mon affaiblissement, du fait des complications que j'avais connues en salle d'accouchement. Ainsi, je pouvais passer mes journées dans une ''douce oisiveté'' et m'aménager ainsi un temps de repos et de récupération conséquent. Ça aussi été l'occasion pour moi, de découvrir toute l'étendue de son doigté, de son talent insoupçonnable au fourneau. Tu ne l'aurais jamais su, si je ne te l'avais appris. Pour le fond, on ne s'en sort dans ce genre de situation, ou alors on obtient de tels résultats dans pareil cas, que si on s'y est préparé. Immanquablement, ton père aura été à l'école de sa génitrice, il aura été à bonne école. Pour te prémunir d'une situation d'embarras, si d'aventure dans le futur, tu es confronté à pareille situation, tu gagnerais à te départir des clichés qui t'inhibent, du dirigisme masculin qui refréne ta volonté perceptible à franchir le pas. Tu as tout intérêt à faire preuve de flexibilité, à t'ouvrir, mieux, à te mettre à l'école des activités qui tombent dans le champ des compétences de la femme. Tu y as tout à gagner. Tu me remercieras plus tard, lorsqu'il te sera donné, fort de l'expérience accumulée et de la hauteur y associée, de mieux apprécier les enjeux.
Dieudonné : Vu sous cet angle, je suis tenté de baisser la garde en t'aliénant des sympathies. L'affaire me semble bien menée, ton argumentaire tient la route maman. Il faudrait certainement que je révise mes positions sur la question. Mais, il est de bon ton que tu t'accordes avec papa, pour qu'il fasse des concessions dans la perspective, mieux, en faveur de cette ouverture. Il ne faudrait pas donner l'impression aux yeux de papa, ou alors laisser penser qu'on se détournerait de nos missions traditionnelles, pour nous investir dans des activités ''éminemment'' dédiées à la gente féminine, et qui, pour les mauvaises langues, ôteraient toute substance à notre masculinité.
ANTONIA MARIA: Mes frères s'étaient toujours identifiés à papa, ils cherchaient à lui ressembler en toutes choses et à lui plaire dans chaque acte qu'il posait. Il les avait pour ainsi dire marqués positivement. C'était leur modèle, y compris le mien. Il s'était imposé à nous comme un paragon de vertus. Nos réflexions, nos prises de position étaient quelque peu influencées par les siennes.
Pour le fond, le juste milieu, mieux, un équilibre convenable avait été trouvé, me semble-t-il, par les parents, pour que les garçons en sus de leurs activités ordinaires, les activités à eux réservées spécifiquement, puissent s'adonner à cadence bien mesurée, aux tâches ménagères. Une parfaite osmose avait donc pu être trouvée entre les deux pans, pour affiner l'éducation des garçons. Cette composition ne pouvait qu'être la bienvenue pour le plus grand bien de mes aînés.