CHAPITRE II
CROSSED DESTINIES
CHAPITRE II
ANTONIA MARIA: En raison du background susévoqué de nos parents, notamment du mode fonctionnel de leur milieu de vie et d'accomplissement de leurs activités, nous avons, non seulement été initiés dès la tendre enfance à leur idiome maternel commun, qui était la langue de communication par excellence au sein de la famille, mais également à la pratique ancestrale et bucolique. Nous nous sommes donc, fort d'un apprentissage soutenu, mais surtout du fait de la pratique régulière du travail de la terre, qui, d'ailleurs était ''notre lot quotidien'', appropriés diverses techniques culturales, qui, continuent de faire la fierté de notre famille aujourd'hui. Mon père qui ne faisait rien au hasard, celui chez qui, tout était mesuré et organisé, dont le fonctionnement instinctif n'avait jamais été le mode opératoire, mais qui s'illustrait plutôt comme un visionnaire, un avant-gardiste en somme, avait compris que, seule l'agriculture, c'est-à-dire la pratique agricole, était le levier angulaire sur lequel il fallait s'appuyer pour garantir sa stabilité. Elle seule, pouvait nous donner des coudées franches, pour nous aliéner la marge de manœuvre, dont nous avions besoin, pour notre épanouissement socio-économique, et une contribution accrue à la richesse nationale. A cet égard, il n'avait de cesse de nous rappeler que:
Clément Richard : Le développement de ce pays se fera avec l'agriculture ou ne se fera pas. Il est de votre intérêt de vous y investir avec détermination et courage, c'est-à-dire sans réserve, car les fruits que vous en tirerez, vous aideront non seulement à vous construire en tant qu'être humain, mais également à apporter une contribution significative à l'édification de ce pays, qui nous est si cher.
Antonia Maria: Cette vision du monde et des choses avait tout sens au regard du parcours de nos parents, les fruits en étaient visibles et palpables. A la base en effet, c'est grâce aux cultures vivrières et de rente, que nos parents, avec une ''certaine aisance'', parvenaient à pourvoir aux besoins de notre famille nombreuse.
Travailleur infatigable, tout comme son épouse, avec qui, il avait des atomes crochus et s'entendaient comme larrons en foire, papa nous avait inculqué les valeurs du travail et de l'effort. Il nous avait appris que le réconfort n'intervenait qu'au bout de la chaîne, mieux, du processus, c'est-à-dire qu'on y accédait qu'après un effort soutenu. Pour lui:
Clément Richard : Si vous aspirez à vivre en pays de Cocagne, c'est-à-dire à une vie de confort, c'est dès maintenant qu'il faut vous y préparer, c'est le moment approprié pour creuser votre sillon, baliser votre chemin, tant que vos forces et votre vigueur physique sont encore au top. Il arrivera un temps où vous vous affadirez. La retraite se prépare dès maintenant. Consacrer votre jeunesse à travailler, de sorte que ''votre travail d'aujourd'hui, travaille pour vous dans vos vieux jours''. C'est maintenant qu'il faut vous construire et préparer ''les jours difficiles'' de demain. Faites-le, tant que vous jouissez encore de toute votre fraîcheur, de toute votre vivacité et même de toute votre tonicité, car, comme je l'ai relevé, il arrivera un moment où vous n'en serez plus capables. Si vous ne vous êtes donc pas donnés la peine de préparer les jours sombres, vous ne vous en prendrez qu'à vous-mêmes. Vous avez la bonne fortune d'avoir un père qui vous ouvre les yeux sur ces choses, c'est pour que vous soyez des êtres humains avisés et ne tombiez dans les pièges où sont fatalement vouées les personnes qui n'ont pas de repères. Comme mes géniteurs l'ont fait pour moi, je le fais également pour vous. C'est ma responsabilité, c'est un devoir de toute première importance. J'en répondrai devant mon créateur.
Antonia Maria: Ces enseignements de papa étaient perçus comme paroles d'évangile. On y prêtait la plus grande attention et on s'employait à les mettre en pratique, à en faire notre boussole. La volonté de papa, mieux, l'idée sous-jacente de la mise en garde de papa, n'était pas qu'on se jetât tout de suite, à corps perdu, dans une entreprise ouvrière, pour se faire de l'argent et l'amasser, question de nous prémunir des affres qui pourraient survenir le lendemain, loin s'en faut. Bien que d'une autre époque, il était un fervent militant de la cause de l'enfant. Il était de ceux-là qui soutenaient que, l'enfant, sauf si des circonstances exceptionnelles l'y contraignaient, n'avaient pas vocation à travailler à des fins pécuniaires. Sa contribution au sein de la famille, devait se limiter à assister, c'est-à-dire, à accompagner, mieux, à soutenir ses parents dans leurs activités, qui, pour la plupart, étaient tournées, vers la satisfaction des besoins de la famille. C'est ce qui avait toujours prévalu au sein de notre famille. Aucune initiative personnelle, à l'effet d'assurer de façon singulière ses arrières, n'y avait fait recette. La barque était tenue de main de maître par papa, c'était lui le timonier, c'est lui qui définissait le cap et nous entraînait. Nous avions toujours mutualisé nos efforts. Le travail à l'unisson avait toujours été le maître mot. Naturellement, c'est papa qui se taillait la part du lion en terme de travail à accomplir. C'était sa responsabilité personnelle comme il aimait à le dire, de pourvoir aux besoins de sa famille, et il ne lesinait pas sur les moyens pour y parvenir. Somme toute, le discours de papa sur le culte de l'effort et du travail bien fait, avait pour finalité de nous amener à intégrer qu'on ne pouvait aboutir à rien de grand sans sacrifices. Pour papa en effet:
Clément Richard : Seul le travail constant permet de s'assurer la régularité des revenus, donc la stabilité. Il ne faut pas jouer les paniers percés. En effectuant une dépense aujourd'hui, gardez à l'esprit que vous aurez des besoins à satisfaire demain. Le glas sonne toujours pour les jouisseurs impénitents.
ANTONIA MARIA: A côté de ce grand amour pour le travail bien fait, papa était très attaché aux affaires qui relevaient du domaine de la foi chrétienne, la foi en Dieu. Il était très à cheval sur la pratique religieuse. Sa religiosité était même très affectée. Pour lui:
Clément Richard : Le Seigneur est le socle de tout, rien ne peut se faire sans son onction. C'est le commencement et la fin. Il doit être à la base de nos initiatives, nous devons lui en confier la conduite. C'est la condition nécessaire et suffisante pour obtenir les résultats escomptés. Si le Seigneur ne bâtit, en vain travaille le bâtisseur. Même avec toute la volonté du monde, un dévouement sans faille au travail, il est difficile d'obtenir des résultats probants, si l'on ne bénéficie du soutien, de la grâce du Seigneur. L'attitude, mieux, la posture que vous devez avoir, c'est de tout faire comme si tout dépendait de vous, de travailler comme si vos seuls efforts suffiraient à déplacer des montagnes, et confiez-vous à Dieu, abandonnez-vous à lui, comme le souverain détenteur de votre salut, le seul Être capable de récompenser vos efforts. C'est la clé qui ouvre toutes les portes, l'Être de qui, votre succès et votre bonheur dépendent. Au demeurant, toute entreprise dans votre vie, toute action dans votre déploiement opérationnel, devrait avoir pour socle l'être transcendental, qui est la source, l'origine de toute chose. Quiconque s'abreuvera à cette source n'aura plus soif, il ne flétrira jamais. Sa foi demeurera intacte et vive. C'est le ferment, le catalyseur, qui nous fonde à continuer d'avancer, quand bien même les horizons sembleraient brouillés. C'est cette source qui nous donne de garder notre éclat, de demeurer flamboyants. La force motrice et scintillante qu'elle nous insuffle, nous incite à repousser le plus loin possible nos limites, à ne jamais douter, à ne jamais céder au découragement, à ne jamais baisser les bras, quelles que soient les circonstances. C'est la voix intérieure, qui, lorsque, nous sommes au plus mal, nous dit: aujourd'hui est certes difficile, mais demain sera meilleur, de belles choses t'attendent, tu es promis à un avenir radieux. Lève-toi et poursuis ta marche.
ANTONIA MARIA: Papa n'était pas un chrétien introverti, loin s'en faut. Aussi, avait-il pris des engagements au sein de l'église pour partager sa foi avec les autres, et créer une saine émulation. Catéchiste du village en effet, les journées de papa, démarraient toujours sur les chapeaux de roue, aux premières heures de la matinée en l'occurrence avec l'enseignement biblique; à la faveur de la prière matinale quotidienne à la chapelle du village. La prière matinale, avait été érigée en règle, pratiquement en norme de gestion du village. C'était une obligation majeure, un exercice auquel, papa était très attaché, un rendez-vous de première importance. Il l'avait toujours honoré, en dehors de quelques rares fois, où pour des cas de force majeure, il avait dû, à son corps défendant, s'y soustraire et en confier la responsabilité à l'un de ses vicariants.
Sans véritablement savoir quelles étaient ses motivations, il m'avait toujours placée au cœur de cette activité. Sans conteste, ses raisons étaient sérieuses et profondes. En tout état de cause, tout acte qu'il posait, avait sa justification pertinente.
Au contraire de mes frères et sœurs, j'étais celle-là qu'on sortait de sa léthargie à la première heure, pour aller sonner les clochers de l'église, à l'effet d'indiquer aux membres la communauté, que l'heure de la prière matinale avait sonné, et, bien entendu, de les-y convier.
Peut-être avec la hauteur et le recul que papa avait, sa riche expérience, sa parfaite connaissance du monde, des hommes et des choses, ses yeux avisés, son long parcours, avait-il entrevu les énormes difficultés qui devaient jalonner mon itinéraire terrestre, les tribulations existentielles auxquelles je devais me heurter au long cours. Aussi, avait-il jugé opportun, à l'effet d'en minorer les effets pervers dans ma vie, de diluer les affres qui en résulteraient et dont je ferais les frais, d'abandonner mon sort entre les mains du Seigneur, de me confier à l'omnipotence de la providence, à sa fidélité et surtout à sa miséricorde infinies. Probablement pour lui, seul l'investissement sans réserve dans le service du Seigneur pouvait m'affranchir, mettre cette période difficile en perspective à portée d'endurance, de la jeune dame que j'étais appelée à devenir. Ainsi donc, tous les matins, en période de classes tout comme en période de vacances, je devais sacrifier à l'obligation ci-dessus mentionnée, c'était mon office quotidien, la lourde responsabilité journalière dont j'avais été investie, et pour laquelle mon père ne faisait aucune concession. En tout état de cause, immanquablement, je devais l'exécuter même s'il fallait m'arracher. Mon organisme avait fini par s'accommoder de cette contrainte, qui, désormais, faisait partie intégrante de mes challenges de tous les jours, de l'équation à résoudre encore et encore. Toutefois, malgré l'âme et toute la volonté que je mettais pour ne pas faillir à l'accomplissement de ce devoir cardinal, il était très souvent arrivé, que je fus en petite forme au réveil, quelques fois éreintée par les nombreux travaux, que j'avais eus à effectuer la veille, aux côtés de maman, parfois jusqu'à très tard dans la nuit. Pour autant, ma peine n'était pas mitigée. Je ne bénéficiais d'aucune sorte de ménagement de la part de papa. Le même traitement m'était infligé: j'étais sortie de mon sommeil sans ménagement pour faire ce qui devait être fait et qui ne reposait entièrement que sur moi. C'était ma responsabilité exclusive.
Plusieurs fois d'ailleurs, il m'était arrivé de grommeler, de m'insurger face à ces sollicitations, qui, du point de vue de la jeune enfant que j'étais, se révélaient intempestives, excessives et frisaient même de la maltraitance et du harcèlement. J'en arrivais même à croire dur comme fer, que j'étais mal aimée de mes parents. Pour la petite fille que j'étais, c'était incompréhensible, inconcevable même, qu'alors que mes frères et sœurs aînés, savouraient encore les instants les plus langoureux au pieu, ceux du tout début de l'aube, que ce fût moi, la cadette, qui fus obligée de sortir de la maison, aux toutes premières lueurs de la matinée, en pleine pénombre encore, avec la peur au ventre, pour sonner les clochers de l'église. Face à mes plaintes et complaintes, papa me servait la même rengaine, la ritournelle de toujours :
Clément Richard: Magne-toi de quitter le lit pour t'occuper de l'essentiel, de ce qui en vaut la peine. Ah! Si tu savais… Je ne me reprendrai pas.
ANTONIA MARIA: Je n'avais d'autre choix que de m'exécuter, de sacrifier à l'injonction reçue. La parole de papa était sentencieuse. L'éducation qu'on avait reçue, nous interdisait de regimber, mieux, de répliquer, lorsque papa nous avait crié dessus, ou lorsqu'il avait donné un coup de gueule face à un comportement incongru de l'un de ses enfants. On devait seulement se plier. Encore qu'à notre époque, on tolérait très modérément les jugements de valeur des enfants à l'égard de leurs parents. L'enfant n'avait pas vocation à apprécier les faits et comportements de son géniteur. Cette démarche, moralement coupable, était assimilée à un crime de lèse majesté. On ne pouvait s'y aventurer que sous cape, au risque de susciter une levée de boucliers, dont-on ferait amèrement les frais.
Au demeurant, cette intransigeance supposée ou réelle de papa sur fond de sévérité vis-à-vis de moi, tranchait d'emblée avec la gentillesse, le regard bienveillant que l'entourage et les amis à la famille me portaient, du fait de ma disponibilité légendaire et de ma serviabilité à nulle autre pareille, selon leurs propres dires. En effet, j'étais dotée d'une propension naturelle à porter secours à autrui sans qu'il ait à en faire la demande. Je le faisais spontanément et de bonne grâce. Mon côté empathique pareillement, était très apprécié dans mon milieu de vie. Toutes choses qui m'aliénaient beaucoup de sympathies de la part des autres. Les personnes âgées ne prononçaient que des paroles de bénédictions à mon endroit, elles me promettaient le meilleur dans la vie. C'est certainement la raison pour laquelle, j'avais de la peine à m'accommoder de l'attitude de papa, qui était particulièrement porté à me solliciter, relativement à cet office matinal, qui s'apparentait à de la punition pour moi, à une mesure de rétorsion relativement à une incartade dont j'étais ignorante. Heureusement, il avait toujours, pour ainsi dire, su se ''rattraper ailleurs''. En tout état de cause, en dehors de ce ''grief bénin'' que je pouvais lui faire du fait de mon jeune âge, qui ne permettait pas, d'apprécier les choses avec le recul nécessaire, papa avait toujours témoigné à ses enfants, tous, autant que nous étions, une grande affection. Il nous traitait sur un pied égalitaire, en toute équité. Nous bénéficions de la même attention, du même attachement, des mêmes égards. Pour ce qui est de notre encadrement, c'est le cas de le dire, papa n'avait pas son pareil, c'était une clef de voûte, une vertu d'exemplarité. A proprement parler, personne ne pouvait dire, parmi ses enfants, qui était son préféré ou alors son protégé. Le sentiment qui se dégageait, c'est qu'il aimait ses enfants de la même manière. Si d'aventure, il y avait un favori parmi nous, c'est qu'il cachait très bien son jeu. C'est aussi cela la marque des grands hommes, des hommes de tête. C'est fondamental pour la concorde, la sérénité, l'harmonie au sein de la famille.