Joyeux anniversaire

Manchester, Angleterre

Andreina Ivanović

- Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire Xander ! Joyeux anniversaire !

La chanson résonne dans la maison, un air festif que nous chantons tous en chœur. Mais il y a quelque chose dans le regard de papa qui gèle l'atmosphère. Il fixe Xander comme s'il allait lui sauter dessus. Ces deux là... Mieux je ne m'y mêle pas. Les tensions entre eux n'ont cessé de croître avec les années, et la rancune de papa contre Xander grandit à une vitesse vertigineuse. Ce n'est pas comme s'il n'avait rien fait pour le déclencher.

Aujourd'hui c'est l'anniversaire de mon petit frère. Il prend ses 20 ans. Et c'est tout ce qui compte à mes yeux. Il a beau être tête en l'air, mais on l'aime tous. Même papa, malgré ce qu'il en dit. Alors, malgré toute la douleur que reveille ce jour, on fait l'effort d'être présent pour lui et ne pas lui faire sentir que c'est déplacé de festoyer en un jour pareil.

Yeleen n'a pas pu être avec nous. Elle s'est contentée d'envoyer une petite vidéo pré-enregistrée pour Xander. Ainsi que d'autres cadeaux je suppose. Ce n'est pas Xander qui va crier aux quatres vents ce qu'il a reçu. On regarde la vidéo ensemble. Celle-ci commence avec Yeleen qui apparaît assise sur un lit, souriante mais un peu nostalgique. Elle regarda la caméra avec tendresse.

" Hé, mon grand ! Joyeux anniversaire !"

Elle sourit largement, puis fait une pause pour regarder la caméra de façon affectueuse.

" Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir être là avec toi aujourd’hui… Mais tu sais que même à des kilomètres de distance, je pense à toi, toujours. 20 ans aujourd'hui Juju… Je suis tellement fière de toi."

Elle rit doucement, un peu émue.

"Même si tu me manques un peu, je sais que tu es bien entouré et que tu vas passer une super journée avec la famille."

Elle prend une petite pause, comme si elle réfléchissait à quelque chose.

"Je voulais juste te dire que je t’aime, que tu es important pour moi, et que je suis toujours là, même quand tu ne me vois pas."

Elle sourit tendrement et agite la main doucement.

"Profite bien de ta journée, t'es un super mec, Junior. Je te fais plein de gros bisous. On se rattrapera bientôt, promis."

Elle termine avec un dernier sourire chaleureux avant que la vidéo ne se coupe. Xander se contente de sourire poliment, sans trop de fierté. Maman fait couler une petite larme. Moi aussi. Il n'y a que mon père qui est resté inexpressif.

En réalité, Yeleen ne vient jamais à cette date. Elle s'assure à chaque fois de se trouver une excuse pour se retrouver en dehors du pays. Je la comprends. Je la comprends tellement. C'était son oncle. Elle a eu le temps de partager plus de choses avec lui vu qu'elle avait déjà 6 ans à sa mort. Ce qui diffère de nous autres. Moi, tout ce dont je me rappelle de mon oncle, Lindsay et ma cousine c'est à travers les récits de maman.

Je prend Xander à part pendant que maman s'en va chercher son gâteau.

- Ça se passe comment à l'université ? Tu as su prendre tes marques ?

A priori on devrait aller dîner dehors, mais Xander a decommandé. Alors, on se retrouve juste dans notre jardin en famille.

- Bof ! fit-il sans enthousiasme.

- Ce n'est pas bof qu'il faut dire Lex. On compte sur toi. Dans cette famille, on n'est pas des têtes brûlées.

Je lui lance un regard qui veut tout dire, tentant de lui remonter le moral, bien que je sache qu'il ne veut pas entendre ça.

- Je sais. Tout comme je sais que je suis le vilain petit canard de la famille.

Je soupire. Je comprends sa frustration. Il a du mal à se voir à la hauteur des attentes.

- Dis pas ça frangin.

Je pose ma main sur son épaule.

- Tu sais que ce n'est pas vrai.

- Papa semble être d'accord avec l'idée en tout cas. Regarde le, il est un homme d'affaires à succès. Maman, une avocate redoutable. Yeleen veut se la jouer justicière. Et toi ma sœur, 23 ans et tu es presqu'au bout de tes études de cardiologie. Pendant que moi, je stagne. Je reprends ma première année de fac. Ose avancer le contraire.

- Je commence tout juste ma deuxième année de spécialisation frangin. Détrompe toi. Tu n'es pas au niveau que l'on attend tous de toi. Cela ne fait pas de toi le vilain petit canard de la famille. C'est ton comportement qui est à plaindre. A part ça, chacun va à son rythme frangin. Peut être que tu devrais changer de section. Si tu ne veux pas perdre ton temps avec de longues études, arrête tout et vis selon tes choix. Même papa ne pourra rien contre ça.

- Va rapporter cela à Milan Ivanović. Les beaux arts c'est un hobby Aleksander, il mime notre père avec sa grave voix. Choisis toi un métier correct comme le fait tout homme... comme le grand homme dont tu portes le nom. Tu pourras toujours faire beaux arts après.

On explose de rire tous les deux. Mais je finis par faire couler une larmes.

- Tu sais, j'aurais aimé le connaître.

- Qui est ce ?

Je le regarde, l'air surpris.

- Notre oncle, il répète. A chacun de mes anniversaires, je me sens comme un charlatan... Un usurpateur.

- Tu sais, il y a des tas de manière d'être brave. Et toi mon frère tu l'es à ta manière.

Je souris, les yeux brillants de malice.

- Déjà, tu fais chier notre père. Pour ça, il faut du courage. Je suppose que tonton aussi le faisait chier. Raison pour laquelle il l'aimait autant. Il doit bien y avoir un point de ressemblance à ce niveau, je me moque de lui.

On s'esclaffe de rire de nouveau.

- C'est quoi ces messes basses ? nous interroge maman qui a fini de placer le gâteau et les couverts. Si mon mari et moi nous sommes de trop, faites le nous savoir, hein.

- S'il devait y avoir quelqu'un de trop, cela ne pourrait être que moi maman. Et tu le sais, Xander réplique, le ton taquin.

- Ne raconte pas de bêtises mon fils, dit maman.

Papa les regarde tous les deux, un regard chargé de reproches.

- Ouais.

Le téléphone de mon frère sonne, il s'éloigne pour répondre, qui brise un instant l’ambiance entre nous. Je me tourne vers papa.

- Donc tu vas continuer à ignorer ton fils, papa ?

- Il s'ignore lui même. Pourquoi devrait il en être autrement pour moi ? il répond sèchement.

- Parce que c'est toi l'adulte. Tu es son père. Pourquoi il devrait y avoir autant de différences entre nous tes enfants papa ?

Papa me fusille du regard, mais je tiens bon.

- Tout le monde ne peut pas être comme toi ou maman. Ou même comme Yeleen. Aleksander veut prendre une voie différente. Mais laisse le faire. Il sait ce qui est bien pour lui. Il est doté de capacités de jugement. Il réussira. A moins que pour toi la réussite s'éstime en livres sterling.

- Donc tu l'encourages à être un looser ?

- Non papa. Elle m'encourage à poursuivre mes rêves, répond Xander qui rentre tout juste.

- Ah oui ! Mais quel rêve ? Ce rêve où tu crois pouvoir vivre de musique, d'artisanat et de je ne sais quelle autres conneries que tu t'es mis dans la tête ?

- Non papa. Ce rêve où je n'ai pas besoin d'être exactement comme mon oncle pour trouver grâce à tes yeux. Je me demande encore pourquoi vous avez décidé que je devais m'appeler ainsi. Qui de vous deux a eu cette brillante idée ? Cela pèse beaucoup trop sur mes épaules.

Il s'en va en claquant la porte.

- Et voilà. Encore une fois.

Papa se lève furieux, mais je reste là, figée, regardant ma famille éclatée par l’impossibilité de guérir de ces blessures.

- Quoi encore ? Hurle mon père lorsqu'il remarque mon regard sur lui.

- Rien.

- Alors c'est quoi que tu regardes comme ça ?

- Rien papa. J'y vais. Je crois qu'il ne va plus y avoir de fête de toutes façons. Bonne nuit vous deux ! Je monte me coucher. Je bosse tôt demain.

Je les embrasse chacun leur tour et pars. J’enlève le masque de sourire qui cachait l’amertume et les doutes, mais je sais que tout ça n’est que passager.

Ne vous fiez pas aux apparences. Mon père c'est un homme formidable... Un mari et un père formidable. C'est juste que ce jour n'est facile pour personne. On a beau compter les années et se dire que l'on est arrivé à surpasser tout ça. Il suffit juste que cette date repointe son nez que tout part à la débandade. Des jours comme aujourd'hui, la fête se fait dans l’ombre des souvenirs, des non-dits et des rêves brisés. Et, parfois, on n’arrive plus à savoir qui on est, sous tout ça. Et avoir Xander sous ses yeux qui fait le con, attise encore plus les choses. Je le reconnais volontiers, mon frère est con.