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Faire son deuil

Manchester, Angleterre

Kyra Lexa Aaliyah Ivanović

L'ambiance morose du cimetière m'était déjà insupportable. C'est ainsi chaque année, pourtant j'y reviens encore. Je tiens à honorer mon frère. Il le mérite bien. C'est aussi ma manière de faire mon deuil.

- On y va. Je ne veux plus passer une minute de plus ici, lâchai-je d’un ton abrupt.

Milan m’offre sa main, et je la prends, même si une partie de moi reste en colère. En nous éloignant, je jette un dernier regard à la tombe.

- Il nous restait tant de choses à expérimenter ensemble. Tant de choses, murmuré-je d’une voix brisée, presque pour moi-même.

Il ne dit rien, mais sa main serre doucement la mienne. Je sens son soutien, et pourtant, il semble distant, perdu dans ses propres pensées. Notre petit moment fut interrompu par le son de son téléphone. Andreina remplace son père à mes côtés.

Chaque tombeau est orné de fleurs que je suppose proviennent des proches qui rendent visite aux défunts. Avec Nana, on enjambe quelques unes dans le tas au moment de repartir. Nous continuons à marcher en silence jusqu’à la voiture, le poids de nos émotions rendant chaque pas plus lourd que le précédent. Milan qui nous a précédé, nous y attendait déjà, toujours étant au téléphone.

Andreina ouvre la portière arrière et s’installe sans un mot. Je remarque ses yeux encore rougis, mais elle garde la tête haute, refusant de montrer davantage sa peine. Milan raccroche et vient m’aider à m’installer à côté de ma fille. Malgré ses gestes attentionnés, il évite mon regard, comme s'il savait qu'aucune parole ne pourrait vraiment apaiser ma douleur. Le moteur démarre, et la voiture s’éloigne doucement du cimetière.

Assise derrière avec Nana, je pose ma tête sur son épaule. L'adulte c'est moi, je ne devais pas me montrer aussi abattue face à elle. Malheureusement, je n'arrive pas à être autrement. Il n'y a pas longtemps mon bébé a pris ses 23 ans. C'est une femme maintenant. Elle me pardonnera d'être aussi faible à chaque fois. Je n'arrive pas à faire mon deuil comme il se doit.

Dehors, la pluie commence à tomber, fine et froide, dessinant des traînées floues sur les vitres. A l’intérieur, le silence est pesant, brisé uniquement par le bruit régulier des essuie-glaces.

C’est Andreina qui finit par parler, sa voix calme mais teintée d’une gravité inhabituelle.

- Maman… Tu crois que Tonton Alex aurait voulu te voir comme ça ?

Sa question me prend de court. Je me retourne légèrement vers elle, fronçant les sourcils.

- Qu’est-ce que tu veux dire, ma chérie ?

- Je veux dire… Chaque fois qu’on vient ici, tu es tellement en colère. C’est compréhensible, mais… tu crois que c’est ce qu’il aurait voulu pour toi ?

Je reste un moment silencieuse, les mots de ma fille résonnent en moi. Milan, les mains fermement posées sur le volant, jette un bref coup d’œil dans le rétroviseur avant d’intervenir à son tour.

- Elle a raison, dit-il d’une voix calme. Alex était un homme de principes, mais il était aussi pragmatique. Il aurait voulu que tu sois heureuse, même sans lui. Pas consumée par la douleur et la haine.

Je serre les mâchoires, luttant contre une vague de larmes.

- C’est facile à dire, marmonné-je. Mais avancer ne ramènera pas Alex. Ni Lindsay. Ni Aleksa.

Le silence retombe, lourd, oppressant. Dehors, la pluie s’intensifie, rendant la route plus sombre et encore plus mélancolique. Je finis par dormir durant le trajet. Ce n'est qu'une fois arrivée à la maison qu'Andreina m'a un peu secouée afin que je me réveille. Je soupire et descend du véhicule. Andreina monte directement dans sa chambre, laissant Milan et moi seuls dans le salon. Tandis qu’il retire son manteau, je reste immobile, les bras croisés, luttant pour garder une certaine contenance.

Milan s’approche doucement, son regard empli d’une compassion qui me serre le cœur.

- Liyah… Tu sais que je veux le meilleur pour toi, n’est-ce pas ? dit-il d’une voix douce.

Je hoche la tête sans répondre, incapable de formuler mes pensées.

- Je sais que c’est dur. Il n'était pas de mon sang. Mais c'était aussi mon frère. Tu n’es pas seule. Je suis là. Et on peut traverser ça ensemble. Ça fait 20 ans aujourd'hui.

Ses mots sont sincères, mais la douleur en moi est encore trop vive, trop brute. Je détourne les yeux, fixant un point invisible au mur.

- Je sais, Milan. Je sais. Mais c'est si irréel. J'ai besoin de temps.

Il acquiesce, respectant mon besoin d’espace. Avant de quitter la pièce, il pose une main sur mon épaule, un geste à la fois réconfortant et silencieux.

- Souris un peu. C'est l'anniversaire de ton fils aujourd'hui.

En parlant de mon fils, il sort de nulle part et me saute dans les bras avant de me faire la bise. Je fus agréablement surprise de le retrouver à la maison. Il a dû abréger ses vacances. Il avait pourtant annoncé qu'il ne reviendrait qu'à la veille de la date qu'est censé débuter sa session ici à Manchester. Et c'est pour janvier si je m'en souviens bien.

- Penses tu que j'aurais pu passer ma journée d'anniversaire ailleurs maman ? Même pas. Tu ne peux vivre sans moi. Et moi sans toi non plus, dit-il avec son charme habituel.

- Beau parleur, répondis-je, feignant l’indifférence.

- Je t'aime maman. Et tu le sais.

- C'est ça, oui. Cela dit, j'aurais cru que tu serais arrivé plus tôt afin de suivre la cérémonie en l'honneur de ton oncle mon fils.

Aleksander haussa les épaules.

- Mon avion a été retardé maman, il m'avoue avant de s'écarter discrètement. Tu sais que je viens à chaque fois. Cette année, je n’ai juste pas pu arriver à temps.

- Si tu le dis.

Il s'avance vers son père et lui tend la main. Ce dernier se retourne comme s'il n'avait rien remarqué.

-Je vois que je suis toujours le bienvenu ici. Ça fait du bien, Xander ironise la situation en baissant sa main.

Entre lui et Milan, je ne sais plus où donner la tête. Ces deux là n'ont jamais su s'accommoder. Pourtant avec ses filles, Milan est tellement patient et adorable. Il est d'une douceur incroyable. Yeleen qui est d'une froideur à concurrencer un cadavre est sa préférée. Entre bloc de glace ils se comprennent assez bien, je trouve.

Pour Xander, le tort est assez bien partagé, il faut dire. Mon fils, je l'aime énormément. Mais ce n'est pas quelqu'un de facile à vivre. Il disparaît quand bon lui semble pour réapparaître sans crier gare.

Lorsque Milan disparaît dans son bureau, je m’effondre sur le canapé, submergée par l’épuisement. Au milieu de cette douleur, une pensée positive émerge. Il a raison. Soyons au moins heureux pour ceux qui sont restés. J'ai perdu mon frère en ce jour et mon fils y est né. Peut-être que tourner la page ne signifie pas oublier, mais apprendre à vivre autrement. Pour eux. Pour moi.

- Je vais demander à Pétra de préparer ta chambre, dis-je pour apaiser l’atmosphère.

- Je m'en occuperai plus tard maman. Mes bagages sont déjà entreposé quelques part. Cette maison est assez vaste. Ne t'en fais pas pour moi. Je suis un grand garçon n'est ce pas ce que papa m'a si souvent fois répété ? répondit-il avec un sourire amer.

- Hmmmmm !

Il soupira et changea de sujet.

- Alors toi, dis moi comment tu vas ?

Il me rejoint sur le canapé.

- Je sais que cette journée vient chambouler le cours de ta vie chaque année. Comment tu le vis pour cette fois ?

Je le regardai, touchée par sa sollicitude.

- Que puis je dire ? J'ai perdu mon frère. Mais la vie continue. Aujourd’hui, c’est ton anniversaire. L'anniversaire de mon unique fils. Je veux que cette journée soit consacrée à toi, pas à ma douleur. Ce n'est pas le moment pour me lamenter. J'ai perdu un frère en ce jour. Et j'ai gagné un fils. Toi tu es là. Je ne veux pas que ma douleur impacte ta journée.

Je l'enlace dans mes bras, émue. Etant longiligne comme son père, Xander est plus haut de taille que moi. Assis, cela ne se voit pas trop. Mais il me couvre tout de même.

- Déjà joyeux anniversaire mon bébé ! Maman t'aime tellement.

- Merci mom, répondit-il avec douceur.

Je souris, essayant de masquer ma culpabilité.

- Je n'avais rien préparé vu que tu ne m'as pas informé de ton retour. Tu n'as informé personne d'ailleurs. C'est quoi ces manières mon fils ?

- Mamaaaan, il rale.

- Mais je veux marquer le coup. On peut sortir en famille ce soir, si tu le souhaites.

- Tant que je suis avec ma famille, c’est tout ce qui compte pour moi. On n’a pas besoin de plus, maman. Je ne demande pas souvent grand chose maman. Et tu le sais. On peut rester ici... en famille.

Son sourire sincère illumina mon cœur, et je le serrai un peu plus fort.

- Je sais mon bébé. Je le sais, je le serre d'autant plus dans mes bras. Ton père aussi d'ailleurs. Même s'il ne te le dit pas.

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