CHAPITRE .05
Ouch ma tête. Je n'ai que très peu bu mais il faut croire que je suis plutôt sensible à l'alcool. J'ouvre les yeux doucement, cette migraine est terrible.
Qu'est ce que je fais sur le canapé déjà ? Ah oui, la soirée. Je n'ai aucun souvenir de notre retour dans la maison, je devais être vraiment fatiguée.
Un rapide coup d'œil à mon portable m'apprend qu'il est déjà midi. Midi ? Merde ! Tant pis pour les autres, je crie :
-Lola ! Il faut qu'on rentre ! On doit laver je te rappelle !
Jo se lève un peu trop vite et gémit de douleur en se tenant la tête. Je l'ai sûrement réveillée, elle dormait sur l'autre canapé.
Dix minutes plus tard nous sommes tous réunis dans le salon, dans la joie et la bonne humeur. Du moins, j'aurais aimé que ce soit dans la joie et la bonne humeur.
En réalité la moitié de la bande est déjà en train de sortir des médicaments pour calmer notre migraine générale.
Note à moi-même : ne jamais sous-estimer le pouvoir de l'alcool. C'est vraiment diabolique ce truc.
-J'ai carrément l'impression d'avoir de la fièvre !
-C'est très peu probable Laura, je réponds en souriant.
-Mais touche je suis brûlante !
J'approche ma main et la pose sur son front, comme j'avais l'habitude de faire lorsque ma petite sœur se sentait mal.
Je pousse un cri de stupeur en sentant une décharge électrique. Très vite la stupeur se transforme en douleur et chaque centimètre de mon corps me fait souffrir. Je détache ma main de sa peau en criant de douleur, les larmes aux yeux. Je tombe sur le sol, à genoux, en essayant de reprendre convenablement ma respiration. Je vois mes amis s'affoler autour de moi mais je suis comme dans une bulle, je ne les entends pas.
-Marine, il y a un problème ? me hurle Lola en se précipitant par terre à côté de moi.
Je me tourne vers elle, étonnée d'avoir enfin réussi à distinguer ses paroles.
-Son front.., j'ai juste la force d'articuler.
Lola touche le front de Laura à son tour.
Rien.
Elle se tourne vers moi et lève les bras comme pour me demander une explication. Je jette un coup d'œil à mes autres amis : ils n'ont pas l'air de comprendre davantage.
Heureusement, la douleur me quitte relativement rapidement et je me relève.
-Son front m'a brûlée.
-Je t'avais dit que j'avais de la fièvre, marmonne Laura. Mais...
Maxime la fait taire d'un geste et plonge son regard foncé dans le mien. Je continue :
-Enfin, brûler n'est pas le bon terme. Je me suis sentie électrocutée et étouffée. Ou peut être même un mélange des trois.
-T'es énervante Marine, on t'avait dit de ne pas trop boire... C'est sidérant l'effet que ca te fait, tu débloques complètement ma pauvre. Allez, rallonge-toi, t'iras nettoyer plus tard.
Je jette un regard noir à Jeremy. Il ne me croit pas.
Sous les yeux interrogatifs de mes amis, je repose la main sur le front de Laura, qui n'ose plus bouger. La douleur revient mais cette fois je m'y attendais. Je serre les dents tandis que mon corps me supplie de m'écarter. Je ferme les yeux et essaie de me concentrer sur ce que je ressens, pour mieux le décrire à mes amis par la suite.
A vrai dire, la sensation est différente. C'est comme si j'étais dans un labyrinthe et que la douleur s'intensifiait ou se calmait en fonction du chemin que je décide de prendre.
J'essaie de suivre cette sorte de piste de douceur, où la douleur est réduite. Petit à petit la souffrance devient supportable et je sens mon corps se détendre légèrement. Les yeux fermés, j'arrive à distinguer plusieurs chemins, sans toutefois savoir où ils mènent ou même quel est le but de la manœuvre. Il m'arrive de me tromper de voie et la douleur revient alors en bloc.
A aucun moment je ne pense à mes amis ou au fait que je sois entourée. Il me semble avoir changé de dimension, je ne pense à rien sauf à cette envie de suivre ce doux chemin. Quelque part je sens que je ne me déplace pas réellement, que tout se passe dans ma tête.
Enfin, j'arrive au point où la sensation est la plus forte. Je profite d'un instant de répit et puis tout à coup tout me revient en tête et je suis éjectée.
Littéralement éjectée.
Mon corps fait un bond en arrière et j'atterris aux pieds de Jeremy, qui essaie de me relever. Il est si surpris qu'il en oublie de faire une blague pourrie.
Mes amis se précipitent vers moi, l'air angoissé. Cependant, aucun mot n'est prononcé, comme s'ils avaient peur de me brusquer en parlant à voix haute.
Étonnement, je n'ai aucune sensation de vertige et je sais exactement ce qu'il s'est passé. Disons, que j'ai les faits, je me souviens de tout ce que j'ai ressenti, de tous les choix que j'ai fait lorsque j'étais dans cet autre part. Seulement, avoir les faits ne suffit pas. Mon esprit cherche sans succès une explication plausible à ce qui vient de se passer.
Je m'assois sur le canapé et les invite à faire de même. Alors, je leur raconte précisément tout ce qui s'est passé, tout ce que j'ai ressenti. Johanna est la première à reprendre ses esprits :
-Si c'est une blague, elle est mauvaise, grogne la jeune fille aux cheveux bleus.
La seule chose qui me retient de m'énerver est la fatigue physique que je ressens actuellement. Je ne réponds rien, je n'ai aucun argument à ajouter : je leur ai tout dit.
-Je me sens merveilleusement bien ! Lance Laura.
-Ah bah nous voilà ravis, raille Jeremy, les nerfs sans doute à vif.
-Ce que je veux dire par là c'est que je n'ai plus mal, réplique la jolie blonde.
Je me tourne vers elle, stupéfaite. Et si elle avait ressenti cette douceur autant que moi ?
-Alors tu l'as ressenti toi aussi ? Ce labyrinthe, ces chemins, la douceur, tu as vu tout cela toi aussi ? Je demande.
-Absolument pas, je me sens simplement mieux.
Je suis un peu déçue, rien ne me prouvera jamais que je n'ai pas rêvé. Mes amis commencent à s'agiter et chacun donne son avis sur ce qui vient de se passer. Personnellement je n'y fais guère attention, je n'arrive plus à me concentrer et je sens que la fatigue prend le dessus sur tout le reste.
Un instant plus tard, je m'évanouis.
***
Dans les films, les gens s'évanouissent de façon extrêmement gracieuse et ne se font pas mal. Autant dire qu'à mon réveil je comprends que je ne suis pas une héroïne de film. Mon bras me fait souffrir, il semblerait que je sois tombée dessus. Cela exclut toute possibilité d'être tombée gracieusement.
J'ouvre un œil et je remarque que la situation n'a pas tellement changé : mes amis sont toujours en train de crier dans tous les sens. Ont-ils seulement remarqué mon malaise ?
-Elle a les yeux ouverts !
J'ouvre mon deuxième œil et souris à Louis, merci d'avoir sauvé mon ego.
-Pas sûre qu'elle reste longtemps éveillée, dit Johanna en se mordant la lèvre.
Je prends mon temps et m'assois au sol.
-Que se passe-t-il ? Je questionne.
-J'explique ! Crie Lola, en se positionnant au sol à mes côtés.
Progressivement, on se retrouve tous assis sur parquet.
-Si tu t'en sens capable, j'aimerais que tu essaies avec moi aussi.
-Que j'essaie quoi ? Je demande, perdue.
-De toucher mon front.
J'approche ma main, légèrement tremblante. Tout à coup, je suis de nouveau projetée dans cette autre dimension et je retrouve tout : la douleur, le labyrinthe, le chemin de douceur, l'apothéose finale. Cette fois-ci, j'ai la sensation de m'en être bien mieux sortie et d'avoir été plus rapide.
Lors que je reviens à la réalité, Lola a le regard perdu. Machinalement et presque inconsciemment, je me lève et fait de même avec chaque membre du groupe. Je sens que je fatigue, mon corps n'est pas loin de me lâcher une deuxième fois mais je me force.
Pas un mot n'est prononcé, pas un regard ne croise un autre. Sommes-nous en train de rêver ? Je m'assois sur le canapé et nous attendons, comme s'il nous fallait du temps pour assimiler ce que nous venons de voir.
- Tu viens vraiment de faire ce que je pense ? Finit par demander Maxime tout bas.
Je dois me rendre à l'évidence. J'ai guéri mes amis rien qu'en posant la main sur leur front. Ca n'a aucun sens. D'ailleurs, je n'ai même pas besoin de leur demander si la douleur a disparu, je le sens. Et au cas où quelques doutes subsisteraient, leur regard en dit long sur leur perplexité.
-Ok, c'est officiel : j'ai peur, lance Johanna sans bouger.
Surpris d'un tel aveu de faiblesse, Jeremy ne peut s'empêcher de faire un commentaire :
-De la part de la fille qui voulait des pou...
Je me fige. De toute évidence, nous nous sommes tous fait la même réflexion puisque Jeremy n'a pas fini sa phrase.
-Euh...
On se tourne vers Lola, qui vient de prendre la parole d'un air gêné.
-Je crois que je peux créer du feu à distance.
-Ouai et les poulets ont des ailes, raille Jeremy.
-Si je peux me permettre, les poulets ont vraiment des ailes Jeremy, marmonne Maelys.
Celui-ci lui lance un regard noir :
-Ne chipote pas, tu as très bien compris ce que je voulais dire.
-ARRETEZ !
Lola a crié. Personne ne sait réellement pourquoi mais cela a le mérite d'attirer notre attention tout en ramenant le calme. Lentement, Lola marche vers la cheminée alors que nous la suivons des yeux.
Tout à coup, une flamme prend de l'ampleur au milieu des buches. Une flamme qui était inexistante il y a encore une seconde. Une flamme bien réelle, qui lèche le bois et dégage une chaleur impossible à ignorer. Une flamme, qui, de toute évidence, est née de l'esprit de ma meilleure amie.
J'ai à peine le temps d'entendre les jumeaux crier de stupeur et je m'effondre.
***
-Décidément, tu es un peu sensible comme jeune fille, me dit Maxime lorsque je reprends conscience.
Il pourra dire ce qu'il veut, je lis dans ses yeux la panique. La mienne s'est simplement exprimée d'une autre manière.
-C'était quoi ce truc avec le feu ? Je demande.
-Il semblerait qu'on ait tous hérité de ce truc super bizarre que tu as. Tu as des prédispositions pour le soin, moi pour le feu, répond Lola.
J'ai le vertige, l'impression de perdre tous mes repères.
-Et les autres ? Parce-que si c'est vraiment à cause de cette espèce d'étoile filante alors ce serait carrément injuste qu'on soit les seules à être touchée par cette malédiction ! Je dis, très pragmatique.
-Cette malédiction ? Reprend Maelys. Marine, tu as le pouvoir de soigner les gens ! Imagine ce que tu pourrais faire avec un tel don !
Je baisse les yeux. Ai-je le pouvoir d'empêcher la mort d'un cancéreux en phase terminale ? Ai-je le pouvoir de sauver un homme ou une femme atteint du VIH ? Que vais-je faire de cela ?
-Ne nous emballons pas, ce ne sera peut être même plus d'actualité d'ici demain, je dis doucement. Alors, les autres ?
Après quelques instants Johanna me répond :
-Il semblerait que j'ai des prédispositions avec l'air, Maelys avec la terre et Jeremy avec l'eau.
-Les jumeaux ? Je demande, même plus capable de faire une phrase correcte.
-Rien pour l'instant ! me répond Louis.
Si Louis a l'air plutôt rassuré, Laura semble déçue. Leur statut de jumeaux leur confère-t-il un rôle spécial ?
-Et Maxime ? Je me renseigne.
Je n'ai aucune d'idée de ce qui se passe dans la tête des autres mais une chose est sûre : c'est un sacré bordel dans la mienne. Suis-je en train de rêver ? Suis-je sous l'emprise d'une drogue ? De l'alcool ?
-On ne sait pas où il est passé ! me répond Laura.
Donc si on fait un rapide récapitulatif, on a tous une sorte de pouvoir super bizarre sauf les jumeaux qui n'ont rien et en plus, comme si cela ne suffisait pas, mon meilleur ami à disparu. Et moi je suis toujours par terre. Génial.
-Je suis là ! nous crie Maxime depuis le canapé.
Tous les regards se tournent vers le canapé. Il est vide. Je lève les yeux au ciel, évidemment.
Je m'approche pour m'assoir sur ledit canapé, sauf que quelque chose me gène. C'est à ce moment là que Maxime apparaît. Pile là où je ne voyais personne. Il éclate d'un rire hystérique, il en pleure de rire pendant qu'on le regarde, très, très sérieusement.
-Mon pouvoir est d'être invisible ! Ah c'est excellent ! Vous auriez dû voir vos têtes !
Je lui jette un coup d'œil interloqué. Il perd la tête ou quoi ? J'avoue que je suis un peu jalouse : j'aurais aimé trouver ça drôle. Mais mon cerveau refuse encore d'ingurgiter toutes ces informations et je reste dans une espèce d'ébahissement perpétuel.
Ma sonnerie de téléphone interrompt mes pensées.
-Allô sœurette ? Tu vas bien ? Je t'ai laissé plein de messages, pourquoi tu ne réponds pas ?! Je me suis fait un sang d'encre !
-Oh... Ju-Julien...Je suis désolée je, euh... viens de me réveiller, je mens. Tu passes nous chercher quand ?
- T'es sûre que ça va Marine ? Tu as l'air bizarre.
-Oui oui, ça va !
Je sens les larmes me monter aux yeux, j'ai tellement envie de me confier à lui.
-Bon d'accord, j'arrive d'ici cinq minutes, tenez-vous prêtes s'il vous plait.
Il raccroche juste avant que je ne craque. Comment pourrions-nous expliquer la situation ? Décrire ce qui nous arrive ?
On se met d'accord avant de se quitter : on ne parle de cette soirée à personne et on n'utilise jamais nos pouvoirs devant témoins.
Je suis extrêmement mal à l'aise, nos pouvoirs pourraient peut-être sauver des vies. Et pourtant nous décidons de les cacher. Qui sait les miracles que je pourrais faire au sein d'un hôpital ? Mais le problème reste le même : comment expliquer tout ça ?