CHAPITRE .01
2 mois plus tard
J'ouvre les yeux en soupirant. La douleur est encore bien trop forte et mes souvenirs, bien trop précis. Je crois qu'une partie de moi est morte ce jour-là. Lisa était ma petite sœur, ma protégée et je souffre de sa perte à chaque instant, alors même que je me bats pour me relever.
La souffrance m'avait aveuglée. J'étais bien trop occupée à pleurer pour prendre soin de ma meilleure amie, qui avait perdu ses deux parents en plus de sa petite sœur. Aujourd'hui encore, elle a toute mon admiration : je sais à quel point elle tenait à sa famille. Du jour au lendemain, Lola s'est retrouvée seule et lorsque mon frère et moi avons fini par le réaliser, une semaine s'était déjà écoulée.
Très vite, il a fallu prendre les choses en main et Lola est venue s'installer chez nous. Ça ne devait être qu'une solution provisoire, le temps de faire le point sur la situation. Il s'est finalement avéré que la seule personne à qui nous aurions pu la confier ne voyait en elle qu'un problème. Julien et moi avons décidé que Lola resterait et mes parents ont officiellement adopté ma meilleure amie.
En réalité, je considérais déjà Lola comme ma sœur depuis des années. Nous nous sommes rencontrées il y a maintenant dix ans et nous ne nous sommes jamais quittées. Elle est ce qui m'est arrivé de mieux et je ne la remercierai jamais assez pour tout ce qu'elle a fait pour moi.
Lola et moi avions toujours rêvé de vivre ensemble. Mais lorsqu'elle a emménagé ici nous étions beaucoup trop dévastées pour penser à un quelconque avantage... Il a fallu affronter plusieurs enterrements, comme si la peine n'était pas déjà assez grande. Peut-on se préparer à la perte d'un être cher ? Je n'en ai aucune idée. Voir une photo de ma petite sœur, si jeune et si souriante, sur un cercueil m'a faite douter de la beauté du monde. Et puis il a fallu enterrer les parents de Lola, que j'avais toujours considérés comme mes propres parents puisque les miens étaient souvent absents, ainsi que sa jeune sœur, Marie. Ce fût la pire semaine de ma vie, le genre de semaine qui continue à hanter vos cauchemars encore des mois plus tard.
Mes parents ont très vite repris le travail et Julien et moi avons dû finir notre deuil sans eux. Cela m'a blessée, encore une fois. J'aurais aimé qu'une fois au moins ils fassent passer leur vie de famille en premier. Avec regret j'ai dû me faire à l'idée que ça n'arriverait pas, s'ils ne le font pas après le décès d'un membre de la famille c'est clair qu'ils ne le feront jamais.
Julien, lui, passait énormément de temps avec ses amis mais a toujours été là pour Lola et moi. Ensemble, nous avons essayé de nous relever, de recommencer à croire en la vie. Nous étions profondément meurtris mais nous avions envie de vivre, de laisser cette situation derrière nous. Evidemment il n'était pas question d'oublier les pertes que nous avions subies, simplement d'aller de l'avant, justement pour ces personnes chères qui nous avaient quittés.
Aujourd'hui, une page se tourne. C'est la rentrée scolaire et Lola et moi avions décidé que celle-ci marquerait la fin de notre lamentation commune. Nous avons hésité à changer de lycée, pour éviter les regards de pitié de ceux que nous croiseront aujourd'hui. Habiter dans un petit village où tout le monde se connait n'a clairement pas que des avantages. Déménager aurait arrangé Julien, qui doit faire deux heures de route tous les jours pour étudier à la faculté de droit, qui se trouve dans la ville d'à côté. Nous avions finalement décidé de rester, incapables de quitter nos amis et des lieux remplis de souvenirs.
-Marine ? M'appelle Lola du lit d'à côté.
-Oui ? Je grogne en essayant de me réveiller complètement.
-Je peux aller me doucher en première ?
Je me tourne vers elle lentement. Elle est assise sur son lit, en pyjama et je peux voir à ses yeux qu'elle n'a que très peu dormi. Tenir le coup pendant la journée, c'est une chose. Dormir convenablement, s'en est une autre. Je sais pertinemment qu'elle est comme moi, que tout ce que l'on essaie d'ignorer pendant la journée revient alimenter nos pires cauchemars la nuit.
Lola n'attend pas ma réponse et file dans la salle de bain. Elle arrive d'ailleurs à m'arracher un sourire quand je la vois essayer de courir dans son pyjama bleu, beaucoup trop grand pour elle. Une fois seule, mon regard dévie inconsciemment sur les murs de ma chambre, de notre chambre. Elle est partagée en deux de façon parfaitement symétrique. Sur les murs se côtoient photos et posters, vestiges de nos souvenirs avant ce foutu accident. En réalité, la maison est suffisamment grande et Lola aurait pu avoir sa propre chambre. La maison contient une chambre pour Julien, ma chambre, une chambre d'amis qui est plus ou moins réservée à mes parents et la chambre de Lisa. A cela s'ajoute une cuisine, une salle de bain et des toilettes. Lola n'a pas eu le cœur de s'installer dans l'ancienne chambre de Lisa, qui est d'ailleurs toujours en état. Julien et moi n'avons pas encore eu le courage de ranger les affaires de notre petite sœur.
Je me glisse hors de mon lit et pars préparer le petit déjeuner dans la cuisine où je trouve un mot de Julien « Suis déjà parti, bon courage pour la rentrée ! ». Je ne peux retenir un soupir triste. Après la mort de nos proches, Lola et moi n'avons pas eu envie d'affronter les condoléances et la pitié de nos amis. Nous avons ignoré chacun de leur message, chacune de leur visite. Je ne sais absolument pas comment ils vont réagir en nous voyant aujourd'hui et j'avoue que cela m'effraie. Notre bande d'amis était comme une deuxième famille pour moi, nous étions extrêmement proches et j'ai l'impression de les avoir trahis. Je ne comprends toujours pas le besoin que j'ai eu de me couper du reste du monde mais j'espère de tout mon cœur que Lola et moi saurons renouer avec eux.
Lola me rejoint à l'instant même où je finis de mettre la table. Comme à son habitude, elle est impeccablement habillée. Aujourd'hui particulièrement, elle a fait un effort pour paraître joviale: elle a lavé et lissé ses longs cheveux bruns et porte un haut rouge qui va à ravir avec son pantalon noir. Je remarque même une légère touche de maquillage au niveau de ses yeux. Lola est comme ça, elle combat sa tristesse en essayant de paraître joyeuse, à croire qu'elle veut se persuader elle-même.
-Je me demande ce que va penser le groupe, s'inquiète Lola. Ce n'est pas top ce qu'on a fait. On a plus qu'à espérer qu'ils comprendront et que tout reprendra comme avant...
« Comme avant ». Est-ce qu'un jour tout rentrera dans l'ordre ? Je n'en suis pas persuadée. Cependant une chose est sûre : à ce stade, retrouver nos amis ne peut que nous faire du bien.
Il y a quelques jours, le directeur du lycée nous a appelées pour nous proposer de nous réunir, Lola et moi, au sein d'une même classe. Soulagées, nous avons accepté. Malgré tout, je dois avouer que je suis pessimiste quant au déroulement de cette journée. Les gens vont forcément nous demander comment nous allons. Quelle question débile ! Suis-je censée répondre que ça va ? Est-ce que je dois sourire ? Ce n'est pas un secret : tout le lycée va guetter nos réactions aujourd'hui.
-Allez va te doucher ! Si on pouvait éviter d'être en retard le premier jour ce serait bien !
Lola me sort de mes pensées. Dix minutes plus tard je suis déjà sortie, lavée et habillée d'une petite robe blanche assez simple.
J'essaie de caler mon attitude sur celle de Lola : j'ai l'impression qu'elle s'en sort beaucoup mieux que moi avec son chagrin. Du moins elle ne laisse rien paraître en public et cela a l'air de lui réussir alors je décide de faire de même. D'essayer du moins. Je passe rapidement un coup de brosse dans mes cheveux châtains, que j'ai fait couper aux épaules il y a quelques jours. En passant devant le miroir de l'entrée, je remarque que mon visage est terriblement terne. Je décide alors de mettre un peu de mascara autour de mes yeux noisette avant de filer en direction du lycée.
Le lycée n'étant qu'à dix minutes à pied de la maison, nous avons décidé de marcher. Et puis il faut avouer que Lola et moi ne sommes pas encore à l'aise en voiture, l'accident est encore trop récent.
A peine arrivée, la quantité de lycéens devant le lycée m'effraie déjà. J'ai peur du moment où ils nous remarqueront, où ils commenceront à chuchoter. Tout se sait dans un petit village. Inconsciemment, je ralentis mon allure.
J'admire Lola qui marche devant moi, elle est magnifique comme d'habitude. De grandes jambes, une peau parfaitement bronzée, une silhouette fine et élancée et des cheveux toujours parfaitement coiffés. Même après le décès de sa famille, elle a toujours mis un point d'honneur à prendre soin d'elle. J'aimerais pouvoir en dire autant de moi.
-Mariiiiiiiiiiiine ! Lolaaa !
Je me retourne d'un coup, je pourrais reconnaître la voix de Maxime entre mille.
Je finis par le repérer aux côtés de nos amis, au fond de la cour. Même si j'ai hâte de retrouver mon meilleur ami, je sens mon cœur s'affoler sous l'effet du stress. Même Lola qui, d'habitude, est toujours dans la parfaite maîtrise d'elle-même frissonne légèrement. Je lui jette un coup d'œil encourageant.
Après tout, nous étions censées reprendre une vie normale, non ?