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Chapitre 04

Chapitre IV

« — Oui, bien évidemment, le rendez-vous est toujours maintenu. Je serai là dans une dizaine de minutes. dit Nana avant de raccrocher et ranger son téléphone dans son sac. »

Toujours le nez dans son sac, elle tente de retrouver, je pense, la clé qui lui permettra d’ouvrir l’armoire à archive. L’armoire où toutes les fiches de brief, les comptes-rendus, les preuves ainsi que les factures, sont rangés. Il doit y avoir bien d’autres choses dans cette armoire mais, c’est tout ce que j’ai retenu. C’est aussi et surtout l’essentiel. Elle doit toujours être fermée à clé, les documents compromettants qu’elle conserve pouvant gravement nuire à ses clientes mais également à leurs maris.

« — Putain, mais où est-ce que j’ai foutu cette satanée clé ?

— Dans la petite poche intérieure de ton sac. »

Elle sursaute en reculant d’un pas, le regard hagard jusqu’à ce qu’elle me repère à mon bureau.

« — Merde ! Mais tu m’as fichu une de ces frousses ! elle soupire la main sur le cœur. Qu’est-ce que tu fais ici ?

— Je n’ai pas vraiment réussi à dormir et j’avais laissé de la paperasserie hier soir. Je suis venue plus tôt pour rattraper mon retard.

— Ah okay. »

Rassurée, elle se remet à fouiller son sac, et en sort la fameuse clé. Elle se détourne de moi, introduit la clé avant de se tourner de nouveau vers moi :

« Mais, tu devais pas venir avec moi au rendez-vous ?

— Euh… Ouais…je réponds les idées encore ailleurs.

— Qu’est-ce qu’il y a ? elle me demande le regard insistant.

— Rien. je marmonne avant de reprendre l’air plus joyeux. C’est la fatigue ! Elle est en train de venir maintenant !

— Humm. »

Elle marque un temps de pose avant de prendre :

« J’y crois pas vraiment à ton mensonge mais, j’ai pas trop le temps de te questionner là. On en reparlera à mon retard, parce que je suppose que tu vas rester ici et venir à la prochaine rencontre ?

— Tu supposes bien… Et promis, la prochaine fois, je serai là.

— T’as intérêt, c’est surtout pour toi. Tout ce que tu vois là, n’a pas vraiment de sens et te fais tirer des conclusions hâtives.

— Si tu le dis. »

Elle récupère des feuilles, qu’elle range dans une pochette avant de la mettre dans son sac et refermer l’armoire.

Devant elle, je tente de garder une certaine contenance, même si mes paupières sont lourdes et que je n’ai qu’une envie, les fermer.

Je ne lui ai pas menti concernant ma nuit. Elle a réellement été écourtée, et après avoir essayé par tous les moyens de me rendormir, j’ai fini par venir ici et travailler sur la paperasse laissée. Je lui ai dit la vérité en omettant de lui donner la raison de mon insomnie.

C’était tellement improbable et inimaginable que je n’arrive toujours pas à y croire. Combien de chance il y avait pour que cela se produise ? Une sur un million, peut-être même deux ! Dans un passé, pas si lointain que celui-ci, j’aurais pas pu rêvé meilleure configuration mais, avec ce qu’il s’est passé il y a quelques mois…

« — Je serais de retour après le déjeuner parce que je dois rencontrer par la suite Deborah.

— La jeune étudiante que tu as rencontrée la semaine dernière ?

— Ouais. elle me soupire en se frottant le front. Elle va peut-être remplacer Kitty.

— Peut-être ? Je pensais qu’elle correspondait parfaitement ?

— Ouais mais… Y’a un truc bizarre avec elle, une sensation étrange quand j’écoute son discours. Enfin bon, je vais essayer d’éclaircir tout ça durant le déjeuner. On se voit plus tard ?

— Okay. »

Je me laisse aller sur mon fauteuil, ferme les yeux et rejette ma tête en arrière avant de me souvenir de la demande que je devais urgemment lui soumettre dès notre rencontre du jour. Je me lève précipitamment de mon siège pour la retrouver au niveau des escaliers. Nana a beau porter des talons, elle reste hyper dynamique, comme si à ses pieds étaient collés de mini avions à réaction.

« — Nana ! Attends !

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je voulais te demander, concernant l’appartement que tu m’as trouvé, est-ce qu’il serait possible de le changer ?

— Tu te fous de moi ? Cet appart c’est une aubaine ! Jamais tu vas trouver un appartement aussi complet et rentrant dans tes standards de toubab pour un prix aussi dérisoire. Si tu le lâches, tu te démerderas à en trouver un autre et bonne chance pour le trouver ! »

Soupir.

Je laisse mes épaules s’affaisser et me tiens à la rembarde pour me soutenir. Je me sens vidée, comme si toutes mes forces m’avaient quittée. Je me retrouve seule, totalement seule…

« — Et puis d’abord, qu’est-ce qui ne va pas avec l’appart ? Et qu’est-ce que t’as ? Depuis hier après-midi j’ai l’impression d’être avec ton spectre !

— C’est rien ! Juste un petit coup de mou.

— A d’autres Micka. elle balance en descendant les marches. A d’autres. On en parle tout à l’heure. »

Je me laisse retomber sur la première marche et essuie négligemment la série de larmes qui roulent sur mes joues. J’ai lu quelque part une citation qui disant que « même si l’on tourne une page de notre vie, il faut se souvenir qu’elle provient du même livre ». Je pensais sincèrement que les différents chapitres écrits avant, serait tellement épais, tellement plus fort que si finalement je me retrouvais de nouveau vers les premiers chapitres de ma vie, je serai assez forte pour les affronter, assez solide pour les confronter, mais je m’étais trompée. A un point que je n’aurais jamais imaginé. Et je me suis pris cette vérité avec violence hier après-midi.

C’était supposé être une journée comme une autre. Depuis mon installation, je me suis créée une petite routine pour me donner des repères, mieux m’imprégner de mon environnement et me sentir totalement à l’aise, totalement chez moi. Parce que c’est le sentiment totalement opposé qui m’a étreinte lorsque j’ai posé mon pied sur le sol congolais : le sentiment de ne pas être chez soi.

J’ai pensé que ce sentiment était causé par l’absence. Lorsque l’on part trop longtemps, il est rare de retrouver les mêmes choses, aux mêmes endroits. Tout évolue, tout mûri, la vie change. Je suis moi-même revenue différente alors je ne pouvais pas demander à La Belle de ne pas en faire autant. Elle ne m’a pas accueilli comme je l’aurais imaginé et je ne lui en ai pas voulu, j’ai été infidèle.

J’ai tenté de renouer avec elle à travers de petits gestes du quotidien routiniers, des petites escapades pour la redécouvrir et ça semblait plutôt bien marcher. J’avais moins le vague à l’âme et puis je suis tombée sur elle. Diane. Les traits vieillis, les lèvres fines pincés, entourées de petites ridules, le regard froid, c’était bien elle. Je l’aurais reconnu à ses lèvres et son regard si elle ne m’avait pas reconnu la première.

Chaque fois qu’elles venaient, ses sœurs et elle, scander dans la cour, que l’argent de son frère ne nourrirait plus jamais la fille d’une putain, depuis la fenêtre où je me hissais à l’aider d’un tabouret, je les observais et mon regard finissait toujours par se poser sur elle. Sur ses lèvres. Elle avait cette façon de mâcher son chew-gum. Ses lèvres s’aplatissaient entre elles, puis se séparaient et plusieurs filets de baves les unissaient avant qu’elles ne s’aplatissent de nouveau entre elles. De temps à autre, elle faisait passer sa langue sur sa lèvre inférieure et déchirait les filets de baves. Je me demandais où étaient passées ses lèvres. Les africains sont connus pour avoir des lèvres bien pleines, bien charnues, bien pulpeuses, mais elle. A force d’entendre Moses dire qu’elles venaient chercher leur dose de chair fraîche, à chacun de leur passage, j’ai fini par me dire qu’elle avait dû manger ses propres lèvres. Et c’était la plus virulente. Ça avait du sens.

Quant à son regard, un coup d’œil par inadvertance m’a dissuadé de m’y plonger encore une fois. Une simple œillade m’avait marquée. Et je pensais que je ne le reverrai plus jamais, sauf que j’ai fait l’erreur de replonger dedans en levant la tête vers cette voix qui a cri assez fort, pour que toutes les personnes à la terrasse entendent :

« — Mais ça c’est pas la batarde de Jean ? »

Je ne m’étais plus entendue appelée ainsi depuis plus de quinze ans. A cette époque, j’étais frêle et sans aucune armure, ni arme face aux paroles blessantes que je pouvais entendre, et la présence de Moses à mes côtés n’y pouvait rien. Aujourd’hui, je ne suis plus supposée être frêle et sans défense, sans armure, et pourtant, j’ai été touchée par chacun des mots qu’elle a prononcés.

« — Mais oui c’est toi ! Tu ressembles à ta salope de mère. Tu es aussi devenue comme elle ? Une pute qui vend ses fesses au plus offrant ? Ca ne m’étonnerait même pas. Telle mère telle fille. Voilà que mon pauvre frère et sa femme ont caché les dernières années de sa vie à nourrir une erreur ! Une erreur qui a fini par causer sa mort ! Et regardez ! Aujourd’hui elle se pavane en gaspillant l’argent de mon frère dans la merde ! »

D’un geste de la main rageur, elle a envoyé valser mon plateau. Les deux contenants dans lesquels se trouvaient ma salade césar ainsi que la salade de fruit se sont répandues sur le sol.

« — Ta mère a eu l’intelligence de retourner dans son Cameroun natal pour aller ventre sa chatte, tu ferais mieux d’en faire autant ! Retourne d’où tu viens, ne nous fais pas chier ici ! »

Tout en parlant, elle s’est emparée de ma bouteille de jus et m’a jeté le contenu au visage. C’est à cet instant qu’un serveur est intervenu et l’a invité à poursuivre son chemin. Et moi j’étais toujours assise, complètement trempée, sous le regard de toutes ses personnes en terrasse qui, assurément, n’avait pas raté un seul moment de cette altercation.

Pendant la minute qui a suivi, j’ai tenté de suivre un des conseils de Moses, celui de ne jamais renoncer lorsque l’on n’est pas en tort, « parce que c’est les autres qui doivent abandonner », mais face à tous ces regards, je n’ai pas pu. Et puis je n’étais plus si certaine de ne pas être en tort.

Je suis retournée au bureau, et ai tenté de faire comme s’il ne s’était rien passé, sans y arrivée. Ses paroles, son regard, sa bouche, ont ravivé certaines blessures du passé, ils ont réouvert le livre aux chapitres dont les pages étaient tournées.

Je n’aurais rien pu faire de bon, alors j’ai décidé de rentrer.

Et puis c’est là que devant ma porte, après m’être ramassée pour récupérer mon jeu de clés qui venaient de tomber, je l’ai vu monter les marches les escaliers, en survêtement, haletant et transpirant : Liam.

« — Qu’est-ce que tu fous là ?

— Liam ?

— Me dis pas que t’essaies de rentrer dans cet appartement en pensant que c’est le mien ?

— Non… Je … Euh…

— Mais qu’est-ce qui va pas avec toi Mickaela ? C’est même pas mon appartement que t’essayais d’ouvrir ! Qu’est-ce qui cloche avec toi ?! Ici c’est pas Paris et les conneries que je pouvais laisser passer là-bas, ne passeront pas ici ! Grandis ! »

Sur ces mots, il m’a tourné le dos pour retirer sa clé portée sur un collier autour de son cou et l’a inséré dans la serrure de l’appartement en face du mien, puis ma claqué la porte au nez.

Cette scène s’est jouée en quelques secondes. Des secondes assez longues pour lire la colère sur son visage, sentir son corps totalement crispé, comme la réaction à un dégout. Moi.

Je me suis concentrée sur ma porte de nouveau et ai introduit ma clé dans la serrure. Après avoir refermé la porte, je me suis dirigée vers un angle de l’appartement et me suis assise à même le sol. Lorsque l’on est à terre, on ne peut jamais tomber plus bas. Au sol il ne peut rien m’arriver si ce n’est me relever.

Vers quatre heures du matin, après avoir tout essayé pour faire le vider et plonger dans les bras de Morphée, je me suis levée et suis venue travailler. Si on peut appeler ça comme ça.

*

* *

« — T’es encore là ? »

La voix légèrement grave de Nana me fait sortir de mes pensées et prendre conscience d’où je suis : toujours sur la première marche de l’escalier.

« — J’ai… J’ai pas vu le temps passer. je murmure, en balayant l’espace du regard. Quelle heure est-il ?

—e Il doit être 13h.

—e Ton rendez-vous est déjà fini ? T’en avais pas un qui devait suivre ?

—e Si. elle répond en gesticulant tel un asticot. Mais j’ai eu un rendez-vous avec Catherine ce matin vers 1h et là, elle me demande des comptes.

—e En faisant du sport, tu obtiendrais un résultat similaire et sur du long terme. Je lui dis alors qu’elle passe devant moi.

—e Je m’en fous du long terme, je dois rentrer dans ma robe samedi soir ! elle crie pour se faire entendre. »

Je souris puis soupire. Un rayon de soleil vient m’éblouir le visage et me rappeler que j’ai une forte migraine. Le genre qui oblige à trouver refuge dans une pièce totalement obscure, sans aucun bruit alors sans demander mon reste, je récupère mon sac, griffonne un mot à l’attention de Nana que je dépose sur son bureau et m’en vais.

Jusqu’à présent, la cacophonie se jouant aux heures de point ne m’avait jamais dérangé, au contraire, je les assimilais à un trait à part entière sur le dessin de la représentation de cette ville. Un gros trait bien marqué, qui donne la vie. Mais aujourd’hui j’aurais voulu qu’il soit moins gros, moins marqué. A l’image de mon état.

Avec appréhension, je rejoins les escaliers menant à mon appartement, et malgré de petits yeux, je scrute les environs pour ne pas tomber sur Liam. Je n’ai la force de rien. Ni d’une joute verbale et encore moins d’un face à face.

« — Ah ! Enfin je vous vois ! j’entends derrière moi.

— Pardon ?

— Je vous vois souvent le matin, penchée sur la rembarre de sécurité avec une tasse de café. A chaque fois que je me disais que j’allais sortir me présenter, je ne vous trouvais plus. Aujourd’hui, c’est chose faite. »

Chacune des paroles qu’il prononce me paraisse incompréhensible et même en y mettant de la bonne volonté, je ne parviens pas à comprendre ce qu’il vient de dire. La douleur est lancinante est contrôle un peu plus mes pensées, mes actions et mes réactions. J’essaie tant bien que mal de sourire, mais une douleur vive se charge de faire disparaître mon sourire de mes lèvres.

« — Je m’appelle Damien. »

Il me tend la main.

« — Bonjour Damien. En temps normal, j’aurais vu aucun souci à discuter avec vous, mais là, j’ai tellement mal à la tête que je me demande comment je réussis à aligner ma phrase.

— Ce qui explique les traits défigurés de votre visage. Vous avez besoin de quelque chose ?

— Oui j’ai besoin de rentrer chez moi, de me retrouver dans une pièce sombre et sans bruit. »

Il me cède le passage, me permettant de monter les escaliers et arriver à mon pallier. Après avoir tiré les lourds rideaux du salon, je me jette sur le canapé, ferme les yeux tout en passant la paume de ma main froide sur mon front, à l’endroit même où la douleur s’est condensée. Je me rends compte que je suis prise de tremblements et mes yeux sont larmoyants. C’est tellement atroce d’avoir aussi mal.

« Toc,toc, toc »

Chacun des coups donnés à la porte me donne l’impression de recevoir un coup de marteau, ciblé, en plein cœur de la douleur. Comme si je ne souffrais pas assez.

Je finis par me lever et aller ouvrir la porte à celui qui s’est présenté à moi quelques minutes plus tôt.

« — Je suis certain que vous allez avoir besoin de ça. il brandit des cachets. Si vous me laissez entrer, je vous préparerai la recette de ma grand-mère pour les maux de tête.

— Pourvu que vous vous taisiez. je marmonne en retournant sur le canapé, laissant la porte ouverte. »

J’ai besoin de silence…

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