Chapitre 4
Michelle range tranquillement toutes les courses. Sarah est assise sur une chaise et dessine. Le bébé, qui était dans ses bras avant, est endormi dans un berceau qu'elle a fait emmener par la suite. Natalia suit avec beaucoup d'attention chacun de ses mouvements. Elle se déplace dans la cuisine comme si c'était chez elle. Ce qui est très probable également. Elle ne connaît pas sa place dans la maison, mais ce n'est pas n'importe qui, même si les hommes de Andres lui obéissent.
- Je suis contente de te rencontrer Natalia, finit-elle par débuter la discussion. Ne soit pas méfiante à mon sujet. Je sais dans quelle condition tu es venue ici et je me sens désolée pour toi.
- Aide-moi à m'en aller alors...
- Je ne peux pas. Lorenzo m'a décrit comment il te regarde. Il te veut. Il ne te laissera partir qu'une fois qu'il en aura assez de toi. Ce sera la mort directe à ce moment-là.
- Mais...
- Je ne sais pas quoi te dire de plus...
- Elles sont toutes mortes comme cela ? Celles avant moi...
- Il les a soit tué durant l'une de ses séances ou il les a tué après parce qu'elles ne le faisaient plus bander. Quand il avait perdu...
- Tout intérêt quoi...
- En effet...
Michelle voit bien le désespoir dans le regard de Natalia quand elle lui annonce la fin probable à chaque fois qu'elle va le fréquenter un peu plus. Elle se déteste pour avoir à le faire, mais elle sait que personne ne lui dira la vérité, en dehors d'elle. Elle espère comme à chaque fois qu'elle rencontre l'une de ses filles, qu'une fasse la différence. Mais pour l'instant aucune n'a réussi.
- En fait, il ne va pas coucher avec toi. Il va juste se servir de toi pour se stimuler et une fois que ce sera fait, il ira faire ses affaires avec une autre.
- Comme Sofia ?
- Tu la connais ? Natalia répond par la négative. Malheureusement oui comme Sofia. Je suis désolée...
- ...
Natalia nage de surprise en surprise et elles sont de pire en pire. Elle ne sait pas comment réagir à ce moment-là. Elle pense à sa famille, ses amis, sa vie avant ce triste jour. Elle se demande si on la cherche. Si on tente de la retrouver.
- Je ne peux pas disparaître comme cela sans qu'on tente de me retrouver...
- On est pas aux Etats-Unis. On est au Mexique. Ici ce sont les gangs qui font la loi. Et par la même occasion, les hommes à leur tête. Personne ne pourra te retrouver ici. Mais surtout, les gens abandonnent bien plus vite que l'on ne le croit.
Michelle se tait quand elle lui assène ce dernier coup dans le ventre. Mettant encore plus fin à ses illusions.
- Maman, maman, regarde ce que j'ai dessiné, dit la petite Sarah pour attirer son attention.
- Oh mais c'est magnifique. Tu montreras à ton papa.
La petite sourit de toutes ses dents et retourne à son dessin.
- Comment tu peux vivre avec eux sachant très bien ce qu'ils font ? Elle murmure sa question, ne sachant pas comment elle pourrait réagir. Qu'ils tuent des gens. Qu'ils font couler du sang.
- J'essaie de relativiser, répond-elle d'un ton triste. C'est cette douleur et ce sang versé qui nourrissent les familles de nos gangs. Qui nourrissent mes enfants également. Et surtout j'aime mon mari.
- Tu savais depuis le départ ?
- Non, mais quand je l'ai appris j'étais déjà enceinte et follement amoureuse. Et surtout il n'avait aucune intention de me laisser partir. J'ai dû me faire une raison et trouver ma place dans ce monde.
Natalia n'en revient pas de ce qu'elle apprend. Michelle a aussi été forcée dans cette situation. Ces hommes sont vraiment tous sans cœur dans cette maison.
- Le seul conseil que je peux te donner, c'est d'éviter de traîner dans les pattes des Ouroboros noirs. Les membres du côté de Mateo. Évite de traîner avec Rosa et Catalina aussi.
- Mais... Pourq...
Elle s'apprête à rebondir sur ce qu'elle vient de dire quand des pas arrivant dans leur direction la font taire. Lorenzo, Ivan et Andres pénètrent dans la cuisine. Sarah se lève et se jette dans les bras de son père.
- Oh mais qui voilà, ma princesse... Il la soulève et la fait tourner faisant résonner les cris de joie de la petite, avant de la passer à Andres. Il s'approche de Michelle. Tes courses se sont bien passées ?
- Oui très bien. Je t'ai dit que je n'avais pas besoin d'être escortée comme si j'étais recherchée ou la première dame du pays.
- Mais tu es encore plus à mes yeux. Il en profite pour lui voler un baiser. Où sont-ils partis ?
- Je les ai envoyé faire un tour. Je n'avais pas besoin de 20 hommes sur mon dos pendant que j'étais à la cuisine. Encore moi à cause d'une seule personne. Bonjour Ivan, Bonjour patron.
Andres fixe avec amusement Michelle, avant de se concentrer sur la petite Sarah qui lui montre son œuvre d'art. Ivan reste dans son coin dans son mutisme habituel. Andres fixe après Natalia, qui baisse les yeux et regarde dans un autre coin de la pièce.
- Comment s'est passée votre journée ?
- Rien de bien palpitant. La routine tu sais.
- Je n'ai pas l'impression qu'elle existe toujours la routine. Elle laisse sa phrase résonner. Lorenzo la fusille du regard, sachant pertinemment à qui est adressée cette dernière phrase. Je pensais que tu avais arrêté Andres.
- Michelle !
Pour la première fois depuis qu'elle connaît Lorenzo, c'est la première fois qu'elle entend sa voix prendre une telle tonalité. Sa voix gronde légèrement face à la réaction de sa femme. Même la petite Sarah tourne la tête pour voir ce qu'il se passe. Son regard se froisse et elle se met à pleurer. Son petit frère la suit, en se réveillant et en se mettant à pleurer à son tour. Michelle arrête ce qu'elle fait et prend ses enfants pour les emmener dans une autre pièce. Lorenzo les suit le regard énervé. Cette discussion entre eux ne semble pas terminée. Ivan s'en va par la suite à son tour.
- Tu as le chic pour faire pitié aux gens Caramela. On va dehors. Il se lève et elle le suit, ils se retrouvent sur la terrasse où elle a mangé plutôt le petit-déjeuner. Je suppose que Michelle a été plus expansive que nécessaire. Elle a dû te donner des détails croustillants.
-...
- Je déteste une chose plus que tout Natalia. Qu'on ne me réponde pas.
- Elle m'a dit la vérité sur ce que je fais ici. Il ne rajoute rien, semblant attendre qu'elle enchaîne et explique un peu plus où elle veut en venir. Mais je ne comprends pas pourquoi vous faites cela ?
- Pourquoi je fais quoi ? Il s'approche d'elle et du transat sur lequel elle est assise. D'un geste du doigt, il montre le sol. Natalia a besoin de quelques secondes pour comprendre ce qu'il veut, mais elle choisit la docilité. Elle pose ses genoux à terre, avant de lever la tête pour croiser son regard. Continue...
- Pourquoi vous avez besoin de me faire du mal pour bander ? Les médecins et les psychologues existent pour régler ce genre de problème.
- Je te parais fou ?
- Non... non... Ce n'est pas ce que je voulais dire...
Natalia a envie de se tuer d'avoir lâchée cela. Son pouls s'accélère tandis qu'il laisse le silence faire le reste du travail. Au bout de quelques secondes, il finit par se relever et part en rigolant. Natalia ne le suit pas, elle a l'impression d'avoir échappé encore de peu à une sévère sanction. Elle ne sait plus sur quel pied danser. Elle sait qu'une de ses remarques insolentes pourrait lui entraîner une lourde punition, mais il semble apprécier ce côté de sa personnalité aussi. Elle retourne à la cuisine dans les minutes qui suivent. Il n'y a plus personne à ce moment. Elle s'assoit, ne sachant pas si elle peut se promener dans la maison à sa guise. Michelle a disparu également et avec elle, les deux enfants. La maison semble encore plus vide qu'il y a quelques minutes. Déserte même, mais elle imagine bien que des gens la surveillent, que chacun de ses gestes sont scrutés.
Du bruit se fait entendre au bout d'un moment. Des bruits de voitures, d'hommes, de pas, de discussions. Les bruits se rapprochent avant de s'éloigner par la suite. Ensuite le silence revient. Natalia se lève, curieuse de savoir d'où viennent tous ces bruits. Elle quitte la cuisine et essaie de suivre discrètement la direction des sons. Au détour d'un chemin, elle bouscule une personne : Ivan.
- Tu fais quoi là ?
- Je le cherchais, ment-elle, ne sachant pas quoi faire d'autre. Ivan sait qu'elle ment, mais il n'a pas le temps de la confronter ou d'essayer de lui tirer les vers du nez. Andres l'attend également. Mais je peux attendre qu'il revienne. Je vais retourner dans la cuisine.
- Pas nécessaire, lui répond-il en attrapant son bras, tandis qu'elle se met à détaler. Je vais t'y emmener.
Il la dépasse et prend une allée direction une autre partie de la maison. Natalia le suit en silence, elle ne peut plus s'enfuir. De toute façon, s'enfuir pour aller où ? Ils arrivent dans un coin de la maison, qu'elle ne connaît pas. Il y a plusieurs hommes, beaucoup plus que du côté de la maison dont elle vient. Certains la fixent, d'autres la sifflent. L'ambiance est différente ici et à mesure qu'il s'enfonce, elle a de plus en plus de mal à respirer. L'ambiance est étouffante et une odeur qu'elle connaît assez bien la prend en pleine narines, lui donnant envie de vomir. L'odeur du sang, du sang qui a séché. Les hommes s'écartent au passage de Ivan, elle se colle à son dos pour éviter de rester trop proche des autres. Le taciturne Ivan semble de meilleure compagnie pour elle à cet instant que les autres hommes tatoués dans les couloirs. Ils arrivent en face d'une porte en fer, d'où un bruit confus s'entend difficilement. Plein d'autres portes semblables s'étendent le long du couloir. Il cogne, avant que la porte s'ouvre. Il rentre en premier et Natalia, elle s'écroule à l'entrée de la porte. Ses genoux tremblent et elle n'arrive pas à avancer.
Ivan est obligé de la tirer de force dans la pièce. Elle tombe sur ses genoux et sa main droite rentre en contact avec un liquide chaud. Les chaussures en face d'elle, elle les connaît. Elle lève les yeux lentement pour se retrouver face à Andres. Son regard contrarié n'est pas une surprise. Ce qui est une surprise pour Natalia, c'est le sang collé à sa paume de main. En tombant, sa main a atterri directement dans une flaque de sang collante. Devant elle, Andres a la chemise entachée d'éclaboussures de sang. Elle voit bien que le sang ne lui appartient pas. Elle ferme les yeux souhaitant tout faire disparaître.
- Ivan dit que tu me cherches Caramela, lance-t-il d'une voix grondante. Natalia n'arrive à rien répondre. Elle baisse les yeux et préfère fixer le sol. Ivan relève là.
De grandes mains l'attrapent par les épaules et remontent son corps. Elle est obligée de regarder la scène qu'elle ne pourra jamais oublier de sa vie. Dans la salle, il y a le corps d'un homme en train de se vider de son sang, entaillé de partout. Natalia remarque à ce moment le couteau dans la main de Andres. Il était en train de découper ce pauvre homme. Elle tourne le regard dans un côté de la pièce, simple mécanisme de défense. Mais elle tombe sur des bouts de doigts éparpillés. Son ventre rend tout ce qu'elle a mangé de la journée, avant qu'elle ne s'évanouisse à nouveau. C'en est de trop pour elle.
- Patron, elle s'est évanouie, lui répond un des hommes qui la maintient debout.
- Je pense que je peux très bien m'en rendre compte. Il se tourne vers Ivan. Pourquoi est- elle là ?
- Elle fouillait un peu trop à mon goût. En plus elle m'a dit qu'elle voulait te voir. Je n'ai fait que répondre à la demande de Caramela.
- Ramène-la dans sa chambre. Non plutôt dans ma chambre... Gardez un œil sur elle et faites-moi signe quand elle se réveille, ordonne-t-il à l'homme qui tient toujours Natalia. Il sort de la pièce en la portant. Bon Fernando, revenons-en à nos moutons. Je suis désolé de t'avoir délaissé. Mais comme tu vois, une belle femme a fait son interruption et tu sais que la galanterie est l'une de mes plus grandes qualités.
L'homme auquel il s'adresse ne répond même plus. Mais ils remarquent bien à son corps qui tremblent qu'il est encore vivant.
- S'il vous plaît... Pitié... Pas plus...
- Non, mais ce n'est que le début.
- Je vous dirais tout ce que vous voulez savoir... S'il vous plaît... Pitié...
- Trop tard pour cela Fernando. Le reste de tes lascars qu'on a coffré vont bien balancer d'ici quelques temps. Toi tu vas juste me servir à passer le temps. Tu es mon passe-temps.
L'homme dont le regard avait repris un peu de couleur, voit tous ses espoirs disparaitre par ce mot.
- Je vous dirais tout... J'ai une famille...
- Tu aurais dû y penser avant de venir jouer sur notre terrain. Tu sais ce qui peut faire pencher la balance Fernando ? Il ne répond rien. Je veux savoir d'où vous avez eu les informations au sujet de notre marchandise.
- Je sais juste qu'on a reçu un coup de fil du bras droit du boss, nous expliquant clairement quoi faire. Lui-même a dit l'avoir reçu d'un coup de fil anonyme.
- Et tu vas me dire, que vous avez pris le risque de rentrer en conflit avec nous sur la base d'un appel anonyme ? Il lui enfonce à nouveau profondément dans le ventre le couteau. Fernando n'arrive même plus à crier, tout son corps a déjà perdu beaucoup de sang. Ça va pas suffire...
- C'est tout ce que je sais, je te jure. S'il vous plaît. Je ne sais rien de plus, il se défend avec toute l'énergie du désespoir qu'il lui reste. La seule chose qu'il m'a dit c'est que c'était une femme, qui leur a vendu le morceau.
- Enfin un truc intéressant. Andres sourit à Ivan en face de lui. Il lui tend le couteau, qui est imbibé du sang coulant de sa victime. Ivan lui tend un mouchoir, qu'il utilise pour essuyer le sang sur ses mains. Dommage, ça n'a pas duré assez longtemps à mon goût. Mais comme tu as été plus intéressant que tes autres petits copains, je vais te tuer rapidement. Il fait signe à Ivan, qui tire un coup fatal à leur victime. J'espère juste pour toi, que tu n'as pas beaucoup de filles. Trouvez sa famille et toutes celles des hommes ici. Débarrassez-moi des corps, sauf du sien. Envoyez sa tête à son gang et le reste du corps à sa famille.
Il sort par la suite avec Ivan à ses talons.
- Fait venir Sofia immédiatement.
- Très bien patron. Mais pour Caramela ?
Le regard que lui décoche son patron fait taire sa question. Il trace dans le couloir sans adresser la parole à quiconque. Ivan comprend que son patron n'a pas encore eu sa dose complète. Il va compenser avec du sexe. Il passe un appel et annonce à son interlocuteur qu'il a 10 minutes pour ramener Sofia à la villa, pas plus si il veut vivre plus longtemps. Il raccroche et appelle Lorenzo pour lui annoncer ce qu'ils viennent de découvrir avant de retourner s'occuper de la gestion des corps.
Natalia reprend conscience doucement à cause de bruits qu'elle perçoit à proximité. Ses poignets sont attachés et elle ne peut pas bouger. En se concentrant, elle se rend compte qu'elle est dans la chambre blanche de la dernière fois, mais surtout que les bruits qu'elle entend sont des bruits de sexe. Des gémissements de femme... La personne ne semble pas du tout s'en faire d'être entendue par toute la villa. Natalia en oublie même la scène qui a causé son évanouissement. Elle comprend juste que c'est une des femmes avec qui il couche. Elle ne sait pas si elle préférerait être à leur place ou si sa situation actuelle est meilleure. Il ne se couche pas avec elle, mais il lui fait subir pire. Essayer de coucher avec lui, de changer de côté de la balance pourrait lui offrir des occasions de s'enfuir également. Michelle ne lui a jamais mentionné la mort d'une des filles avec qui il a couché. Elles doivent profiter d'un certain nombre de privilèges. Le séduire pourrait donc être un début de solution. Mais comment faire avec cet homme, que chaque parcelle de son corps déteste. Il a mutilé et torturé un homme devant ses yeux, son regard était complètement enivré pendant tout ce temps, il l'a battu...
Ses pensées sont perturbées par le silence qui se fait au bout d'un moment. Elle entend une voix féminine qui rigole, avant d'entendre des pas se rapprocher de là où elle se trouve. La porte s'ouvre et la luminosité fait cligner des yeux Natalia. Il apparaît face à elle, vêtu uniquement d'un boxer. Il s'accroupit face à elle et lui donne de l'eau en silence. Natalia a la bouche sèche et ne fait pas la difficile. Elle voit l'ombre d'une silhouette féminine, elle lève les yeux face à la femme qui la fixe attachée dans ce lit. Aucune pitié dans son regard, juste un regard empli de mépris et de supériorité.
- Sofia, si tu as fini, tu peux rentrer chez toi, lui lance Andres d'une voix froide.
Natalia voit Sofia en question se mordre violemment les lèvres et ses joues prendre une teinte rouge de honte, avant qu'elle ne s'en aille, laissant derrière elle des bruits de talons aiguilles. Natalia ne sait pas pourquoi, mais elle est contente de son départ. Comme si elle avait gagné une victoire contre elle. Etrange, n'est-ce pas ?
- Tu aimes vraiment t'évanouir.