Chapitre 2
Ce matin nous sommes toutes réunies à la grande cour pour accueillir la nouvelle directrice de la prison. La précédente a fini dans un lit d’hôpital pour finalement être renvoyée des forces de l’ordre.
Quoi que, j’y suis pour beaucoup. Malgré mon caractère de fer, l’air diabolique que je montre à tout le monde, j’ai l’injustice en horreur. Dans cette prison pour délinquants en phase terminale située en pleine mer, il y’a des ressortissants du monde entier. Blancs comme noirs, chinois comme indiens, nous sommes tous là.
Un mur de béton dur nous sépare de la prison des hommes. Seul leur voix nous témoigne de leur présence. Plus qu’un homme, je suis. Plus d’une fois j’ai été de l’autre côté du mur pour faire valoir ma force. À chaque fois les hommes ont ployé le genoux face à ma force. Et dire que dix ans plus tôt je n’avais rien pu faire. J’étais là comme ça, enfoui dans les bras de ma mère à regarder ma nounou Anne faire de nous ce qui lui passait par la tête.
Pendant que la nouvelle directrice donne ses directives, j’ai le regard vers le ciel. J’y repense, je la revois. Je me renvois à cette soirée, je me renvois dans cette cuisine, dans ma belle robe d’anniversaire. Ce moment où nous étions face à la mort et elle nous souriait.
Jusque là, personne ne comprenait le sourire de Anne. Elle avait pourtant déjà éclaté de rire. Maman avait les yeux rivés sur elle.
Maman : Anne, explique moi ce qui se passe. C’est une blague que tu voulais nous faire ? Elle est de très mauvais goût hein.
Anne : ma douce patronne, la reine de la couture. Je crois que tu te vois encore sur un petit nuage. Tu as déjà tout compris mais tu fais des manières. Dois-je te faire un dessin ? Je t’ai bien dis que la personne qui t’en voulait vivait tout près de toi.
Maman se mit à s’agiter tout doucement pour devenir progressivement agressive. Sa tête allait de haut en bas, de bas en haut, de gauche à droite, de droite à gauche. Ses larmes lui rincaient le visage, elle ressentait ce brin de trahison tout au fond de son cœur. Lucie et moi ne pouvions rien faire. Nous ne faisions que pleurer, ne comprenant rien à la situation. Aujourd’hui quand j’y repense, je me sens tellement ridicule.
Maman voulait lui arracher les cheveux mais elle était fermement tenue par ces hommes.
Maman : je t’ai toujours considéré plus qu’une employé, comme une sœur. Je t’ai pris du village et je t’ai fait instruire. Je t’ai fait intégrer ce monde, je t’ai donné mon cœur. Pourquoi Anne ? Pourquoi une telle trahison ?
Anne : que veux-tu ? Ton argent et ta vie sont sucrés. En entrant dans ta maison je me suis promis d’y goûter avant de mourir. Je crois que je suis sur le point d’y arriver.
Maman : et dire que je t’ai parlé des menaces que mon mari et moi subissions. Je t’ai tout dit sur ces gens alors que c’était toi. Tu es le diable.
Anne : je suis démoniaque, j’ai du sang à l’œil. L’empire que ton mari et toi avez construit doit me revenir. À ce que je sache nous avons appris la couture ensemble. Pourquoi est-ce que tu dois réussir et moi je cuisine pour toi ? Ça, jamais.
Maman : on peut toujours s’arranger. Si tu veux un poste à l’entreprise, on te le donne. On fera comme tout ceci n’était pas arrivé. Je te donne ma parole.
Anne : et moi je dis que tout doit me revenir. Tu devrais plutôt négocier pour tes filles. Ce sont elles qui risquent le plus. Le sort de ton mari et toi est déjà connu.
Maman : Anne, Anne, s’il te plaît, pas mes petites. Demande moi ce que tu voudras mais ne touche pas à mes enfants. Laisse les partir chez leur tante. Laisse les vivre. Elles n’ont rien fait, elles sont de petites innocentes.
Anne : mais moi je n’en ai rien à faire de leur innocence… Bon, voilà ! Le chef de famille est là.
Ensanglanté et fermement tenu par ses propres gardes du corps, papa avait été traîné sur le sol depuis le séjour jusqu’à la cuisine. Je lisais en lui le combat qu’il avait mené. Ses yeux rouges, ces fissures sur son visage, ses points fermés, mon père ne s’était pas laissé faire. De toutes mes forces, j’avais hurlé.
-Papa, qu’avez-vous fait à mon père ? Papa… Laissez-nous en paix. On ne vous a rien fait.
Un de ces hommes me donna une gifle qui me propulsa sur le sol en me fermant l’œil et la bouche. Mon père se mit en fureur, il grognait sans parler. Ma mère cria,
Maman : j’ai dit de laisser les enfants. J’ai dit de les laisser… Laissez mes enfants…
Elle pleura, elle ressentit plus ma douleur que moi.
Anne : tu devrais en vouloir à ton mari. C’est vrai que mes plans étaient déjà tissés lorsque j’entrais dans cette maison mais ton mari m’a mis de l’eau à la bouche pour me chanter plus tard qu’il aime sa famille. N’est-ce pas, mon cher Apollinaire DEBARDO.
Maman : de quoi elle parle ? C’est quoi ça ?
Papa : ce n’est rien, ne l’écoute pas. C’est un être sans cœur.
Anne : nous allons voir ce que disent les vidéos. On va voir qui est sans cœur.
Sans aucune gène, sans aucune pudeur, sans réserve, cette femme présenta une horreur sous nos yeux. Elle ternit l’image de l’homme de ma vie, de mon unique amour à cet âge. Elle détruit tout au fond de moi l’image de tous les hommes. J’avais toujours cru que mon père était parfait, le modèle à suivre. Je le voyais gémir sur cette vidéo, sur une femme qui n’était pas ma mère, sur cette Anne dans leur chambre conjugale à lui et maman. Mon cœur avait tellement saigné. Il avait encore plus saigné quand maman avait hurlé au désespoir.
Maman : je te savais infidèle mais pas à ce point. Regarde dans quoi tu as mis notre famille. Regarde ce que tu as fait de nous. On va tous périr à cause de tes désirs d’animaux. Regarde tes enfants et dis moi si le goût de cette femme en valait la peine.
Mon père ne leva pas la tête. Je vis néanmoins une fine goutte de larme amorcer la descente. Je n’avais jamais vu la larme de mon père, même pas à la mort de sa mère.
Anne : maintenant que vous avez vu son visage, je crois que je ne vais plus être la seule méchante de l’histoire. Bien, il faut passer aux choses sérieuses. Vous savez ce que vous avez à faire.
Anne sortit du tiroir de la cuisine des documents dans une chemise cartonnée rouge.
Anne : la probabilité que je vous tue est déjà très élevée. Mais celle que j’en finisse avec vos filles est faible et dépend de vous.
Papa : quoi ? Tu veux quoi au juste ?
Anne : vous devez signer ces documents que j’ai en main. En les signant, vous me nommez à la tête de tous vos biens et à la charge de vos filles. Ce n’est que dans cette mesure que je peux les laisser en vie. Faisons vite, j’ai hâte de me proclamer milliardaire.
Papa : jamais ! Tu n’auras rien.
Anne tourna le regard vers maman, vers moi et enfin vers Lucie. Elle s’approcha de la petite qui était déjà terrorisée.
Anne : on va commencer par toi, bébé Lucie. Je crois que ton père prend ceci pour un film ou une histoire à l’eau de rose.
Brutalement, elle attrapa ma petite sœur par les cheveux. Cette enfant qui connaissait Anne comme une deuxième mère depuis sa naissance. Innocente, ignorante, elle cria,
Lucie : pardon, maman Anne, je ne vais plus faire ça. Ne me frappe pas, pardon. Je ne vais pas dire à maman, je vais rester tranquille.
Elle envoya la mais sous la gorge de l’enfant et commença à l’etrangler. Ce n’était pas une plaisenterie, elle était bien prête à en finir avec Lucie. Maman criait, je criait, papa ne regardait pas. Lucie s’agitait, elle n’en pouvait déjà plus. Elle s’affaiblissait.
Maman : donne ces fichus papiers, on va les signer. Donne les !
Papa : laisse ma fille et donne ces papiers.
Elle lâcha Lucie qui tomba et se mit à tousser. Je me glissai au sol jusqu’à elle. Je la pris dans mes bras.
Anne donna les papiers à mon père. Tremblant, il signa chaque page à chaque endroit désigné. Maman à son tour signa tous les papiers. Il n’y avait aucun moyen de prévenir la police, nous ne comprenions pas comment Anne avait organisé tout cela. Même les invités à la fête étaient tous partis mais aucun n’avait fait venir la police.
Après la signature des documents, Anne sourit et rit. Elle dansa, chanta. Elle venait de devenir milliardaire.
Anne : maintenant que j’ai tout ceci, vous devez mourir. Pour vos filles, ne vous en faites pas. Elles vont vivre. Peut être pas normalement mais en vie.
Papa : tu as promis que tu n’allais rien faire aux filles
Maman : nous avons tout signé
Anne : vous avez aussi signé des documents attestant que votre fille est une délinquante, un peu folle et capable de vous tuer. Pour Lucie, vois avez signez quelques petits trucs aussi. J’ai dit que vos filles allaient vivre mais jamais qu’elles allaient continuer leur vie de luxe. Dans la maison de qui ?
Maman : Anne… Pense à notre enfance, à nos souffrance.
Anne : je pense juste à tous ces hommes que j’ai convoité mais qui te voulaient tous, à ces clients qui préféraient ta couture à ma mienne et à ce mari que j’ai voulu mais il t’a épousé. À ces enfants que je n’ai jamais eu mais tu as eu. C’est à ça que je pense. Je crois qu’il est temps que je vive les rêves que tu m’as volé.
Maman : je ne suis pas Dieu, ce n’est pas moi qui fait la vie. Je n’y suis pour rien. Je t’ai donné tout ce que tu voulais, ta famille est à son aise. Je…
Anne : je ne vis pas des miettes…
-patronne, bientôt les autorités vont arriver, lança l’un des hommes. Nous n’avons plus qu’une heure.
Anne : terminons donc notre plan. Enfermez Lucie dans sa chambre, nous continuons avec ces trois.
Maman : ne laisse pas ma fille avec ces gens.
Anne : même elle, elle ne t’appartient plus. C’est désormais ma fille. Le manoir DEBARDO est désormais le manoir MBOUN. Anne MBOUN ! Votre vie est désormais la mienne.
Je ne savais pas ce qui allait nous arriver. J’étais loin d’imaginer qu’un être pouvait être aussi méchant que cette Anne. Nous avions été traîné de force jusqu’à la petite cabane en bois du jardinier, derrière la maison. Nous avions été balancé à l’intérieur.
Nous étions aux pieds de Anne. Je ne voyais toujours pas ce qui allait suivre mais mes parents avaient déjà tout compris.
Maman : tu ne peux pas faire ça. Tire nous une balle dans la tête et finissons en. Tu n’as pas à en arriver à ces extrêmes. Et ma fille alors, tu as dit que tu ne lui ferais rien.
Anne : je suis désolée ma belle, si elle se sauve, tant mieux. Dans le cas contraire, ça ne me regarde pas.
Maman : Anne…
Les paroles de ma mère était entrecoupées par des sanglots.
Maman : si tu as encore un brin de cœur en toi, une once d’humanité, libère mon enfant. Envois-la à la rue si tu veux mais il faut la libérer. Laisse-la vivre.
Sous nos yeux, la porte fut verrouillée. Maman se mit à frapper la porte, je frappais avec elle. Le sol était en terre battu. Mon père prit une petite barre de fer à côté. Sans rien dire, il se mit à creuser au pieds de la planche la plus basse. Sans relâche, il creusait. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait faire. En moins de cinq minutes, il avait déjà ouvert un énorme trou. On pouvait sentir un vide au sol.
Ce que mes parents craignaient commença à se produire. Depuis les fissures entre les planches, un liquide nauséabond commença à nous arroser. Je pouvais apercevoir les pieds de pantalon du jardinier et l’arrosoir qu’il tenait en mais. Il nous pulvérisait d’essence. Maman hurlait de toutes ses forces en essuyant tant bien que mal l’essence qui se posait sur moi. Papa ne cessait de creuser en pleurant pour la première fois de sa vie comme jamais. Dans ma tête cette histoire se redessine au ralenti, en noir sur blanc.
Papa m’avait brusquement tiré vers lui. Son trou était prêt. Il avait rapidement déchiré ma robe, j’étais à moitié nue.
Papa : ma douce enfant, quand tu auras en tête notre image, pense au modèle que nous t’avons toujours présenté. Ne me juge pas, ma fille, ne me condamne pas. Je ne suis qu’un homme.
-nous allons sortir tous les trois par le trou. Ils n’ont encore rien fait, partons tous les trois. Partons maman, partons papa… Partons… Parrrr… Mamaaannn…
Maman : je t’aime ma petite enfant, je t’aime tellement. Ne m’oublie pas, ne m’oublie jamais…
Papa tira maman.
Papa : après elle, tu descends
Une odeur de brûlé passa dans l’air. Papa et maman se mirent ensemble pour me faire passer dans le trou. Papa me remit la barre de fer pour élargir le trou à ma convenance.
Papa : le trou donne au sous sol, tu vas atterrir là-bas. En face il y’a une porte, la clé se trouve sous le grand pneu de camion. Tu dois partir sans te retourner. Tu dois… Aaaaa…
Maman : pars… Pars… Paaaaa…
-maman, papa… Maman, papa…
Les flammes étaient déjà là. Je les voyais être consumé. Leur hurlements sonnaient dans mes oreilles, leur douleur me traversait le corps. Je décidai de rester là et de partir avec eux. Malgré le feu sur leur vêtement, tous deux me poussèrent avec leur dernière énergie. Je tins la main de maman pour la tirer avec moi. Voyant que le feu quittait sa main pour la mienne, elle se baissa et me mordit à m’en déchirer la peau. Je la lâcha, le cœur en compost.
Je descendis violemment, une chute sur quelques mètres et je me retrouvai dans une petite pièce sombre. J’entendais toujours les hurlements de mes parents. Je voyais toujours le feu devant moi. Je criais et suppliais, je cherchais des mains quelque chose, n’importe quoi. Tant que mes parents hurlait, je pensais pouvoir faire quelque chose mais j’étais bien trop faible. Mis à part me morfondre, je ne pouvais rien faire d’autre. Tout était noire, même ma voie d’arrivée, je ne la voyais pas. Mes ‘’ au secours ‘’ semblaient n’arriver nulle part, mes cris restaient avec moi et se mêlaient à ceux de mes parents qui devenaient de plus en plus sourd.
Il arriva enfin ce moment où je n’entendis plus aucune voix. Juste de fines explosions dans le feu. Ils ne criaient plus, ils ne suppliaient plus. C’était terminé.
Je me repliai sur moi-même, je fermai les yeux. J’eus honte de mon prénom, ce prénom qui m’avait été donné en l’honneur de mon bourreau. Comme Anne, je me prénommais Anne.