IV
J'envoya ma réponse le jour même, à celui qui nourrissait pour moi de si sincère sentiments. J'étais trop impatiente qu'il sache à son tour, ce qu'il aspire à mon coeur. Je me revois marcher à pas pressé de chez moi jusqu'au bureau de poste, le coeur battant à la chamade jusqu'à mes tympans, un sourire béat visé sur le visage.
Cinq jours plus tard, j'eus une réponse tout aussi enthousiaste. Nous nous échangeâmes des missives, pendant près de quatre semaines. Entretenant ce lien à distance, qui nous apportait tant de réconfort.
Je crois n'avoir jamais fait l'expérience d'une relation aussi profonde. Au travers de nos écrits, nous nous dévoilions de plus en plus, sans avoir peur du jugement de l'autre. Comme-ci poser sur le papier nos angoisses et nos espoirs exorcisait notre peur de l'échec.
"Il n'y a pas un jour où je ne prends pas mon violon en pensant à toi." Lui écrivais-je, un jour. "Je ne m'y était jamais essayé avant, mais depuis quelques temps, je compose. Ce sont de courts morceaux, mais ils arrivent à exprimer les sentiments ambivalents qui m'habitent depuis ces semaines passées loin de toi. J'espère que là où tu es, tu es heureux, car c'est ainsi que je te veux: heureux. Je ne pourrais accepter de te savoir lugubre ou peiné. J'aimerais être avec toi, pour éloigner tes "démons", comme tu les appellent, mais un jour, peut-être... je n'aurais plus à le souhaiter, je le ferai tout simplement. "
La réponse qu'il m'offrit me laissa songeuse.
"Je ne peux être heureux là où tu n'es pas. Mais ton seul souvenir me réconforte, lorsque mon vague à l'âme se fait trop présent. Comme j'aimerai t'entendre, te voir et te toucher... Tu me dis que tu composes... c'est une formidable nouvelle! Si je suis l'inspirateur de ce renouveau, sache que j'en suis flatté et que je n'en suis pas en reste. Décidément, je serai prêt à croire que nous sommes en prise aux mêmes idées, car moi aussi j'invente des mélodies qui me sont inspirées par toi. La nuit dernière, lors d'un concert, je me suis imaginé que tu étais là, que tu me regardais, et j'ai joué pour toi, pour personne d'autre. Je suis à toi Annabella, moi qui n'ai jamais voulu appartenir à personne, trouve qu'être en ta possession est une bénédiction. Mais seulement es-ce à sens unique? Veux-tu être mienne autant que je suis tien? Es-tu à moi Annabella? "
Au fur et à mesure de nos échanges épistolaires, nous nous découvrons un amour enfiévré, passionnel et exigeant. Demandant de plus en plus des preuves de notre attachement. C'est un tourbillon de déclarations enflammées et de musique qui nous enivre, je suis devenue dépendante de son amour, je ne saurai m'en défaire et veux à tout prix l'entretenir. À mon grand étonnement, cela révèle aussi une partie de moi que je ne connaissait pas. Une part violente, exclusive et absolue.
"Comment peux-tu seulement me poser la question... bien sûr, que je suis à toi. À qui d'autre? Ne sais-tu pas ce que tu me fais? Ne comprends-tu pas ce que tu représentes pour moi? N'ai-je pas été assez explicite dans mes derniers courriers? Jamais! Jamais tu ne devrais douter de moi. Je suis ici à me morfondre, alors que tu es à Londres, à faire je ne sais quoi, avec je ne sais qui. À mon tour de te poser une question: puisse-je te faire confiance? M'es-tu fidèle? Écris-tu ces choses pour me tenir sous ta coupe, pendant que tu profite de ton célibat dans une autre ville? Es-tu celui que tu parais être? Tu m'a avoué toi-même que tu n'aimais pas que l'on te force la main et que tu faisais le contraire de ce que l'on attendais pour toi, pour faire enrager tes parents. Cela veut donc dire, que jamais nous ne pourrons envisagé un quelconque avenir car cela les contenteraient? Tu me tourmente. Au toi, mon ami, mon amour."
...
En me levant ce matin là, je suis prise d'un profond malaise. La dernière lettre que j'ai envoyé à Arthur date d'une semaine et il ne m'a toujours pas répondu. D'habitude, j'obtiens une réponse dans les jours qui suit, mais cette fois-ci, il se fait étrangement silencieux. Peut-être suis-je allée trop loin en l'invectivant de cette façon? Seulement, il m'avait mise en colère en doutant ainsi de mes sentiments!
J'essaye d'éloigner cette éventualité, mais m'alarme malgré tout de son mutisme. De la fenêtre de ma chambre, je regarde le parc verdoyant et m'imagine quitter ces plaines, pour rejoindre celui qui me fait tant de bien et tant de mal à la fois.
La ville. Quelle aventure ce serait que de vivre là-bas. Peut-être ai-je tout gâchée avec ma jalousie et mes remontrances? Je me précipite à mon bureau pour rédiger une nouvelle lettre, mais je suis interrompu dans ma foulée par la voix de Marguerite derrière ma porte.
- Mademoiselle. On vous attend en bas.
- Je suis occupée, je rejoindrai mes parents dans quelques minutes.
- Ils ont insisté pour que vous descendiez avec moi. Dit-elle, gênée.
- J'arrive. Dis-je à contre coeur.
Mes excuses attendront... Je mets mes chaussures et sort de ma chambre. Marguerite descend l'escalier devant moi et je la suis. Je marche dans le couloir et m'immobilise immédiatement lorsque je reconnais la silhouette dans le vestibule qui discute avec mon père. Celui-ci me fait un sourire et la grande silhouette, de noir vêtu se retourne. Je manque une respiration en voyant Arthur, m'observer de ses yeux bleus.
- Annabella. Arthur est passé te rendre une petite visite. Dit-il ravit.
Je m'avance vers lui et le salut poliment, voulant garder la face devant mes parents, qui se jettent des regards en coin.
- Que me vaux le plaisir de votre venu?
- Je suis venu régler quelques affaires, et j'en ai profité pour venir vous saluer.
- Arthur vous dînerez avec nous? Dit ma mère.
- Je ne sais pas... je ne sais pas encore à vrai dire... Dit-il mystérieusement.
- Venez, allons nous installer dans le grand salon. Dit mon père.
J'aimerais me jeter à son cou et parsemer son visage de baisers, mais je ne le peux. Je me contente de le contempler en silence et respirer son odeur subtile pour me convaincre de sa présence. Mes parents l'invite à prendre le thé et il acquiesce poliment. Il ne cesse de me regarder avec ces yeux insondables et je rougis, ne pouvant cacher mon trouble.
Après un moment, mon père l'invite à le suivre dans son bureau pour lui montrer sa fameuse collection. Je soupire en me rendant compte qu'une fois encore, j'ai raté l'occasion de me retrouver seule avec lui.
Je fais des allers et retours dans le couloir pour essayer de percevoir leur discussion mais je n'entends que des bribes de mots. Ils restent une bonne heure à discuter... découragée par cette entrevue qui s'éternise, je pars dans le jardin m'aérer l'esprit. Je respire lentement les effluves du printemps, m'attardant sur les feuilles jaunies des arbres alentours.
Après ce moment de calme, je retourne à l'intérieur. Soudain, je sens une main s'agripper à mon bras et me tirer dans la bibliothèque. Arthur ferme la porte et me plaque contre elle, avant de m'asséner un baiser brûlant. Je réponds à son ardeur avec enthousiasme et me laisse emporter. Il m'a tant manqué...
- Où étais-tu? Ça vingt minutes que je te cherche... dit-il encore essoufflé.
- La grande discussion avec mon père s'est donc terminé ?
- J'ai réussi à m'éclipser quand il a voulu me montrer une autre collection.
- Pourquoi n'as tu pas répondu à ma dernière lettre ? J'ai cru que je t'avais vexé.
- Tu m'as vexé! C'est pour ça que je me suis dit, que devait venir te dire ce que j'avais sur le cœur en personne. Je ne joue pas Annabelle. Je t'ai dit que je t'aimais et je le pensais... je le pense toujours. Je te suis fidèle corps et âme. C'est pour cela que je te préviens. Je vais demander ta main à ton père aujourd'hui. Dit-il avant de m'embrasser à nouveau. Alors si tu sais que tu ne veux pas, dit le maintenant.
Je ne sais pas quoi dire. Il veut m'épouser !
- Mais... cela fera le bonheur de tes parents. Dis-je avec espièglerie. Je sais que tu ne reculerais devant rien pour les contrarier.
- Je vais t'épouser mais sous mes conditions. Pas de grands mariages avec toute l'aristocratie. Juste toi, moi et notre famille proche. Je veux que ça arrive le plus rapidement possible car je ne retournerai pas à Londres sans toi.
- Tu es fou!
- Dis-moi quelque chose que je ne sais pas déjà. Dit-il fier de lui. Alors? Consens-tu a être ma femme?
...
Debout devant le piano du salon, je joue de mon archer sur les cordes lisses de mon violon. Arthur ne m'a jamais entendu et il m'en a fait la requête. Je joue donc pour lui. Je suis troublée car je sens son regard sur moi. J'essaye de me concentrer pour donner le meilleur de moi même. C'est comme-ci je donnais en ce moment, le concert le plus important de mon existence!
Les notes montent dans les airs et je m'applique à y mettre un peu de mon âme. Je veux être à la hauteur de la prestation qu'il m'a faite, lors de notre premier rendez-vous.
Je garde les yeux fermés car je n'ai pas le courage de lui faire face. Quand le morceau se termine, je les rouvre et croise immédiatement ses deux iris, qui m'observe avec dévotion. Je lis dans ses yeux une forme de fierté et de fascination. Je souris. Heureuse de lui inspirer ce genre de sentiment.
...
Dans le salon, ma mère, mon père et moi sommes assis alors qu'Arthur a préféré rester debout. Sa silhouette imposante nous surplombant tous, inspire le respect.
- Monsieur Wallis, Madame Wallis. Je sais que depuis longtemps, vous vous êtes entendu mes parents et vous, pour qu'Annabella et moi nous unissions. Je suppose que vous avez consenti pour diverses raisons. Notamment, financière mais aussi aristocratique. Cependant, je me vois au regret de contrarier ces plans. J'aime votre fille. Je la trouve belle, intelligente, gracieuse et talentueuse. C'est pour toutes ces raisons et uniquement pour celles-ci, que je vous demande sa main. Si vous consentez à me l'offrir, sachez que ce ne sera pas pour rajouter une plus valut à ma famille ou à la votre. Je souhaite uniquement vivre avec celle qui m'a choisi, et que j'ai choisi en retour. Dit-il calmement.
Ma mère se tourne vers mon père. Visiblement émue par ce qu'elle vient d'entendre, tout comme moi. Mon père quand à lui, n'a aucune réaction. Il s'enfonce dans son fauteuil un moment, avant de se prononcer.
- Je crois... que je n'en espérais pas tant... que ma fille puisse tomber un jour sur quelqu'un qui l'aime sincèrmente... Si c'est ce qu'Annabella souhaite, sachez que c'est avec plaisir que je vous accorde sa main.
- Je le veux papa. Dis-je submergé par l'émotion. Merci.
Je me lève d'un bond et saute sur Arthur, trop heureuse du consentement de ma famille. Il me sourit et sort de sa poche un écrin bleu.
- Je suis allé la chercher ce matin. Dit-il en l'ouvrant. Je vois une bague en argent, surmonté d'un diamant bleu. Elle est dans la famille depuis plusieurs générations... Annabella Wallis, me feriez-vous l'honneur de m'épouser? Dit-il, en me tenant la main. Aucun sons ne sort de ma bouche, je ne peux que hocher la tête. Je prends ça pour un oui. Dit-il amusé, avant de me passer la bague au doigt.
Je comprends que par ce simple geste, ma vie vient de prendre un nouveau tournant.