Chapitre 3

Quand la séance s'est terminée, ils ont quitté le cinéma à la recherche d'un endroit pour manger. Toujours déguisés, Camélia se laisse guider par Eliott. Il y a beaucoup plus de monde qu'auparavant. Il lui prend la main pour être sûre de ne pas la perdre. Camélia espère que ses mains ne sont pas trop moites. La différence de taille est indubitable. Sa main lui semble bien petite dans la main de son partenaire. Il a une poigne forte, mais il ne lui fait pas mal. Ils arrivent à une enseigne de sushis. Il demande une table. On les installe rapidement. Les gardes s'installent à une table à proximité d'eux, la surveillance autour d'eux se renforce. Il y a beaucoup plus de monde qu'auparavant.

- J'espère que cela ne te dérange pas de manger ici.

- Non aucunement. Cela change de leur séance à tous les deux dans cette grande salle de cinéma vide. Il l'encourage à commander, vu qu'elle n'a pas mangé de vrais repas depuis ce midi. Quand elle se décide, un serveur vient prendre leur commande. Vous... Un regard appuyé. Tu repars uniquement pour tes études ?

- Oui en effet. Je ne sais pas si tu es au courant, je viens d'une famille d'avocats. Mon père et mon frère sont avocats tout comme mon grand-père avant eux. Nous avons déjà un cabinet ici à Bangkok pour nous occuper de tous nos contrats dans la sous-région. Mon frère y travaille, avec mon père. Mon père commence à développer un cabinet à New York, avec un associé à lui. J'étudie le droit à Yale. Je retourne finir et passer le barreau pour être un avocat du pénal comme mon grand-père.

- Pourquoi ne pas faire tes études ici ? Ou plus proche ?

- Je pense qu'il y a beaucoup de choses dans ma vie qui avaient déjà été décidées avant que je ne vienne au monde. Elle comprend ce qu'il veut dire. Elle non plus n'a pas beaucoup de pouvoir sur les choix de sa vie. Il prend sa main et la fixe tendrement. Mais je suis content de pouvoir choisir d'une certaine manière la personne avec laquelle je vais peut-être passer une grande partie de ma vie dans quelques années. Ses mots la font sourire naïvement. Il l'a choisie. Leurs plats arrivent rapidement. Bon appétit, lui dit-il avant de trinquer son verre de vin à son verre de jus d'orange. À de nombreux autres délicieux moments partagés.

Quand ils finissent de manger, l'un des gardes s'approche d'eux pour lui rappeler l'heure et son couvre-feu. Elle doit rentrer chez elle, avant qu'il ne fasse tard. Cela en va de son honneur. Surtout qu'ils ne sont pas officiellement ensemble et encore moins fiancés. Ils arrivent au parking, quand Eliott se retourne en entendant une voix l'appeler. Il lâche la main de Camélia. Une femme s'approche d'eux rapidement. Camélia ne la connaît pas, mais elle semble bien connaître Eliott parce qu'elle lui fait automatiquement la bise.

- Je ne pensais pas te voir ici, lui répond la jeune femme à qui Camélia donnerait facilement 18 ans ou plus. J'ai eu un doute en voyant ta silhouette de loin. Surtout en semaine et comme tu ne m'as rien dit à ce sujet. Hier quand nous étions ensemble, tu m'aurais dit, nous serions venus au même moment.

- Lana, un peu de réserve s'il te plait.

- Il n'y a personne. Je ne suis pas stupide. Elle se rend compte alors de la présence de Camélia à ses côtés. Ta petite sœur ? Non, je ne crois pas...

- Ce n'est pas ma petite sœur, il lui dit calmement. Je suis venue avec elle.

- Tu ne vas pas me dire que cette gamine fait partie de tes prétendantes. Camélia s'offusque de l'entendre parler d'elle de la sorte. C'est une blague de bien mauvais goût que tu me fais là. Je sais que tu étais un peu fâché hier quand on s'est séparé. Elle laisse glisser ses doigts vers sa main droite habilement. Tu devrais passer l'éponge dessus pour que nous puissions parler de choses plus agréables. Quand est-ce que l'on va se revoir ?

Camélia n'en croit pas ses oreilles. Elle lui fait du rentre-dedans juste devant ses yeux. Elle ne s'occupe même pas de sa présence. Elle sent une vague de colère et d'agacement la submerger. Comment est-elle censée réagir ? Devant elle, ce canon de beauté et cet homme qu'elle a une prétention insensée de vouloir considérer sien, dont le regard n'exprime aucune expression.

- Je te pris de ne pas manquer de respect à la personne qui m'accompagne avec des propos aussi scandaleux. Quelque soit son âge. Pour ton image à toi, tout particulièrement. Je te rappelle que tu n'es pas mariée.

Elle voit le rouge colorer les joues de la Lana en question. Il vient tout bonnement de l'humilier. Elle lui lance un regard mauvais avant qu'il ne prenne sa main et la guide vers la voiture sans rien ajouter. Le retour se fait dans un silence inquiétant, même pour Camélia. Le visage d'Eliott reste tendu et sa mine ne laisse en aucun cas suggérer une envie de discuter. Elle n'a rien fait de mal, elle le sait. En tout cas, elle pense, mais elle ne veut pas rajouter à sa mauvaise humeur par sa maladresse.

Quand ils arrivent devant chez elle, Eliott descend avec elle pour l'escorter jusqu'au bout. Sa nounou vient à leur rencontre, mais il lui demande de leur laisser quelques minutes de plus. Elle accepte et s'éloigne un peu pour leur laisser de l'intimité.

- Je suis sincèrement désolé, que cette soirée se soit aussi mal terminée. Lana a été plus que grossière envers toi. Je veillerai personnellement à ce que cela ne se reproduise plus. Il se tait un instant. Mon départ a été avancé, je repars demain soir. C'est donc la dernière fois que nous nous voyons avant l'année prochaine. J'ai beaucoup apprécié ces moments partagés.

- Moi également.

- Tant mieux alors. Tu es encore juvénile Camélia. J'espère que mes propos ne te vexeront pas. Ce n'est pas le but. Il sort une boîte de sa poche, avant de la lui tendre. À l'intérieur se trouve une bague de promesse. Promesse que dans 5 ans, nous nous fiancerons et qu'à tes 20 ans, nous nous marierons.

- Cela veut dire que nous sortons ensemble ?

- Non... C'est une union de famille. Pas d'individus pour le moment. Ou peut-être jamais. Il essaie d'être honnête sans trop casser l'ambiance. Tu connais mon numéro, tu peux m'écrire à tout moment et j'essayerai de te répondre au maximum. Je ne veux pas restreindre tes choix en te disant de m'attendre. Je veux que tu vives une adolescence normale sans te préoccuper de ce soi-disant engagement. Quand tu auras 17 ans, nous reparlerons des conditions si tu es toujours partante.

Elle ne sait pas quoi penser de ces propos. Est-ce qu'il a repoussé leur engagement volontairement d'un an ? Est-ce à cause de l'intervention de cette Lana ? Elle sait déjà qu'il veut dire qu'il peut aller voir ailleurs s'il le souhaite. Qu'elle aussi, mais elle ne veut pas être avec un autre que lui. Il l'embrasse sur le front tendrement avant de repartir.

Fin du Flash-back

Quand je suis rentrée chez moi ce jour-là et que j’ai montré la bague de promesse à ma mère, cette dernière était extatique. Moi, un peu déçue de la fin de cette entrevue. Par la suite, j'ai commencé les cours dans un pensionnat privé de filles de familles richissimes. Ma mère avait toujours espéré me voir intégrer une telle école. Son rêve se réalisait. Sûrement pas grâce à elle, car je savais déjà à l'époque que nous n'en avions pas les moyens. Ma mère aimait me dire que notre nom et notre réputation étaient nos plus grandes armes, mais je savais aussi que l'argent avait encore plus d'importance. Et que nous manquions de cela particulièrement.

Tous les 2 ou 3 mois, j'allais saluer ma "belle-mère". Elle restait bien silencieuse les premières fois et me fixait sans émotion dans le regard. Je ne savais pas à quoi elle pensait à ces moments-là. Mes premiers résultats n'ont pas été les meilleurs, j'avais du retard à compenser n'ayant jamais été scolarisée ailleurs qu'à la maison. Ma mère me faisait suivre des cours précis. Elle voulait me perfectionner dans des notions pour être une bonne épouse et une bonne mère. Elle voulait que je trouve un mari, pas un métier. Elle s'en foutait que je sois autonome ou pas. Pour elle, je pouvais bien me laisser entretenir par mon homme. Et dans cette optique, je devais en chercher un richissime pour qu'il puisse également s'occuper de mes sœurs et d'elle.

Quand mes résultats plutôt moyens sont revenus à l'oreille de ma belle-mère ou future belle-mère, elle n'a pas du tout apprécié. Elle a demandé à ce que je vienne la voir. La boule au ventre, je n'oublierai jamais cette rencontre.

Flash-back

Ses résultats ne s'améliorent pas en dépit de ses efforts. Sa mère est devenue exécrable et redevenue violente avec elle. La voilà convoquée à nouveau à la maison familiale d'Eliott. La première fois qu'elle est venue, comme à chaque fois depuis ce jour-là, le luxe et la grandeur des lieux l'époustouflent. Il n'y a pas à dire, ils ont définitivement les moyens. Le majordome vient la chercher à l'entrée quand la voiture spécialement déplacée par sa belle-mère s'arrête. Elle descend toute nerveuse. Sa mère a voulu venir, mais le garde et le chauffeur ont été clairs, il n'y a qu'elle qui est conviée à la maison et personne d'autres. Le majordome la guide jusqu'à un salon donnant sur le jardin. Il lui demande de prendre place pendant qu'il va chercher la maîtresse de maison. Camélia ne peut s'empêcher d'admirer les tableaux, les tapis, les ornements de la pièce. Toute la maison transpire le luxe et l'abondance. Même plus que cela, elle transpire l'excès et l'arrogance. Elle ne se sent pas à l'aise. Elle se demande comment quelqu'un d'aussi gentil et simple qu'Eliott a pu bien vivre ici. Même les domestiques sont hautains.

Ses pensées sont interrompues par l'arrivée de sa belle-mère. Toujours aussi hautaine et glaciale que d'habitude. Camélia se lève pour la saluer poliment. Elle la snobe du regard avant de s'assoir en face d'elle.

- Tu peux prendre place, elle lui dit négligemment de la main. Camélia se rassoit sur le fauteuil, en tentant de maîtriser un léger gémissement de douleur. Les endroits de son corps qui ont subi le traitement de sa mère, lui font encore assez mal. J'ai reçu tes résultats. Ils ne sont clairement pas assez bons, jeune fille.