Chapitre 2
Camélia se cache toute nerveuse. Le silence d'Eliott la rend toute tremblante. Elle tient ses mains entre elles. Elle se rend compte qu'elle a vraiment merdé. Il doit être furax contre elle. Sa mère lui avait pourtant dit de ne pas l'embarrasser, de ne pas le faire fuir. Ce sera sûrement leur dernier rendez-vous. Elle a tout foutu en l'air.
- Camélia...
Elle n'arrive pas à lever la tête. Il prend son menton dans une de ses mains. Il relève sa tête et leurs regards se croisent. Il essuie une des larmes qui perle sur son visage.
- Je suis désolée... Je ne voulais pas vous faire honte de la sorte.
- Je t'ai déjà dit de ne pas me vouvoyer, il lui dit d'un ton à la limite du reproche. Il soupire discrètement. Explique-moi ce qui s'est passé...
- Je me suis rendue compte que personne ne nous prendrait jamais au sérieux. Je dois sûrement paraître aux yeux de tous uniquement pour votre... pour ta petite sœur. Comme aux yeux de ce serveur.
- J'adorerai avoir une aussi mignonne petite sœur, il lui dit pour la consoler. Ma petite sœur est une vraie peste, il lui apprend par la même occasion. Ce qui la fait se détendre et rigoler un peu. Je suis désolé que tu l'aies vécue de la sorte. Je ne voulais pas le rectifier parce que je n'étais pas sûr du titre de notre relation. Il va se passer encore une dizaine de mois avant que nous ne nous revoyions et comme je te l'ai dit, c'est un mariage arrangé qui nous unirait. Tu n'as que 12 ans, Camélia. Je ne veux pas t'enfermer dans un titre. Je ne veux pas que notre relation te pèse dessus. Surtout que tu ne m'as pas dit si tu souhaitais poursuivre ou non, cet arrangement. Je t'ai dit le premier jour que je ne te forcerai en rien.
- Moi, je veux bien continuer à vous connaître, elle dit d'une petite voix.
- Tu m'en vois ravi dans ce cas. Tu es tellement mignonne, il lui dit avant de poser ses lèvres sur son front affectueusement. Il est encore temps pour l'activité que j'ai prévue, il lui dit en regardant sa montre. Après allons nous restaurer ailleurs et cette fois-ci, je veillerai à corriger les malotrus qui osent te prendre pour ma petite sœur.
Elle rigole de son ton plein de malice. Elle se sent soulagée par leur discussion. Il veut d'elle. Elle ne l'a pas fait fuir. Il la trouve belle. Il lui propose de retourner à l'intérieur. Son garde lui conseille de porter des lunettes et une écharpe pour éviter d'être reconnu, vu que le centre commercial se remplit rapidement. Camélia voit bien qu'Eliott semble embêté par la situation, mais n'a pas d'autres choix que d'obtempérer. Ainsi paré, elle éclate de rire.
- Je suis si moche que cela ?
- Non pas réellement. Juste que ça change de te voir tout le temps apprêté. Eliott sourit, au moment où elle réalise, qu'elle a moins de mal à le tutoyer maintenant. Elle se sent plus à l'aise. C'est vrai que tu attirais déjà les regards tout à l'heure.
- C'est épuisant d'être avec moi n'est-ce pas ? Je suis désolé de t'imposer un tel traitement, lui dit-il en faisant référence du regard aux gardes à proximité en habits de civils. Tu ne dois pas apprécier. Moi, je ne m'en rends même plus compte, je les ai constamment avec moi depuis mon enfance.
Elle n'imagine pas ce que cela doit être. Elle n'arrive pas à s'imaginer son enfance. Elle espère qu'il lui en parlera un peu plus dans le futur.
- Nous ne sortions pas trop, mes sœurs et moi depuis l'enfance. Les rares fois, nous étions accompagnées, mais ce n'est rien en comparaison. Il faudra que je m'y adapte.
- Tu t'imagines rester avec moi assez longtemps dans ce cas-là... Intéressant à savoir. Nous voilà arrivés, lui dit-il en arrivant devant le cinéma. Elle le regarde les yeux stupéfaits. Tu m'as bien dit que tu aimais les films sur les histoires d'amour. Alors, nous allons en voir un avant mon départ. J'ai décidé duquel, ça devrait te soulager d'un poids, il lui dit avant de lui faire un clin d'œil.
Assis dans la salle de cinéma, après s'être achetés du pop-corn et de quoi manger, Camélia se rend compte qu'ils sont seuls dans la salle.
- Quel genre de film as-tu choisi pour que personne ne vienne le voir ?
- Il est assez plébiscité au contraire du peu que j'ai vu sur internet. Il n'y a personne parce que j'ai réservé toutes les places de la salle pour que l'on soit tranquille, dit-il, comme si de rien n'était, avant de retirer ses lunettes et l'écharpe.
Camélia est sous le choc. Elle sait que sa famille a les moyens, mais elle n'arrive pas à croire à quel point. Elle comprend un peu mieux l'excitation de sa mère. Elle comprend aussi pourquoi le visage de sa mère se garnit d'un sourire particulier à chaque fois qu'il vient les voir. On dirait l'avènement de l'année. Sa mère le voit comme une porte de sortie. Elle se sent mal qu'elle veuille profiter de la sorte de lui.
Le film commence mettant fin aux pensées de Camélia. Elle se laisse emporter par le récit, tout en gardant un œil sur son partenaire de séance. Elle se dit qu'ils ne sont définitivement pas pareils. Il a uniquement pris une boisson caféinée, tandis qu'elle s'est lâchée sur le plus gros pot de pop-corn sucré, des bonbons et du soda. Rien de bien healthy. Elle imagine bien sa mère lui faire une remarque, lors de sa prochaine montée sur la balance, sur son poids qui risque d'augmenter. Elle est tellement stressée qu'elle picore à peine dans le pot.
- Est-ce que ça va ? Elle se tourne vers lui pour se rendre compte qu'il a subtilement changé de place. Avant, il y avait la nourriture entre eux. Il vient de prendre le siège à côté d'elle. Il lui prend la main et lui sourit. Elle détourne le regard, toute gênée. Elle répond un timide oui, avant de regarder furtivement le paquet de pop-corn. Elle n'a même pas pensé à lui en proposer. Il récupère le paquet et le place entre eux au niveau de l'accoudoir. Est-ce que c'est le fait d'être ici à deux qui te met mal à l'aise ? Elle n'a même pas pensé au fait que c'est la première fois qu'ils sont uniquement à deux. Sans garde, sans sa nounou, sans personne. Sinon, je demande aux gardes de venir nous rejoindre.
- Non c'est bon. Ce n'est pas cela, elle lui avoue d'une petite voix. Son regard sur elle semble lui demander la raison de son trouble. Ou plutôt l'une des nombreuses raisons de son trouble. Elle ne veut pas avouer que rien qu'être en sa présence la trouble énormément. Elle n'est pas encore prête pour cela. La nourriture...
- Tu n'aimes pas ? Il semble faire sincèrement faire un effort pour comprendre. On peut faire changer. Tu veux que je demande à ce que l'on t'apporte autre chose ?
- J'en ai pris beaucoup, elle finit par lui dire avant de regarder ses pieds.
La seule réponse qui lui parvient, c'est un rire, suivi d'un soupir de soulagement. Il regarde rapidement son café et semble comprendre le type de pensée de la jeune fille à ses côtés.
- Camélia, n'essaye pas de grandir plus vite que prévu. Ce n'est pas le but. C'est normal que tu manges à ta faim et selon tes envies en ma présence. Je n'aime pas les choses sucrées et j'ai passé la nuit à travailler c'est pour cela que j'ai pris un café pour ne pas m'endormir pendant notre moment à deux. J'aurais dû être plus attentif, je m'en excuse. Il prend quelques grains de popcorn qu'il met dans sa bouche. Qu'est-ce que je ne ferais pas pour toi, lui dit-il pour la taquiner, d'un ton outrageusement tragique. Ainsi, nous partageons le même pot et il n'y aura plus de culpabilité.
Camélia s'apaise en l'entendant parler et remange tranquillement sous le regard affectif d'Eliott. Il n'y touche plus, mais elle ne semble pas le remarquer. Elle se concentre sur le film. C'est un film d'amour. Elle aime ce genre d'histoire, elle a toujours voulu aller au cinéma. Non pas qu'elle n'en ait jamais regardé, mais sa mère refuse qu'elle sorte de chez eux. Elle pense que si ce n'était pas dû à la présence d'Eliott, elle ne lui aurait jamais permis de sortir. Sa nounou lui avait permis pendant une des longues absences de sa mère d'en regarder avec elle à la télé. Elle est contente qu'Eliott s'en soit souvenu. Cela la touche énormément.
La scène du baiser finit par arriver, cette scène qu'elle a toujours trouvée attirante, mais aussi dérangeante. Un paradoxe en son être qui s'accentue du fait de la présence de son partenaire à ses côtés. Elle se rappelle certaines paroles de sa mère sur la proximité. Elle lui avait dit de le laisser la toucher, le laisser s'approcher d'elle, de ne le repousser sous aucun prétexte. Que c'était normal pour un homme de son âge d'avoir ce genre de besoin, ce genre de désir. Camélia se demande si Eliott pense à ce genre de chose, s'il fait ce genre de chose, s'il s'imagine faire ce genre de chose avec elle.
En sentant son regard appuyé sur lui, Eliott tourne la tête vers elle. Ils sont soudainement bien trop proches pour que le cœur de Camélia ne s'emballe pas. Elle a l'impression que le temps ralentit. Elle le fixe, elle détaille les traits de son visage par cette soudaine proximité, comme jamais, elle ne l'a fait depuis qu'ils se connaissent. Il approche sa main de sa joue, elle ferme les yeux de nervosité. Elle attend. Elle attend. Sa main touche le coin gauche de ses lèvres, mais rien de plus. Elle rouvre les yeux pour se rendre compte qu'il s'est décalé à nouveau, mettant fin à leur brève proximité.
- Tu avais du sucre sur le coin de la lèvre, lui dit-il en lui montrant son doigt.
Camélia déglutit difficilement. Elle a eu l'impression d'être en apnée pendant ces quelques instants. Elle aimerait quitter la pièce pour avoir pensé qu'il se passerait quelque chose entre eux de plus physique, qu'il l'embrasserait. Comme dans tous les films qu'elle a regardés. Son premier baiser. Mais finalement rien. Il ne doit la voir que comme une petite sœur finalement. Après tout c'est une enfant. Alors que lui est déjà grand d'une certaine manière. La déception est plus que totale.