2 - L'invitation
Sémaphora :
Le cours de math se termine, nous n’avons échangé aucun mot. Je dois me rendre à l'évidence qu'il ne me trouve définitivement pas intéressante. Son mutisme est plus qu’agaçant.
Depuis ce matin, tout le monde parle que ce week-end, Débohah organise une fête. Les filles n'arrêtent pas de se donner des conseils sur la tenue à porter. Franchement, je ne suis pas invitée mais je n'ai pas envie d'y aller de toute manière. Je ne connais personne, qu’est-ce que je ferais là-bas ? Ma journée se déroule avec une série de cours pour la plupart ennuyeux. Tristan n’est pas venu aux classes suivantes, il leur donnait de l'intérêt. C’est dommage !
Enfin, la journée de cours s’achève ! Je me précipite vers le cimetière pour rendre visite à ma mère. Depuis que nous avions été obligés de déménager à Bordeaux, pour le travail de mon père, je n’ai eu aucune occasion d’y revenir. J'ai besoin de lui parler, bien que je me sente toujours honteuse à chaque fois parce que je lui ai ôté la vie. Elle me manque tellement, pourtant, je ne l'ai jamais vue. J’ai aperçu son portrait sur quelques photos que mon père possèdent. Elle était très belle. Je lui ressemble beaucoup, les mêmes cheveux bruns longs, les mêmes yeux noisettes. J'aurais aimé la connaître et découvrir la vie de jeune fille, puis jeune femme avec ses conseils. Je soupire, les médecins qui m'ont suivie ont tous expliqué à mon père que l'absence de ma mère pouvait me rendre agressive. Je n’en crois pas un mot, elle me rend plutôt nostalgique de ce qui aurait pu exister.
Mon cœur est lourd de reproches. Je fixe sa tombe, je ne perçois que la froideur du marbre. Je ne suis pas en mesure de me souvenir d’une odeur lui étant propre. Je serre mes lèvres pour retenir mes larmes de culpabilité. J’ai des nausées, cette culpabilité pèse plus lourd sur ma conscience, aujourd’hui. Je me sens très faible, proche de l’évanouissement. Des larmes coulent sur mes joues. Mon chagrin surgit en dépit de mes protestations. Pourquoi, je réagis de cette manière ? Je me sens tellement faible et malheureuse. Je ne me suis jamais effondrée, auparavant. C’est comme si mes émotions étaient décuplées, ça fait mal dans mon corps, ma tête, et mon cœur. Je crois que je vais m'évanouir sous le coup de la douleur. Mon estomac se contracte, et, ma tête tourne. Mes jambes ne peuvent plus me soutenir, je me vois m’écrouler lentement en perdant connaissance.
Je reviens à moi, je réalise que je ne suis pas allongée sur le sol humide. Je frissonne, un courant froid se propage sur mes bras et mon dos. Ce froid qui envahit petit à petit mon corps est désagréable. J'ouvre les yeux et je découvre Tristan penché sur moi. Il me retient dans ses bras, un genou posé au sol. Il me redresse délicatement, et, l’espace de temps nécessaire pour que je trouve mon équilibre, il a disparu. Encore ! Il m'agace à agir ainsi. Je n’ai pas eu le temps de le remercier, ni apaiser la curiosité de connaître les raisons de sa présence dans ce cimetière.
Je fais face avec embarras à la tombe de ma mère, et je lui parle de ma vie, de mes nouvelles émotions. Je finis par lui dire avec des larmes et des trémolos dans la voix, qu'elle me manque et combien j’aimerais qu’elle soit près de moi. Surtout en ce moment, où je me pose beaucoup de questions sur moi-même.
Mon père rentre tard du travail, comme d'habitude. J'ai mangé seule, il grignote. Je trouve que mon père ne mange pas beaucoup, mais je suppose qu'il doit prendre des en-cas au bureau. Il range son manteau et vient s'asseoir à côté de moi sur le canapé. J'essaie de m'intéresser à une émission de télé-réalité, sans trop de succès. Je n’apprécie pas du tout. Je demande à mon père :
"- Tu as eu une journée agréable ? »
- « Oui. Mais, j'ai eu une journée chargée en travail. Et toi, qu'as-tu fais ? » Me questionne-t-il
- « Je me suis rendue au cimentière sur la tombe de maman. Je voulais lui parler mais j'ai eu comme un malaise, quelqu'un m'a empêché de tomber sur le sol. C’est très étrange parce que je n’avais pas remarqué la présence de qui que ce soit avant de m’évanouir. Il m’a secourue et, je lui en suis très reconnaissance. Je n'ai même pas eu le temps de le remercier qu'il était déjà parti ! Il est très mystérieux et inquiétant !». J'explique à mon père qui me regarde en se tendant.
J’ai remarqué son air soucieux. La panique qu’il maîtrise pour ne pas m’effrayer, est tout de même très visible. Parfois, j’ai l’impression que mon père fui quelque chose ou quelqu’un. Et ce soir, je ressens encore cette sensation.
« - «Je pense que tu devrais éviter le cimetière car cela semble dangereux. Tu ne connais pas cette personne, tu ne sais pas s'il avait de bonnes ou de mauvaises intentions. » Affirme mon père pour cacher son trouble.
« - Non, en fait il est dans ma classe. Je suis assise à côté de lui en chimie et math. Mais, il est très étonnant. Il ne parle à personne, ne s’investit dans rien. Il s’isole de nous tous, c’est comme s’il ne faisait pas partie de notre groupe. Je le trouve également effrayant. Je ne comprends pas qu’il soit aussi distant et froid avec nous. La solitude semble lui convenir. » Je renseigne mon père qui m’écoute en fronçant les sourcils. Il est de plus en plus étrange.
« - Sémaphora, je ne veux pas que tu te rapproches de ce garçon. Il t’impressionne, tu devrais l’éviter ! » S'inquiète mon père.
« - Mais, mais.....Pourquoi ? » Je l'interroge.
« - Parce-que je te le demande, point final." Conclut mon père.
Son ton autoritaire et son manque de maîtrise me surprennent. Pourquoi m'ordonne-t-il de ne pas me rapprocher de Tristan ? Mon père est devenu de plus en plus méfiant au fur et à mesure de notre conversation. Il semble préoccupé.
Je regagne ma chambre. Qu’est-ce qui a contrarié mon père ? Puis, je me sens épuisée, je veux dormir. Je ferme les yeux, et le sommeil m’emporte immédiatement.
Je suis au cimetière pour rencontrer ma mère et me confier à elle. Je suis malade, je m’évanouis. Quelqu’un me retient, c’est Tristan. Je lui souris, il me contemple, le visage et le regard froids. Je suis dans ses bras. Il penche son visage vers le mien, et dépose un baiser sur mes lèvres. Je suis conquise.
Je me réveille brusquement. C’était quoi cela ? Je suis ridicule, je n’ai pas de raisons de rêver de lui ! Je tape sur ma tête, je m’en défends. Il ne le mérite pas. Me reviennent en mémoire les recommandations de mon père de l’éviter. De toute manière, il ne s’intéresse à personne, donc, ce n’est pas difficile de respecter sa volonté.
En cours de chimie, il reste une place libre à côté de moi, celle de Tristan. Mais, il ne se présente pas. Je patiente jusqu’au cours de Math afin de pouvoir le remercier pour m’avoir retenue. A midi, cette fille qui s'appelle Déborah, me retient par le bras, et me demande :
"- J'aimerais que tu viennes à ma soirée, samedi. Tous les garçons de la classe ont accepté de venir, même Tristan ! »Me renseigne-t-elle.
« - Oui, je viendrais. Il y a un thème ? » Je demande plus par politesse car mon esprit est déjà parti ailleurs, vers Tristan qui sera présent.
« - Le thème est le raffinement et l’élégance, comme une robe de soirée, par exemple ! Mais, tu as un cavalier pour la soirée ? » Me demande-t-elle.
« - Non, c'est un peu tard pour en trouver un, maintenant, mais je peux venir seule ? » Je lui propose en l'interrogeant.
« - Oui." Me dit-elle.
Je ne voulais pas y aller, mais elle a dit la phrase magique. "Tristan y sera !" C'est l'occasion pour moi de l'approcher. Et soudain, je pense. Et s'il vient en compagnie d’une petite amie ? Je chasse, immédiatement, cette idée de ma tête. Maintenant, je ne pense plus qu’à samedi. Tristan est revenu quelque fois en cours, mais jamais pendant ceux où il est assis à mes côtés. Je me renferme dans mon désespoir. Je suis un peu en colère contre lui. Mais, je n’ai aucune envie de revivre la situation d’avant. Je ne veux plus me sentir humiliée et rejetée.
La soirée ! Mmm ! Je suis totalement perdue pour choisir la tenue adéquate. C'est dans des moments comme celui-ci que l'absence de ma mère est pesante.
Devant mon indécision, la vendeuse du magasin de robe de soirée, très gentille, me vient en aide. Elle me conseille pour la robe idéale. Finalement, je sors ravie du magasin, et comblée par mon achat. J'avoue que je ne me reconnais pas dans cette jolie robe. Je serre les poings avec conviction, je suis prête pour affronter Tristan et tout son univers mystérieux.
Je n'ai pas dit mon dernier mot pour le séduire samedi soir.