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Chapitre 04

Chapitre 4.

Je m’étais toujours fixée comme objectif de ne pas tomber enceinte avant la fin de mes études ou du moins pas avant ma dernière année sur le banc de l’école. Je m’étais encore plus accrochée à cet objectif après mon arrivée en France. Un bébé actuellement reviendrait à me tirer une balle dans la jambe. Je n’ai ni le temps, ni les moyens d’accueillir un mini nous actuellement. N’empêche que le départ de ce petit être me fait mal.

Ajouter à cela le rêve fait peu avant, je suis vraiment mal. Comment ils peuvent savoir que je suis enceinte avant moi ? Pourquoi ? Je suis ravie que cette grossesse ne soit plus, je n’en voulais pas à la base. Mais pas comme ça.

Ryan ne sait pas encore ce qui s’est passé, que j’avais été avertie en rêve. Pour lui on a simplement perdu notre bébé comme plusieurs personnes chaque jours sur la terre. Je ne sais pas comment lui dire. Comment aborder le sujet. Alors la vie poursuit simplement son cours. Je n’ai aucun problème, nous sommes jeunes, nous en auront d’autres. Par contre, à ma maman, je dois lui dire.

- Tu as reconnu la voix de la personne ?

- Non. Ni sa voix, ni son visage.

- Essaie de te souvenir. Il y avait sûrement un détail. Sa corpulence, une odeur, ses vêtements, ses cheveux.

- Elle était vêtue de noir, une grosse robe et comme une cap. Son visage était vide, complètement noir.

- S’ils ne peuvent pas m’atteindre, ils passeront par toi. Ne t’affaiblis pas Mayite. Le combat ne s’arrêtera que dans la tombe et même encore.

- J’ai peur maman. Je ne savais même pas que j’étais enceinte.

- Tu ne dois pas car tu es plus forte qu’eux. Tu as la plus grande armée qui combat avec toi, pour toi. Par contre comment tu peux prendre une grossesse non désirée en plein vingt-et-unième siècle ?

- J’ai eu une période compliquée. je réponds honteuse.

- Ce n’est pas une raison. Tu dois être responsable face à ce genre de choses Mayite. Tu ne peux pas te permettre une grossesse dans cette situation. Tu sais combien coûte la nounou là-bas ? Le combat pour avoir une place en garderie ? Comment tu fais avec tes études ? Et si Ryan se désengage ?

- Ryan ne ferait jamais ça.

- Parce que tu crois que j’aurais un jour pu penser que Stéphane allait se désengager de ses enfants ? Mais la réalité est là pourtant.

Ryan n’est pas mon père. C’est vraiment deux personnes diamétralement opposées. Mais je grave les paroles de ma mère dans un coin de ma tête. On se garde au téléphone pendant presque deux heures. Ma mère c’est mon meilleur remède, quelque soit le maux. Ma meilleure amie, ma conseillère.

Je fais la cuisine avec elle au téléphone, riant à gorge déployée jusqu’au retour de Ryan. Je nous sers dans des plateaux et on mange devant la télé.

- Ryan ? Imagine j’avais mené cette grossesse à son terme. Comment ça allait se passer ?

- Je ne sais pas. J’aurai trouvé une solution.

- Tu ne me demandes pas comment c’est arrivé ?

- Je sais comment on fait des bébés Mayite.

- Oui mais je t’ai dit que je faisais attention et tout.

- Le seul moyen sûr d’éviter une grossesse est de garder son pénis dans son pantalon. Donc la question du comment n’a pas sa place ici. Si tu avais décidé de garder cette grossesse j’aurais pris mes responsabilités.

- Ça n’aurait pas été lourd pour toi ?

- Voilà pourquoi on dit de laisser les choses des grands aux grands. il ironise. Mais plus sérieusement, je ne suis pas prêt. Là tout de suite je ne veux pas d’enfants, mais je ne ressemblerai jamais à mon père. Qu’importe la situation, je ferai toujours le maximum pour mes gosses.

Je ne sais pas quoi répondre à cela alors je replonge mon nez dans mon assiette.

- Au moins on sait qu’on n’est pas stérile. Ryan ajoute en me poussant avec son épaule.

Je ne rigole pas à sa blague. Mon esprit est perturbé et ma conscience me reproche de lui cacher cette information. Après tout, ça le concerne aussi. C’était son bébé autant que le mien. Et si ça se reproduit ?

- Il faut que je te dise quelque chose.

Devant l’expression sérieuse de mon visage, il pose ses couverts et se concentre sur mes lèvres. Je lui raconte la vision que j’ai eu trois jours avant la fausse couche et mon ressenti par rapport à cela. Il reste silencieux à la fin de mon récit, la tête baissée. Ryan est conscient qu’il y a Dieu d’un côté, les démons de l’autre et les hommes au milieu. Seulement, c’est le genre à d’abord chercher une explication rationnelle face à un phénomène avant d’accuser le « spirituel ». Mais là je ne savais pas que j’étais enceinte donc il ne peut pas dire que c’est le stress ou la peur ou je ne sais quelle autre excuse. Pour une fois, il ne sait pas quoi répondre.

Il fait de moins en moins froid. Le printemps s’installe doucement mais sûrement. La vie poursuit son cours avec son lot de tracasseries. On s’accroche comme on peut, on ne perd pas de vue nos objectifs. Bien au contraire, on s’en fait de nouveaux. Depuis un moment, on parle énormément de mariage Ryan et moi. Il n’y a pas eu de demande, mais on en parle. Il me pose des questions sur le sujet, sur comment ça se passe chez nous, etc. Et je réalise que chez ma mère comme chez mon père, du moins dans leurs maisons directes respectives, personne ne s’est jamais mariés à part mes parents. Je n’ai jamais assisté à un mariage coutumier. Moi une gabonaise cent pour cent. Les mariages où maman se rendaient étaient ceux de ses amis, collègues, etc. jamais dans la famille. Ou alors c’était des cousins ou cousines que je ne connaissais pas forcément. Mais des enfants de mes quatre grands-parents, sept au total, il n’y a que mes parents qui se sont mariés pour divorcer après. Je ne manque pas de souligner le fait pendant le prochain appel téléphonique avec ma mère.

- Ah Mayite ! C’est bien que tu fasses le constat. La raison du comment du pourquoi, je ne la sais pas. Moi-même divorcée, ma mère divorcée mais de ma grand-mère à aussi loin que je me souvienne, personne n’a divorcé. Et toi ma fille tu ne divorceras pas. Tu n’auras pas un mari comme ton père ou ton grand-père.

- Amen maman !

- C’est pour ça qu’il faut maintenant ouvrir les yeux et regarder Ryan comme un futur père de famille, futur mari. Beaucoup de femmes n’ont pas pris la peine d’étudier réellement leur partenaire avant le mariage, c’est à elles que le mariage a recouvré la vue.

- Comment on reconnaît un bon futur mari ?

- Ça dépend de ta vision de la vie de famille. Il faut d’abord que tu saches ce que tu attends du mariage, de ton mari. Il n’y a pas une seule définition d’un bon mari ou d’une bonne femme.

- Je vois.

- L’année prochaine sera ta dernière sur les bancs de l’école, tu voudras surement ton bébé ensuite. C’est le moment de voir, dans les plus petits gestes du quotidien, si Ryan sera un bon père. Un papa responsable, impliqué dans tous les domaines de la vie de son enfant. On ne parle pas uniquement d’argent. Est-ce qu’il est disposé à donner de son temps, de ses nuits de sommeil, de sa présence, etc. ? Ma chérie prend le temps de bien observer, le diable se cache dans les détails. Des petits gestes, des petits mots.

- Et toi ? De ce que tu sais de Ryan, est-ce qu’il sera un bon père et un bon mari ?

- J’aime beaucoup ce garçon et ça serait une fierté pour moi que cette relation aboutisse au mariage. Mais Ryan a encore beaucoup de petits manquements. Il est encore jeune, peut-être que ça changera, peut-être pas. Peut-être que ce que je vois comme un manquement ne te dérangera pas toi. Mayite c’est à toi de prendre cette décision. Seulement rassure-toi d’être vraiment en état de le faire. Rassure-toi d’avoir analysé sobrement tous les paramètres, les tenants et aboutissants. Ok ?

- Oui mamounette.

- Et toi aussi tu dois faire un travail sur toi. Te rapprocher de l’autre et essayer de comprendre sa vision de la vie de famille, de la vie de couple. Le couple c’est deux personnes qui font des efforts pour vivre ensemble.

- J’ai parfois l’impression que c’est toujours à moi de faire des efforts.

- Si tu lui demandes il te dira la même chose ma petite chérie.

Plus la conversation avance et plus je réalise que maman ne me voit plus comme un bébé. Comme une petite fille. Oui elle savait que je sortais avec Ryan même si elle était contre. Elle laissait parce qu’elle sait d’expérience que rien ne peut empêcher deux ados de vivre leur amour s’ils le veulent vraiment. Elle n’était pas avec moi H24 pour me surveiller, j’aurais trouvé le moyen de continuer ma relation avec lui. Par contre tolérer ne veut pas dire être d’accord. Même si elle me savait en couple, jusqu’à mon bac on n'avait jamais eu de discussion sur les garçons ou les relations amoureuses. Aller pleurer chez elle parce que Ryan a fait ci ou ça, ou aller prendre des conseils chez Lucrèce BENDOME par rapport à mon couple… une folie qui ne pouvait même pas traverser mon esprit.

Quand je suis allée au Maroc, on a commencé à avoir ce genre de discussion et aujourd’hui je peux ouvertement lui parler de mes problèmes. Les parents ne sont pas nos ennemis, c’est juste qu’il y a un temps pour chaque chose. Brûler les étapes peut avoir des conséquences et ce sont ces conséquences la qu’ils veulent éviter. Certaines sont malheureusement irréversibles. Quoi que l’on puisse dire où faire, jeunesse se fera.

- En parlant de mariage et divorce, maman poursuit. Je vais aller rendre à ton père sa dot.

- Oh ! Pourquoi ?

- La mariage coutumier est l’union de deux familles, sur la terre comme dans les cieux Mayite. On va en reparler lorsqu’on se reverra.

- Tu vas te remarier ?

- Pourquoi pas ? Je vois quelqu’un qui m’a l’air sérieux. A voir.

Je saute de joie et me mets à crier dans l’appartement comme une folle. Je veux absolument tout savoir. Qui il est, ce qu’il fait, combien d’enfants il a. Absolument tout. Avant que je ne réalise, ça faisait un peu plus de deux heures qu’on était au téléphone. Ce sont les allés et retours incessants de Ryan qui m’ont fait réaliser qu’on avait mis du temps au téléphone. Je mets alors un terme à la conversation.

- Les inconvénients de WhatsApp. Ryan me lance.

Je veux lui répondre mais mon téléphone sonne de nouveau. Cette fois c’est maman Lou. Ryan se plaint toujours que sa mère m’appelle plus qu’elle ne l’appelle lui, qu’on met des heures au téléphone. Mais quand elle l’appelle il n’a rien à lui dire. La pauvre appelle parce qu’elle veut fuir la solitude et lui répond à chaque fois comme quelqu’un qui est pressé de raccrocher. Alors elle m’appelle moi et on parle de tout et rien mais très rarement de ma relation avec Ryan. Elle ne pose pas de questions sur notre vie et je ne lui donne pas aussi trop de détails. C’est notre vie privée. Si Ryan veut l’informer de quoi que ce soit, il le fera lui-même.

Je vais prendre l’appel sur le balcon et Monsieur me suit.

- Lou bonsoir quand même. C’est ton fils. Ton unique enfant.

Elle éclate de rire et me demande de la mettre sous haut-parleur.

- Bonsoir mon amour de fils. Mon rayon de soleil, ma joie de vivre, ma raison d’être sur terre.

- J’ai l’impression ici que c’est Mayite ta fille et moi ton beau-fils. Tu l’appelles au moins une fois par semaine. Pour te parler elle vient sur le balcon. Moi rien.

- J’allais t’appeler mon trésor. Maman Lou continue de se moquer.

- N’appelle même plus, au revoir !

- Oh tu te fâches ? elle demande pliée de rire.

- Il est parti, je lui réponds.

- Laisse-le là-bas.

La conversation dure à peine une demi heure. Je retourne à l’intérieur car j’ai du repassage à faire. Ryan est toujours dans son fauteuil fétiche manettes en main. Puis il se lève et va dans la cuisine. Aux bruits et odeurs qui s’y échappent, je conclus qu’il prépare le dîner. Lorsque je finis ma tâche, je vais lui prêter main forte. Des petits moments de complicité, on en profite pour échanger sur plusieurs sujets.

Après le dîner on se penche sur nos cahiers et les recherches d’alternance pour l’année prochaine. Et comme deux étudiants conscients, on se met au lit tôt. Je prie à haute voix et il répond simplement « Amen » à la fin.

La sonnerie de mon téléphone me sort brusquement de mon sommeil. Il est 23h et c’est mon père. Mon être entier se met à trembler de peur. Cette crainte de recevoir un appel t’annonçant le départ d’un proche alors que tu es loin. Je décroche la peur au ventre, la voix tremblante.

- Oui allô ? je réponds d’une voix mal assurée.

- Mayite ! il hurle dans mon oreille.

- Oui papa.

- Ta mère m’a retiré mes droits sur vous ? Hein ? Je n’ai plus aucun droit sur mes enfants ?

Il m’appelle vraiment aussi tard pour ça ?

- Tu étais informée ?

- Non.

- Lucrèce veut me montrer quoi ? Lucrèce veut prouver quoi à qui ? J’ai chercher la dot de Lucrèce seul, sous la pluie sous le soleil. Je l’ai dotée devant Dieu, devant les hommes et devant nos ancêtres. C’est Lucrèce elle-même qui a décidé de partir du foyer. Je ne l’ai jamais chassée. Je mens ?

- Non.

- Maintenant c’est quoi la guerre qu’elle a commencé la ? C’est comment avec moi ? Tu trouves ça normal ?

- …

- Ah tu trouves ça normal ! Elle vous a déjà bien mangé le cerveau n’est-ce pas ? Mais je reste votre père. Qu’importe ce que les papiers des blancs disent, je t’ai reconnue à la coutume et tes frères sont nés dans le mariage. Rien ne pourra jamais changer ça et viendra le jour où je vais vous le prouver. Je ne vais pas courir après vous, des enfants j’en ai d’autres tu comprends ? Quatre avec ma femme actuelle. Je ne cherche pas les enfants. Ni la fille ni le garçon. Mais vous allez me chercher un jour, et ce jour je vous montrerai qu’un parent ne se remplace pas. Au revoir !

Je ne sais pas ce que cet homme me veut. Chez nous on fait très attention à nos paroles surtout la nuit. Il y a des conversations qu’une personne normale ne peut engager la nuit et il le sait. Qu’elle était l’urgence ? Qu’est-ce qui ne pouvait pas attendre le levé du jour ?

- Seigneur qu’est-ce que j’ai fait à ce Monsieur ? je demande en pleurant. Est-ce que je lui ai déjà manqué de respect ? Est-ce qu’il m’a déjà demandé de faire quelque chose et j’ai dit non ? C’est quoi ce comportement, cet acharnement ?

- Tu ne vas pas pleurer pour lui chérie. Tu sais qu’il ne le mérite pas.

- Toute une vie il va mettre le tort sur les autres. Maman nous mange le cerveau de quelle manière ? Ne sommes-nous pas assez grands pour constater son absence dans nos vies ?

- Mayite. Nous n’avons pas eu la chance comme les autres d’avoir des pères, mais nous avons des mamans exceptionnelles. Pourquoi ne pas se concentrer sur elles, sur comment les remercier et les rendre fières de nous ? Qu’est-ce que tes larmes changeront ? Rien du tout.

- Ça me fait mal.

- Je sais, mais il va falloir que tu apprennes à vivre avec. Tu dois te faire une raison. Un père normal peut appeler son enfant à pareille heure pour la faire pleurer ? C’est une heure pour parler d’un sujet pareil ? Ça prouve qu’il n’en a rien à foutre de toi alors tu devrais faire pareil. C’est ce que j’ai fait et aujourd’hui je ne m’en porte que mieux.

Je dois reconnaître qu’il dit vrai. Jusqu’à quand je vais pleurer pour cet homme ? Dans quel but ? Comme il l’a dit, qu’est-ce que ça changerait ? Absolument rien. Il nous a déjà remplacés comme il l’a si bien dit.

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