Chapitre 03
Chapitre 3.
Tout le mois de janvier j’ai été en jeûne. J’ai prié. Ma mère est tout pour moi, je ne sais pas ce que je deviendrai sans elle. Ce que mes frères deviendront sans elle. J’ai jeûné et prié tout un mois durant et comme Dieu est Dieu, il m’a révélé des choses cachées dans l’ombre. Les complots contre ma mère.
Tu vois des chinois accomplir de grandes choses, des indiens devenir importants dans le monde entier, mais jamais un africain. Dès que tu achètes une petite maison, on t’attaque. Ma mère n’est pas née avec une cuillère en or dans la bouche, tout ce qu’elle possède aujourd’hui elle s’est battue pour l’avoir. Sans grands diplômes, sans relation, elle devait se battre deux fois plus que les autres. Aujourd’hui on lui en veut. Parce qu’elle a été mariée, parce qu’elle a fait tous ses enfants avec un même homme, parce qu’elle a investi.
Il est presque 20h et je me dépêche de rentrer pour appeler maman. C’est l’heure à laquelle on prie tous ensemble. Ryan peut se joindre s’il veut mais en général il n’aime pas. Il écoute et dit « amen ». Je coupe mon jeûne avant d’appeler. C’est mon dernier jour.
- Je vais appeler maman pour la prière, tu viens ?
- Je suis en pleine partie.
Depuis la dispute, il a considérablement réduit les sorties et passe plus de temps à la maison. Surtout que les résultats scolaires ont été vraiment limites. Même si ça m’énerve de le voir scotché à ses manettes, je préfère le savoir en sécurité à la maison que dehors.
La prière dure environ une heure puis on se sépare. Je retrouve alors Ryan qui n’a pas bougé de son fauteuil.
- Ton jeûne finit aujourd’hui ?
- Oui.
- Tu as obtenu des réponses ?
- Pas celles que je voulais mais oui. Je ne rentrerai pas au Gabon après mes études.
- À ce point ?
- À ce point Ryan. Dès que j’ai une situation je fais monter ma famille.
- Ta mère va accepter ? Tout laisser là-bas pour venir se chercher ici.
- J’essaierai de la convaincre.
- Tu sais au moins que le sorcier n’a besoin ni de visa ni de billet d’avion ? Si quelqu’un veut s’en prendre à ta mère, il le fera qu’importe où elle se cache. Il n’y a que la protection spirituelle qui puisse la sauver.
Je reste dubitative sur ce point.
- Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose ou que c’est inutile. Je te montre certaines éventualités que tu aurais pu oublier. Ta maman a investi au Gabon, elle a des économies au Gabon, un bon boulot. Fière comme elle est, je ne la vois pas tout abandonner pour venir vivre aux crochets de sa fille en espérant qu’elle trouve du boulot rapidement.
- Ça pour être fière, elle est fière ma mère.
- Crois-moi que quand tu vois le sans-gêne de certaines personnes, c’est une qualité et non un défaut.
- Ouais. Bref, on va travailler un peu ?
- Déjà fait.
- Ok !
Je le laisse à son jeu et vais ouvrir mes cahiers. J’ai un plan de travail pour ne pas me retrouver saturée. Je sais en général la semaine à l’avance ce que je dois faire ainsi je reste organisée. Je travaille toujours dans un restaurant à mes heures creuses, c’est épuisant mais c’est tout ce que j’ai trouvé.
La collocation avec Ryan est à des années lumières de ce que j’avais imaginé. Le bel appartement, l’amour fou H24, les sorties en amoureux… Que du rêve ! Déjà financièrement c’est serré, mais en plus on n’a pas la même vision de la vie de couple. Alors je me suis résignée à vivre de mon côté. Qu’il sorte ou pas, je n’en fais plus une histoire. Je travaille et participe aux dépenses. Je sors avec mes condisciples de classe ou seule. Ça aussi c’est quelque chose que j’ai appris à faire : rester seule. Je vais au restaurant, faire du shopping, ou même mes courses seule. Lorsque je demandais à Ryan de m’accompagner, la réponse était toujours « plus tard ». Il avait toujours quelque chose à faire avant de trouver du temps pour moi. Alors j’ai décidé de ne plus lui demander et d’aller faire mes choses de mon côté.
Ryan n’est plus le centre de mon univers. Je ne fais plus mes choix en fonction de lui. Il m’arrive même de prendre des décisions qui je sais ne lui plairont pas. Lorsque je sors, je ne suis plus pressée de rentrer le retrouver car je ne sais pas s’il sera à la maison. Je suis déçue de cette expérience que j’avais un peu trop idéalisée.
Je me brosse les dents puis je vais me coucher. Ryan est toujours dans le salon, il viendra lorsqu’il le voudra. J’éteins la lumière et remonte la couverture jusqu’à la tête en me roulant en boule.
- Tu dors ?
- Presque.
Je l’entends retourner dans le salon tout éteindre puis venir se coucher après le brossage des dents. Il se place dans mon dos en cuillère sa main sur mon ventre.
- Tu es sûre que ça va ?
- Oui ça va.
- Tu as l’air différente.
- Différente comment ?
- Je ne sais pas. Par rapport à moi. C’est comme si tu me boudais. Lorsque je sortais ça créait des problèmes, maintenant je suis à la maison et tu m’évites.
- Je ne t’évite pas. Je m’épanouis comme je peux.
- C’est-à-dire ?
- Que je ne veux pas qu’on se chamaille tout le temps. Tu sais quand quelque chose me dérange, je te le dis toujours. Mais si tu ne veux pas faire un effort, je ne vais pas à chaque fois revenir dessus et en faire tout un plat. Tu m’as dit qu’on n’était pas siamois et que tu en avais marre de me voir…
- Je n’ai pas dit ça.
- Tu as dit qu’on se voit tous les jours depuis l’école primaire, qu’on se lève et se couche ensemble tous les jours. Que tu avais besoin d’espace, de voir d’autres visages. J’ai compris et je ne parle plus. Mais je ne vais pas rester ici à t’attendre. Je suis encore trop jeune pour ça.
- C’est pour ça que tu sors maintenant seule, tu fais tout seule ?
- Je sors seule parce que c’est frustrant de devoir quasiment te supplier pour que tu m’accompagnes quelque part. Tu dois toujours faire mille et une choses avant de m’accompagner même pour faire les courses de la maison. Je ne comprends pas ce que tu me reproches présentement.
- Je ne te reproche rien. Simplement que ma meilleure amie me manque. Cette distance qui s’installe entre nous me dérange.
Des larmes me montent soudain.
- Je suis un peu déçue de notre cohabitation.
Il resserre encore plus l’étreinte et me fait un bisou sur l’épaule. Le silence nous berce jusqu’au jour suivant. Un dimanche froid, un de ceux qui ne donnent pas envie de quitter son lit. Mais ma résolution de cette année était de reprendre le chemin de l’église donc je m’arme de courage et vais me préparer. Ryan dort. Il a entendu le réveil et sait que c’est pour l’église, mais il a choisi de continuer son sommeil. Ça veut dire que je dois y aller seule, et donc prendre les transports en commun.
- Il faudrait que tu passes ton permis. Je n’ai vraiment pas envie de sortir ce matin.
- Ne te dérange pas. Je sais que tu es fatigué, tu t’es couché tard hier.
Il ne m’écoute pas, il va se rincer la bouche avec du bain de bouche avant d’enfiler un manteau. Il me dépose devant le bâtiment de l’église et me demande de lui faire signe à la fin du culte. Un culte vivifiant sur l’amour selon Dieu.
A trente minutes de la fin, j’envoie un message à Ryan pour lui signifier qu’on a presque fini. Il vient me chercher et nous conduit à la Rue Princesse au « Coffee Parisien ». Je lui fais un résumé du culte pendant qu’on mange. Puis il va me laisser à la maison pour aller jouer au foot.
Je profite de son absence pour faire le ménage et appeler maman. On échange sur les différents enseignements reçus aujourd’hui à l’église puis je lui fais part de mon idée de les faire venir en France.
- Je comprends ton inquiétude mais ce n’est simplement pas possible. Je ne vais pas quitter la stabilité pour l’inconnu avec deux enfants.
- Mais si j’ai déjà un emploi stable ?
- Ton salaire sera pour ton mari et tes enfants. Tu pourras m’aider de temps en temps si tu veux et si tu peux. Mais je ne vais pas devenir un poids pour toi alors que j’ai mes deux mains et mes deux pieds. Toi qui es sur place, tu es mieux placée que moi pour dire que la vie là-bas est plus difficile qu’ici sur certains points.
- C’est vrai.
- Ici je peux assurer l’avenir de tes frères jusqu’à la licence s’ils sortent, sinon plus que le Master s’ils restent au Gabon. J’ai ma complémentaire retraite pour être tranquille plus tard, j’ai mon bout de pain quotidien assuré. Peut-être que là-bas je pourrais avoir plus, mais mieux vaut un tiens que deux tu l’auras.
- Si tu le dis.
- Je vais venir rester chez toi avec tes frères, et si je n’obtiens pas rapidement les papiers ? Il faut voir tout ça. Si j’étais seule et retraitée pourquoi pas. Mais je ne peux pas. Trouve ton travail tu vas seulement m’offrir les voyages.
Je m’attendais un peu à cette réaction. J’ai essayé d’insister mais au final c’est elle qui m’a convaincue de revenir sur ma décision. J’ai peur mais je dois mettre ma confiance en Dieu.
Je reçois un message de Ryan qui m’informe que nous sommes invités chez un de ses amis ce soir. Pourquoi un dimanche alors que demain on va à l’école ? Pourquoi le décider quelques heures seulement avant ? Et si je refus d’y aller on dira encore que je suis difficile, que je n’aime pas ses amis.
Pour ne pas y aller les mains vides, je fais une tarte au chocolat. Ça au moins j’y arrive. Je suis habillée, maquillée et ma tarte prête lorsque Ryan arrive. Il prend rapidement une douche et met des vêtements propres.
- On y va ?
- Je suis prête.
Il se charge du panier et moi de mon sac à main. Son ami est à quatre-vingt-dix minutes de route de la maison. En chemin, Ryan n’arrête pas de me complimenter. Il a ce petit sourire qui me dit que cette nuit sera longue. C’est satisfaisant de réaliser qu’on est toujours désirable aux yeux de son partenaire. Surtout après autant d’années.
Main dans la main, on se présente devant la porte de son ami que je ne connaissais pas il y a quelques secondes encore. C’est un rasta. Au Gabon, les rastas sont associés à Bob Marley et donc au chanvre. Les gabonais étiquettent beaucoup les gens en se basant sur l’apparence physique. L’habit ne fait pas le moine, mais c’est par l’habit qu’on reconnait la moine.
- Bonsoir, le rasta nous accueille avec un large sourire. Entrez, entrez.
Je passe devant Ryan toute intimidée. C’est un tout petit appartement mais bien rangé.
- Moi c’est Jacob.
- Mayite.
- Enchanté. Comment tu épelles ton prénom s’il te plaît ?
- M-A-Y-I-T-E. Ma-yite, mais se lit Mé-yite.
- Et ça vient d’où ? Parce que je connais Maïté mais Mayite pas du tout.
- C’est en fang, ça veut dire « je vaincrai », « je frapperai ».
- Cool !
Ils vivent à deux dans cet appartement. Jacob et sa copine Anaïs. Tous les deux martiniquais. Physiquement le jour et la nuit. Lui un peu négligé, grand et musclé. Elle très élégante, toute menue. La séparation se fait naturellement, Anaïs et moi nous retrouvons à discuter. Le courant passe immédiatement entre nous. Je l’aide à faire la table.
- La première fois que maman Lou m’a vu, elle m’a dit « c’est quoi cette tête » Jacob raconte. J’espère que toi non plus tu n’es pas choquée.
- Non. Parce que je sais ce que cette coiffure représente ailleurs.
- Mais les dreadlocks c’est africain non ? Anaïs demande.
- Quelque chose peut être normal à l’ouest de l’Afrique et choquante à l’est. Au Gabon je ne pense pas que ça soit dans notre culture sinon c’est que ça a disparu depuis le temps. Les dreadlocks ont été vulgarisés par les rastafaris qui ont la réputation de fumer de l’herbe. Le lien est vite fait.
- Ah je comprends mieux.
- C’est comme le tatouage est une tradition chez certains, une bêtise chez d’autres. La chaîne au pied ou les colliers des hanches un bijou pour certains, un signe de mauvaise vie chez d’autres.
- Voilà pourquoi c’est important de voyager, de fréquenter d’autres communautés. Ryan renchérit. Il y a des personnes, africains en tête de liste, qui pensent que l’Afrique est un village avec une seule tradition, une seule façon d’être et de faire.
C’est la première fois que Ryan a des fréquentations avec des conversations intéressantes, instructives. Anaïs et Jacob, je valide pour le moment. On passe une très belle soirée, une soirée enrichissante qu’on a dû écourter car le lendemain il fallait aller à l’école et au boulot.
De retour à l’appartement, Ryan se jette sur moi tel un animal affamé. On fait l’amour jusqu’à tomber de fatigue.
J’entends une voix de femme dans mon dos. Je me retourne, la cherche, mais ne vois personne. La voix se déplace et j’entends à peine ce qu’elle dit.
- Tu te crois enceinte ? Voici que tu as dans le ventre.
La femme apparaît devant moi. Sans visage, elle déroule une pelote de laine rouge. Une pelote qui sort d’entre mes cuisses. Je me réveille en sursaut tellement le rêve me paraît réel. Je m’adosse contre la tête du lit pour reprendre mes esprits. Je fais ma prière et me rendors.
Trois jours après le rêve étrange, je ressens des crampes au bas-ventre. Je me dis que ce sont les règles qui arrivent et vaque à mes occupations. Dans la journée, les douleurs s’intensifient m’empêchant même de suivre correctement mes cours. On va chercher Ryan pour qu’il me conduise à l’hôpital. En marchant jusqu’à la voiture je sens un liquide me couler sur les cuisses. Lorsque je regarde, mon jean est trompé, une énorme tâche va de mon entrejambe à mes genoux. Je touche le liquide et c’est du sang. Ma main est en trempée. Je pousse alors un cri d’effroi, ce qui alerte Ryan. On fonce droit à l’hôpital où j’apprends que j’ai fait une fausse couche. Alors même que je ne me savais pas enceinte.