3 - Le baiser du mal

SEMAPHORA :

Notre proximité est troublante. Il garde le silence, ce qui ne me dérange pas. D’ailleurs, je ne vois pas de quoi nous pouvons discuter ensemble. Nous ne nous connaissons pas du tout. Sa compagnie est dans le but de me rassurer. C’est largement suffisant. Je ne me vois pas lui reprocher son silence. L’idée de rentrer seule m’effrayait, sa présence à mes côtés est comme une bénédiction. Je ne vais, cependant, pas lui faire découvrir qu’il me sauve. J’ai ma fierté à sauvegarder.

Puis me reviennent en mémoire ses paroles. Le quartier est dangereux. Je le soupçonne de vouloir m’effrayer volontairement. Je n’oublie pas qui il fréquente. D’ailleurs, ma visite chez Sonia m’a fait un effet glaçant. D’abord sa mère avec sa poigne forte et froide, et l’autre dégénéré qui est son frère jumeau. Je ne comprends pas pourquoi, je me suis sentie aussi mal à l’aise dans cette maison. C’est comme s’ils avaient des secrets. Donc, je préfère rester dans l'ignorance, en fin de compte. 

Nous longeons les abords du château de Cheverny. Je m’arrête quelques secondes pour le contempler, il est impressionnant. Soudainement et inexplicablement, je me sens émue par cette vision. Je réalise que je ne connais que les boutiques de cette ville où j'habite. Il faudrait que je demande à mon amie de me faire visiter les environs. Profitant de ce moment d’égarement, Sauveur attrape ma main et me force à le suivre. A son contact je reçois une décharge électrique. Je retire immédiatement ma main, surprise. Il me fixe, le visage étonné. A -t-il ressenti la même décharge ? Il se frotte la main, puis il m’indique de le suivre en traversant la rue. Je dois être prudente, ce garçon il pourrait me retourner la tête et prendre mon cœur en otage. Il est séduisant et très mystérieux. Il m'intrigue, au même titre que Percée qui en dépit de sa mauvaise attitude à mon égard, reste un beau spécimen masculin.

Il est évident qu’ils sont totalement différents des autres. Tout le monde les craint, moins les filles parce qu’elles les trouvent beaux. Je ne sais pas comment engager la conversation avec lui. Il met tellement de distance entre nous. Son regard froid en stopperait plus d’un à se rapprocher de lui. Ses cheveux bruns mi-longs flottent légèrement au vent, et ses yeux noisette sont très séduisants. Je crois que je suis comme la plus commune de toutes les filles, je fonds littéralement devant son charme. Tout ce que je me suis interdit à San Francisco est en phase de se réaliser dans ma nouvelle école. Je ne voulais pas tomber amoureuse au lycée. Je me l’étais même totalement interdit. C’était avant de le rencontrer, lui.

Je distingue la maison de mes parents. Je me retourne vers lui pour le remercier. Il me salue et part, sans se retourner, sans un regard pour moi. Je suis déçue, mais c'est ainsi. Je ne lui fais aucun effet. Il est inaccessible, limite froid. Je rentre chez mes parents, mon père n'est pas là, c'est une habitude, et ma mère me toise du regard, elle prépare le dîner. Je monte dans ma chambre pour me vider la tête, et pour réfléchir à cette première journée de cours qui aura réservé son lot de surprises.

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Le lendemain matin, mon réveil est toujours aussi difficile. Je déteste ces BIP qui me sortent de mes rêves. J'en fais beaucoup. La plupart du temps, je rêve que je ne suis pas moi de cette manière, je suis un ange. Et je vis dans un autre monde. Ce sont de jolis rêves que je ne veux jamais quitter. Le matin m'arrache à cette plénitude tous les jours. Et je commence toutes mes journées contrariées. A l'exception d'aujourd'hui parce que je sais que je vais retrouver Sonia, et voir Sauveur.

Je prends le bus, et je descends à l'arrêt du lycée. Il y a beaucoup d'étudiants. Certains attendent devant les barrières que leurs amis arrivent, d'autres se précipitent à l'intérieur pour assister à leur premier cours. Je m'encourage à entrer. Je suis à nouveau bousculée, comme hier et par le même gars. Ce maudit Percée ! Il m'agace, celui-là ! Même s'il est le frère de Sonia, je vais avoir du mal à le supporter. Je le pousse à mon tour avant de remarquer Sauveur à côté de lui. Ils me regardent tous les deux étonnés par mon audace. Percée m'attrape par le bras, et m'emmène à l'écart, il me crie dessus :

"- Ne recommence jamais cela. Tu es l'amie de ma sœur, mais cela ne te donne aucun droit de te rebeller contre nous." 

Je n’en crois pas mes oreilles. Il me réprimande parce que je me défends de ces attaques.

"- Et cela ne te donne aucun droit d'être méchant avec moi à chaque fois que l'on se croise." Je lui réponds hors de moi.

Mais quel macho ! Il ne m'impressionne pas du tout. Tellement imbu de sa personne. Je le déteste !

"- Tu sais que tu me plais, j'aime les filles qui ont du caractère !" Il m'annonce, en déposant ses lèvres sur les miennes avant que je n'ai le temps de réagir.

Je le repousse et le gifle violemment. Ce qui semble ne lui fait aucun effet. C'est comme si je lui avais fait une caresse. Il attrape ma main, se rapproche de moi, ses lèvres sont très proches des miennes.

Et il me murmure :

"- Mmm ! Tu me frappes encore une fois, et je m'occupe de ton magnifique petit corps, ma belle. Ne me provoque pas, je te trouve très tentante. Tu vois ce que je veux dire. Quand tu me tiens tête, tu m'excites !" Il me balance en m'embrassant à nouveau. 

Or cette fois, il m'attrape dans ses bras, et m'embrasse avec désir. Un vrai baiser.  Je suis très perturbée par ce rapprochement que je qualifierais de très sexy. Il me relâche, je ne suis pas encore descendue de mon nuage. Il m’a décontenancée. Il a gagné cette manche, mais je n’ai pas dit mon dernier mot. 

Je me hais d’avoir aimé qu’il m’embrasse. Et je le hais lui également de me tenter. Il est difficile de lui résister. Quand il veut quelque chose, il y a comme une force attractive qui émane de lui, et qui vous entraîne vers ce qu'il veut. C'est surprenant comme sentiment. Je détourne mon regard de Percée, et j'observe Sauveur qui a suivi toute la scène. Il reste toujours bras croisés devant les attaques de son ami. Il est toujours aussi froid. Il m'énerve, en fait.

Je tourne les talons pour rejoindre ma classe, enfin notre classe parce que nous avons cours ensemble. Je m'éloigne d'eux le plus rapidement possible, je rentre dans la pièce, et je vais rejoindre Sonia que j'ai aperçue au fond à la même place qu'hier, à ma table. Je lui souris. Elle est heureuse de me voir, mais je sens dans son regard comme une ombre de tristesse. Je l'embrasse sur la joue, au même moment les deux super stars entrent, les yeux rivés sur nous deux. Quoi, j'ai le droit de dire bonjour à mon amie ! Ils ne remarquent pas les regards amoureux des autres filles de notre classe posés sur eux.

Je me concentre sur ma voisine pour échapper à leurs regards curieux. Je sors mes affaires, le professeur entre et le cours commence. Je touche mes lèvres, et je pense à nouveau au baiser de Percée. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il embrasse bien. Je l'observe discrètement, ses lèvres sont tentantes. Son baiser reste inoubliable. Et c'est très perturbant pour moi car je le déteste. On dirait qu’il m’a comme jeté un sort d’ensorcèlement. Je me sens étrangement attirée par lui depuis que nos bouches ont fait connaissance. Je pose à nouveau mes yeux sur ces lèvres, et je distingue que ses joues bougent. Il vient de sourire ? Il sait que je le regarde et que j’ai succombé à son baiser ? Il m’effraie autant qu’il m’agace. Je serre les poings de colère.

La prochaine fois, il ne pourra pas m’atteindre. Je serais préparé à ses petits coups en douce. Je prépare ma vengeance. Et si c’était moi qui le séduisais lors de notre prochaine rencontre ! Je suis décidée à lui faire regretter d’avoir jeté son dévolu sur moi.