Chapitre 5, 6
Je définirais le mot « Famille » comme toutes les personnes du même sang, ayant parfois le même ancêtre. C’est ce qui caractérisait bien la famille Danga. Ils étaient si nombreux que j’avais du mal à les identifier tous. Placide prenait toujours le temps de bien me situer par rapport à tel membre, oncle, cousin, tante et j’en passe. Son père lui-même était issu d’une grande famille, une dizaine de frères et sœurs et dont chacun pu avoir à son tour sa propre progéniture, et pas des moindres ! Je ne m'y retrouvais jamais et j’avais conclu que les Danga, famille paternelle de Placide pouvaient constituer à eux seuls plus de la moitié de toute une localité. Il suffisait juste qu’il fasse les présentations et qu’il m’explique le lien de parenté et cela suffisait amplement.
- Jaïda je t’ai déjà parlé de Constant ? Mon jeune oncle ?
- Non. C’est le frère de ton père ?
- Ah non ! C’est plutôt un cousin éloigné de mon père, mais on a grandi ensemble.
- Je vois.
Ou encore…
- Demain dimanche en allant manger chez ma mère, on aura une petite assise ; mes grandes nièces ont décidé de dilapider la fortune de leurs parents décédés l’année surpassée.
- Tes grandes nièces ? Hum ! Là je suis vraiment perdue.
- C’est simple ; ce sont les filles de mon grand cousin, le premier fils du frère aîné à mon père… tu vois non ?
- Je vois… sans voir.
Je les voyais tous, les uns les autres défiler à chaque fois, et c’est ainsi que j'ai pu comprendre ce que voulait dire le mot « famille », surtout chez nous en Afrique. Avec Priscilla je ne m’étais plus posé la question lorsqu’il me la présenta en tant que
« cousine », ce qui était tout à fait normal à mes yeux ; qu’elle soit cousine directe ou indirecte, je ne cherchais pas à savoir, encore moins lorsqu’il voulut me situer.
- Euh… en fait elle est du côté de…
- Laisse tomber, vous êtes déjà assez nombreux comme ça.
Priscilla à donc fait son apparition cet après-midi là, toute en beauté, et rien que l’expression du visage de toute la maisonnée démontrait bel et bien qu'elle faisait partie de la famille. Encore plus lorsque j’entendis tout le monde l’appeler par son petit nom, « Petite Fleur ». Je l’ai aussi acceptée comme tout le monde. Pour tous, elle était par-dessus les apparences, humaine, très sociable et avec le cœur sur la main, le bon samaritain en quelque sorte, qui du jour au lendemain, avait gravi les échelons dans la société par des moyens que tout le monde ignorait, y compris moi. Elle nous aveuglait tous et nous ne jurions que par elle. Le visage de Placide s'était illuminé, le mien aussi. Il a fait les présentations avec un naturel sans pareil. Elle me fit un de ces grands sourires un peu forcés je dirai, et une bise sur la joue avant de me la caresser de sa main toute parfumée, ce qui a fini par me détendre au point de l'apprécier à l'immédiat.
- Ooooh ! C’est donc toi Jaïda la femme de mon frère ? Il me parle tout le temps de toi. Ravie de faire ta connaissance.
- Moi de même, j’entends aussi parler tout le temps de toi et de tout ce que tu fais.
- Tu sais la famille c’est sacrée hein ! Alors quand on peut, il faut savoir la ménager. N’est-ce pas mon Pla-Pla ?
- Pla-Pla ?
- Ahhahah ! J’aime l’appeler comme ça ton mec.
- Il ne m’a jamais dit ça.
- Ne t’en fais pas il y a un temps pour tout. Je l’appelle comme ça depuis qu’on bosse ensemble.
A cette époque-là, nous étions tous à ses pieds. Je ne voyais rien. Je venais de commencer à bosser dans un grand cabinet d’avocats réputé de la ville, grâce à qui ? Priscilla ! Placide avait pu être confirmé six mois après, et il fut promu à un poste
plus prestigieux. Il avait la côte, et ce grâce aux bons soins de cette chère Priscilla. Fini le temps de la dèche et de la galère, finie la vie au campus dans ce studio devenu si miteux à nos yeux, vive la bonne vie, la grande vie, le petit luxe, le confort et j’en passe.
Nous vivions tout simplement nos rêves, nous vivions dans une sorte de petite aisance. On s’y plaisait sans se soucier du reste. Du reste ? Je m’étais une fois de plus bouché les oreilles et j’avais fermé les yeux. Je ne voyais pas ou alors je refusais de voir. Je crois qu’à cette époque j’étais assez naïve pour le deviner ; même mon instinct élevé ne m’alerta pas. Je savais que nous faisions tout le temps des jaloux tout autour de nous ; Placide et moi c’était comme les deux doigts de la main, inséparables. Notre relation était si forte et si avancée que personne n’osait s’interposer entre nous, personne, sauf elle, Priscilla. Elle avait le don pour ça, elle avait cette poigne là, cette manie de s'immiscer facilement dans notre couple.
Après tout c’était grâce à elle que nous étions arrivés à ce niveau de notre vie. Placide lui devait beaucoup et sa disponibilité envers elle était considérée dans notre couple comme une sorte d’éternelle reconnaissance. Ils étaient collègues de bureau, et ils travaillaient dans le même service ; elle était en quelque sorte son patron. D’après ce que je savais, elle vivait seule dans un appartement de luxe et possédait deux véhicules derniers cris, deux 4x4 rutilants neufs qu’elle s’était permis de s’offrir lors de ses multiples missions en Europe. Sa vie de célibataire endurcie lui donnait cette impression d’être faible, si bien que Placide était tout le temps sollicité par elle ; il lui rendait des petits services à gauche à droite. Toute la horde de domestiques qu’elle possédait ne lui suffisait pas ; Placide était devenu en quelque sorte son homme de main, son homme à tout faire. J’avais cru dur comme fer, au point de le pousser à aller même souvent s’excuser auprès d’elle lorsqu’il n’avait pas pu lui rendre un quelconque service; il ne fallait pas blesser « Petite Fleur ».
-Hum! Si petite fleur se fâche ? Placide Pardon arrange vite ohhh!
-T'inquiète, j'ai toujours les bons mots pour la calmer.
Une forme de dépendance psychologique avait fait place dans nos têtes ; mon travail évoluait bien malgré le salaire insignifiant que je gagnais ; mais au moins j’étais active et j’avais l’esprit occupé en permanence. « Petite Fleur » occupait aussi en permanence notre environnement, mais ce n’était pas encore arrivé au stade où elle le pourrirrait, cet environnement. C’était palpable bien que gérable. Elle ne passait pas une semaine sans faire des apparitions impromptues sous forme de surprises disait-elle…
-Coucou! Surpriiiise! Je passais par là. Devinez ce que je vous ai apporté ?
-Hé! Petite fleur ! Tu nous as gâtés le tour ci. Une… deux… montres Rolex ?
- Oui. Une pour toi, et une pour lui. Modèle unique pour homme et femme.
-Caaaaa! Tu es tellement gentille.
- Je le fais de bon cœur. Quand j'aime, je donne !
Profitant souvent de l’absence de Placide qu’elle avait commissionné pour toute une journée, ou alors lorsque ce dernier avait ses propres choses à faire, elle venait squatter chez nous sous prétexte qu’elle s’ennuyait et qu’elle voulait passer du bon temps avec moi… Si j’avais su! Je ne savais pas, et à l’époque rien ne m’alertait. J’étais bien loin de la réalité. Au départ je l’aimais bien au fond, et sa pseudo gentillesse qu’elle me rendait si bien n'a fait que raviver ce que j’appelle aujourd’hui ma bêtise. Je lui laissais assez d’espace, beaucoup trop d’espace ; je la ménageais en même temps, en tant que « belle sœur », craignant de perdre toute l’estime que nous avions auprès d’elle.
- Jaïda. Je sais que ton gars est super occupé au travail et qu’il a parfois besoin de prendre l’air ; alors s’il est indisponible, ce n’est pas grave, on remettra ça à demain d’accord ? Je vous aime bien. Vous êtes ma famille, mais nous sommes plus que ça, nous sommes comme des frères maintenant.
- C’est vrai.
- Je n’ai personne dans ma vie et j’ai trouvé en vous des personnes si intègres et chaque fois que je vais chez sa mère qui est ma tante, je suis toujours bien reçue.
-Tu seras toujours la bienvenue là-bas et même ici.
- Voilà. Je vais m’en aller. Je vous appelle plus tard.
-Ok. Notre porte est toujours ouverte, tu passes quand tu peux.
- Merci. Tu es trop bien comme femme, il te mérite. En plus de ça tu es très belle. Je suis sûre que tu en fais pas mal de jalouses, n'est-ce pas ?
- Bah ! Je ne regarde pas ça.
- Hum ! Seul son regard compte pour toi. Tu as raison. Mais tu devrais quand même faire attention, on ne sait jamais.
- On se connait, je lui fais confiance et c’est réciproque.
- Bien dit !
Pour la première fois cette nuit-là, Placide avait découché. Me faisant un sang d’encre et repensant à tout ce qu’elle m’a dit au sujet de lui et de sa possible trahison ne m’avait jamais effleuré l’esprit ; mais cette nuit-là, j’étais hyper inquiète ; ce n’était pas dans ses habitudes. Je ne daignais pas l’appeler, jouant les compagnes dignes et qui ne se plaignent pas. Il finit par m'appeler un peu plus tard. Mon cœur était sur le point de lâcher. Sa voix était plutôt calme et sereine.
- Allo ? Jaïda chérie. Je ne vais pas rentrer tôt.
- Allo ? Placide ! Mais tu as vu l’heure ?
- Oui chérie je sais… je sais j’arrive. Je suis avec Priscilla, t’inquiète. Elle m’a appelé… elle a un souci… je vais t’expliquer.
Je fermai quand même l’œil à moitié, pensant qu’il me mentait, et persuadée qu’il était plutôt ailleurs. Je n’étais pas du tout satisfaite, et comptait bien lui passer un savon. À son retour vers 6h du matin j'étais verte de rage.
- Placide ! C’est la première fois que ça nous arrive. Tu n’as jamais découché, jamais.
- Je t’ai dis que Priscilla avait besoin de moi. Elle m’a appelé de toute urgence vers les 22h, elle voulait qu’on parle d’un de ses projets.
- Je te crois pas. Elle était ici et elle est partie aux environs de 22h justement.
- Non. Il était 21h 45 quand elle est partie d’ici. Elle me l’a dit !
- Et où est la différence ?
- Prends le téléphone et appelle là. Je n’étais avec personne d’autre qu’elle.
- Et c’est quel genre de projet dont vous devriez seulement parler à 3h du matin? Si c’est ce que tu veux me faire croire.
- Justement c’est top secret, je t’en dirai plus lorsque ça sera confirmé.
- Quoi ? Tu te fous de ma gueule ou quoi ? Tu penses que je vais gober ça ?
- Ecoute. Ne te fâche pas comme ça. Je ne suis jamais rentré à une heure pareille, et si je l’ai fait c’était à cause de l’urgence.
- Je n’ai même plus envie de trop discuter. A force d’y penser j’ai les maux de tête.
- Va te coucher. Il est encore tôt. Tout ira bien.
- C'est ça !
- Eh ! Mais où vas-tu ?
- Dans la chambre d’amis. Je ne reviendrai que lorsque tu m’auras dit ce que tu faisais à 3h du matin dehors et avec qui.
- J’étais avec Priscilla, on parlait business.
- C’est ça ! Et moi je suis la reine d’Angleterre. Minalmi!
Je suis sortie en claquant la porte ; trop énervée. Je ne sais pas si c’est le fait qu’il était avec Priscilla ou bien avec une autre qui me mettait en rogne, mais c’était plus le fait qu’il ait découché et qu'il se mette à me raconter une histoire qui ne tenait pas debout. Sa version des faits m’irritait assez pour que je boude pendant plusieurs jours. Il tenta plusieurs fois une approche sans succès.
- Lorsque tu sauras réellement ce qui se passe, tu comprendras que ton attitude n’est pas digne.
- Et la tienne ? Passer la nuit dehors toi tu penses que c’est digne ?
- Ne prends pas ça mal. De toutes les façons ça n’arrivera plus, c’est promis.
Les choses finirent par se calmer lorsque je reçus un appel de Priscilla un matin. Je venais d’arriver au cabinet.
- Allo ? Jaïda ? C’est moi Petite Fleur. Tu as une minute ? Je suis là, en bas de l’immeuble. Si tu as le temps, descends, j’aimerai qu’on parle, c’est très important.
Je trouvai rapidement une excuse avant de m’éclipser. Elle m’attendait effectivement dans son véhicule ; lorsqu’elle me vit elle sourit et me fit signe d’entrer ; elle arborait des lunettes de soleil et mâchait un chewing gum dont elle faisait sans cesse éclater les bulles, sans oublier la lime qu’elle tenait, faisant semblant de se polir les ongles.
- Entre ma chérie. Bonjour ! Ça va ?
- Je vais bien.
- Comment va Maître ?
- Il va bien. Il va en mission au Rwanda après-demain. On a une réunion là tout à l'heure.
- Ah oui ? Je vais l’appeler ce soir. Je n’ai pas envie de le voir aujourd’hui. Mais je tenais à te voir ce matin.
- Il y a quoi de si urgent?
- Je sais que c'est de ma faute. Je n’aurai pas dû appeler Pla-Pla l’autre jour, je m’en veux. Maintenant il est plus courroucé que jamais, et ça fait plusieurs jours qu’il m’esquive. Je m’en veux, tout est de ma faute.
- Je ne lui parle pas.
- Tu devrais. C’est à cause de moi que vous êtes en froid, alors je venais m’excuser… ça n'arrivera plus.
- J’ai compris.
- Ouf! Je suis soulagée. Tu peux l’appeler à l’instant ? Et lui dire que tout va bien ? Il est très tendu ces jours-ci à cause du fait que vous vous êtes disputés la dernière fois. Ça ne doit plus arriver.
- Je vais le faire… c’est passé.
- C’est tant mieux. Maintenant file ! Tu m’as dit que vous avez réunion, je ne voudrais pas que Maître s’en prenne aussi à toi, à cause de moi.
- Je file… à bientôt !
Nous n’en avions plus reparlé et j’ai fini par oublier. J’ai fini par ne plus chercher à savoir quel était le but de cette rencontre entre Placide à et Priscilla à une heure si tardive. Mon aveuglement et mes réactions lentes vis –à - vis de leur entente n’avait fait que renforcer leurs liens. Notre couple semblait au fixe depuis ce petit incident. Tout était rentré à la normale malgré sa présence intempestive ; mais nous trouvions cela normal bien qu’elle faisait assez d’efforts pour ne plus appeler Placide ni chercher à le voir à des heures indues. Tout se passait en journée, et je pensais tout simplement que c’était ça la famille, le fait de se sentir proche d’une cousine, d’un oncle ou d’une tante… moi j’avais complètement oublié la mienne, le seul membre qui me restait, tante Sidonie. J’avais encore ça en travers de la gorge et je ne me sentais toujours pas prête à aller la voir. La distance avait bien fait sa place entre nous si bien que même son contact ni ses nouvelles, je cherchais à ne plus les avoir ; je venais de changer de téléphone et elle ne figurait plus parmi ma liste de contacts.
Je n'arrivais pas à réaliser, je venais de le confirmer ; le mot « famille » prit encore plus de sens lorsque ce matin-là, je me levais toute tremblante et anxieuse ; je n’avais pas bien dormi, j’avais hâte d’être au lendemain. Placide était encore endormi et je comptais bien le lui dire si ça se confirmait. Assise aux toilettes et comptant les minutes, je me fis des films, je pensais à tout, à lui, à nous. Si cela se confirmait, mon rêve, je pense qu’il serait sur le point de se réaliser, « La famille » ce mot prit encore plus son importance. Tic tac tic tac ! Les minutes s’égrènent… d’une main tremblante, je retourne le tube ; j’ai pris soin de bien lire la notice avant. Un trait c’est négatif et deux c’est positif…
- Oh mon Dieu ! Placiiiiide !
Toute excitée, je sautillais sur place. Il dormait encore. Quand il m'a entendue, il s'est réveillé en sursaut.
- Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu jubiles comme ça ce matin, à 6h?
- Regarde !
- Quoi ? C’est… un test de grossesse ? Ne me dis pas que…
- Si si ! Je suis enceinte ! On va avoir un bébé !
- Chérie… je… je… on va fonder une famille ?
- Oui !
L’émotion était à son comble. Je portais la vie en moi, nous allions être parents pour la première fois. Nous avons décidé de rester assez discrets et de l’annoncer le moment venu. Six semaines plus tard et contre toute attente, il prit les devants un soir…
- Épouse-moi ! Tu… tu le veux bien ?
- Oh Placide ! Comment je peux refuser ? Oui je le veux !
- A présent, je peux dire que nous formons une grande famille, la vraie, celle des Danga.
Chapitre 6 :
- Toutes mes félicitations ! Je viens d’apprendre l’heureuse nouvelle !
Placide m’avait fait sa demande et depuis lors, ce n’était pas de tout repos. Entre les appels à gérer par ci et les demandes et sollicitations par là, je jubilais en même temps tout en prenant la peine de me ménager. L’annonce de nos fiançailles venait d’être faite et c’est tout le monde qui cherchait à nous voir pour nous parler, nous féliciter ; pire, même mon compte facebook affichait un grand nombre de demandes d’amis. Je me posais sans cesse la question de savoir comment tout ce beau monde me connaissait. Je n’ai pas imaginé que le simple fait de publier une telle annonce raviverait ma côte auprès de toutes ces personnes.
L’annonce avait été faite publiquement, mais le secret de ma grossesse était bien gardé, c’était encore trop tôt. Nous étions focalisés sur la manière dont les choses se feraient. Placide était très enjoué à cette idée de devenir mon futur époux et le futur papa du bébé. Je le voyais se démener pour telle ou telle chose ; nous n’avions aucune expérience dans ce domaine, encore moins moi.
- Au moins j’ai de l’avance. J’ai déjà assisté à ce type d’événements dans ma famille, presque toutes mes cousines sont allées en mariage. Dit Placide.
- Oui, sauf Petite Fleur.
- Sauf elle. Mais elle est prête à tout pour nous donner un coup de main.
Priscilla était parmi les premières personnes à nous coller au train. Elle en faisait des tonnes pour sois disant se rendre utile. Elle se proposa même de m’aider à acheter ma robe de mariage le moment venu, chose que j'ai décliné poliment, mais c’est sur insistance de Placide que j'ai fini par céder.
- Elle va tout le temps en Europe… autant mieux en profiter. Elle te ramènera une belle robe et en plus tu n’auras rien à dépenser.
J’acquiesçai, de toutes les façons j’étais bien trop aveuglée et trop enjouée pour m’y opposer. Depuis tout ce temps, sa présence dans notre vie était devenue une habitude au point où il ne fallait pas prendre une quelconque décision sans la consulter ; ses mérites si bien vantés à mon encontre montraient bel et bien qu’elle possédait cet art démesuré pour les bonnes choses. Elle avait du goût et du style disait on. Je lui faisais confiance au point de lui confier l’organisation d’une grande partie de l’événement. Nous n’étions qu’au tout début et il fallait commencer par le commencement ; les réunions se déroulaient souvent chez elle, mais la plupart du temps chez la maman de Placide. Il était question que ce dernier demande ma main en bonne et due forme et que nous choisissions une date.
- Il faut aller voir ta tante et tu lui communiqes la date. Ce n’est pas décent. Me conseilla Placide. Au moins elle saura que je ne suis pas un salaud comme elle l’a toujours pensé.
Placide me le martelait bien souvent, cette phrase ; et depuis que les choses avaient évoluées, ça devenait récurrent. Même sa mère n’en revenait pas que je n’ai presque qu’aucun membre de ma famille qui serait présent pour l’événement.
- Quoi ma fille ? Où sont tes parents ? Tu n’as donc personne ?
- Non. Mais j’ai été élevée par ma tante, c’est elle qui est comme ma mère.
- Et pourquoi tu ne la vois pas? Et comment on va faire ? Ce n’est pas normal ! Il faut au moins qu’on la voit si c'est elle seule qui te reste comme parent.
J’en étais consciente et je savais qu’on en arriverait là. Le temps a passé et à force, j'ai commencé à me faire un sang d’encre. Rongée par les remords, je finis par me rendre à l’évidence. Elle n’était peut-être au courant de rien, elle ne savait peut-être pas ce que j’étais devenue et moi pareil. Le besoin se fit ressentir et je ne souhaitais pas qu’elle le sache de la bouche d’une autre personne, à savoir ma grossesse et mon mariage. J'ai donc pris la décision d’aller lui rendre visite toute seule dans un premier temps. Placide n'a fait que m'encourager dans ce sens.
- Tu fais un bon voyage chérie et tu lui passes le bonjour. Cette fois-ci ça va bien se passer.
- Tu penses qu’elle sera émue ?
- Elle sera émue d’être grand-mère et en plus tu vas devenir ma femme.
Je suis arrivée aux alentours de 10h, plutôt préoccupée et très anxieuse, au point de ne pas ressentir les effets du voyage et encore moins la distance. J'étais convaincue qu’avec tout ce temps passé et cette distance créée entre nous nous rapprocherait davantage. À peine arrivée à la gare routière, jai entendu m'appeler…
- Jaïda ? Je rêve ou quoi ?
- Ehhh ! Bertrand c’est toi ?
- Qui d’autre encore c’est bien moi. Ça alors ! Yaoundé te va bien !
- Merci !
- Aller monte ! Je suppose que tu te rends chez ta mère.
- Oui oui ! Tu es devenu chauffeur de taxi ?
- On va faire comment ? Les temps sont très durs. Je n’ai pas trop le choix, avec une femme enceinte et déjà deux rejetons, il faut bien que je les nourrisse.
- Le monde est vraiment petit. Nous étions camarades de classe en Terminale au lycée.
- Je te dis. Je n’ai pas eu la chance d'aller plus loin et j’ai fait des choix, et me voilà cloué ici à vie !
- Ne dis pas ça. Tu peux encore espérer mieux.
- Comme toi ! J’ai appris que tu es déjà une grande dame là-bas en ville. Placide Danga, c’est pas un petit !
- Qui t’a raconté ça?
- Rien ne se cache. Moi je vous félicite. Voilà, nous sommes arrivés.
- Merci, je te dois combien ?
- Non. C’est pour la prochaine fois. Je voulais aussi te dire de ne jamais tenir compte des racontars.
- Pourquoi tu me dis ça ?
- Non pour rien. Moi je vous apprécie beaucoup, vous faites un beau couple, vous êtes en quelque sorte une référence ici. Et c’est bien comme tu es revenue. Il se raconte des trucs, mais ce n’est pas important, ne tient pas compte de ça. Tu ne pourras jamais fermer leur bouche.
- Comme tu dis. On doit seulement vivre et avancer.
- Bien dis ! Tu me salues mon frère. La prochaine fois qu'il vient ici il faudra qu'on cause. Il faut qu’il me trouve une place quelque part là-bas. Le pétrole, ça doit sentir bon surtout quand l’argent coule ! Aller je file !
- A bientôt Bertrand.
Il m’a laissée juste devant la maison de ma tante, notre maison, celle où j’ai grandi. Un petit frisson me parcourut le dos. Prenant une grande inspiration, je m’avançai en regardant tout droit devant moi ; j’eus le temps d’apercevoir le rideau bouger et j'ai su qu’elle m’a vue descendre du taxi et me diriger vers la maison. Je ne m’étais pas trompée, car quelques secondes après, elle ouvrit lentement la porte et je la vis. Je souris timidement, pensant qu’elle répondrait à mon sourire, mais non ! Elle sortit et s’adossa contre l’une des balustrades de la véranda, croisa les bras et me fusilla plutôt du regard, comme une sorte de défi.
L’expression de son visage était de marbre ; elle semblait si indifférente, ce qui me mit très mal à l’aise ; je n’avais pas moyen de faire marche arrière et de retourner comme j’étais venue, il fallait que j’avance de toutes les façons. Lorsque je fus si près d'elle, je vis qu’elle maintenait toujours ce regard si froid à mon égard. Je pus quand même en placer une.
- Bonjour… tata, … maman… ça… ça fait une éternité.
- Une éternité ! Des siècles tu veux dire ! Tu n’as pas été fichue de venir ne serait ce qu’une fois de me rendre visite, tu n’es pas fichue de savoir comment je me porte. Depuis tout ce temps ! Tu as cru qu’en me passant un coup de fil à la volée, que tu en faisais assez ? Madame ! C’est comme ça maintenant ? Et tout ce que je t’ai appris ? Et tout ce que j’apprends ! Tu as pris la grosse tête.
- Non loin de là, je n’ai pas pris la grosse tête. J’avais peur.
- Peur de quoi ? De moi ? Parce que je t’ai grondée ? Rentre ici !
Une fois à l’intérieur elle se radoucit, ce qui me soulagea. Nous n'avons pas eu le courage de nous étreindre.
-Je t'ai apporté quelques vivres.
- Merci d’y avoir pensé, je n’avais plus rien. Je comptais faire le marché la semaine prochaine seulement… comment ça va ?
- Je vais bien.
- Comment va ton fiancé? J’ai appris la nouvelle.
- Placide va bien aussi. Il te passe le bonjour et il aimerait venir te voir dès que possible.
- Placide je ne le déteste pas. Ma porte lui est ouverte. J’ai appris qu’il est devenu un grand pétrolier, j’ai appris pas mal de choses.
- Oui… en fait, il bosse dans une société pétrolière, mais il n’est pas pétrolier.
- Je ne comprends rien. Je sais seulement qu’il est là dedans.
- On peut dire.
- C’est tant mieux.
Elle a baissé la tête, et n’a plus dit mot. Nous étions assises face à face. L’ambiance était si gênante que moi aussi j'ai fais pareil, je baissai à mon tour la tête. Sachant toutes les deux que nous avions ça en travers de la gorge, j'ai pris mon courage à deux mains, et je me suis lâchée
- Maman… je n’ai jamais eu l’intention de te défier, loin de là. Tout ce qui s’est passé c’est…
- C’était pour que tu comprennes.
- Oui, mais…
- C’était pour que tu comprennes qui sont ces gens que tu fréquentes, cette famille.
- Placide est différent !
- Placide est un des leurs. Mais je ne t’en veux plus. C’est ta décision, vous avez décidé de vous marier et je dois le respecter, je ne joue que mon rôle, parce que j’ai de l’expérience et je vois des choses que tu ne peux pas voir ni même comprendre.
- Tout ce temps, j’ai pu comprendre moi aussi, j’ai eu mal de savoir que nous en étions arrivées là. Mais je souhaite et j’espère que tu me tiennes la main, que tu m’accompagnes dans ce choix ; j’ai accepté de devenir sa femme, et l’enfant que je porte…
- Tu… tu es enceinte ?
- Oui. Tu vas devenir grand-mère.
Elle éclata vivement en sanglots. Je ne sus si c’était des larmes de joie ou de tristesse, mais elle pleura franchement, et assez longtemps avant de s’essuyer péniblement les larmes et de reprendre.
- Jaïda… tu es ma fille. Je suis très émue. Je serai grand-mère c’est vrai, ça me réjouit beaucoup. Mais si je pouvais… si je pouvais te faire comprendre que là où tu mets les pieds c’est dangereux.
- Mais pourquoi ? Maman je suis heureuse !
- Ce n’est que le début. Trop de choses se racontent ici à votre sujet. J’ai appris ton mariage ici de la bouche même de ses grand-parents. J’en ai eu honte que moi je ne sois pas tenue informée, mais ce n’est pas ça qui me chagrine…
- Je te demande pardon que tu ne l’apprennes pas directement par moi. C'est aussi l'une des raisons qui m'a poussée à venir vers toi. J'aimerai qu'on fasse la paix, mais dis-moi ce qui te chagrine autant ?
- C’est … oh ! C’est que… je les ai entendus parler de votre éventuel mariage. Mais ils ne sont pas enjoués.
- Si ce n’est que ça. Je comprends pourquoi. C’est parce que nous ne sommes jamais allés les voir tous les deux officiellement. Nous comptons le faire prochainement quand je reviendrai avec Placide.
- Hum ! Tu es sûre ?
- Oui, très sûre. Tu n’as pas à t’en faire.
- En tout cas, je ne peux que te souhaiter beaucoup de bonheur, mais sache que ton choix, si ça ne dépendait que de moi, il n’est pas le bon. Je respecte juste ta décision, mais j’aurai toujours ma langue bien pendue.
- On ne peut pas toujours faire l’unanimité.
- C’est vrai. Mais c'est qui cette femme qui vient tout le temps ici avec lui ?
- Quelle femme?
- J'ai aperçu ton fiancé en compagnie d’une autre femme venir ici voir ses grand-parents. Ça fait au moins la troisième fois que je les vois ici.
- Ah bon ? Comment ça ?
- Dans un de ces gros bolides! Un 4x4 je dirai ! C'est qui c’est ?
- Ah! C’est sa cousine.
- D’accord… mais fais attention. Elle a des allures. A ta place je chercherai à savoir s’il y a un réel lien de parenté.
- C’est sa cousine et ils sont très proches et même avec moi elle est très gentille.
- On connaît ça ! C’est du pur mensonge crois-moi ! C’est une vraie bordelle ! Vas voir s’ils ne couchent pas ensemble. Ton Placide là… hum! Ils font des choses. De très vilaines choses. C’est de la pure sorcel…
- Arrête ! Je suis venue en paix. Je suis venue faire la paix avec toi et mériter ton estime, alors je t’en prie un peu de compréhension.
- Tu as raison… viens allons manger, j’ai fais légumes. Parlons de ton futur bébé aussi, tu vas aussi devoir beaucoup le protéger, j’ai peur que…
- Maman, tout va bien je t’assure, tout va bien !
Je suis partie de là la tête chargée et bourrée des paroles de ma tante. A la fin nous avons pu nous etreindre si chaleureusement. Nous nous sommes séparées en bons termes, c’était l’essentiel. Elle n’acceptait toujours pas mon choix, mais elle le respectait. Je voulais sa bénédiction, c’était chose faite. Il ne restait plus qu’à revenir avec Placide et programmer tout le reste.
Sur le chemin du retour, malgré le fait que j’étais sur mes gardes, je ne manquai pas de me poser sans cesse la question de savoir pourquoi Placide ne m’a rien dit au sujet de ses allées et venues constantes en compagnie de Priscilla au village ; je ne souhaitais pas me disputer avec lui sur ce sujet, pensant tout simplement qu’il était normal après tout qu’il voyage sans se cacher avec un membre de sa famille.
-Si c’était le contraire il ne prendrait pas autant de risques d'être à découvert. Tentai-je de me rassurer.
A mon arrivée ; il me fit un baiser sur la bouche et fut ravi de constater que les choses se soient arrangées avec ma tante.
- C’est une très bonne nouvelle, je suis content. Maintenant on doit faire vite.
- Oui c’est bien et elle nous a donné sa bénédiction.
- D'accord. J’ai pensé qu’on doit le faire la semaine prochaine.
- La … la semaine prochaine ? On avait dit le mois prochain, pourquoi ce changement brusque?
- Je vais te dire…
- Dis-moi ! J'ai annoncé à ma tante que ça se ferait le mois prochain, le temps pour elle de se préparer, le temps d’aller voir tes grands-parents, le temps de bien s’organiser... c'est pas trop pressé?
- Oui c’est vrai, mais je veux le faire vite. Petite Fleur m’a dit que …
- Quoi encore ? Ça commence à me saouler ! Tout le temps ! Elle prend trop de décisions à notre place et surtout la mienne tu ne trouves pas ?
- Non. Elle n’a rien décidé, c’est moi qui pense qu'on doit faire vite.
- Je ne suis pas contre, mais le fait de décider sans me consulter avant, ça ne me plait pas du tout!
Je suis sortie de la voiture et j’ai pris le soin de claquer violemment la portière. Une fois dans la chambre, j'ai foncé aux toilettes et j'ai pris une douche. Il m'a rejoint plus tard dans la chambre
- Chérie, je suis désolé, mais je dois te le dire.
- Quoi encore ? Que c'est Petite Fleur qui va célébrer notre mariage ?
Il sourit maladroitement, se gratta la tête, la releva et me regarda intensément ; il fronça les sourcils, plissa sa bouche avant de me l’annoncer.
- Chérie, on va avoir une vie encore plus décente. J’ai eu le visa… pour l’Angleterre. C’est elle Priscilla qui m’a aidé. Voilà pourquoi je veux anticiper les choses; on se marie vite, et une fois là-bas, je vais me battre pour que tu me rejoignes rapidement.