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Chapitre 2

J’avais eu cette force de le faire aussi en partie grâce à lui, Placide. Il venait de me redonner espoir. Nous nous fréquentions depuis un bon bout. Nous n’étions que de simples amis, mais il ne fallait pas se mentir, car ni lui, ni moi, personne n’osait se l’avouer. L’attirance était très forte. J’en avais honte parce que c’était la toute première fois qu’un garçon me fasse autant d’effet.

Les amourettes entre adolescents n’étaient pas trop ma tasse de thé ; je n’avais vraiment pas eu de copain en tant que tel ; trop timide j’étais, voire même trop fermée dans ce sens. En gros, je détestais tout ce qui était relatif aux rapports entre filles et garçons. J’étais en quelque sorte une « écorchée vive ». L’histoire de mes parents m’avait complètement bouleversée au point d’en vouloir à la terre entière, et plus particulièrement aux hommes. Je ne les fréquentais et ne les côtoyais presque pas, ce qui arrangeait en quelque sorte ma tante Sidonie.

- Au moins ça te permet de te concentrer sur d’autres choses. C’est moi qui te le dis.

Je la croyais dur comme fer et je savais qu’elle avait raison ; elle avait vu ma mère souffrir de ses choix, et je ne voulais en aucun cas tomber dans ce genre de piège.

- Ne tombe pas dans ce piège maintenant. Je sais de quoi je parle. Me conseillait-elle.

Voila le cadre dans lequel j’ai grandi ; Sidonie elle-même, célibataire endurcie avait fait ce choix, pas par convenance, mais par obligation. Après plusieurs déceptions, elle avait fini par rencontrer un homme dont elle était tombée follement amoureuse et qui lui avait fait plein de promesses, en l’air.

-J’ai cru en lui je t’assure. Tout avait été planifié, les fiançailles, le mariage, tout. Tu n’étais qu’une gamine à l’époque.

-Je n’ai que de vagues souvenirs. Mais je me souviens bien de cet homme à la moustache qui venait toujours te voir. C’était lui?

-C’était lui.

-Tu étais toute belle dans ta tenue de cérémonie, mais je ne savais pas ce qu’il se passait. Et… les jours qui ont suivi tu étais toute triste, en larmes.

Sidonie, rien qu’à y penser, se sent mal. Elle baisse la tête.

-C’est… toujours gravé dans ma mémoire. Je n’ai jamais oublié.

Je voyais ma tante pleurer comme un bébé pendant qu’on la soutenait. Elle portait toujours cette longue robe blanche; elle s’était affalée à même le sol.

-Tu t’étais évanouie par la suite. Et je me suis mise à pleurer à mon tour. Donc cet homme t’a lâchée comme ça le… le jour même du mariage.

-Le même jour, à la mairie.

-Aujourd’hui je comprends tout. Il … ne t’a jamais épousée c’est ça ?

- Non. C’est le jour de mon mariage que je découvre son vrai visage.

-Vous vous êtes disputés ?

- C’est bien pire… tu imagines ? C’est moi la mariée qui attendait son futur époux, alors que ça devrait être le contraire. Il n’est … jamais venu. Il avait envoyé une missive pour me faire comprendre qu’il était désolé et qu’il avait changé d’avis; il disait qu’il ne se sentait pas prêt pour le mariage. Ce qui finit par m’anéantir, c’est qu’on a aperçu le bon monsieur en train de célébrer son mariage avec une autre, le même jour.

- Le même jour ?

- Je dis bien le même jour.

-Quel imbécile!

-Je n’en suis pas morte, mais il a tué quelque chose en moi. Tout ce que je peux te dire c’est de faire juste attention. Tu es déjà une grande fille, mais pas assez grande pour comprendre certaines choses. Je les vois rôder autour de toi, sois juste prudente.

- Oui … je… je sais.

J’aimais la façon qu’elle avait de communiquer avec moi. C’est tout cela qui nous rapprochait; sa sincérité et le fait qu’elle me dise la vérité concernant certains aspects de la vie, la sienne en l’occurrence Ele savait me parler et soutenait tous ses dires par des exemples concrets et terre à terre. Je lui faisais confiance en tous points. Mais je grandissais et ma personnalité se développait. Mon charisme et mon charme faisaient beaucoup d’effets auprès de la gente masculine ; je n’étais pas bête et j’essayais d’être assez prudente.

Placide et moi on s’est croisés par hasard devant la boutique de Moussa, célèbre boutiquier réputé dans notre quartier. On venait lui livrer du pain très tôt dans la matinée, aux alentours de six heures du matin et avant même qu’il ne réceptionne la marchandise, un rang de plusieurs personnes s’était déjà formé.

C’était ma corvée tous les matins, celle d'aller acheter du bon pain chez Moussa. A ma grande surprise, je trouvai que le rang venait de se défaire, laissant place à une bousculade dont je ne connaissais pas l’origine. Mais en me rapprochant de plus près, on m’expliqua que tout était parti d’une simple dispute entre deux personnes, il s’agissait de deux mecs, l’un était plus grand de taille et l’autre trapu et plus court. Ça n’arrêtait pas, au contraire ça dégénérait et Moussa décida de fermer boutique. Il ne servirait pas du pain dans ces circonstances.

- Moi j’ai faim hein ? C’est même quoi ? Je pestais, tout en me dirigeant vers ces deux gus.

Moussa n’ouvrirait pas de toutes les façons et leur altercation avait créé un mouvement de foule qui finit par se disperser, les plantant là. Je m’étais dirigée vers eux, tout en les fusillant du regard, voulant leur dire deux mots à tous les deux. Au fur et à mesure que je m'approchais d’eux, je constatai qu’ils se détendirent et finirent par se faire de petites tapes dans le dos.

-Mais à quoi vous jouez tous les deux ?

Lorsque le plus grand me vit se diriger tout droit vers eux, il sourit et il prit la peine de me dévisager non sans gêne avant de me répondre.

- Calme toi ma belle ce n’est pas…

- Pardon ? Me calmer ? C’est à moi que vous vous adressez comme ça? Me calmer? Tout à l’heure là quand on vous a demandé de vous calmer pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Vous croyez que la vie est si facile ? Peut-être que chez vous on vous prépare facilement tout ce dont vous avez besoin et vous venez créer le désordre ici. Moussa ne blague pas et quand il ferme, il ferme ! Moi je veux alors mon pain !

-Non écoute ne prends pas ça mal.

- Tu me tutoies qu’on se connaît ?

L’autre compère ne disait mot, se contentant juste de rire bêtement. Ce qui ne fit que décupler ma colère. Je leur fis part de mon mécontentement et ensuite je tournai les talons.

- Tsuippp ! De toutes les façons, c'est mort pour aujourd’hui.

Il ne tarda pas à me rattraper, et lorsqu’il voulut engager la conversation, comme si de rien n’était, j’explosais sur le champ.

- Tu te prends pour qui? On ne se connait pas, alors tu m’excuses.

- Ok. Je t’excuse.

- Pardon ?

- Tu as demandé que je t’excuse.

- Et alors ?

- Viens ! J’ai ma petite idée. Je sais comment te trouver du pain, il faut bien que tu prennes un bon petit déjeuner ce matin.

- Je ne sais pas de quoi tu parles.

- Je parle du pain voyons !

- Ne me fais pas dire des conneries.

- Tu dis déjà des âneries alors.

- Pfff ! C’est même quoi avec toi ? Je regrette de t’avoir approché tout à l’heure, tu es collant et ça m’énerve.

- Et moi je regrette de t’avoir vue ce matin.

- Tant mieux !

- Viens. Je vais lui demander d’ouvrir.

- Tu joues même à quoi?

- Au chat et à la souris.

- Tu es terrible.

-Je ne suis pas aussi terrible que ça, et pas plus que toi. Aller viens, tu seras servie.

- Mais…

- Pas de mais!

Moussa avec son bon accent du nord nous a presque maudit. Il n’a pas arrêté de fulminer dans tous les sens, et de jurer.

-Zé ziiire! Prossaine fois zé ferme pour dé bon !

- Ahhhh Moussa toi aussi ! Pour si peu ? Le gars avec qui je me disputais tout à l’heure n’est qu’un bon ami à moi. Rien de grave. Vraiment ! Et c’est pour ça que tu fermes ? Tu te crois en France !

J’étais servie. Mon calme apparent lui donnait bien des airs ; il semblait si entêté au départ et lorsque tout fut rentré dans l’ordre, et que mon problème fut résolu, il devint plus calme et plus posé. Il me fit mi-chemin sans que je n’y oppose aucune résistance. Je devais bien le remercier pour son geste ; il s’était fait copieusement engueulé par ce boutiquier et avait encaissé au final, sans mot dire, il finit aussi par payer de sa poche, afin que je sois satisfaite. Il marchait toujours à mes côtés. Je n’habitais pas très loin de là, et une fois devant la maison il me dit toujours sur un ton calme…

- Je suis désolé, tout est de ma faute. Mais je suis rassuré, tu es servie ! - Merci, c’est gentil.

- Passe une belle journée.

- Merci.

- Moi c’est Placide.

- Jaïda.

- Porte-toi bien Jaïda, et…

Je n’eus pas le temps de lui répondre que je lui avais déjà tourné les talons.

Nous avions l’habitude de nous croiser toujours par hasard dans la rue ou encore dans cette échoppe. Il me souriait toujours, et me saluait poliment.

- Bonjour Jaïda. Tu vas bien ?

Ou encore…

- Belle robe ce matin.

Il ne tarissait pas d’éloges à mon endroit, ce qui me mettait toujours très mal à l’aise parce que je ne le voyais que comme une personne ordinaire aimant parfois les bagarres de rue. Mon appréhension finit par changer lorsque je me rendis compte qu’à chaque fois qu’on se croisait, il paraissait plus relax, plus posé et voire même plus poli envers tout le monde. Je finis par me rendre compte qu’il était si différent. Il était tout juste normal; il avait une vie normale, comme tout le monde.

Au fil du temps la sympathie s’installa; il n’était plus le simple passant qui me saluait par convenance. Il devint progressivement, l’ami et surtout, le confident. Je m’étais un peu détendue avec lui et je lui avais donné un peu d’espace dans ma vie en tant qu’ami. De son côté, il n’en demandait pas plus et se comportait vraiment comme tel, et rien d’autre.

- Placide! Gars j’ai un divers ! Est-ce que tu sais que la femme de Bertin est partie? - C’est de l’histoire ancienne. Vous les femmes ! De vraies diablesses !

- Ah oui ? Et le monsieur qui passait son temps à la battre ? Tu dis quoi de lui ? C’est plutôt lui le démon !

- Vous dérangez.

- Quoi ?

- Je te dis.

Avec lui c’était toujours la bonne humeur et la bonne ambiance ; il savait trouver les mots justes, au bon moment ; et lorsque je lui racontai l’histoire de mes origines et de mes parents que je n’ai jamais connus, et de ce que je ressentais, non seulement ses paroles me firent un drôle d’effet, mais la manière dont il les avait prononcées avaient profondément touché mon cœur.

- Jaïda. Les choses comme ça n’arrivent sûrement pas pour rien. C’est vrai, tu n’as presque pas de famille, mais ce n’est pas ça le plus important. Ce qui importe c’est ce que toi tu comptes faire de ta vie. Ce que tu comptes devenir plus tard ; ce qui importe, c’est ta propre famille à toi que tu devras créer. Il y a quelqu’un qui t’attends quelque part pour le faire avec toi.

- Et c’est qui cette personne?

- Je ne sais pas. Mais elle est là, et elle t’attend. Le moment venu, je pense qu’elle apparaîtra, et sans que tu ne t’y attendes.

- Placide ? Tu as quel âge ?

- Moi ? 23. Pourquoi ?

Je le trouvais bien mature pour son jeune âge, et ses paroles réconfortantes ne me firent que du bien. Je ne me rendis pas vite compte que j’étais tombée amoureuse de lui; et lorsque je le découvris, je pris la peine de vite camoufler mes sentiments, mais surtout, je pris la peine de cacher cette relation, cette amitié à ma tante. Je savais qu’elle le prendrait très mal et m’interdirait de le fréquenter.

J’étouffais, je n’en pouvais plus. Il me manquait. Il venait de partir pour Yaoundé, la capitale. Étudiant en Sciences Économiques, il louait une chambre au campus, et certains week-ends, je pouvais le voir rappliquer, et parfois il se faisait bien rare. Je pensais à lui sans cesse, me remémorant bien toutes nos discussions et nos petites

blagues. Moi je terminais tout juste mon année de terminale et j’attendais les résultats du baccalauréat ; moi aussi je m’imaginais tel que lui, étudiante et vivant dans une chambre d’étudiant. Il me faisait rêver, je l’aimais au point où je devins subitement jalouse ; je souffrais juste en silence de ce que ce sentiment me faisait comme effet. Je me sentais malheureuse et je n’en parlais pas, préférant me ronger les ongles et me faire des films.

Les résultats des examens approchaient à grands pas. Il y a longtemps que les conseils de Sidonie étaient bien ancrés dans mon esprit. Je n’avais pas droit à l’erreur sur ce plan-là. Placide n’était pas revenu depuis des mois. Nous étions au mois de juillet. Je jubilais. J’avais décroché ce fameux diplôme. Je voulais partager ça avec lui, mais il n’était pas présent ; il n’était qu’un bon ami à moi, qu’avais je imaginé ? Mais j’avais quand même mal, de ne pas le sentir ; il aurait été fier de moi et il m’aurait fait rigoler dans tous les sens; on aurait partagé cette joie tous les deux.

On avait loué la salle des banquets de la mairie pour célébrer cette victoire avec mes copines. C’était la fête des bacheliers ; pour une première fois dans l’histoire, notre région affichait presque les 100% de réussite. Ça devait se fêter, ça se méritait. La salle affichait comble. Nous étions si endiablés, c’était la folie, la liesse, tout était permis ; on se trémoussait aux sons des décibels, les nouveautés du moment. J’étais heureuse mais lorsque je pensais à lui, mon cœur faisait un bond dans la poitrine. Honteuse, je finissais par refouler ce genre de pensées qui occupaient sans cesse mon esprit. De toutes les façons, il n’était pas là et ne viendrait peut-être pas de sitôt.

Je devais m’amuser et me faire plaisir, ce n’était que ça l’essentiel. Lorsque la série de slows fut diffusée, je me sentis tout à coup si mal en point, surtout à la vue de tous ces couples qui s’étaient rapidement formés sur la piste de danse. Je finis par m'asseoir dans un coin, pensive et un peu rêveuse. Je fermai les yeux. Je sursautai lorsque je sentis une main sur mon épaule….

- Et si j’invitais cette jolie demoiselle à danser?

- Quoi ? Mais…c’est… c’est toi ?

- Rien que moi !

- Placide. Tu es arrivé quand ?

- Tout à l’heure. J’ai appris la nouvelle. Félicitations ma belle, je suis fier de toi.

- Merci. Et comment tu m’as repérée ?

- Facile… tu es la seule qui brille dans cette salle.

- Tu es drôle.

- Sérieux… j’aime ta tenue, elle te va à ravir. Tu es très belle.

- Je suis flattée.

- Viens on va danser.

- D’accord !

Son corps contre le mien, cette petite étreinte était assez suffisante pour faire ressortir en moi une émotion si forte. Mon cœur se mit à battre à la chamade rien qu’en sentant sa joue contre la mienne, et parfois sa respiration sur mon cou. Il m’avait manqué, ça je le savais. L’étreinte était si forte, si puissante que nous ne nous ne rendions pas compte que nous étions seuls sur la piste de danse et que la manière dont nous nous étions enlacés attirait plus d’un regard.

C’est tout le monde qui finit par s'asseoir et nous regarder danser. Placide avait ça dans le sang, le rythme dans la peau. Je dirai le zouk et tout ça, il savait se contorsionner et me faire onduler, et tournoyer. On n’entendait plus rien, mais notre instinct finit par nous guider, nos regards se croisèrent et ne se détachèrent plus l’un de l’autre. Je fermai les yeux et je sentis ses lèvres effleurer timidement les miennes, et lorsque je rouvris mes yeux, je vis qu’il avait ce petit air passionné, fervent et exalté. Et lorsqu’il me murmura à l’oreille cette petite phrase douce à l’oreille, mon cœur prit feu; je resserrai délicatement mon étreinte, sans oublier de poser amoureusement ma tête sur son épaule.

- Jaïda, je suis celui-là même qui t’attends depuis un bon bout. Je t’avais dit qu’il apparaîtrait au moment où tu t’attendrais le moins. Ce n’est que moi, et je t’aime !

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