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Chapitre 1

L’année scolaire tirait déjà à sa fin. J’étais en classe de Terminale, donc examen officiel à l'appui. Je n’étais ni sereine ni confiante, je souhaitais juste avoir mon examen, car mes résultats scolaires étaient lamentables, catastrophiques. J’étais troublée et je me sentais perdue avec des questions qui revenaient sans cesse dans mon esprit, au point d’affecter mes études. Mon moral était toujours au plus bas ; je préférais me murer parfois dans un long silence qui avait souvent le don d’alerter ma tante. Mais cette fois-ci, ses réprimandes et ses conseils n’eurent aucun effet sur ma personne.

- Tu vas faire comment au Bac? Ne commence pas comme ça. Tu n’as jamais repris une classe, et j’ai bien peur que toutes ces révélations n’ont fait que te miner l’esprit. J’aurais dû attendre, ou alors ne rien te dire. J’espère vraiment que tu te ressaisisses. Ne laisse pas tous ces remords te détruire, sinon tu cours à ta propre perte… ne… ne donne pas raison à tout ce beau monde.

- Tu as bien fait de me le dire.

-Oui, mais ne te laisse pas consumer par tout ça.

Me laisser me consumer à petit feu par tout ça, ou alors me ressaisir et avancer, j’étais prévenue.

Ma tante s’était toujours occupé de moi. J’avais six mois, je n’étais qu’un bébé à l’époque. Mais en réalité, cette femme que je considérais comme mon parent, ne l’était pas. Elle n’était ni ma mère ni ma tante. Elle n’était que ma tutrice légale. C’est des années bien plus tard, vers l’âge de 15 ans que je découvris qui j’étais vraiment et qui elle était réellement.

Je m’appelle Jaïda Badjeck ; je vins au monde dans une famille polygamique, d’après ce qu’elle me narra. On ne choisit pas sa famille, mais s’il y avait eu cette possibilité, j'aurais préféré ne pas naître. Je leur en ai toujours voulu, surtout à lui, mon père, Monsieur Badjeck Raymond, ancien Inspecteur des Impôts retraité depuis des années, bien avant ma naissance. Je me posai tout le temps cette question là, de savoir comment une si belle et jeune de femme, qu'était ma mère, et intelligente de surcroit, s’était laissée emporter aussi facilement. Elle avait succombé à son charme, ou alors elle avait succombé à ses moyens. Mon père avait plus de la cinquantaine et venait de partir à la retraite, mais ce ne fut pas un obstacle pour ma mère de se laisser séduire par lui.

Ma mère venait d’une famille assez démunie et la rencontre avec cet homme influent et bourré de fric, était comme une porte de sortie. Pleine d’espoir, elle l’avait considéré comme son sauveur. Il l’avait sortie de la galère et du pétrin. Elle n’avait que 25 ans lorsqu’elle devint sa sixième épouse. J’appris qu’il l’avait sincèrement aimée, adulée. Il l’a prenait comme son petit bébé, la cajolait et lui offrait tout ce dont elle avait besoin, au détriment des autres épouses considérées comme hors marché et vieilles. Mais elle ne le savait pas encore, ou alors elle n’avait pas réalisé ce que signifiait le mot « Polygamie » dans le vrai sens du terme. Elle avait plutôt foncé tête baissée, les yeux fermés, acceptant naïvement de faire partie intégrante de cette grande famille.

Raymond Badjeck assouvissait tout simplement ses désirs les plus fous ; il voulait du sang neuf. Il se plaisait à appeler ma mère « Madame Princesse », il l'avait surnommée ainsi parce qu’il voulait la faire mener une vie digne de ce nom; il savait qu’il avait presque l’âge de son feu père et voulait la mériter.

Ma mère menait une vie de princesse, ça c’était sûr ; elle avait son petit palais à elle qu’il avait vite fait d’ériger en son honneur, un petit palace situé juste à l’arrière de la principale villa de cinq étages où chaque des épouses avait son propre appartement. Il voulait que les choses soient différentes…

- Madame Princesse… ouvre les yeux, et vois par toi-même. Chose promise, chose due. Tu vois ? Cette maison est à toi, à nous. Je viendrai tout le temps roucouler à tes côtés. Au moins tu seras loin, loin de ces “lionnes aigries”

-Mon Dieu! Raymond…tu es un amour. Toute cette maison… elle est à moi? Je suis comblée.

-Elle est à toi !

- Donc le chantier là… tu ne m’as rien dit! Je croyais que c’était pour…

-J’ai préféré ne rien dire, et j’ai tenu à ce que personne d’autre ne le sache; les techniciens et maçons se sont tus pour une fois. Les vieilles mémés n’ont rien vu venir. Ce sont mes femmes mais … c’est toi ma préférée. Et voilà, tu possèdes désormais un château digne, et il est à toi.

-C’est … c’est merveilleux … je… je vis le rêve éveillé !

-C’est bien réel.

Il était bien réel ce rêve, mais avec les yeux toujours fermés. Mais il était bien trop tard lorsque ma mère finit par les rouvrir et comprendre que tout cela n’était que pour lui voiler la face; il était bien trop tard lorsqu’elle se rendit compte qu’elle ne pouvait plus faire marche arrière. Elle était enceinte de moi, au plus grand désarroi de tout le reste de la famille. Personne ne s’attendait à ce que ma mère puisse faire un enfant à cet homme de plus de cinquante cinq ans, et dont les fils et filles aînés étaient bien plus âgés que ma mère. Tout le monde savait qu’il l’avait épousée uniquement pour ses beaux yeux et non pour procréer. Personne n’était content, sauf lui; il avait sourit et lui avait dit en ces termes…

-J’en ai treize ! Un quatorzième enfant ce n’est pas tuant.

Je le redis encore, on ne choisit pas sa famille, mais s'il fallait faire un choix, j’aurais préféré ne pas venir au monde, chose qui arriva presque… ma mère était enceinte de six mois ; tout évoluait normalement. Un soir, alors que mon père passait la nuit avec la troisième ou quatrième épouse, ma mère entendit un bruit; on aurait dit que ça venait de la cuisine ; paniquée elle se leva et alerta la femme de ménage qui vivait avec elle et dont la chambre n’était pas très loin de la cuisine.

-Sidonie ! Sidonie ! Réveille-toi… tu n’as rien entendu ?

-Entendu quoi Madame ?

-Mais j’ai entendu des bruits… de casseroles et marmites à la cuisine ! A moins que ce soit toi qui y étais.

-Non ! Je dormais. Je n’ai rien entendu.Vous me faites peur.

-C’est étrange.

-Ou alors ce sont ces sales petites bêtes !

-Les souris ? Mais tout est propre ! Nous n’avons jamais eu affaire à ces petites bêtes ici. En tout cas on va voir ça demain. J’en parlerai à Monsieur.

Ca paraissait si banal au départ, mais lorsque après trois à quatre jours successifs de bruits récurrents et incessants toutes ces nuits, elle finit par relater les faits à son époux qui lui répondit de manière désinvolte que ce n’était qu’un détail de rien du tout.

-C’est rien ! Ce ne sont que des bruits imaginaires, tu as dû rêver.

- Peut-être…

-Au fait je compte m’absenter pour quelques jours. Je serai de retour la semaine prochaine.

-Oui mais je n’aime pas te savoir si loin Raymond. Tu sais avec les autres elles ne … elles ne… ça ne va pas.

-Je sais. Je t’ai toujours dit de ne pas les gérer.

-Mais comment ? Elles m’attaquent maintenant en direct. Ça va de mal en pis ! Je les respecte beaucoup parce qu’elles ont presque toutes l’âge de ma mère… mais là je … et avec cette grossesse, j’ai vraiment peur.

-Tu n’as pas à avoir peur. La preuve je t’ai offert cette maison, et elle est uniquement à toi. Elles ne viendront pas t'enquiquiner ici.

-Si. J’ai très peur… à part les bruits bizarres que j’entends dans la nuit, c’est elle que je vois constamment en rêve.

-Qui ça ?

-Mama Madeleine.

-Madeleine ?

-Oui Madeleine, la reine mère. Je… je crains vraiment pour le bébé, et… je pense que c’est mieux que je m’en aille d’ici, pour un moment, le temps que j’accouche.

- Ça ne peut pas être elle. Madeleine ? Je pouvais encore accepter ça des autres mais pas d’elle… c’est une femme bien silencieuse et discrète… tu … tu ne … tu n’as pas ce droit là; tu n’as pas le droit de l’accuser, et sans preuves en plus. Je ne permets pas ça. Madeleine a toujours essayé de maintenir la paix ici entre toi et toutes les autres.

-Je n’ai pas dit le contraire. Raymond, je dis ce que je vois et je le sens.

-Cette grossesse te fait ressentir des choses incroyables. Je n’ai jamais voulu que tu ressentes une quelconque frustration ; calme-toi et tout ira bien.

Ma mère finit par céder, en supportant toutes les foudres, les répressions injustes et violentes de la part de ses coépouses. Elles finirent par se liguer toutes contre ma mère; elle les a vues former un bloc, toutes unies contre elle, la considérant comme membre à part entière et comme élément très dangereux. Plusieurs fois et à plusieurs reprises, ma mère a frôlé la mort de près; plusieurs fois elle faillit me perdre; plusieurs fois ma mère dû se protéger et se défendre contre toutes sortes d’attaques qu’elle considérait comme mystiques. Elle se confiait sans cesse à sa femme de ménage Sidonie, avec qui elles avaient par tisser des liens très forts.

-Sidonie. S’il n’existait pas un Dieu sur cette terre je serais morte depuis longtemps. Mais il faut que je te dise… je vais m’en aller. Je … je regrette d’avoir fait ce choix. J’en ai marre des persécutions au quotidien. J’accouche bientôt. Promets-moi que tu seras à mes côtés. Je te considère déjà comme une sœur. Tu es plus qu’une sœur. Je n’ai plus mes parents, et le reste de ma famille je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. Tu restes la seule personne en qui je mets toute ma confiance. Stp, promets-moi d’être présente.

-Je serai là Madame… moi aussi je suis orpheline, je n’ai personne… je serai là… pour vous.

- Non, tutoie moi. Et appelle-moi désormais par mon prénom… Justine.

-Je serai là pour toi Justine. Tout comme tu as été là pour moi. Si tu ne m’avais pas offert cette chance là, de m’accueillir chez toi, je serai peut-être encore à la rue. Même si c’est la guerre permanente dans cette famille, au moins j’ai un toit.

Je naquis prématurément un 27 janvier ; ma mère, dans de terribles souffrances, avait été très courageuse. Il n'y avait que Sidonie et mon père qui étaient présents lors de ma naissance. C’était la seule et unique fois qu’il m’avait prise dans ses bras. Son comportement vis-à-vis de ma mère s’était mué en une espèce de froideur et d’indifférence ; il paraissait toujours lointain, perdu dans ses pensées ; fuyant, il y a longtemps qu’il l’avait délaissée, abandonnant leur lit conjugal et lui donnant juste le stricte nécessaire. Ma mère avait accusé le coup. Elle avait tenu bon et tout ce qui comptait pour elle désormais c’était moi.

-Sidonie, si un jour il arrive que tu te maries, n’accepte jamais, je dis bien, jamais la polygamie… c’est destructeur. Je veux juste protéger ma fille Jaïda de tous ces vautours qui rôdent. Je demande la force au Seigneur de m’éclairer dans ce sens ; je me sens si épuisée, je n’en peux plus.

-Tiens bon Justine. Tiens bon… heureusement qu’elle est là Jaïda. Elle doit te donner justement beaucoup de force et de courage. Moi je serai là à tes côtés et tout ira bien.

-Tout ira bien, je le souhaite, mais je souhaite vraiment m’en aller… tu viendras avec nous. On va se battre.

-Je te suivrai.

Une nuit, Sidonie me trouva couchée dans mon berceau et pleurant à chaudes larmes dans le noir complet. Je venais d’avoir 6 mois. Il était près de deux heures du matin ; elle avait cru que Justine n’était pas très loin dans la maison, et qu’elle reviendrait rapidement. Sidonie m’avait prise dans ses bras et tentait de me calmer. Mais Justine ma mère ne revint pas cette nuit-là, ni le lendemain, ni même le surlendemain. Désemparée, Sidonie alerta mon père qui n’était plus que l’ombre de lui-même. Il affichait une indifférence totale vis-à-vis de nous…

-Que veux-tu que je te dise Sidonie ? Si elle est partie, eh bien… je n’ai rien à dire. De toutes les façons, elle a toujours été si entêtée.

-Et le bébé ? Votre fille ?

-Quelle fille ?

-Jaïda… je crois qu’elle a tout simplement voulu vous la laisser, je…

-Va-t-en Sidonie ! S’emporta mon père. Allez-vous-en ! Tu veux quoi ? Un peu d’argent ? Prends-la et amène-la avec toi ! Très loin ! Vous savez très bien ce que vous manigancez … c’est un plan. Va retrouver Justine. Je ne vous veux plus ici.

-Sauf votre respect Monsieur… c’est votre fille.

-Ce n’est pas ma fille !

« Ce n’est pas ma fille» Ce sont les dernières paroles que Raymond Badjeck prononcèrent à l’égard de Sidonie. Sidonie, ma nourrice et tutrice légale depuis lors. C’est elle que je considérais comma ma mère, ma tante. C’est elle qui me narra toute l’histoire et m’avoua cette terrible vérité. Lorsqu’elle prononça cette phrase que mon père lui avait crachée en pleine figure, je marquai le coup; et dès cet instant mon cœur se noua. Je le haïssais de toutes mes forces d’avoir créer, semer le doute et faire naître en moi ce sentiment. A chaque fois que j’y repensais, j’avais le cœur gros et tout le reste de mes journées se soldaient souvent par des pleurs incessants. Sidonie avait toujours été là pour ma mère et moi, jusqu’à ce qu’elle disparaisse comme par enchantement. Elle ne refit plus jamais surface.

-Elle est où? Demandais-je un jour à Sidonie. Tu n’as jamais su où elle est partie?

-Je l’ai cherchée partout! Partout! Heureusement qu’il y avait ce lien entre toi et moi ; je t’ai toujours aimé Jaïda, je t’ai prise comme mon enfant. Ta maman était une femme si douce, si gentille. Et pour elle, tout ce qu’elle a fait pour moi je me devais de le lui rendre. Je n’ai jamais su pourquoi elle était partie si précipitamment en t’abandonnant. Je ne l’ai jamais compris. Il était pourtant question qu’on s’en aille toutes les trois.

-Peut-être à cause des autres femmes de mon père, elles l’ont tout simplement chassée ou bien elles se sont débarrassées d’elle.

-Elle vivait l’enfer sur terre. J’étais témoin. Elle a vite fait de le regretter. Elle disait toujours qu’elle avait fait un mauvais choix en épousant ton père.

-Et ce père ? Il vit encore ?

-Je ne sais pas. Il nous a chassées ouvertement toi et moi, et c’est comme ça que j’ai dû revenir vivre ici avec toi.

Nous dûmes nous en aller par la force des choses, dans cette contrée, ce petit village de quelques habitants. J’y ai passé toute la majeure partie de mon enfance et de ma jeunesse. Je me sentais chez moi là-bas, bien que je sois d’une autre ethnie de part les liens de sang d’avec mon père ; mais ayant grandi avec Sidonie dans son village natal situé dans la région du centre du Cameroun, je me considère comme une fille de cette zone. Elle-même orpheline, elle dû se battre avec les ressources qui lui restaient et avec moi sous le bras.

-J’ai dû prendre certains effets qui appartenaient à ta mère; elle avait laissé une importante somme d’argent, je ne sais pas si elle l’avait fait sciemment pour que je la trouve. Cette somme d’argent nous a beaucoup aidées et c’est avec ça que je suis venue m’installer ici avec toi. Voilà, tu sais dorénavant qui tu es et d’où tu viens. Je souhaite juste que tu sois une fille digne et que tu t’en sortes. Fais tout simplement l’école, je veux que tu réussisses.

Lorsque j’atteins la fleur de l’âge, je passais mon temps à sillonner les rues, à la recherche de ma mère. Je la cherchais partout, je la cherchais toujours, espérant la croiser, ne serait-ce que par le plus pur des hasards. Je pleurais, je priais, et j’implorais le Seigneur de me la ramener ; je l’avais si souvent détestée, me posant mille et une questions, essayant de comprendre le pourquoi du comment. Comment était-ce possible ? Ma mère ! Sidonie venait de tout me relater, cette terrible vérité… à tout juste 15 ans. Cet homme, Raymond mon père, un égoïste, lâche et ingrat, et ma mère Justine, naïve et aimante. Je venais de découvrir la vérité, et j’en eus le cœur fendu.

Je me battais tant bien que mal, en suivant tous les préceptes de la vie. Je devais réussir ma vie et combler ce vide et faire la fierté de Sidonie, ma mère, ma tante, bref celle que je considérais comme tout pour moi.

A 19 ans, j’étais devenue une jeune femme; j’avais décidé malgré tout d’aimer cette vie qui s’offrait à moi. J’étais pleine de vie et je gardais toujours le sourire, malgré tout.

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