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2

-Je suis heureuse de te retrouver.

-Je suis heureux d'être rentré, chuchote-t-il doucement.

L'once de gentillesse qui point dans sa voix me donne le courage de continuer.

-Est-ce que tu veux que je te laisse seul pour te reposer un peu ?

-Non, ça va.

-Est-ce que... tu as mal quelque part ?

Il soupire immédiatement en fronçant les sourcils.

-Non. J'ai pris mes cachets, tout va bien.

Son cardiologue lui a prescrit un nouveau traitement qu'il doit prendre consciencieusement. Il nous a cependant bien expliqué que le problème mécanique du cœur de ne pourra jamais être soigné avec des médicaments. Les petites pilules ne servent qu'à essayer de désépaissir ses fibres pour préserver son cœur.

-D'accord. Est-ce que... est-ce que tu as eu mal pendant la chute ? De quoi te souviens-tu ?

Nos voix ne sont que des murmures et je dois presque retenir ma respiration pour entendre sa réponse.

-Je me rappelle avoir sauté de l'avion. Je me souviens avoir eu peur, avoir ri, avoir crié. Je me sentais comme un oiseau. C'était dingue. Et quand le parachute s'est ouvert, mon corps a été projeté vers le haut. Je ne m'y attendais pas. Je crois que j'ai eu mal à la poitrine mais c'était bizarre. J'étais tout à coup étourdi, essoufflé et j'ai senti mon cœur s'emballer. Il tapait si fort que ça me faisait mal. Ensuite, c'était comme un déchirement. Et puis plus rien.

Son récit me glace le sang.

-Promets-moi que tu ne prendras plus le moindre risque .

Le garçon grogne d'exaspération avant de s'allonger sur le dos. Mes paupières frémissent mais je repousse cette tristesse pour ne pas craquer devant lui.

-Je vais vivre et tant pis si ça ne te plait pas. Je ne veux pas être ce type malade et en sursis que tout le monde regarde avec pitié depuis que je me suis réveillé, gronde-t-il les dents serrées.

-Mais pourtant tu es malade ! m'exaspéré-je en me redressant. Tu ne peux pas faire comme si tu ne risquais pas ta vie à chaque poussée d'adrénaline ! Bon sang, arrête de réagir comme un gamin capricieux !

se lève brutalement du lit. Je m'en veux aussitôt.

-Excuse-moi, je n'aurais pas dû m'emporter mais comprends-moi, je tiens énormément à toi et j'ai peur qu'il t'arrive quelque chose. Tu sais, j'ai bien réfléchi et je pense qu'on pourrait consulter de nouveaux spécialistes. Peu importe où ils sont, tu sais que mes parents m'ont légué un paquet d'argent. Avec tout le fric que mon père a amassé avec son laboratoire pharmaceutique, on a de quoi tenir encore des dizaines d'années. On pourrait traverser le globe si un ponte de la cardiologie acceptait...

-Putain mais ferme-la ! C'est mon problème, pas le tien ! Tu n'as rien compris ! Je ne veux pas parler de cette saleté, je ne veux pas croire en un remède qui n'existe pas, je ne veux pas passer mon temps à chercher une solution impossible. J'ai un compte à rebours au-dessus de la tête, c'est ça que tu veux entendre ? Mes parents m'ont pourri la vie toute mon enfance à la recherche d'un miracle mais c'est fini. Je veux vivre à fond, n'avoir aucune limite et si ça te fout la trouille, tu n'as qu'à partir.

Ses grandes jambes le mènent déjà vers la porte de sa chambre qu'il ouvre à toute volée tandis que je reste immobile, incapable de bouger après tous les missiles qu'il vient de m'envoyer en plein cœur. Je crois que je suis bien trop choquée pour pleurer. Seule une peur cataclysmique s'amuse à tournoyer dans mon estomac, détruisant sans vergogne le seul espoir auquel je me raccrochais depuis le réveil de : il n'acceptera jamais de se battre pour conjurer son triste sort.

Le bruit de ses pas qui dévalent l'escalier me sort de ma torpeur et je me précipite à sa suite. Je retrouve le garçon dans l'entrée, en train d'enfiler ses baskets et sa veste sombre.

-Où vas-tu ?

-Me changer les idées avec les mecs. Je ne sais pas quand je rentre.

Sur ces mots, il claque la porte et me laisse comme une idiote au beau milieu de sa maison. Les larmes me montent aux yeux mais je les ravale de plus belle tout en me dndant combien de temps je parviendrais encore à berner le reste du monde. Dans mon dos, Sabine et Alain accourent dans le couloir, les yeux tout endormis.

-Que se passe-t-il ici ? m'interroge Alain d'une voix d'outre-tombe.

- est... il est sorti faire un tour avec Sam et Nico. Je vais rentrer chez Jamie me reposer un peu. J'ai rangé les courses dans la cuisine et je vous ai préparé le diner de ce soir, déblatéré-je pour contrer les trémolos dans ma gorge.

J'attrape à mon tour mon manteau, mon sac à main et mes chaussures en tournant le dos à mes interlocuteurs. Je sais pertinemment que si je croise leur regard, je m'effondrerai comme un château de cartes.

-Je repasserai din. Reposez-vous bien ce soir.

Puis je claque à mon tour la porte en partant comme une voleuse. La pénombre enveloppe déjà le paysage tandis que de nouvelles averses s'échouent sur mon pare-brise. Les journées raccourcissent à vue d'œil, sans doute le mauvais temps accélère-t-il notre plongée dans la morosité de l'automne. Il est presque 18h quand je me gare en bas de l'immeuble de mon amie. Les lampadaires dépeignent des gouttes jaunâtres qui fouettent les rares passants qui foncent se mettre à l'abri. Le déluge qui s'abat à l'extérieur n'est rien comparé à celui qui ravage mon cœur. Je titube entre colère et peur, jongle entre amour et déception. Je me sens affreuse d'en vouloir à pour son comportement malgré les heures sombres qu'il traverse mais son rejet me fait si mal !

Quand je passe la porte de l'appartement de Jamie, toutes les lumières sont éteintes. Le salon baigne dans le silence. J'appuie sur l'interrupteur et me défais de mon manteau trempé et de mes chaussures. Lorsque je me retourne, je sursaute en lâchant un cri de stupeur.

-Putain Jamie, tu m'as fait peur ! m'écrié-je en placardant une main sur ma poitrine.

Ce geste me rappelle immédiatement ; je laisse alors mon bras s'échouer le long de ma hanche pour me soustraire à mes souvenirs. Mon amie est allongée sur le canapé, le regard perdu dans le vague. Vêtue d'un petit short noir et d'un débardeur de la même couleur, elle flemmarde dans la pénombre, une serviette de bain blanche enroulée sur la tête.

-Qu'est-ce que tu fais là ? l'interrogé-je en poussant ses pieds pour pouvoir m'installer.

Elle se contente de hausser les épaules.

-Tu déprimes ? Bienvenue au club.

-Pourquoi est-ce que tu déprimes toi d'abord ? Ce n'était pas aujourd'hui que sortait de l'hôpital ? s'enquit-elle en se retournant pour me regarder.

Ses yeux rougis et ses pommettes luisantes ne m'échappent pas. Mais je connais mon amie. Si je l'attaque de front, je n'obtiendrai rien d'elle.

-Si. Mais est...

Exécrable ?

Insensible ?

Glacial ?

-... perturbé par son accident.

-Perturbé ? Ça veut dire quoi ça ?

-Ca veut dire qu'il m'envoie chier à la moindre occasion et que je ne le reconnais pas. Il est froid, distant. Il ne veut pas comprendre que j'ai peur pour lui et que j'ai besoin de savoir qu'il sera raisonnable maintenant. Il...

Mes mots s'étranglent au beau milieu de mes larmes. Elles déferlent dans un torrent de désolation sans que je ne puisse les retenir. J'ai tellement peur de perdre le garçon que j'ai toujours aimé ! Il me repousse si durement, je ne sais plus comment lui faire entendre raison. Ce casse-tête me parait ce soir sans issue.

Jamie se redresse pour me prendre dans ses bras. Une fois n'est pas coutume, je m'écroule contre elle. Mes sanglots sont bercés par ses mots réconfortants. Je la laisse prendre soin de moi et me rassurer comme elle le peut.

-Il va se ressaisir tu vas vite le retrouver j'en suis sûre. Mais si tu as besoin de pleurer, laisse-toi aller. Pour une fois laisse-toi aller. On n'a pas tout le temps besoin que tu ailles bien. Le monde s'en remettra, tu verras. Et din, tu pourras relever la tête et prétendre que tout va bien.

De longues minutes s'écoulent jusqu'à ce qu'elle se dirige vers la cuisine pour nous dégoter une bouteille d'alcool. Je suis épuisée. Mon fardeau gisant à mes pieds, je retrouve alors quelque peu mes esprits.

-Pourquoi est-ce que tu comatais dans le noir quand je suis rentrée ?

Jamie soupire mais elle s'empare de deux verres et d'un citron.

-On dit souvent que les mecs sont lâches mais on oublie de mentionner les nanas.

-Tu parles de ta jolie infirmière ?

-Ouais. Cette abominable bombe atomique qui, après avoir pris du bon temps, m'a larguée pour retrouver son mec ennuyeux.

-Quoi ? Vous avez couché ensemble et elle t'a quittée juste après ? m'exclamé-je sans retenue.

-On n'a pas vraiment couché ensemble. Enfin, on a... bref. Elle a paniqué et elle m'a servie un horrible discours en se rhabillant : « ce n'était qu'un moment d'égarement, je ne suis pas comme ça, excuse-moi. Je ne veux pas que tu te fasses d'idées, c'était une erreur ».

Ouille. L'amertume qui transpire de chacun de sa voix me tue à petit feu. Jamie me rejoint et me sers un shooter de téquila. Nous vidons notre verre sans attendre.

-Elle se voile tellement la face. Elle en a autant envie que moi mais elle n'assume pas d'être attirée par une fille.

Je nous sers un autre verre que nous engloutissons avant même d'avoir cligné des yeux.

-Je suis une erreur, ricane-t-elle froidement. Je me dnde qui elle essaie de convaincre avec sa méchanceté gratuite.

-Ecoute-moi bien Jamie. Je parie que Sophia n'avait encore jamais été confrontée à des sentiments qui la détournent du chemin qu'elle s'est tracé toute seule. Alors elle a choisi de te faire du mal pour ne pas affronter la réalité. C'est nul mais tu savais que tu prenais un risque en faisant un pas vers elle. Maintenant, c'est à toi de décider si tu veux t'accrocher ou la laisser t'échapper. Mais ne t'avise jamais de croire que tu es une erreur. Tu es ma meilleure amie et tu es la fille la plus exceptionnelle que je connaisse. Si elle n'est pas capable de s'en rendre compte, tant pis pour elle.

-Je ne sais pas ce que je vais faire. Ce soir, j'ai juste envie de boire.

-Alors buvons !

Nous vidons un autre shooter mais bientôt, le cœur n'y est plus. Nous sommes tellement tristes que nous n'avons même plus la force de nous saouler. Quand Jamie se lève du canapé, la serviette qu'elle avait enroulée autour de ses cheveux glisse pour dévoiler sa chevelure.

Sa tignasse est désormais brune, de la racine jusqu'aux pointes. Exit le vert. Aucune touche d'excentricité ne vient égayer ses cheveux. Ma tristesse se démultiplie de plus belle.

-Jamie ?

-Hum ? marmonne-t-elle en se retournant dans l'embrasure de la porte de sa chambre.

-Montre-lui ce qu'elle rate en te tournant le dos. Fais-la baver et ensuite, laisse la se faire pardonner sur un lit, ou dans une voiture ou dans les toilettes du bar ou...

-Ok, ok, j'ai compris le message, s'esclaffe-t-elle en levant la main pour me faire taire.

Elle s'engouffre alors dans sa chambre et me laisse seule avec seule avec mes peurs.

Je déplie son canapé-lit que je squatte depuis presque une sine maintenant puis j'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles. Je choisis des morceaux de guitare et de piano pour tenter de coucher sur le papier tout ce qui me tourmente.

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