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5

Les joues rosies et le regard pétillant, mon amie énumère timidement les qualités de Sophia. Et c'est à instant que je comprends.

-Oh putain Jamie ! Elle te plait, c'est ça ? Tu craques pour elle ? Non, je n'en reviens pas ! Tu craques pour elle ?

Et contre tout attente, ma Jamie, mon amie grande gueule et toujours prête à rembarrer quiconque aurait la bonne idée de l'emmerder, cette même Jamie baisse les yeux et se met à jouer avec une poussière imaginaire.

-Peut-être... je ne sais pas trop...

Silence.

-Je sais juste que j'ai tout le temps envie de la voir et que j'aime bien quand elle est là.

-Putain, c'est dingue ! Et tu ressens ça depuis quand ?

-Depuis le concert des garçons. Depuis la première fois que je l'ai vue.

-Le coup de foudre quoi !

-Hm hm...

-Attends, mais tu es au courant qu'elle a un copain ?

-Oui mais... je ne sais pas, imagine une seule seconde qu'elle puisse être aussi troublée que moi ?

Je me tais une minute, le temps d'intégrer tout ce qu'elle vient de m'avouer. Si je n'ai jamais su me confier, j'ai toujours raffolé des potins et aujourd'hui, je suis servie !

-Je ne savais pas que tu étais lesbienne...

Je ne sais absolument pas pourquoi ces mots sont les seuls que je parviens à extraire de mes pensées mais dès l'instant où je les prononce, je sens que ce n'est pas ce que mon amie aurait aimé entendre.

-Je ne suis pas lesbienne ! rispote-t-elle. Je... enfin, j'en sais rien. Je m'en fous en fait. Et puis pourquoi faudrait-il toujours mettre une étiquette sur tout. Ouais je suis attirée par Sophia, ouais j'aime les mecs d'habitude et alors ? Je n'ai pas envie de me prendre la tête. Pour l'instant... Sophia me plait. C'est tout.

Wow. Je regarde mon amie droit dans les yeux et en cet instant, je la redécouvre. Bien sûr, elle a toujours ses traits fins qui caractérisent son visage envoûtant. Bien sûr, elle aime toujours se faire rrquer avec la pointe de ses cheveux teints en rose et ses vêtements flamboyants. Mais elle me paraît aujourd'hui plus sensible, plus fragile. Comme si elle voyait petit à petit ses certitudes s'effondrer et qu'elle se retrouvait un peu seule face à de nouveaux horizons. Mais elle ne semble pas effrayée, non, simplement perdue.

Et j'ai compris récemment que ce n'est pas une fatalité d'être perdue. Il faut juste s'accorder du temps pour se retrouver.

-J'espère sincèrement que tu passeras de beaux moments avec elle, peu importe où cela vous mène.

Jamie m'offre un joli sourire avant de s'activer en cuisine pour éviter d'avoir à gérer des émotions qu'aucune de nous deux ne maitrise. Le soleil est déjà en train de décliner dans le ciel, nous en profitons pour nous concocter un petit repas et nous affaler dans le canapé. Depuis le début de la sine, c'est la troisième soirée que nous passons ensemble et à chaque fois, Jamie finit par s'endormir devant la télé après des heures de papotage. Je reste alors un moment à côté d'elle, à griffonner des paroles dans mon carnet. Des paroles qui prennent de plus en plus la forme d'une chanson. Une chanson qui prend de plus en plus la forme d'une déclaration. Mais avant de la présenter à Sam, et Nico, je la peaufine encore et encore.

C'est la première fois que j'écris une chanson. L'idée a germé dans ma tête lundi soir, après que Sam m'a avoué son blocage. En réalité, cela fait déjà un moment que j'ai envie de mettre en musique ces phrases qui tournent en boucle dans ma tête mais je n'ai jamais osé. Seulement, les garçons sont dans une impasse et j'ai envie de les aider. Alors je me suis lancée et... bon sang, j'adore ça !

J'ai dans la tête une douce mélodie, plutôt simple et répétitive, et il me suffit de fermer les yeux pour imaginer les mains de donner vie à ces notes. Je les ai d'ailleurs annotées en dessous de chacun des mots qui caressent le papier. Je mets tellement de cœur dans ces paroles que j'angoisse littéralement à l'idée de présenter mon texte aux garçons. Et s'ils trouvaient ça nul ? Et s'ils se moquaient de tout ce que je dévoile ? Et si aucun de mes couplets ne leur plaisait ?

Et s'ils aimaient ?

Je chasse mes appréhensions à coup de ratures et de rimes, ma main gauche tapant paresseusement la mesure. Il est tard lorsque je m'extirpe du canapé. Je place une couverture fine sur Jamie, profondément endormie avant de regagner la maison de . Au petit matin, je suis réveillée par un boucan d'enfer. De mauvaise humeur, je sors de la chambre en trombe. Je manque tomber à la renverse lorsque je découvre mon frère en train de s'activer dans la salle de bain. Il est à peine 8h, je ne l'ai jamais vu debout de si bonne heure !

-Putain mais qu'est-ce que tu fous Enzo ?

-Merde, je t'ai réveillée ? Désolée je n'en ai plus pour longtemps va te recoucher.

-Comment veux-tu que je me recouche avec le bordel que tu fais ?! Et d'abord, que fais-tu levé si tôt ?

-J'ai... j'ai un rendez-vous mais je te promets que j'ai essayé de faire le moins de bruit possible, me répond-t-il avant de faire claquer la bouteille en fer de son déodorant sur la céramique du plan vasque.

-Tu es plus bruyant qu'un troupeau d'éléphant, grommelé-je en le détaillant de la tête aux pieds.

Ses cheveux sont savamment décoiffés, il porte ses vêtements préférés et il cocotte à plein nez. Mon frère s'est fait beau, il n'y a pas de doute. Mais pour qui ? Je l'arrête alors qu'il s'apprête à quitter la salle de bain.

-Attends Enzo. Où vas-tu ? Pour qui t'es-tu fait si beau ?

-Tu me trouves beau ? lance-t-il avec un sourire idiot.

-Enzo ! Réponds-moi s'il te plait.

-Je vais passer la journée avec Laura, souffle-t-il, agacé par mes questions. Je l'emmène à la mer si tu veux tout savoir.

-Q-quoi ? Pourquoi ça ? Et depuis quand tu passes du temps avec elle ?

-Depuis quelques jours. On s'entend bien et on passe de bons moments ensemble. Bon, je peux partir maintenant ?

-Fais attention à toi Enzo. Elle n'a pas encore tourné la page de son histoire avec et je ne voudrais pas que tu te fasses de fausses illusions.

Le regard de mon frère se fait soudain fuyant. Il dépose un baiser sur ma joue et dévale les escaliers en faisant encore plus de bruit qu'il n'en faisait déjà. La porte de la chambre de s'ouvre au moment même où Enzo fait claquer celle de l'entrée. Je tourne la tête, déjà attirée par l'aura qui se dégage du beau brun en toutes circonstances.

A en juger par ses petits yeux bouffis et ses traits encore endormis, le bazar d'Enzo l'a également tiré du lit. Il se frotte distraitement les paupières, perdu entre sommeil et réalité, avant de laisser sa voix rocailleuse faire trembler mon cœur.

-Il se passe quoi ici ?

-La discrétion légendaire de mon frère. Mais vas te recoucher, il est parti.

-Impossible. Je ne sais pas me rendormir.

Les beaux yeux de papillonnent à travers la clarté du couloir avant de se poser sur mon visage, mon cou puis mon ventre, mes bras, mes jambes. Je frissonne sous son regard animal. Il a pris le temps d'enfiler un t-shirt blanc et un short noir mais je distingue parfaitement ses muscles rouler à travers le coton clair. En une seconde, une drôle de tension s'installe entre nous. La même qui polarise nos attentes depuis le début de la sine. Et je n'ai qu'une envie : goûter à nouveau ses lèvres fines qui gonflent de désir sous l'assaut de mes baisers.

Je dois faire appel à toute ma bonne volonté pour rompre le contact visuel et reculer jusqu'à la porte de ma chambre. Aujourd'hui, c'est le grand jour pour les garçons. La sine a été éprouvante puisqu'ils ont dû jongler entre l'écriture d'une chanson express pour laquelle aucun d'entre eux n'était inspiré et l'interminable tatouage de Sam qui réveille de douloureux souvenirs. Mais ce soir, ils montent sur scène et il est temps pour moi de confier mes paroles à l'homme en qui j'ai le plus confiance.

-J'ai... j'ai quelque chose à te montrer. Viens.

me suit et s'installe sur mon lit défait. J'attrape mon petit carnet, le fixe en passant la paume de ma main sur sa couverture lisse puis je l'abandonne aux mains du beau musicien, le cœur battant. Ses doigts l'accueillent mais son regard est rivé au mien, inquisiteur. D'un geste tendre, il attrape mon poignet pour m'attirer à lui et je m'échoue sur le lit, fermement ancrée à ses côtés. Quand il presse ses lèvres sur ma tempe, je ferme les yeux. Le moindre de ses gestes me pousse au bord d'un précipice duquel je manque basculer. La chute sera à la fois si douce et brutale, j'ai hâte de m'élancer.

ouvre le carnet et commence à lire les premières phrases de ma chanson. Ses yeux parcourent à peine quelques lignes qu'il redresse déjà la tête, choqué.

-C'est... c'est toi qui a écrit ça ?

-Oui... bredouillé-je d'une toute petite voix.

-Tu as écrit une chanson ? Pour le groupe ?

-Oui, je... Vous étiez bloqués et il vous fallait un nouvel écrit alors j'ai eu envie de vous aider. Mais...

-Mais ?

-Mais je n'ai pas écrit cette chanson pour le groupe. Je l'ai écrit pour toi, .

L'émotion qui vogue dans ses beaux yeux est indescriptible. Il me regarde si intensément que je suis sûre qu'il me trouve différente. Parce que depuis que j'ai couché ces paroles sur le papier, une partie de ma forteresse s'est écroulée.

se lève d'un bond, refermant mon carnet d'un geste brusque. Sans me laisser le temps de réagir, il plaque ses mains sur mes joues tandis qu'un baiser féroce foudroie mes lèvres. Sonnée, je reste coite, incapable d'aligner la moindre pensée cohérente alors qu'il s'éclipse déjà. Je ne sens plus que le goût furtif de ses lèvres sur les miennes et la frustration de ne pas avoir su le retenir. Au loin, j'entends le moteur de sa voiture s'éloigner, intensifiant le tsunami déchainé dans ma tête.

réfléchis. Il doit avoir apprécié ce qu'il a lu sinon il t'aurait poliment rendu ton carnet. J'essaie de me rassurer mais la sonnerie de mon téléphone me tire de mes pensées.

-Allo ?

-Bonjour c'est Jason du centre Natur'alliance. Je vous appelle car j'organise une séance de persuasion mentale et j'aimerais que vous participiez. Vous pourriez ainsi rencontrer un groupe très intéressant pour votre cheminement.

-Euuuh... oui, ok. A quelle heure ?

-15h.

-D'accord, je serai là

-C'est une très bonne nouvelle, je suis ravi. Oh j'allais oublier, nous dndons une participation de 200€, j'espère que cela ne vous pose pas de problème ?

Et ben voyons !

-Non, non aucun souci. A tout à l'heure.

L'engrenage est lancé, je ne peux plus reculer.

***

Il est tard lorsque je parviens à m'extirper du centre. Je ne pensais pas que cette séance s'éterniserait autant et surtout, je ne pensais pas que les cinq personnes présentes à mes côtés seraient aussi timbrées. Bon sang, comment peut-on supporter qu'un inconnu nous dicte notre façon de penser ? Je suis régulièrement en proie à mes angoisses et bien sûr, je rêve de m'affranchir de mes propres barrières mais tout de même ! Accepter que quelqu'un m'impose un schéma préétabli me semble inconcevable. Je fais peut-être des erreurs mais ce sont mes erreurs, mes mauvais choix.

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