2
Un bruit de pas lourd m'arrache à mes pensées déprimantes. Le médecin que j'ai aperçu à mon réveil se positionne au pied de mon lit et consulte brièvement mon dossier médical.
-Comment vous sentez-vous Madame Pazzi ?
-En pleine forme ! Bon, on m'explique ce qui se passe ? parviens-je à lui répondre en toussotant.
Le cinquantenaire hausse un sourcil, sûrement surpris par ma répartie mais je m'en fous royalement. Je n'ai aucune envie de tourner autour du pot même si chaque mot que je prononce me déchire la gorge.
-Vous avez été hospitalisée en urgence suite à un accident de la route et vous venez de vous réveiller après huit jours de coma. Vous souvenez-vous de l'accident ?
Un accident ? Huit jours de coma ? Non mais c'est quoi cette blague ?! Je m'apprête à ouvrir la bouche pour le railler quand je rrque le sérieux de son visage. Il ne plaisante pas. Putain ! Il ne plaisante pas !
-Je...je ne... me souviens de rien... Mais comment est-ce possible ? lui dndé-je d'une voix tremblante.
Toute la force dont j'ai fait preuve jusqu'à maintenant s'envole dans un nuage de poussière à l'instant même où je comprends que mon cauchr est en réalité mon avenir.
-Racontez-moi votre dernier souvenir. Réfléchissez tranquillement, prenez votre temps.
-Le... le bal de fin d'année. La soirée au lycée avec tous mes amis. C'était samedi. On est partis au bout d'une heure parce que... l'ambiance était pourrie. On est... on est allés s'installer dans le petit parc à l'angle de la rue Colbert. Et on a... enfin bon, ouais, on a pas mal picolé et fumé.
Je termine ma tirade totalement essoufflée. Même si le médecin essaie de conserver un visage impassible, je rrque bien l'éclair de surprise qui traverse son regard fatigué. Il ne dure peut-être qu'une demi-seconde mais il suffit à me faire paniquer.
-Qu...quoi ? Il est arrivé quelque chose à mes amis ? Et pourquoi suis-je toute seule ?
-En quelle année sommes-nous Madame Pazzi ? poursuit-il en ignorant ma question.
-Bah... en 2010, pourquoi ?
Il ne répond pas mais je l'observe froncer les sourcils en griffonnant des notes sur ce que je suppose être mon dossier médical. S'en suit un flot ininterrompu de questions concernant ma vie, mes parents, mes amis... Ses interrogations sont d'une simplicité si évidente que je dois me retenir de ne pas répondre complètement à côté de la plaque juste pour l'emmerder ! Mais la gravité que je lis sur son visage m'en dissuade très rapidement. Au moment où il plante son regard dans le mien, je comprends que je ne vais pas aimer ce qui va suivre.
-Madame Pazzi, vous allez passer un scanner cérébral approfondi. Suite au choc violent que vous avez reçu, il semblerait que vous souffriez d'une amnésie partielle. Vous avez oublié les sept dernières années de votre vie. Nous... nous sommes en 2017, vous avez 23 ans, pas 16 comme vous semblez le penser.
Vous voulez que je vous dise ce que je ressens à cet instant précis ? Absolument rien. Je ne ressens rien parce que je ne comprends rien. Non mais c'est quoi ce putain de délire ? Pourquoi s'imagine-t-il que j'ai 23 ans alors qu'hier encore, je déambulais dans les couloirs de mon lycée ?
-Je comprends que cette situation vous semble sûrement saugrenue mais nous allons vous aider à y voir plus clair.
-« Saugrenue » ? Non mais vous vous foutez de moi ? Je me réveille d'un horrible cauchr et je replonge dans un autre ! Non mais merde, sortez-moi de là !
La douleur me tiraille les entrailles quand je me mets à hurler. Le médecin ne semble pas s'en formaliser puisqu'il ne sourcille pas. Il reste bêtement planté au pied de mon lit à débiter un tas de conneries.
-Vous avez été admise en urgence dans mon service suite à un violent choc que vous auriez reçu. Un passant vous a trouvée en pleine nuit inanimée sur la voie publique et a appelé les secours. Si vous voulez mon avis, cette personne vous a sauvé la vie. Vous souffrez de graves blessures corporelles et d'une amnésie partielle. A l'heure actuelle, je ne peux pas encore vous dire si cette absence de souvenir est irréversible ou pas. Les prochaines heures seront déterminantes pour votre guérison, soyez sûre que nous ne vous lâcherons pas. Je repasserai vous voir dans l'après-midi. Reposez-vous en attendant.
Alors qu'il s'apprête à quitter ma chambre, je lui lance un appel désespéré. Je tente vainement de me redresser mais plus aucune force n'habite mon corps.
-Pourquoi... pourquoi... je ne sens plus... mes jambes ?
Mes yeux le supplient de me dire que ce n'est qu'un malentendu mais il n'entend pas ma prière.
-On va faire le maximum pour vous aider à gérer ce qu'il vous arrive. Reposez-vous maintenant.
Et sur ces paroles terrifiantes, il quitte ma chambre. Tous ses mots s'entrechoquent un à un dans mon esprit et je me sens perdue dans une dimension qui n'est pas la mienne. Je me mets à paniquer, à suffoquer et j'essaie de fermer les yeux pour me rappeler la couleur des prunelles de mais tout ce que je vois c'est un mur noir contre lequel je m'écrase lamentablement. Un torrent de larmes m'assaille. Je ne maitrise absolument plus rien. Ni mon corps qui semble être en pleine rébellion passive, ni mon esprit qui comprend un peu trop bien que la situation est grave. Très grave.
Mes sanglots déchirants résonnent dans cette petite pièce et m'enserrent encore plus dans leur joug terrifiant. Je ne parviens pas à me calmer, au contraire mes pleurs et mes peurs sont devenus les maitres de mon âme. Mes geignements sont si bruyants que je n'entends même pas l'infirmière s'approcher de moi. C'est seulement quand elle pose délicatement la main sur mon bras que je réalise qu'elle est là. Je m'accroche désespérément à elle et la supplie de m'aider, les yeux totalement exorbités.
-Je...je...s'il vous plait... faites quelque chose...
-Calmez-vous calmez-vous...
-Je veux voir mes parents... je veux mon frère et ... je ne veux pas être seule... s'il vous plait...
La jeune femme m'offre un doux sourire et je m'attarde alors sur ses traits fins et compatissants puis sur son regard bienveillant. Pour la première fois depuis mon réveil, le poids qui comprime ma poitrine semble s'alléger imperceptiblement.
-Je vais voir ce que je peux faire pour prévenir votre famille. Je vais d'abord rester un moment avec vous puis je vais les contacter, d'accord ?
Je hoche doucement la tête alors qu'elle est train de bidouiller je ne sais quoi sur les tuyaux qui sont reliés à mon bras. Petit à petit, je me sens un peu plus détendue. Plus les minutes passent, plus mon esprit s'engourdit. Quand elle se relève et se dirige vers la sortie, je murmure, la bouche pâteuse :
-Comment vous appelez-vous ?
J'entends « Sophia » dans un brouillard puis je sombre. Mes rêves ne sont plus noirs et vertigineux. Non aujourd'hui, j'ai droit à des délires tout droit sortis d'une mauvaise comédie américaine. Je suis sur une ile déserte à me prélasser sur le sable chaud quand un groupe de jeunes s'approche pour me dnder de leur sculpter un mammouth. Et devinez ce que je fais ? Je leur sculpte un putain de mammouth ! Puis je m'enfonce dans la forêt pour grimper aux arbres et rejoindre mes amis les macaques. Quand j'en ai marre de bouffer des bananes et des cacahouètes, je saute dans les airs et j'atterris dans une fête foraine. C'est au moment où j'engloutis ma cinquième barbe-à-papa que je me réveille en sursaut.