Résumé
Je dois peut-être mettre cinq minutes à me calmer complètement. Quand elle estime que je ne risque plus rien, l'infirmière se décolle légèrement de moi avant de me parler avec une voix douce. Je ne sais pas du tout ce qu'elle me raconte, je ne l'écoute pas. Je remarque uniquement Milan qui s'est approché de mon lit et qui se tient derrière la jeune femme en blouse blanche. J'essaie à nouveau de retrouver son regard et cette fois, j'y parviens. Mais ce que j'y lis me brise le cœur. Un mélange de rancœur, de soulagement et d'angoisse ternit ses deux billes bleues que j'aime de toute mon âme. Je n'ai jamais vu Milan me regarder avec autre chose qu'un regard pétillant et protecteur. Putain mais que se passe-t-il ?! Malgré moi, je sens des larmes tenter de se frayer un chemin sur mes joues mais je les refoule du mieux que je le peux. Tout cela, ce n'est pas nous. L'infirmière se tourne vers Milan pour lui demander de lui parler en privé. Ils se dirigent dans le couloir et je tends l'oreille pour comprendre ce qu'elle peut bien vouloir lui raconter mais tout ce que je parviens à distinguer ne m'aide pas le moins du monde.
1
Je veu t'invité a mon naniversaire le 8 aout. Tu est ma copine depui que tu t'est assi a cote de moi en macranelle et que tu m'a prreté ton gouté. Si tu vien, on jouera à cache cache et tu aura le droi de compté.
Arrête de faire la tête. C'est pas de ma faute si tu t'es assis sur un chewing-gum et que Victor s'est moqué de toi. Moi j'ai juste rigolé. Tu as dis que j'étais plus ta copine mais tu restes mon copain. Je veux continuer à aller au collège tous les matins avec toi.
Ca fait un moment que je suis planté devant cette feuille, à chercher le courage de t'écrire. Tu as disparu du jour au lendin. Tes parents ne veulent pas me dire pourquoi tu es partie et tu ne réponds plus à mes appels. J'ai peur pour toi . Où es-tu ? Reviens, s'il te plait. Ma meilleure amie me manque. On ne peut pas se quitter sur cette dispute ridicule. Réponds-moi. Même si c'est pour m'insulter. Mais réponds-moi s'il te plait.
Retour à l'expéditeur. Destinataire inconnu à cette adresse.
Compte rendu du dossier médical de Mme Pazzi / 12 juin 2017
- Patiente arrivée en urgence dans la nuit du 2 au 3 juin, présentant un état grave dont le pronostic vital était engagé après un accident de la circulation.
- Sérieux dommages corporels (membres brisés, perforation pulmonaire, commotion cérébrale, ecchymoses sur le buste, profondes cicatrices dans le dos etc.)
- Dommages cérébraux dont les conséquences restent à déterminer après huit jours dans le coma.
- Amnésie partielle constatée au réveil de la patiente. Derniers souvenirs datés vers 2010.
- Aucune visite depuis son hospitalisation.
Tu ne liras probablement pas ce petit mot parce que je ne suis même pas sûre de vraiment l'écrire mais tant pis. Viens me chercher s'il te plait. Je n'arrive pas à retrouver mon chemin sans toi. Je t'appelle si fort dans mes rêves que je ne comprends pas pourquoi tu ne m'entends pas. Gratte simplement quelques notes sur ta guitare et je les suivrai. Je n'ai besoin que de tes doigts sur les cordes et de ta voix qui envahit mon esprit. S'il te plait, je t'attends.
Un trou noir. Un gouffre. Un tunnel sans fin. Aucune lumière. Seulement un long chemin teinté de noir.
J'ai le vertige dans cette immensité. Je ne suis qu'un grain de sable dans l'univers alternatif qui m'a accueillie et bon sang, je déteste ça ! Je ne suis pas du genre à me laisser abattre mais là, je n'ai plus d'arme. Je suis enfermée dans ce bunker angoissant et mon cerveau a totalement pété les plombs. Je distingue des ombres, des raies de lumière puis des formes mais rien n'a de sens. Je crois que je deviens folle.
Putain, mais c'est quoi ce bruit répétitif ? Il faut que j'ouvre les yeux. Il faut que j'arrête cette machine insupportable qui me tape sur les nerfs. Allez prends ton courage à deux mains et agis ! J'essaie de tendre le bras, je force, je me concentre mais rien n'y fait. Je n'ai pas bougé et ce satané bidule continue de biper. Non mais qu'est-ce qu'il m'arrive au juste ? Si c'est une blague, ce n'est vraiment pas drôle. Il faut que je me souvienne si j'ai pris un truc pas net hier... je croyais en avoir terminé avec ces conneries depuis la dernière fois où m'a récupérée dans un sale état. Enfin bon... si c'est à cause d'une foutue drogue, je n'ai plus qu'à attendre quelques heures et le problème sera réglé.
J'arrête d'essayer vainement de maitriser mon corps et je replonge. Je flotte dans ce passage noir. Je virevolte, j'enchaine les loopings tantôt avec la tête en bas, tantôt avec les bras en l'air et j'ai rapidement la nausée. Je n'ai jamais aimé les manèges à sensation. J'ai toujours fait semblant pour tenir tête à mon petit frère qui me traitait sans cesse de poule mouillée. Et comme une idiote, je rentrais dans son jeu, je serrais les dents et je relevais fièrement le menton. Je m'installais sur le siège sans jamais le quitter du regard et je passais ensuite les trois prochaines minutes à regarder fixement devant moi tout en planifiant ma vengeance dans les moindres détails. Alors, aujourd'hui que je suis coincée dans mon propre esprit à m'infliger moi-même cette torture, vous comprendrez que j'angoisse un peu de ce qu'il m'arrive. Parce que soyons honnêtes, je ne me serais jamais lancée dans cette embrouille de mon plein gré.
Ok, cette fois c'en est trop. Concentre-toi deux secondes et tends ce putain de bras ! J'essaie. J'essaie de toutes mes forces mais rien ne bouge. Cette histoire de fou devient carrément flippante ! Bon... ça ne sert à rien de s'énerver. Je me focalise plus intensément sur mes membres et l'effet que je ressens est semblable à coup de poignard en plein cœur. Non pas que je sache ce qu'on ressent lorsqu'on se fait poignarder mais cette sensation de vide est la pire chose qui m'ait jamais été donné de ressentir. Mon corps est un poids mort. Je tente de toutes mes forces de bouger mes orteils, mes doigts, mes bras ou mes jambes mais rien ne se passe. Je suis une statue de pierre qui accueille sans le savoir un esprit totalement défoncé.
J'angoisse. Ca y est, ça me reprend. Comme quand j'étais plus jeune et que je n'arrivais plus à maitriser mes peurs. Je me réfugiais dans ma chambre et je me cachais sous les draps. Je comptais jusqu'à cent et j'attendais j'attendais j'attendais. Cette routine était mon oasis en temps de crise jusqu'à ce que me découvre roulée en boule. Depuis ce jour, ma routine est devenue inutile. Elle a été remplacée par les yeux perçants de mon ami dont le bleu clair m'enveloppait dans son onctuosité anesthésiante et par sa main moulée spécialement pour la mienne. Oui, parce que sinon comment expliquez-vous que son simple toucher fasse s'envoler mes craintes les plus profondes ? J'avais sept ans quand j'ai découvert son super pouvoir et je n'ai jamais réussi à m'en passer depuis.
Un bruit de porte qui claque me fait sursauter. Enfin... sursauter est un bien grand mot dans la mesure où je n'ai toujours pas bougé d'un millimètre. Disons que mon cœur s'est emballé. Enfin, je crois ? Bref, toujours est-il que j'entends des bruits de pas, des respirations autour de moi mais tout est noyé dans un brouillard de coton. Je crois qu'on parle, je crois qu'on me touche, je crois même que je leur réponds mais en réalité, je suis toujours prisonnière de mon corps. Pas question que je me laisse faire. Je ne suis pas une mauviette qui s'effondre au premier obstacle. J'inspire un grand coup - enfin, il me semble que je le fais - et j'essaie à nouveau de bouger.
Les heures passent. Les gens passent. Les jours passent. Je le sais parce que je distingue maintenant plus clairement les différences de luminosité autour de moi. Je suis extrêmement attentive à tout ce qui m'entoure. Je peux même maintenant reconnaître l'odeur des personnes qui s'approchent de moi. Les sons se font plus nets également. Je comprends des mots, puis des phrases et honnêtement, j'aurais préféré rester dans l'ignorance. La première fois que j'ai entendu le médecin énoncer les mots « constantes vitales », « pronostique vital » et « paralysie », je n'ai pas voulu y croire. Je ne me sentais pas concernée et j'ai même plaint la pauvre gamine qui était l'objet de leur discussion. Jusqu'à ce que je réalise que la pauvre gamine en question, c'est moi. Tous les jours, l'équipe médicale passe me voir et me dnde inlassablement de leur donner un signe de vie. J'hurle, je lance mes bras, je gigote dans tous les sens et j'écarquille même les yeux. Mais ça, ça ne se passe que dans ma réalité. Dans leur réalité, j'imagine qu'ils ne distinguent qu'une jeune fille aux cheveux châtains, au teint pâle et aux yeux clos.
Le matin où j'entendu le médecin parler de « dommages irréversibles », j'ai décidé que je n'avais pas le droit de me laisser condamner. Qu'ils s'imaginent se débarrasser aussi facilement de moi, ça me permettra de leur montrer à qui ils ont affaire quand je me réveillerai ! Tous les jours, entre deux siestes comateuses, je me concentre de toutes mes forces et je fais l'inventaire de ce que je distingue. Je rrque les différences de lumière, les bruits lointains, des voix, des parfums que je reconnais... puis un jour, je réalise que je sens le coton de mes draps taquiner mes doigts. Je ne saurais dire si c'est le matin ou l'après midi, un lundi ou un jeudi mais toujours est-il que je sens ce qui chatouille le bout de mon index droit. J'ai envie de hurler de joie, de danser dans tous les sens, de sauter en l'air mais cette petite fête improvisée n'a lieu que dans ma tête. Puis, à nouveau ce gouffre qui m'engloutit en quelques secondes à peine. Sauf qu'aujourd'hui, il n'est plus noir. Je ne sais pas d'où elle vient, ni si elle existe vraiment mais je suis persuadée que la lumière s'infiltre discrètement dans mon esprit. Et je jubile toujours plus fort.
Je n'ai jamais autant pris mon pied qu'en ce moment-même, à sentir le gant d'eau fraiche que l'infirmière pose sur mon bras pour faire ma toilette. Je n'ai pas besoin de me concentrer ni de forcer, je ressens ma peau mouillée et l'air frais qui passe sur moi sans me dnder mon avis. Putain, qu'est-ce que ça fait du bien de sentir enfin des trucs aussi simples ! Mais ne nous emballons pas, malgré tous mes efforts, mon corps reste un boulet inerte. Et cette constatation m'effraie profondément. Alors, je continue de faire ma gymnastique inconsciente. Je ne lâche rien. Mon cerveau divague déjà bien assez souvent, si j'abandonne mon corps, que restera-t-il de moi ?
Bon les gars, ça commence à être long là. Je ne voudrais pas paraître impolie mais... je me fais clairement chier. Jouer à deviner quelle infirmière me rend visite, ça m'occupe bien cinq minutes mais les journées sont longues. Et surtout, je ne comprends pas pourquoi personne ne me rend visite. Bon sang mais où sont passés mes parents, mon frère et ? J'espère qu'il ne leur est rien arrivé... Non, impossible. De toute façon, je nage seulement en plein cauchr. J'ai juste besoin de me réveiller. J'ai juste besoin de voir la petite tête blasée de mon frère et les yeux purs de . Depuis toute petite, ce garçon est mon double. Il sait toujours ce que je pense et je ressens tout ce qu'il ressent. Il fait entièrement partie de ma vie et nous ne pouvons pas passer un seul jour sans nous voir. Nous avons essayé plus jeunes. Nous avions cinq ans quand il est parti deux sines en vacances avec ses parents. J'ai pleuré pendant 336 heures. J'avais l'impression qu'on m'avait arraché un bras. Quand il est revenu, ses parents sont venus à la rencontre des miens pour se plaindre. Apparemment, avait été insupportable, il faisait tout pour gâcher ce séjour familial et rentrer au plus vite. Ce jour là, nous nous sommes promis que nous ne passerions plus jamais un seul jour l'un sans l'autre. Puis nous sommes partis jouer dans notre cabane dans les arbres. Et nous avons tenu notre promesse.
Ce matin, j'ai mal. Et je suis heureuse d'avoir mal, parce que cela signifie que mon corps m'appartient de nouveau. Cette connerie de paralysie et de trou noir ne sera bientôt qu'un lointain souvenir, j'en suis certaine. En revanche, la migraine qui tabasse mon cerveau depuis de très longues heures n'est pas non plus une partie de plaisir. Les raies de lumières qui s'infiltrent sous mes paupières m'agressent, les brûlures qui attaquent ma peau me rendent dingues mais le pire, ce sont ces satanées douleurs dans les bras et le haut de mes hanches. Putain ce que ça fait mal ! Au loin, j'entends des voix mais je souffre trop pour être capable de comprendre quoi que ce soit. Fort heureusement, le personnel médical semble décidé à être aux petits soins pour moi car je capte le mot « antalgique » et quelques minutes plus tard, je retrouve mon champ de coton. Cependant, je distingue maintenant très clairement une forte agitation autour de moi. Je sens des mains sur mon buste, des souffles près de mon visage, des bruits de papier au pied de mon lit et une lumière si forte, si intense qu'elle me ferait presque regretter mon trou noir.
-Elle revient !
Mes yeux papillonnent, mes doigts se dégourdissent et chaque bouffée d'air que je m'offre me déchire les poumons. J'ai mal dans absolument chaque parcelle de mon corps. J'ai envie de crier de douleur mais un horrible tuyau dans ma trachée m'en empêche. Rapidement, je panique, je regarde partout autour de moi, je ne distingue aucun visage connu et je m'étouffe.
-Ne bougez pas mademoiselle, laissez-nous faire, tout va bien.
Le médecin d'une cinquantaine d'années qui se tient à ma droite semble bien sûr de lui quand il affirme que tout va bien. Ca se voit que ce n'est pas lui qui se trouve allongé sur un affreux matelas d'hôpital, dans une robe immonde qui dévoile la moitié de mes fesses avec un corps qui ne m'obéit pas et un cerveau encore shooté par ma petite session de sommeil forcé ! Je cherche des yeux le seul garçon capable de me calmer mais j'ai beau scruter partout autour de moi, je ne le vois pas. Mon cœur se serre douloureusement quand je comprends que je suis totalement seule et que je ne sais même pas pourquoi.
-Nous allons vous faire passer une batterie de tests, Madame Pazzi. Ne vous inquiétez pas.
Mon lit bouge et j'ai immédiatement la nausée. Le corps médical me fait passer tout un tas d'examens qui me fatiguent un peu plus les uns que les autres mais j'use de toutes mes forces pour rester attentive à ce qui m'entoure.
Après un très long moment, une infirmière douce et souriante me ramène dans ma chambre. Elle vérifie rapidement toutes les perfusions qui me sont administrées puis elle s'éclipse. Mon cerveau carbure à la vitesse de la lumière pour tenter de rassembler toutes les pièces du puzzle qu'est ma vie et je refuse de me laisser envahir pour cette sensation d'abattement qui me tend les bras. Je suis forte bon sang, je ne me laisserai pas faire !
Plus les minutes passent, plus le silence qui m'entoure devient étouffant. Mes yeux scrutent frénétiquement les murs aseptisés de la chambre et j'ai tout bonnement l'impression de me retrouver coincée dans un mauvais film de science-fiction. Ma seule satisfaction réside dans le fait qu'on m'ôte enfin cet horrible tuyau de la gorge. Mais des machines émettent un tas de sons bizarres, mon corps est branché à une multitude de fils et je suis toujours incapable de bouger les jambes.
Le pire dans tout cela, c'est la solitude. Je n'ai absolument aucune idée de ce qui m'a clouée dans ce putain de lit et l'absence de mes proches est tout simplement inexplicable ! Je pense sans cesse à mes parents qui ont toujours été à mes côtés, à mon petit frère qui m'agace autant que je l'aime et à mon meilleur ami. Je croyais naïvement qu'en ouvrant les yeux, mon regard retrouverait enfin ses prunelles bleues mais je suis définitivement seule.