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-T'es tarée ou quoi ? Le jour où une aiguille s'approchera de moi c'est que je serai mort !

Mon rire franc explose dans l'air. Il me surprend autant que qui me contemple désormais avec une drôle de lueur dans le regard.

-Tu sais que tu dois sûrement être le seul tatoueur non tatoué de cette terre, n'est-ce pas ?

-Ouaip et alors ?

Je laisse passer une, deux, trois secondes en lui souriant doucement.

-T'as raison, on s'en fout. Fais ce que t'aimes et le reste n'a pas d'importance. Tu habites où maintenant ?

-Toujours au même endroit, chez mes parents. Mais ils ne sont pas souvent là. Ils... ils se sont installés dans notre maison de campagne et ne reviennent que rarement. J'ai ouvert mon salon de tatouage il y a à peine un an et même si ça démarre plutôt bien, je ne pourrais pas vraiment me payer un loyer.

Je hoche la tête, compréhensive. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais le fait de savoir que habite toujours dans sa maison d'enfance enrobe mon cœur de chaleur. J'aime l'idée qu'il soit toujours le garçon que j'ai connu. Comme si je pouvais naïvement me convaincre que je n'ai pas loupé trop de choses. Je pivote de son côté pour pourvoir le regarder à ma guise, ma joue confortablement emmitouflée contre mon oreiller.

-Raconte-moi tout le reste, chuchoté-je.

Il se tourne lui aussi pour adopter la même position. Je scrute ses iris pour nourrir mon âme de cet apaisement qu'eux seuls peuvent m'apporter. Immédiatement, je retrouve cette minuscule petite tâche dans le coin de son œil gauche. Ce petit éclat de Jade perdu au milieu d'un azur flamboyant. Et je plonge dans son lagon, dans ses mots, dans son histoire.

-On a monté un groupe avec Nico et Sam et on joue régulièrement au Sick one. On s'éclate bien tous les trois.

Nous avons rencontré Nico et Sam en dernière année de collège. Ils étaient nouveaux et ont atterri dans notre classe. a tout de suite accroché avec Nico tandis que je me suis très vite entendue avec Sam. Nico joue de la guitare électrique et chante comme une rock star. Sam, quant à lui, est un batteur hors pair. Très vite, ils ont formé un trio détonnant avec . Je suis heureuse d'apprendre que la vie n'a pas séparé leurs chemins même si une pointe d'amertume trouble légèrement mon sourire.

continue de me raconter les voyages qu'il a faits, les soirées que j'ai manquées et les potes qui n'en sont plus. Je bois ses paroles, trop contente qu'il s'ouvre enfin à moi. Enfin... il fait plutôt semblant de s'ouvrir puisqu'il n'a toujours pas abordé le sujet qui fâche et je commence sérieusement à me dnder ce qui peut bien le rendre aussi triste.

-Et... j'ai une copine. Depuis un an maintenant.

Aie. Ca fait franchement mal. Je n'ai jamais aimé partager mon ami mais ma possessivité serait aujourd'hui bien déplacée.

-Cool. Et comment s'appelle-t-elle ?

Il hésite un instant. Le bout de ses doigts joue nerveusement avec la housse de mon coussin.

-Laura.

-Tiens, elle a le même prénom que l'autre... Tu sais, celle qui nous collait tout le temps quand on était au lycée ?

Son visage se décompose sous mes yeux. Oh putain... non... ne me dis pas que...

-C'est elle, répond-t-il sèchement.

Je le dévisage sans comprendre. Comment peut-il être en couple avec cette fille niaise et trop lisse que j'ai toujours détestée ? Je m'apprête à lui dire ma façon de penser quand il se redresse.

-Stop . Je ne veux surtout pas entendre ton avis.

Mon cerveau se met à carburer à la vitesse de la lumière. Je me rappelle de cette fille aux yeux clairs et aux cheveux blonds, parfaitement apprêtée et toujours discrète. Je me souviens de toutes les fois où elle voulait trainer avec nous alors que je la dégageais sans ménagement. Je ne supportais pas son caractère effacé, sa gentillesse exacerbée, sa capacité à toujours relativiser et son besoin de constamment faire plaisir à tout le monde. Elle était mon exact opposé, c'est pour cette raison que je ne comprends vraiment pas comment a pu tomber sous son charme.

J'ai énormément de mal à ravaler toutes les questions indiscrètes qui fleurissent au bout de ma langue. s'est levé et il se dirige maintenant vers son sac de sport. Putain, il veut partir ! Je me redresse rapidement. Je n'ai que mes mots pour le retenir, je ne dois pas me rater.

- ! Je n'ai rien dit ! Je suis seulement surprise, c'est tout.

-Je n'aurais pas dû t'en parler.

-Mais si ! C'est important pour toi. Le principal, c'est qu'elle... qu'elle te rende heureux.

Ces derniers mots me retournent le bide. Je dois réellement user de toutes mes forces pour contenir mon indélicatesse légendaire. Mon ami est maintenant planté au milieu de ma chambre, son regard allègrement fixé au mien. Je comprends tout de suite que notre discussion à cœur ouvert est close. Apparemment, son couple est un sujet tabou. Réagirait-il ainsi s'il était réellement heureux avec elle ? Je ne peux m'empêcher de me poser la question.

-Ecoute, j'ai aucune envie de parler de Laura avec toi.

Une déferlante de souvenirs afflue dans mon esprit. Je revois toutes les petites-amies de partir en courant par ma faute, soit parce que je les martyrisais sciemment ou parce qu'elles n'acceptaient pas notre complicité. Je me remémore la tristesse de mon ami à chaque fois que ses espoirs partaient en fumée et je réalise que je n'ai plus le droit de le garder pour moi. Plus depuis que je l'ai abandonné. Je souffle longuement, essayant vainement d'extérioriser cette culpabilité qui me ronge.

-Ok. Tu sais, je ne veux que ton bonheur. Alors si tu es heureux avec Laura, ça me va.

Ses deux billes azurines tombent au sol en même temps que ses épaules qui se relâchent imperceptiblement. est un être brut, de ceux qui ne savent pas cacher leurs émotions et qui les assument. Il me balance sa tristesse à la figure avec une telle pureté que j'en reste coite. Je me contente de lui tendre ma main, les mots s'étant totalement disloqués dans ma gorge. Il libère un long soupir avant de laisser tomber son sac de sport à ses pieds et de se rassoir sur mon lit. Je peux à nouveau respirer sereinement.

Ses traits se parent d'une amertume qui me serre le cœur. Impuissante, je l'observe ressasser en silence tout ce qui le peine en attendant qu'il trouve la force de mettre des mots sur ses maux.

Une respiration. Un battement de cœur. Un clignement de paupière. Une impulsion dans les veines. Le tressaillement d'un muscle. Le frémissement d'une lèvre. Je dévore du regard tout ce que son corps me conte dans un autre alphabet. Je rrque les petites ridules au coin de ses yeux, le grain de sa peau, sa barbe brune qui me semble aussi douce que rêche et j'ai soudainement envie de passer mon bras autour de ses épaules pour le réconforter. Je me dnde pourquoi mon cœur sursaute à cette idée, j'ai déjà fait ce geste des dizaines et des dizaines de fois quand nous étions enfants.

-Je ne sais plus Em'.

Je tressaille en l'entendant utiliser à nouveau ce surnom qu'il me donnait jadis. Ce petit nom qui à lui seul scelle notre complicité retrouvée. Je me tortille disgracieusement pour parvenir à tendre le bras dans sa direction. Quand ma main se faufile autour de sa nuque, il laisse tomber sa tête contre mon front et nous restons ainsi quelques instants.

Sa peau chaude contre mes espoirs ardents.

Chacune de mes cellules crépite sous cet afflux de sensations inattendues. C'est sûrement parce que je suis beaucoup trop heureuse de renouer entièrement avec mon ami. Nous baignons dans un silence confortable jusqu'à ce que la voix grave légèrement éraillée de fasse vibrer ma peau.

-C'est juste une mauvaise passe. Ca va s'arranger.

Je déglutis péniblement.

-D'accord.

Ma main tâtonne un instant avant de se poser sur l'Ipod. Je glisse un écouteur dans mon oreille et je lui tends le second. Il relève son regard empreint de vulnérabilité et mon cœur cogne un coup trop fort contre ma poitrine. glisse sa main sur son lecteur de musique en déposant sans le savoir une infime trainée de frissons sur ma peau. Gênée, je dégage rapidement ma main. Il lance une musique que je n'avais encore pas entendue dans sa playlist et je fronce immédiatement les sourcils. Ces derniers jours, j'ai écouté toutes ses chansons en boucle, comment se fait-il que je n'ai pas entendu celle-ci ? Je l'interroge du regard quand son petit sourire satisfait se dessine sur ses lèvres pleines. Il remonte alors dans l'arborescence de son Ipod pour me dévoiler un dossier que je n'avais pas encore vu.

Sur l'écran, j'aperçois les lettres Em&M's s'afficher. Mes yeux s'écarquillent de surprise. Non seulement ce dossier rassemble toutes les musiques que j'aimais mais il porte également le nom dont nos copains d'école nous avaient affublé. L'évidence me frappe alors de plein fouet : notre complicité n'a jamais disparu. Même lorsque nous étions séparés, elle brillait toujours. Peut-être un peu moins fort, peut-être s'était-elle éclipsée derrière de nombreux nuages mais elle était toujours là. Dans chacun de nos gestes, dans chacun de choix, dans chacun de nos cœurs.

C'est beaucoup plus sereins que nous laissons la soirée nous filer entre les doigts. Pendant une sine, nous continuons notre routine. me rend visite tous les soirs. Souvent, sa bonne humeur et nos éclats de rire créent un halo éblouissant qui fait trembler les murs de l'hôpital. Mais parfois, sa mélancolie le submerge et je fais tout mon possible pour ôter ces nuages gris au dessus de sa tête. Ces soirs-là, nous finissions toujours par nous allonger sur mon lit - nos joues partageant le même oreiller - et par écouter de la musique. Les do-ré-mi façonnent des pensées inaudibles qui allègent un peu son cafard. Je ne lui pose plus de question sur Laura et il m'aide à m'ouvrir au monde extérieur. Petit à petit, il me convainc d'informer nos amis d'enfance de ma présence ici. Et un soir, je finis par lui dire :

-M ? Tu... tu veux les appeler ? Je... je ne sais pas si j'y arriverais moi...

Ma voix tremble légèrement mais se contente de hocher la tête. Il ne sait pas à quel point j'ai mal d'admettre cela et de dnder de l'aide. Mais l'assurance que je lis dans ses yeux est presque contagieuse et elle m'aide doucement à calmer la tempête qui gronde dans ma poitrine. Le lendin, il me rend visite accompagné de Nico, Sam, Jamie et Laura. Mon excitation retombe un peu quand mes yeux se posent sur la petite blonde qui a glissé son bras autour de la taille de . Mais l'euphorie de mes amis m'aide à détourner les yeux et à savourer nos retrouvailles.

Jamie lâche un cri strident et pousse les autres pour m'enlacer sans attendre. J'ai toujours adoré cette fille. Quand nous nous sommes rencontrées sur les bancs de l'école, nous avions à peine une dizaine d'années. Notre caractère explosif et notre grande gueule nous rapprochent et créent parfois des engueulades détonantes mais nous avons toujours su passer outre. A la seconde où je la serre dans mes bras, je réalise à quel point elle m'avait manqué. Cette grande brune excentrique aux formes pulpeuses connait ses atouts et n'hésite pas à en jouer. Sa coupe de cheveux évolue toujours en fonction de ses humeurs et je ne peux retenir un sourire quand je rrque qu'elle a rasé un côté de son crâne. Les derniers jours ont dû être houleux !

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