CHAPITRE 2
– Mais en ouvrant le portail, mes parents entendront le grincement.
– Tu n’as pas à t’en faire, je vais gérer ça ; c’est la reine qui t’appelle.
– La reine, quelle reine ? De quelle reine tu parles d’abord ? lui demandai-je, étonnée.
– Ma chère, tu me perds le temps ; lève-toi nous allons partir avant que la furie ne m’obsède.
Pour éviter les cobayes, tranquillement, je me levai de mon lit et m’approchai de ma visiteuse. Une fois en face de sa nuque, moi qui la croyais au départ debout sur ses pieds, j’étais aussitôt surprise de la remarquer debout sur la queue d’une grande baleine.
– C’est quoi ça ? m’écriai-je, essoufflée.
– Tu as peur ? N’aie pas peur. Allons-y ; je ne te ferai aucun mal.
Cinq secondes plus tôt, nous atterrîmes un grand pays, un pays des gros poissons. Les poissons n’étaient pas de ceux d’ordinaires. Une partie de leur composition, soit de la tête jusqu’au rein était le corps humain, mais du rein jusqu’aux pieds n’était que de queue de poisson.
Dans ce nouveau pays où m’avait conduite Aline, y étaient construites des maisons çà et là. Le sol était apercevable. Les arbres y étaient plantés. Mon cœur sautait. Ma respiration avait l’air de ce qui allait se bloquer. J’avais envie de fuir mais pour aller où ? Intérieurement, je me demandais si je pourrais revenir sous le toit de mes parents ou plutôt, dans mon monde habituel, celui des êtres humains. Honnêtement, j’avais peur et je savais que rien ne me restait que la mort.
Aline me traîna jusqu’à la face d’une grande dame qui s’était assise dans un grand fauteuil royal. Celle-ci avait une couronne contre la tête. Ses cheveux étaient aussi longs qu’un boa. Les cheveux étaient tellement longs qu’ils balayaient le sol. À son service, femmes et hommes pilaient du sorgho et du mil dans des mortiers. Certaines femmes préparaient de la sauce fumante sur de gros foyers.
Il y avait des enfants qui jouaient. Ils avaient la même composition de corps que les adultes du nouveau monde où étais-je venue avec ma copine. L’aspect de ce nouveau pays m’effrayait tellement que je perdais mon temps à tout observer autour de moi.
– Ma reine, je suis de retour ! murmura ma compagne tout en se mettant à genoux.
– Sois la bienvenue, ma fille ! lui répondit la présumée Reine.
– Merci, ma reine !
– Et pourquoi as-tu si tardé ?
– Ma reine, au début, elle avait refusé de me suivre.
– Ah bon ? Et pourquoi ?
– Elle avait peur !
– Peur ? Je vois ! Sois la bienvenue, jeune fille !
– Merci, madame ! lui répondis-je à mon tour, toute peureuse.
J’avais atrocement peur. Je n’avais aucun courage. Tout me faisait peur. Surtout quand je voyais leur queue balancer de gauche vers la droite. Je savais que ma vie était terminée. Je ne savais plus quoi faire. Debout en face de leur prétendue reine, je grelottais.
– Jeune fille, comment t’appelle-t-on au pays des humains ?
– On m’appelle Octavia, répondis-je d’un trait.
– On t’appelle Octavia. D’accord, bonne arrivée Octavia.
– Merci madame.
Elle me scruta de la tête aux pieds avant de continuer à me parler.
– Maintenant que tu es venue ici, veux-tu faire partie de notre communauté ?
Quelle était encore cette stupide question ? En tout cas, à cette question, je ne savais quoi lui répondre. Je secouai la tête parce que je ne pouvais jamais être d’accord.
– Si tu refuses d’en faire partie, alors, je te tue sur-le-champ, me souligna-t-elle.
Encore une grosse peur m’emballa le cœur. Et devant cette menace, je ne pouvais pas me taire.
– S’il vous plaît, ne me faites aucun mal je vous en prie.
– Si tu ne veux pas qu’on te fasse un mal, alors tu as intérêt d’accepter de faire partie de notre peuple.
Pour sauver ma tête et ma vie, j’acceptai.
– Heureusement pour toi, finit-elle par dire. Tu es donc prête à nouer l’alliance à laquelle je t’inviterai ?
– Oui, madame !
– On ne m’appelle pas madame. On m’appelle soit Oga ou Reine. À toi de choisir l’appellation qui te convient. Maintenant que tu es d’accord, déshabille-toi et mets-toi à genoux, là.
***
Je me déshabillai et me mis à genoux. La dame au corps poissonneux traîna en effet sa main gauche jusqu’à mon pubis et m’y arracha quelques poils qu’elle mit à la surface d’un petit plateau.
– Soulève tes bras, m’ordonna-t-elle.
À contrecœur, je soulevai mon bras gauche puis celui droit. Elle m’arracha ensuite quelques-uns de mes cheveux. Pour finir, elle me tailla tous les ongles, des doigts aux orteils.
Elle rassembla enfin tous ces composants de mon corps qu’elle mit dans un petit gobelet. Elle cassa un œuf et le versa sur le contenu et en fit un mélange. Oga était torse nu. Sur sa poitrine, se reposaient deux jolies grosses mamelles. Elle pressa celle d’à gauche, en recueillit du lait qu’elle laissa entrer dans le gobelet. Elle pressa aussi celle de la droite et, au lieu d’un liquide blanc, ce fut plutôt un liquide rouge qui en sortit. Elle le recueillit dans le même gobelet. Elle remua enfin tout le mélange et me le fit boire. Et pour finir, elle saisit un autre œuf qu’elle cassa sur ma tête en disant :
– A partir d’aujourd’hui, tu ne seras plus Octavia. Je te baptise au nom des saints de la mer. On t’appellera dorénavant Founkè. Founkè, à partir d’aujourd’hui, quiconque qui te demandera comment on t’appelle, tu leur répondras sans honte qu’on t’appelle Founkè sinon ma malédiction te suivra toute ta vie. À partir d’aujourd’hui, tu es comblée de ma grâce et de tout pouvoir destructeur. C’est ce que tu diras à la tempête qu’elle exécutera. Si tu lui demandes que tu voudrais la voir en personne, elle se transformera en personne. Même si tu recommandes au jour de se lever en pleine nuit, il t’obtempérera. Founkè, tu es désormais une femme douée de puissance. La nature, à partir de ce jour, t’obtempérera. Tu as donc toute ma grâce. Tu peux également m’appeler à tout moment et je te répondrai sur-le-champ. Lève-toi et va te divertir avec tes prédécesseurs.
Impuissante, je me levai sans dire merci à la dame et me dirigeai vers ceux que j’appellerai dorénavant, amis ou camarades. Aline était déjà à table en train de croquer de la pâte accompagnée de la sauce, une sauce que je ne pouvais imaginer à base de quoi elle était faite. À gauche et à droite, il y avait de l’ambiance. Les baffles crachaient de très belles mélodies, on dirait une grande fête.
Puisque c’étaient les pas d’Aline que j’avais suivis, je me dirigeai à son adresse. Ensemble, nous vidâmes le plat qui était devant elle.
– Après, je vais te présenter à mes copains et copines, me promit Aline.
– D’accord ! Mais je trouve ici joli que le monde qui m’a vue naître ! lui chuchotai-je.
– Oui, ici, on ne souffre pas ! Il ne fait jamais nuit non plus. Et toujours, on est en fête.
Ma copine et moi nous mîmes à jaser pendant plusieurs minutes. Je ne savais même plus ce qu’on appelait sommeil puisque celui-ci avait pris le large.
***
Enfin le nouveau jour.
Honnêtement, je ne saurais expliquer comment étais-je revenue au monde des humains parce que je m’étais tout simplement retrouvée dans mon lit avec autour, mon drap bleu.
Mais, à mon réveil, je sentais la fatigue. Malgré ça, je résistai à balayer ma chambre, rangé mon arrière-cour et me suis apprêtée pour l’école.
Ce matin-là, j’avais vu ma copine à l’école. On s’était saluées comme si on ne s’était pas vues il y avait quelques heures. Après nos salutations d’usage, on s’était souri.
À ma place, je m’étais mise à me souvenir des événements de la nuit. Certains chapitres m’arrachaient des rires. J’en riais sans que personne ne sût la vraie raison de mes fou-rires. Parmi les séquences lesquelles je m’en souvenais, figurait celle au cours de laquelle j’entendais les gens parler plusieurs langues. Puisque j’étais nouvelle, il me fallait des jours pour comprendre ces langues.
Avec cette diabolique puissance, j’étais à la fois sous la mer et à la fois dans le monde des humains. Je m’amusais parfois avec mes copines comme à l’accoutumée alors qu’un autre être de moi était sous la mer.
En réalité, j’étais présente dans le monde des humains et étais aussi dans mon nouveau monde, puisqu’il était d’ordre que je finalise tous les rituels de l’alliance avant d’être libérée.
Le sixième jour était en fait le dernier jour des rituels où je devrais être libérée. À ce jour, Oga, notre mère et reine des eaux me remit une bague.
– Porte-la ! m’ordonna-t-elle tout sourire. C’est cette bague qui exaucera tout ce que tu désireras ou voudras. Si tu réussis à accomplir tes missions à bon escient, crois-moi, je te ferai avaler le plus puissant des pouvoirs et tu n’auras plus jamais à te craindre. En ce jour, je te libère ! Va et entre dans ta peau pour commencer ma mission.
– Merci Oga ! Merci de m’avoir accueillie et de m’avoir acceptée parmi vous. Merci infiniment.
– Founkè, vas-y ! Tu as ma bénédiction.
Je quittai le lieu accompagnée de ma copine. Au bout de quelques instants, je me retrouvai à la maison. Sur le lit, je me vis couchée. Doucement, je pénétrai dans ma peau innocente qui était au repos.
***
Aujourd’hui, c’est samedi, jour de repos de certains élèves.
Ma mère, me voyant à la maison, me commanda au marché. Avant ma sortie de la maison, je m’étais mirée. Dans la glace, je savais combien j’étais devenue encore plus belle qu’avant. Toute heureuse, je me jetai au pavé.