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CHAPITRE 10

Or, comme le font certains parents à leurs enfants quand ils commencent par voir l’apparition des caractères secondaires sur leur fille et commencent à la conseiller, mes parents dont ma mère en l’occurrence n’avaient jamais auparavant abordé aucun thème de la sexualité avec moi. Pour mes parents, c’était d’ailleurs un sujet tabou qu’on n’abordait pas.

J’avais peur. Peur parce que je savais les risques qui se cachaient derrière la perte des menstrues. Sans être frappée, je pleurais déjà pour moi-même et ensuite pour ma vie.

***

Depuis trois jours, je ne dormais plus. Dans le lit que je partageais avec Brigitte, fermer les yeux m’était presqu’impossible.

Je pleurais en cachette à tout moment. Je ne savais à qui me confier. J’avais envie d’en parler à ma camarade de table mais j’avais peur. Peur parce que les amis à qui nous nous confions sont encore les mêmes personnes qui nous déçoivent. Je désirais en parler à mon Seigneur mais où le trouverais-je ?

Puisque ma tristesse s’amplifiait, je fus obligée de raconter ma mésaventure à Vanessa, ma camarade de classe.

Ce matin-là, lorsque j’arrivai à l’école, je l’interpellai en cachette et lui racontai mes peines peu importe ce que cela me créerait. Elle m’écouta avec grande attention. Et dans un premier temps, elle garda le silence et me regardait avec un visage plein de tristesse.

– Ma chère, on dirait qu’un homme t’a approchée, ne me dis pas non ? finit-elle par me dire.

Cette tirade de Vanessa m’intrigua mais j’essayai de me relaxer quand même.

– Pourquoi tu estimes ça ? lui demandai-je.

– Ce n’est pas une estimation. Ma maman m’a dit qu’une femme perd ses menstrues lorsqu’elle tombe enceinte. Ce qui veut dire que la grossesse vient mettre un arrêt aux menstrues pour permettre au futur bébé à naître de se développer.

Je le savais, moi-même ; je savais que j’étais tombée enceinte mais il me fallait une certitude. Maintenant que c’était le cas, qu’allais-je faire ? Ne suis-je pas foutue ? Où m’enfuirais-je pour éviter les corrections de mes parents ?

Debout en compagnie de ma copine, je rêvassais. Aussi, je suais malgré la fraîcheur matinale qui distillait de l’air frais.

– Vanessa, jure-moi que ce que tu dis n’est pas vrai ! m’exclamai-je, désolée.

– Mais comment ? Pourquoi devrais-je te jurer alors que ce que je te dis est vrai ? Je suis sérieuse ! Si tu veux, je t’emmènerai voir ma mère et de tes propres oreilles, tu l’entendras te donner plus de détails.

Vanessa était au moins chanceuse d’avoir une bonne mère ; une mère qui lui disait presque tout de la vie.

Je fus complètement perdue. J’eus la chair de poule. Que me feront papa et maman si jamais cette nouvelle leur parvenait ?

Une sueur me traversa l’échine. J’étais enveloppée d’une grande chaleur. Cette déclaration me paraissait assez lourde que je décidai de partager avec Bruno.

À la sortie des classes à dix-sept heures, je n’attendis pas qu’il vînt à ma place comme d’habitude. On ne badine pas quand il y a de sérieux problème. Je ne finis même pas d’écrire toute la leçon qui était sur le tableau avant d’aller le voir à sa place.

Me voyant à cette allure-là, Bruno même en avait déjà deviné quelque chose. Puisque c’était une affaire qu’on devrait traiter entre nous les deux, je le traînai à la terrasse. Il me regardait sans cesse pendant que moi, j’avais la tête basse.

– Mais parle-moi, il y a quoi ? finit-il par lâcher.

Tout doucement, je levai la tête et le fixai droit dans les yeux.

– Oui, qu’y-a-t-il ? reprit-il.

– Bruno, je suis cuite sans feu, lui répondis-je.

– Et pourquoi ?

– Bientôt sept jours, je n’ai pas eu de nouvelles de mes règles, j’ai peur.

Aussitôt dit, je me fondis en larmes.

– Arrête tes larmes et dis-moi la vérité.

– Quelle autre vérité voudrais-tu que je dise ? T’ai-je une fois auparavant blâmé ?

Bruno attrapa sa tête entre les mains comme si on venait de lui annoncer le décès d’un être qui lui était trop cher. Comme si le sol voulait s’écrouler sous ses pas, il se mit à faire des va-et-vient. J’étais debout, regards fixés sur lui mais en réalité, mon esprit était dans l’assiette de mes illusions.

– Dis-moi que tu blagues, me lança-t-il.

– T’avais-je déjà une fois menti ?

– Je sais que tu ne l’as jamais fait mais c’est bien normal que tu le tentes maintenant !

Je m’approchai de lui, et d’une voix calme et douce, je lui répétai la même chose.

– Bruno, je ne peux pas te mentir, crois-moi ; je n’ai pas eu mes règles, je te le jure.

– D’accord, je te crois enfin. Maintenant, qu’allons-nous faire ?

À cette interrogation, je fus un peu heureuse et un peu rassurée car, je savais bien de quoi étaient capables les hommes. Il leur suffisait de goûter à la soupe et de nier après la paternité.

– Je n’en ai aucune idée. J’ai juste peur, peur de mes parents, lui répondis-je d’une voix peinte de tristesse.

– Que te feront-ils, souffle-le-moi ?

– Est-ce aujourd’hui que tu méconnais l’agressivité de mes parents ? Bruno, j’imagine déjà ce qui m’attend.

Un grand silence s’installa entre Bruno et moi qui ne nous disions plus rien.

– Je suis dépassé par les faits, dit-il, en sueur.

– C’est normal, l’encourageai-je.

– Puisque nous ne sommes pas encore prêts à assumer les responsabilités de cette grossesse, on sera obligé de l’avorter.

– Quoi ? Tu veux qu’on avorte ce bébé ?

– Si ! Pour éviter les problèmes bien sûr ! Et aussi, nous n’avons pas encore les moyens requis pour pouvoir supporter les charges d’une grossesse.

Bruno avait raison mais il n’est pas bon d’avorter une grossesse parce que si mes parents avaient avorté ma grossesse, je ne serais pas Grâce.

– Bruno, tu as beau parler mais tu n’as rien dit en réalité ! Et si je mourrais au cours de cette opération que je déteste de toute ma vie, que diras-tu ?

– Je suis de ton avis mais dis-moi ce qu’on peut alors faire.

J’avais la bouche entrouverte. J’avais envie de parler mais ma voix était calée dans ma gorge.

– Réponds à ma question ? reprit-il ; ou est-ce la mort que tu crains ?

J’acquiesçai de la tête.

– Tu ne mourras pas. C’était avant que les femmes mourraient lors de cette opération mais depuis que la modernisation a presque touché tous les secteurs, les femmes n’en meurent plus.

Pour qui me prenait cet imbécile ?

– Bruno, quand tu me regardes, est-ce que tu me trouves comme une fumeuse ? Tu dis qu’on ne meurt plus ? Connais-tu la différence entre « on ne meurt plus » et « on ne meurt pas » ?

Bruno baissa la tête sans plus oser broncher mot. M’imaginant de ce qui se passerait à la maison avec mes parents, j’optai pour l’avortement.

– Ben ! Quand et où le fera-t-on ?

Ce fut à cet instant que Bruno leva la tête et me fixa de son beau regard.

– Tu es enfin d’accord ? Si oui, on le fera demain matin après les cours de dix heures. Je connais un coin qui n’est pas loin de notre école. J’ai une tante là à qui je fais beaucoup confiance. Elle pourra beaucoup nous assister.

J’avais tellement confiance aux histoires mensongères que me racontait Bruno.

– D’accord ! On se voit demain matin pour la suite.

– Pas de souci.

Bruno et moi nous séparâmes. Jamais de ma vie, je ne pouvais imaginer que c’était la dernière fois que je mettrais pieds dans cette école.

J’abandonnai Bruno et pris le chemin de la maison. Debout à la même place, Bruno me regardait partir. En route, je n’arrivais pas à me contrôler. Tout d’abord, c’était difficilement que j’arrivais à soulever les pas. Atteindre vite la maison était la seule chose que je ne voulais pas. Certes, comme tout début a toujours une fin, je finis par l’atteindre.

Sans crainte et d’un cœur chavirant, je m’approchai davantage du portail, j’appuyai sur le poignet et pénétrai dans la cour. Je marchais sans sentir le poids de mon corps sur mes pieds.

Je me dirigeai directement vers le salon. À mon entrée, j’aperçus ma mère que je saluai. Elle me répondit avec joie et me demanda comment a été ma journée ?

– Très bien, maman, lui répondis-je.

– D’accord, va enlever ta tenue uniforme, me chuchota-t-elle.

Toute fière, je l’abandonnai et me dirigeai dans ma chambre ; non, pas dans ma chambre, mais plutôt celle qui était commune à ma grande sœur et moi. Une fois la porte entrebâillée, je vis ma sœur Brigitte, ma sœur unique qui me détestait à mort ; elle était debout à la porte.

Jamais je ne pouvais imaginer que ma grande sœur me surveillerait de pas. Brigitte, parce que j’étais plus belle qu’elle et que ma taille influençait les hommes que la sienne, elle me détestait éperdument comme le diable déteste la parole de Dieu.

Lorsque j’étais arrivée dans la chambre ce soir-là, à voir la façon dont elle me regardait, je pressentis automatiquement qu’elle avait quelque chose sur le cœur. Et pour y faire face, je la saluai, ce que je n’avais jamais l’habitude de faire. Elle fit un ronronnement et moi je la surpassai pour aller enlever ma tenue. C’était la tenue que j’enlevais lorsque je l’entendis m’interpeler.

– Grâce, as-tu eu tes menstrues de ce mois ? me demanda-t-elle, la voix un peu haute.

Une grande peur m’absorba. Je voulais lui demander de parler à voix basse mais puisque je la maîtrisais, j’en fis mine.

– Oui, je les ai eues.

– Mensonge ! Et pourquoi je n’ai pas vu tes couches dans les toilettes ? reprit-elle, sèchement.

Quel était le plan de ma sœur ce soir-là ? Je ne comprenais plus rien. Ses questions devenaient chiantes et emmerdantes mais je n’avais pas le choix. Comme elle était la plus grande, il fallait qu’elle fasse la loi et je crois qu’elle en avait raison.

– N’est-ce pas à toi que je parle ? reprit-elle de plus belle.

Mon cœur battait en trombe. Je pleurais au plus profond de moi parce que j’avais l’impression que la percale blanche tachetée du rouge que je cachais était sur le point d’être découverte.

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