CHAPITRE 11
– Tu n’entends pas ou n’est-ce pas à toi que je parle ? reprit-elle encore.
Cette fois, je commençai par couler les larmes.
– Avec qui comptes-tu jouer à l’hypocrisie ? Avec moi ? Tu te trompes ma chère. Mieux vaut me répondre sinon quoi, je te dénoncerai à papa et à maman.
J’étais en larmes mais mes larmes ne lui disaient pratiquement rien. Pour taire ma sœur, je m’agenouillai à ses pieds et commençai à la supplier.
– S’il te plaît grande sœur, pour l’amour de Dieu, ne me fais pas ça ; ne me dénonce pas à papa ni à maman sinon ils pourraient me renvoyer de cette maison, lui disais-je en lui attrapant les pieds.
– Lâche mes pieds ou pour qui me prends-tu ? Ah bon, je comprends ! Veux-tu me faire comprendre que tu es allée goûter au fruit défendu ? clama-t-elle.
Soudain, la porte de notre chambre claqua et laissa entrer maman. Mon cœur bondit sur ma poitrine.
– Que se passe-t-il ici ? demanda la nouvelle venue.
Un grand silence sombra la pièce. De mon côté, je tremblais de peur pendant que Brigitte me regardait. J’avais la tête basse. Ni ma sœur ni moi, personne n’osa parler.
Or, dans ma famille, la correction était appliquée à tous sans exception. Elle était appliquée sans contestation d’âge ni de taille.
Des pas pressés, ma mère se rapprocha de ma sœur et lui demanda si c’était à elle qu’elle manquait de respect en se taisant pendant qu’elle lui demandait le thème qui faisait l’objet de notre rassemblement.
Aussitôt dit, ma mère lui assena une claque sur la joue droite et voulut lui administrer une deuxième quand tout à coup ma sœur se retira un peu en arrière et lâcha tomber la vérité.
– Pourquoi vous me frappez ? N’est-ce pas Grâce qui n’a pas eu ses menstrues et que nous sommes en train d’en parler ?
Oh mon Dieu, peut-on être si méchant jusqu’à ce point ? Si j’étais à la place de ma sœur, je pourrais dire autre chose à ma mère pour la calmer et dès qu’elle serait partie, je chercherai à résoudre la situation avec ma sœur de sorte que personne n’en soit informé. Mais ma sœur me montra jusqu’à quel degré sa perversité lui prenait la tête.
Si seulement je disposais d’une puissance surnaturelle, je demanderais à la terre de s’ouvrir et j’allais y entrer pour finir avec les problèmes de la vie.
Ma mère me dévisagea pendant une bonne minute et secoua la tête à plusieurs reprises.
– Grâce, dis-moi que ta grande sœur est en train de mentir sur ton compte.
Comme si les mots me pesaient la langue, je ne bronchai mot.
– Non, parle-moi, reprit-elle ; dis-moi que ce qu’elle vient de dire n’est pas vrai.
Que répondrai-je à ces embarrassantes et chiantes questions que me posait ma mère ? Les larmes commencèrent à doubler leurs entrains. Elles coulaient de mes paupières comme si j’avais passé un produit brûlant sur le visage.
De la chambre, j’entendis le bruit d’une voiture : c’était sans doute mon daron qui revenait du service.
Tout mon corps, de la tête aux pieds était recouvert d’une grande sueur chaude. Debout et surplace, je suais telle une femme ayant parcouru un long kilomètre. Moi-même, je savais combien j’étais foutue. Même des yeux fermés, je me voyais déjà à la suite d’une terrible correction.
Ma mère me lorgna puis sortit de la pièce, abandonnant ma sœur et moi derrière elle. Je fixai ma sœur droit dans les yeux et lui lançai :
– Méchante sœur, tu es maintenant satisfaite n’est-ce pas ? merci pour tout. Que Dieu te bénisse pour ce coup que tu viens de monter contre moi. Mais sache une chose, tu m’as créé un tel problème n’est-ce pas ? attends-toi aussi à un sort pareil. Une chose aussi : « sache que dans cette vie, on ne paie rien à crédit ; tôt ou tard, tu paieras le prix de tes actes ».
Pendant ce temps, je ne savais pas que ma mère rapportait déjà l’histoire à mon père qui venait à peine de rentrer du service.
Soudain, la porte claqua à nouveau et laissa voir mon père et ma mère faire leur entrée.
– Grâce, qu’as-tu osé faire sous mon toit ? me demanda mon père l’air colérique.
Que répondrai-je à cette fameuse interrogation ? Devant cette question qui me paraissait assez grande, j’avais l’impression que la terre tremblait sous mes pieds.
– N’est-ce pas à toi que je parle ?
Depuis ma naissance, malgré mes passions sous le toit de mes parents, c’était la première fois où il m’était arrivé d’implorer la mort.
– Bien, avant que je ne retourne dans ma chambre, histoire d’aller changer mes vêtements, il faudrait que tu disparaisses de ma maison, me suis-je fait clair ? me cria-t-il en se retournant sur ses pas.
Je regardai autour de moi et je ne vis personne pour me sauver. Je vis plutôt deux mégères dont l’une avait les cheveux en désordre..
Maman m’observa pendant quelques instants avant de ressortir de la chambre à son tour.
Un laps de temps après le départ de ma mère, je fis ensuite face à ma sœur et lui murmurai avec tristesse :
– As-tu vu ce que tu m’as créé ? Dieu est au contrôle.
Inquiète, elle me répondit :
– Je suis du plus profond de mon cœur désolée. Jamais je ne savais que maman pouvait entendre nos conversations. Je suis désolée. Je te jure que je suis désolée. Daigne me pardonner, je t’en prie.
Pour moi, ce n’était plus le moment propice pour qu’elle me présente ses maudites excuses car, le vin était déjà préparé et il ne restait qu’à le porter à la gorge.
Devrais-je la pardonner malgré ce qu’elle venait de me faire ce soir-là ? Je me le demandais lorsque tout à coup je me souvins de la menace de mon père.
Je jetai un clin d’œil à la pendule murale et y lus dix-neuf heures quarante-huit minutes. Lorsque je jetai un regard dehors, j’aperçus combien la nature sombrait dans le noir.
Où irai-je à cette heure où le crépuscule avait déjà cédé place à la nuit noire ? Qui oserait m’accepter sous sa tente à cette heure où le paysage accueillait déjà les néons çà et là ? Que dois-je faire ? Papa et maman accepteraient-ils mes supplications si je les suppliais ? M’écouteront-ils ? Avec leur rigueur, la réponse était d’office « non ».
Pour faire face à la colère de mon daron, j’enfilai rapidement une petite robe et des pas pressés, je me dirigeai calmement dans la cour de la maison. Ma sœur, en panique, m’observait partir. Je disparus de la cour une poignée de secondes plus tard.
Une fois arrivée sur le portail de la maison, je m’arrêtai pour analyser où me rendre à cette heure-là.
« Seigneur, où passerai-je ma nuit ? » me demandai-je en fixant le ciel déjà qui était immensément rempli d’étoiles.
Impuissante de me maintenir en équilibre, j’adossai le mur de la clôture de mon père. Soudain, une voix intuitive me dit : « va voir Bruno et en parle-lui de ta situation ».
Je trouvai cette idée noble et pris la direction de la voie qui menait chez lui.
Sa maison était très éloignée de la nôtre. J’ai dû faire deux heures de marche avant d’y atteindre.
Triste que je fusse, je pénétrai la cour et entrai dans sa chambre sans taper à la porte.
Bruno avait été surpris de me voir à cette heure de la nuit. Lorsque j’entrai dans sa chambre, je restai debout sans mot dire. Me voyant, il se mit à couler des larmes.
Je le regardais dans son entrain et malgré mes douleurs, je compatissais aussi aux siennes.
– Qu’y-a-t-il ? Tes parents ont fait la remarque ? me demanda-t-il, triste.
– Bruno, mes parents viennent de me renvoyer de leur maison.
Je ne finis pas encore mes déclarations lorsque tout à coup, une dame fit son apparition dans la chambre.
Qui était-ce et que voulait-elle ? me demandai-je.
J’essayai de retenir mes larmes. Je la regardai et lui murmurai un « bonsoir maman ».
La dame, sans m’avoir répondu, répliqua :
– Que cherches-tu, jeune fille ?
Mes pleurs m’avaient déjà anéantie et je n’avais plus la force de répondre comme cela se devrait.
– N’est-ce pas à toi que je m’adresse ? Je demande ce que tu viens foutre dans la chambre de mon fils à pareille heure et tu es incapable de me répondre ?
Ce fut le passage nominal « la chambre de mon fils » qui me fit deviner que c’était la mère de Bruno.
Sur-le-champ, mon cœur commença à battre la chamade. Je pariais déjà combien cette dame musclée me jetterait à la porte.
Où me réfugierai-je si éventuellement elle se permettait de me jeter effectivement à la porte ?
Mon stress s’amplifia. Je commençai à songer davantage aux scénarii d’une vie dans les rues. Dans un songe, je me voyais effectivement jetée à la porte par cette dame dans un premier temps et, par malheur, je me voyais violée puis tuée par des brigands dans un second temps.
Debout et impuissante, je rêvassais lorsque tout à coup j’entendis :
– Vous savez, mademoiselle, mon fils n’est pas encore en mesure de recevoir sous sa tente, la visite d’une femme, est-ce que c’est clair ? Maintenant, il est temps que vous partiez d’ici avant que je ne vous foute à la porte.
Je jetai un clin d’œil à l’adresse de Bruno. Celui-ci me regarda à son tour mais avec un air très piteux. J’imaginais ce qu’il vivait dans son esprit et j’en compatissais.
– Bruno, appelai-je, s’il te plaît, dis à ta maman de ne pas me renvoyer, je t’en prie ; lui dis-je en m’agenouillant.
Bruno eut pitié de moi et lorsqu’il voulut adresser une parole à la mère, celle-ci l’interrompit immédiatement.
– Tu la fermes, Bruno ! Je t’ai déjà maintes fois interdit dans cette maison que quand je parle, tu n’as pas droit à la parole sauf si je te donne l’autorisation. Alors jeune fille, lève-toi et sors immédiatement de la chambre de mon fils avant que je ne crie au secours.
– Oh maman, ayez piti…
– Va-t-elle se taire et me foutre le camp ? Ou est-ce moi qui t’ai mise au monde pour que tu m’appelles maman ? Ou veux-tu que j’appelle les voisins d’à-côté avant que tu ne t’effaces ?
Je compris aussitôt que cette dame avait approximativement dans ses veines, le même sang que mes parents.
Suite à la recommandation de la mère de Bruno, je me levai calmement et regagnai la porte.