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Le coup de foudre

CHAPITRE 4 : LE COUP DE FOUDRE

Ivan Agbessi ADELA-LOTSUI

Nous avions effectué plusieurs traitements et opérations à succès ces derniers jours. Nous avions libéré nombreusement de patients autant que nous recevions de nouveaux souffrants. Je peux avouer sans bafouiller que toute l’équipe médicale a travaillé dans une sérénité agréablement plaisante.

Ni stress, ni frustration, chaque corps soignant était libre de ses mouvements. Car, la seule personne qui les offusquait pour m’indisposer aussi était en congé. Elle en avait pour un mois. Il y avait alors une vraie ambiance chaleureuse, une atmosphère gaie, et j’aimais particulièrement cela. C’était effectivement de cet esprit-là que je voulais pour tout le personnel au quotidien : concorde et harmonie. Hélas, ma fiancée Sikavi ne le permettait pas et m’insupportait au plus haut point avec son attitude.

Cette nouvelle semaine-là, ce lundi matin-là, elle était là. Son congé était fini. Il était facile de déceler le changement subit du climat. La tension était redevenue lourde. Tendue.

Il y avait du rechignement sur les visages, témoin du dégoût que l’on lui portait, et, que, plus personne ne souhaitait la revoir. Il n’y avait guère de grâce, ni de joie apparente dans les humeurs. Le ver avait de nouveau pénétré la poire. Si seulement ils avaient le pouvoir de la faire quitter du milieu d’eux et l’envoyer ailleurs ; loin, bien loin !

Même moi, je savais que ma tranquillité et mon aise avec les autres allaient prendre encore des coups suffocants, j’allais de nouveau être coincé dans ma chair.

Nous en venons au fait. Le passage des équipes soignantes de ce matin au chevet des patients avait déjà débuté dans les salles. J’étais quant à moi à mon bureau, en train de me préparer psychologiquement. Nous avions ce matin une craniotomie à effectuer sur une dame ayant été victime d’une chute de circulation. Elle était tombée d’une moto et cogna son crâne sur l’asphalte. La plaie avait déjà suturé. Mais elle avait une lésion interne non décelée aux traitements, et elle était en proie à un traumatisme crânien. Une opération chirurgicale s’imposait.

Mon assistant venait de m’annoncer que le bloc était déjà prêt, la patiente dans les bonnes conditions. Il importait pour moi de me recueillir pour la réussite de l’opération. On a beau s’habituer à cela, on l’a beau pratiquer, on l’a beau réussir à tous les coups, ce moment est toujours fastidieux. On a toujours ce truc qui tique les sens, se demandant comment serait l’issu. Quel sort était réservé au patient dans nos mains les minutes à venir. Car chaque opération a sa particularité, ses contours et ses complications. Chaque opération est une nouvelle expérience, une nouvelle épreuve indépendante de celles déjà effectuées à succès. Et une opération, surtout une opération crânienne, est pour moi, personnellement, l’expérience la plus intéressante et, en même temps, la plus « hideuse » et la plus risquée en médecine. Par conséquent, je m’attelle à me mettre toujours dans les meilleurs esprits pour que tout soit un succès.

J’étais pour cela en pleine méditation d’un court instant à ravir au temps lorsque mon bureau s’ouvrit brusquement sur moi. Je sursautai et levai la tête pour avoir mon regard tombé sur Sikavi pénétrant le bureau en furie.

—C’est de ta faute si ces morveux et morveuses se permettent de me défier dans cet hôpital, Ivan, me laissa-t-elle entendre, d’un ton écœurant, et tapant vigoureusement sur le bureau.

J’eus sur le coup du sang monté à la tête. J’eus la rage. Déjà les premières heures de son retour des congés et bonjour les conflits. Et pour que déjà, je passasse à un procès, sur banc d’accusé. J’essayai quand même de préserver ma contenance, et de lui demander :

—Je peux savoir ce qu’est encore déjà le souci, Sikavi ?

On dirait que moi, je venais de l’irriter encore plus avec ma quête de savoir ce qui n’allait pas.

—Ce qu’est encore déjà le souci ! Encore déjà ! Et c’est quel langage est cela à mon égard, semblait-elle s’indigner en rouspétant.

—Sikavi, soit tu me dis ce dont il est sujet, soit tu sors de ce bureau, et tout de suite ! Tu peux même retourner à la maison, tu as ton congé prolongé jusqu’à x temps sinon je n’ai pas la tête à des broutilles adultes ce matin !

—Voilà ce que je disais. Exactement ce que je disais ! que tu es responsable de tous les embêtements auxquels je fais face dans cet hôpital. Je ne sais au nom de quel diable, tu permets à des morveuses, à des connasses, à des larves de me défier en leur faisant croire qu’elles pou…

—Tu m’arrêtes ça tout de suite, tu diminues d’un ton quand tu me parles et tu arrêtes de traiter des humains comme toi de larves ! lui coupai-je la parole d’un ton remonté maintenant. C’est quoi ce comportement primitif et ce langage ordurier que tu as ? Tu te crois dans une monarchie antique ici où ta famille détient la royauté absolue ? Evolue, bon sang ! Tu n’es pas la seule supérieure dans ce centre. Alors c’est quoi tu es la seule à se plaindre des embêtements ?

Elle fit ses pas, posément, pour venir me coller le visage :

—Tu n’es qu’un pauvre lâche ! Tu sais quoi Ivan, tu commences sérieusement à me taper sur les nerfs dans ce centre. Des gens de bas étages me manquent excessivement de respect et défient mon autorité. Et mon cher fiancé, mon cher futur époux, le grand docteur ADELA-LOTSUI, trouve que c’est moi, le souci pour me tancer. Mais je vais te dire une chose : tu n’es en réalité personne. Tu n’es rien. Et je vais mettre chacune de ces ordures dans leur poubelle. Note-le. Je t’averti. Maintenant, fais savoir à celle que vous venez de faire venir ici, ce haillon, que moi, Sikavi, personne ne défie mes ordres, encore moins une paysanne comme elle, avec son odeur rustique si piquante.

J’écarquillai les yeux en prenant connaissance de qui elle avait à faire ce matin. Je n’en revenais pas. La nouvelle infirmière ! Une nouvelle venue. C’était juste une semaine. Et elle venait à peine de la rencontrer, pour des altercas déjà. Sikavi ne pouvait pas tomber si bas. Même si je ne savais pas encore laquelle des deux avait vraiment tort, j’avais au moins une idée de celle qui était en face de moi.

Enfin, je dégageai mon visage du sien qu’elle maintenait toujours insolemment, continuant de me défier. Je pris un ton calme mais timbré et résolu pour lui dire ma désolation :

—J’ai franchement honte à ta place, Sikavi. Je ne peux pas te cacher ma déception profonde de toi. Tu me désoles. Franchement ! Tu ne peux pas montrer déjà à cette nouvelle infirmière ce que tu es : outrecuidante, présomptueuse. Et à peine de retour du congé !

Ça fait déjà combien de minutes à l’horloge sur ta reprise de fonction, pour lui afficher ta condescendance extrême, que tu n’as que du mépris pour les autres ? Tu viens de te livrer à vil prix à ses yeux, cependant que tu es une soignante de formation, pour soigner les émotions des autres et non faire le contraire bon sang !

Et laisse-moi te dire, pour le petit rappel : tu n’as aucune autorité dans ce centre. Mais alors aucune. En dehors de ton statut, de ton titre de docteur pour leur être « supérieure », tu es une simple employée comme ces infirmières et autres et tu es appelée à te soumettre à la discipline d’ici. Respecter tout le monde, les respecter scrupuleusement. Même la plus petite d’entre elles. Parce que dans ce cadre, nous sommes tous liés par un rapport professionnel. Et tant que tu ne vas continuer de montrer que du mépris et de l’impertinence à tes semblables que tu ne trouves pas tes égaux à cause de ce statut de… docteure et de…de…de ton privilège social, tu ne me verras plus sur de bonne mine ici au travail.

Maintenant, revenons à toi et moi. Tu respectes désormais mon bureau. Ici est un lieu de travail comme je venais de te l’alluder déjà et j’y suis le garant. C’est mon bu-reau. Nous n’avons à y avoir que de relation professionnelle, indépendamment de qui nous sommes toi et moi hors du centre. Tu respectes mon hiérarchie, sans plus jamais pénétrer ici rouscailler, maugréer, fulminer, comme bon te semble. Tu passes désormais par mon assistant et avoir de mon autorisation avant de traverser cette porte. Maintenant, veuille bien m’excuser, j’ai à aller au bloc.

Elle se retourna sur soi, blessée dans son estime et me sortit :

—J’ai à demander maintenant autorisation avant d’avoir accès à ton bureau, en passant par ton assistant ; ce que tu as le zèle de me dire, Ivan ! Moi ta fiancée ! Moi Sikavi ! Sikavi de la famille ABLEVON ?

—Oui, c’est bien cela ! Et être ma fiancée n’est pas un titre d’honneur. Et le nom de ta famille si prestigieuse que tu aimes tant marteler comme une pubère excitée ou une jument en chaleur n’est pas l’enseigne, encore moins l’insigne de ce centre qui n’est pas à son tour la propriété de ta famille.

—Et à cause de qui, de quoi ? Ces varioles et varicelles ! Ces pouffiasses, pimbêches ! C’est effectivement cette reproche que je suis venue pour te faire. D’avoir un assistant, mais passer outre et faire entrer ces filles sans importance dans ton bureau comme bon leur semble, familiariser avec elles pour qu’elles en prennent la tête et me manquer de respect sous tes yeux comme si nous étions des camarades. Et c’est contre moi tu retournes ton épée ? Tu es vraiment hardi, Ivan !

—Tu as encore quelques secondes pour disposer. Je dois y aller. Du sérieux m’attend et tu me fais mariner les collègues.

Sans mot, un regard de mépris, elle se retourna pour ridiculement, s’en aller.

—Une dernière chose, lui dis-je pour la faire se retourner à la porte en train de prendre la clenche, nous nous voyons désormais professionnellement quand nous sommes au travail. Nous sommes des collègues de service ici et non un couple !

Elle me lorgna avant de disparaître derrière la porte qu’elle claqua vigoureusement. Sans même réfléchir, je pris hâtivement le téléphone et appela l’assistance.

—Assistant, veuillez faire entrer la nouvelle infirmière, l’infirmière Dogbéda TOKONOUBA dans l’équipe du bloc. Faites-lui savoir que c’est un ordre de la hiérarchie et elle doit s’y joindre immédiatement. Je suis là dans quelques secondes. Dites aux collègues de faire entrer aussi la patiente ! ordonnai-je puis raccrochai sur-le-champ sans attendre même un soufflement comme retour.

Ma décision sur coup de tête était pour éviter que Sikavi retournât à l’infirmière pour l’affronter alors que je serais occupé au bloc et qu’un scandale fût. Elle pouvait être capable de n’importe quoi. Je ne l’eus aucune confiance.

Je me présentai au bloc cinq à sept minutes environ plus tard. L’infirmière, la concernée Dogbéda TOKONOUBA, était effectivement présente dans l’équipe comme je l’avais demandé. Je la sentis nerveuse et en même temps embarrassée à ma vue. Elle se questionnait sûrement sur le fait que je la conviasse au bloc, et d’un coup. Dans le regard des autres protagonistes, ils se posèrent aussi probablement de questions.

—Mademoiselle TOKONOUBA, ça va ? Vous allez bien ? demandai-je à l’infirmière sur un ton amène pour l’apaiser et à se sentir libre dans sa chair.

—Euh, oui, doc, docteur, bredouilla-t-elle, le profil fuyant mon regard.

—Soyez relaxe, ne vous stressez pas de la sorte, la rassurai-je.

—D’accord, merci !

Mon cœur sauta dans ma poitrine ; elle leva son regard timide sur moi cette fois-ci en répondant. Mais, cette jeune dame, elle avait dans ses yeux (malgré le trouble qui s’y lisait par son état nerveux palpable dans lequel elle était) une telle lumière vive pour m’éblouir, et un regard percutant pour me traverser avec des ondes douces et chaudes à la fois ! Tout un mélange de sensations agréables ! J’eus des frissons sur le coup. Toutefois, je me retins du mieux possible pour ne rien manifester. Je bredouillai quelques mots d’excuses aux collègues et les invitai enfin à procéder à la tâche qui nous incombait.

Plus l’infirmière TOKONOUBA, nous étions maintenant neufs intervenants, pour nous affairer autour de la patiente. Je fus tout de suite présent dans l’équipe au bloc. Nous nous changeâmes intégralement, la partie de nos visages à cacher, cachée, de multiples sas de sécurité passés comme le requiert une opération chirurgicale.

Nous invitâmes enfin la patiente sur le lit. Je soufflai sous mon masque pour me décontracter, tandis que la patiente, cependant, nous fit une demande des plus ahurissantes qu’aucun patient n’avait jamais faite auparavant depuis que j’exerçais ce métier.

—S’il vous plaît, docteurs, je peux dire une prière à mon Dieu avant d’allonger mon corps sur ce bloc ? Je veux bien lui confier mon sort avant de m’avancer vers la ligne à frôler, fit-elle savoir.

Dans ses yeux, pouvaient se déceler de l’émoi. Mes paires vinrent me regarder subtilement dans les yeux : ce fut de la torpeur. J’acquiesçai de la tête délibérément et l’accord lui fut donné. Elle formula un merci, mit ses genoux à terre et alla à sa prière audiblement :

« Seigneur, mon Dieu et mon Roi, toi qui savais, avant même que je ne fusse, que je subirais pareille épreuve. Ô papa, toi qui l’as voulu ainsi, tu connais alors aussi l’issu, tu sais ce qui adviendra dans les secondes suivantes où je vais allonger mon corps dense sur ce lit. Je demande que ta volonté soit faite et la victoire soit tienne à la fin, papa !

Prends possession à l’instant même de ses gentils docteurs pour mener à bien leur travail. Ne permets à aucun esprit malveillant de troubler ton plan et saboter leur travail.

Papa, j’ai confiance en toi, tu n’as jamais déçu depuis l’éternité. Je te prie, manifeste-toi ici et maintenant et purifie ces lieux, ces outils, et ces mains qui vont faire office de travail sur ta fille. Papa, je te confie leur savoir, je te confie leur état d’esprit pour être eux-mêmes dans ce qui va se faire. Eteins tout état second en chacun d’eux. Fais disparaître toute nervosité, toute pression, toute compromission quelconque qui serait en train d’agir en l’un d’entre eux actuellement pour une raison ou une autre. Donne-leur sérénité et éveille-les pour ce qui va se faire. C’est pour ta gloire, papa. Ne laisse pas ta fille à la tentation que tu n’as pas prévue pour elle. Honore ton nom et que je lève les mains pour témoigner de ta gloire et te chanter encore Hosanna !

Papa, tu es amour. Ne laisse rien outre que toi intervenir ici. Je sais que tu me l’as déjà fait, je sais que tu as déjà glorifié ton nom. Au nom du Seigneur, j’ai prié. Amen ! »

Elle leva ses yeux sur nous après ses derniers mots.

—Merci pour l’occasion que vous m’avez donnée. Les cieux sont ouverts, Dieu a glorifié son nom. Nous pouvons y aller, nous dit-elle.

Et elle monta si détendue le lit, et elle s’allongea, et elle se laissa, et elle s’abandonna complètement, prête à tout. J’avoue que je fus stupéfié par pareille scène. Nous fûmes d’ailleurs tous restés concentrés jusqu’à la fin de sa prière.

Mécréant en un Dieu quelconque je fus, mais les mots, les invocations de cette femme, comme si elle savait exactement dans quel état, moi, personnellement, j’étais, alors que c’était encore moi qui allais faire office de chef d'orchestre sur elle, avaient d’effet sur moi. Je fus envahi par une sérénité insaisissable. Je ne ressentais plus, comme par enchantement, aucune nervosité de la dispute juste eue avec Sikavi. Et cette sérénité-là semblait emplir tout le bloc. La parole est vraiment un verbe et le verbe a agi.

Nous nous mîmes au travail, chacun s’activant ardemment à la tâche qui était sienne. Je rasai personnellement la patiente, l’anesthésiste fit son travail, pour la plonger dans le coma. L'infirmière anesthésiste adapta l'anesthésie en fonction des différents temps opératoires, ainsi de suite pour chaque corps présent dans nos rôles respectifs. Enfin, tout était prêt pour procéder à la chirurgie, nous y allâmes.

L'infirmière Dogbéda TOKONOUBA me servit d’instrumentiste, elle était le prolongement de ma main de chirurgien. Elle joua impeccablement son rôle. Elle me remettait les instruments en temps voulu, au moment voulu, quand j’en avais besoin. Elle me suivait attentivement à ma tâche et anticipait ce que j’allais faire. Je fus satisfait de son application. Cependant, je fuyais sacrément son satané regard. Je ne voulais pour rien le frôler et me voir déstabiliser à ce moment crucial ; j’avais besoin de toutes mes concentrations. J’avais besoin de mes sens.

Enfin, tout se déroula dans les conditions favorables possibles. Aucune complication aussi minime ne fût-elle. L’opération fut un brillant succès. En un temps record, nous finîmes.

Ce fut maintenant le temps des sutures, une des missions de l'interne.

Alors que l’interne refermait les incisions ayant servi à passer les instruments, l'infirmière anesthésiste, Pamela TODJIHOUN, veillait pour le réveil de la patiente : un moment très délicat.

Une fois que tout fut fini, l’infirmière Dogbéda TOKONOUBA rangea les matériels, et moi je devais préparer le rapport. Les chargés sortirent notre patiente du bloc pour l’emmener dans sa salle en attendant son réveil.

Et alors que nous le reste sortîmes aussi du bloc, j’interpellai l’infirmière TOKONOUBA : “mademoiselle TOKONOUBA, veuillez me retrouver à mon bureau, s’il vous plaît !” lui recommandé-je

Ses yeux sur moi de nouveau pour acquiescer anxieusement l’ordre, et encore, mes sens se troublèrent…

LE DOCTEUR INTERDIT

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