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La pression

CHAPITRE 5 : LA PRESSION

Dogbéda TOKONOUBA

Je vis ce lundi matin le monde tourné à l’envers sous mes yeux. Je réalisai les propos de la collègue Bernice quelques jours plus tôt, et m’aperçus que ce centre allait vraiment être d’une turbulence pour moi, alors que j’intégrais très bien déjà le corps. Bernice me mit dans le bain avec les autres infirmiers aux vestiaires le lendemain de notre marche ensemble. Et je les intégrais déjà, moi, amie des bonnes humeurs et de l’euphorie.

Nous étions ce matin en effet dans la salle 098, pour la routine au chevet de nos patients. C’était à la pédiatrie. Les visites et autres venaient d’évacuer la salle sous notre demande. Ce, pour éviter des encombrements et faire sereinement notre travail. Il n’y avait qu’un seul garde-malade au chevet de chaque enfant pour d’éventuelles questions ou recommandations au besoin. Nous fûmes quatre infirmiers au total. Deux filles et deux hommes.

Alors que nous vaquions à notre travail au chevet de ces enfants en consultant d’abord leurs carnets et fiches de santé, une dame en blouse, une docteure, très belle et splendidement raffinée, un teint célestement lustré (je vis mon tein sur le coup comme une saleté au côté du sien) fit son entrée. Tous les regards se convergèrent sur elle : son parfum était hautement savoureux à l’olfaction malgré les éternelles odeurs persistantes des hôpitaux.

Les mains au fond des poches de sa blouse, démarche mesurée, elle promenait un regard reflétant tout de suite du dédain sur toute la salle, sans aucune considération à quiconque. Pas même un petit salut pour les mamans des enfants. Je sentis les collègues instamment stressés à sa vue. Ils fléchirent tous leurs genoux pour la saluer « bonjour, docteure ! », à son arrivée à leur niveau. Moi, je fus au fond de la salle.

Non seulement elle ne leur répondit pas, elle rechigna comme si elle venait d’être entrée en contact avec un tas d’ordures infectes et les lorgna.

« Hein ! » écarquillai-je les yeux, estomaquée face à pareille scène indigeste sous mon regard. Les parentes au chevet de leurs enfants n’en restèrent pas indifférentes. Toute la salle entra en consternation.

Je fus désenchantée immédiatement. Mon émerveillement à sa vue est perdu à la seconde. Je sentis une boule me monter dans la gorge. “Quelle hautaine ! Quel être méprisable !” me demandai-je, ahurissamment.

Mes pensées allèrent directement à la fameuse docteure Sikavi AGBLEVON, la fiancée du major du centre, dont m’avait parlé Bernice. Je me fis à l’idée immédiatement que c’était elle.

La docteure et moi, nos regards se croisèrent. Je déglutis et tournai le mien pour le plonger dans le livret dans mes mains. De ses pas comme si elle méprisait le sol, lui faisant cependant grand honneur en se salissant pour poser ses pieds sur lui par obligation, je la sentis venir à moi. J’en devenais lourde. Elle fut à ma taille.

—Et toi, c’est qui ?

J’eus rêvé sûrement. Sinon moi-même, avec toute cette condescendance !

Tous les yeux étaient sur nous, dépassés. L’une des infirmières me fit le clin d’œil de ne pas lui résister lorsque mon regard croisa le sien. (Lol), c’était mal me connaître.

—Pardon ? lui demandai-je à mon tour, visage renfrogné et interrogateur.

Elle ne sortit point un mot. Mais avant que je ne le réalisasse, elle me retira déjà le carnet des mains et me bouscula. Je manquai de tomber.

—Savez-vous vous respecter quand même, madame ? lui demandai-je.

—Toi, tu sais à qui tu as à faire au moins, petite grenouille ?

Olala, j’allais gifler quelqu’un, une aînée de loin, et lui refaire toute son éducation excessivement manquée ! Mais, le cadre ne me le permit pas. Je me retins mal gré et lui retournai :

—Je me fous de qui vous êtes, madame la grande grenouille, si vous n’avez aucun respect pour vous-même en premier et pour la tenue que vous portez sur vous ainsi que les patients. A partir du moment où je me connais moi-même, cela me suffit pour ne pas vous permettre de venir me manquer du respect. Maintenant ayez la décence de me remettre ce livret pour que je fasse mon travail.

L’étonnement fut grand chez les collègues. Ahurissement. Ils avaient maintenant la gêne de maintenir leurs regards sur nous, appréhendant la réaction de la dame.

—HOUNTIKPE ! appela-t-elle vigoureusement un des infirmiers.

—Docteure, précipita les pas, ce dernier pour répondre à son appel.

Et il vint se pointer comme un poussin tombé dans l’eau usagée de la préparation de l’huile de palme. “Comment pourrait-on avoir la phobie d’une personne ainsi ?” me demandais-je, essayant d’embrasser un tel phénomène. J’avoue que je ne comprenais rien et ne cernais pas le comportement de mes collègues à la vue de cette dame.

—Qui est cette chose ? demanda-t-elle à mon propos à l’infirmier appelé.

J’avais encore plus la rage à cet instant de lui arracher les cheveux, et redresser sa langue. Mais toujours, je ne le pouvais pas, sur un lieu de travail, dans une salle d’hospitalisation, sous les yeux des enfants souffrants et de ceux de leurs parentes, ma tenue professionnelle sur moi.

—C’est la nouvelle infirmière du centre, docteure, lui répondit le collègue.

—Qu’elle soit hors de ma vue avant que je ne m’énerve ! ordonna-t-elle.

—Sauf votre respect, madame, votre comportement indigne m’insupporte du plus profond de mon moi, sachez-le. Et permettez-moi de vous faire savoir humblement que vous ne m’impressionnez pas, vous ne m’émouvez même pas un peu et que ce qui me retient pour vous sauter dessus est juste comme une toile d’araignée. Maintenant à vous de libérer la salle pour nous laisser faire notre travail si vous n’avez pas un plus à nous apporter en tant que docteure que vous semblez être. Sinon votre spectacle odieux expose votre nudité et vous devez en avoir honte si un minime semblant de dignité et d’honneur, vous avez. Vous vous êtes assez ridiculisée ainsi sous le regard de ces enfants qui méritent d’être respectés à défaut d’honorer votre chemise, lui dis-je instamment sans lui laisser le temps de fermer même d’abord son clapet et que le collègue infirmier osât un geste quelconque à mon égard.

Je lui retirai en même temps le carnet des mains et me tournai de nouveau sans émotivité aucune à la maman du bout de chou dans le lit devant moi. C’est là j’entendis l’autre infirmière, Akossiwa APARI elle devait s’appeler, pouffer de rire. Les deux hommes de l’équipe raclèrent la gorge pour rire aussi secrètement, avec l’entrée inopinée de Bernice laissant entendre un « woao ! ». Puis elle demanda hardiment :

—Docteure AGBLEVON, vous ne voyez pas que vous traversez de trop les lignes interdites et que pour ce matin déjà de votre retour de congé est trop indigeste pour une docteure, sous les yeux des enfants souffrants dont il y a même ceux qui pleurent leurs douleurs ?

Je me retournai pour lancer dans l’intervention de Bernice : « ah, quelqu’un pour le lui rappeler, et lui faire savoir d’ores et déjà que le petit ruisseau que moi, je suis, nul ne me franchit de la sorte ! » puis repris encore ma tâche.

Notre docteure sortit en catastrophe de la salle, elle manquait de s’exploser. Les mamans au chevet de leurs enfants, restées sous le choc durant tout ce sketch infect, saluèrent ma bravoure. Si elles avaient trouvé matière à se poiler de pareille scène aussi répugnante, elles l’auraient fait de toute aise malgré leurs angoisses et désarrois pour leurs rejetons. Elles la trouvèrent plutôt trop ignominieuse comme elle l’a effectivement été pour ne manifester que leur dégoût.

Les collègues de l’équipe m’apprécièrent. Et, déjà, eux, commencèrent à m’exaspérer avec leur poltronnerie. Que de pleutres aux pieds d’une va-nu-pieds !

Bernice vint m’enlacer. À elle, je souris et la remerciai pour son courage.

—Tu as fait ce matin ce qu’aucun d’entre nous n’a jamais osé faire dans ce centre depuis que nous sommes là, Dogbéda, me dit-elle dans notre prise de bras. Cette femme est une peste, je te l’avais dit.

—C’est toi qui avais raison, Bernice. Sauf que je ne sais pas comment vous parvenez à la supporter dans un tel caractère exécrable qu’elle a. C’est quoi cette aptitude ! En tout cas, qu’elle ne compte pas sur moi pour lui faire plaisir.

—Parce qu’il nous manquait ce quelque chose, cette audace que tu as, laquelle pour m’épater et m’impacter.

—En tout cas ! merci de t’être intervenue pour me donner ce coup de main en prenant ton courage à deux mains.

—Tu es mon stimulant. Merci plutôt à toi pour ce que tu viens de faire pour nous dans ce centre.

Les autres collègues ajoutèrent :

—Effectivement ! Vous venez de faire quelque chose de très grand, TOKONOUBA.

—Et c’est pour nous vous l’avez fait, à peine votre arrivée ici. Nous vous devons un grand merci.

—Grâce à vous, on a vu rougir cette peste sans pouvoir rien faire aujourd’hui. Vous venez nous montrer qu’elle peut aussi être défiée et se vexer sans pouvoir rien faire et qu’elle n’est pas aussi redoutable qu’elle le prétendait.

Ils me vouvoyèrent, et sans me mentionner par mon petit nom, car je n’étais pas encore familière avec tout le monde. Et je n’étais pas pour leurs éloges ridicules. S’ils ne pouvaient pas se faire respecter et se laisser piétiner par une malotrue pareille, cela n’engageait qu’eux. Alors, je les ignorai une fois de plus. Qu’ils me trouvassent en train d’en prendre la grosse tête sur eux ! Je m’en badigeonnais les testicules avec le pinceau de l’indifférence notablement. Je me tournai plutôt encore à Bernice :

—Bernice, on se voit après. Je vais devoir appliquer les soins maintenant, s’il te plaît !

—D’accord, ma chérie. J’étais aussi de passage pour vous écouter et faire mon entrée pour remettre la très distinguée à sa place ensemble. Je m’en vais, pour vous laisser travailler.

J’acquiesçai de la tête. Elle reprit la sortie, faisant aimablement du coucou aux mamans avec un beau sourire et une démarche gaie.

Nous étions toujours à la pédiatrie. Je recomposais le sérum d’un enfant tout en causant avec lui pour le détendre. Mon portable se mit à me faire signe. Je le sortis. Le numéro de l’assistant du major est affiché à l’écran. J’eus sur le coup l’instinct que cet appel avait trait avec ce qui venait de se passer. Je le coupai et poursuivis mon travail. L’assistant n’insista pas pour rappeler. Il savait à l’appel coupé que j’étais occupée au chevet d’un patient et que je le chercherais au plus vite.

Effectivement, une fois la composition du sérum terminée, le réglage effectué et les consignes pigées par la maman, je tirai amusamment les joues de l’enfant et sortis de la salle laisser les collègues. Je relançai l’assistant pour avoir sa position. Il était dans son bureau. Je m’y dirigeai hâtivement, prête à aller affronter l’arrière de mon bras de fer chez le major : la distinguée docteure devrait être chez lui, à m’attendre pour une confrontation. J’y arrivai, je toquai la porte et fis mon entrée sur lui.

« Bonjour, assistant », saluai-je en refermant la porte derrière moi, « vous m’aviez appelée », poursuivis-je.

Mon cœur ne tremblait même pas un peu. J’étais juste curieuse. Curieuse de savoir la suite de cet événement fâcheux qui ne devrait pas se produire, et qu’en même temps, je ne regrettais pas. Cependant, c’est toute une autre surprise choquante pour moi qui m’attendait.

—Bonjour, infirmière TOKONOUBA ; effectivement, je vous ai appelée, me répondit l’assistant.

—Au temps pour moi, j’étais à la pédiatrie pour couper l’appel. Je suis là maintenant.

—Pas de souci. En fait, c’est major qui vous demande de rejoindre une équipe au bloc.

—Equipe au bloc !

—Oui, oui, ils ont une chirurgie ce matin. L’équipe est déjà prête. Et il demande que vous la rejoigniez à l’instant même où vous recevez la commission.

C’était même une injonction, et je devais juste m’y soumettre. Je bredouillai un merci à l’assistant et sortis de chez lui. Je me dirigeai au bloc où je rejoignis frustrée l’équipe sans y voir le docteur. Je cherchais à comprendre si cette recommandation avait quelque chose avec la dispute. Et je ne trouvais même pas le lien. Une minute plus tard, le docteur fit son entrée, c’était lui seul que l’équipe attendait. Mon stress augmenta, j’en devins nerveuse.

Mon cœur, incompréhensiblement, battait. La présence du docteur pesait sur moi et je m’efforçais à ne pas soutenir son regard. Mais, le voilà qui me salua d’une voix pénétrante, me rassura d’une aménité inattendue. Je levai alors mon regard pour lui répondre. Et je croisai le sien. Je sentis une chaleur me pénétrer au bas-ventre. Elle me parcourut jusqu’au cœur qui cogna fort ma poitrine, comme s’il cherchait à sortir de moi, et aller à lui, avant de reprendre ses battements irréguliers.

« Des yeux enchanteurs, un bel ange très séducteur pour tomber sous son charme ? Mais pourquoi je ne l’ai jamais remarqué ainsi pour me faire de tels effets depuis les une semaine que je suis là et que l’on s’entretient ? » me demandai-je.

J’eus un pincement quand j’entendis sur-le-champ une voix me dire comme une recommandation stricte : « c’est un homme interdit ! » Je me ressaisis aussitôt. Heureusement, il ne remarqua rien. Les autres aussi, plausiblement.

Pour l’opération, le docteur me choisit son instrumentiste. Olala, cet homme voulait indéniablement que je succombasse carrément. Mais je pus rassembler toute ma concentration pour le suivre et le servir sans tituber jusqu’à la fin du travail. Il devait s’en réjouir, pour une première fois de faire le bloc avec lui, à peine mon arrivée.

*

* *

« Mademoiselle TOKONOUBA, veuillez me retrouver à mon bureau, s’il vous plaît ! »

Ce fut le docteur derrière moi à notre sortie du bloc. Je me tournai pour répondre à son ordre. Nos yeux se croisèrent de nouveaux. J’eus encore les mêmes effets : de la chaleur au bas-ventre, le cœur qui, recognant sur le coup, la poitrine vigoureusement, reprit les battements irréguliers. Et cette fois, je sentis même mon bouton de rose tressauter dans son logis. Putain !

Je serai mon cœur ainsi que mes poings et me compressai, toute tendue, retenant si fort mon souffle, pour pouvoir faire mes pas. Et au fur et à mesure que j’avançais, Je sentais le docteur toujours derrière moi. Si pesant. Et tout ce que je voulais, était que l’on se séparât vite pour aller essayer de faire un vide en moi avant de me présenter devant lui dans son bureau. Il ne faudrait surtout pas qu’il remarquât le moindre reflet de mon trouble subit et inexplicable en sa présence.

« Excusez-moi, docteur, un instant, s’il vous plaît ! » quelqu’un venait de l’interpeler.

Il s’arrêta tout de suite à la personne. Ouf, le ciel écouta mes invocations et envoya me sauver.

Je ne me retournai même pas pour voir qui c’était. Devenue plutôt un peu légère, je pressai mes pas pour m’éloigner le plus vite possible.

Je courus très vite aux vestiaires. Dieu merci, il n’y avait personne. Le Ciel était toujours pour ma cause. Je soufflai. J’avais besoin de me décontracter, de relaxer. Tellement je suffoquais. Je me mis au lavabo et ouvris le robinet pour passer de l’eau sur toute ma tête. Cela allait aider à détendre mes nerfs, crus-je. Je m’étais trompée lourdement. La buée de chaleur persistait en moi et tout mon corps avait besoin d’être rafraîchi, en une matinée !

Je filai comme une désespérée ouvrir le compartiment pour chercher mon sac duquel je sortis un pagne et filai m’engouffrer dans la douche. Je me déshabillai à la hâte et ouvris l’eau sur moi avec empressement. La tension semblait descendre avec tout mon corps au contact du fluide frais qui m’inonda.

« Oh, docteur ! » soufflai-je, audiblement avant même de m’en rendre compte. Je joignis en ce moment de mes deux mains sur ma poitrine, mes seins pour les presser.

Que m’arrivait-il ? Ce qui me prit brusquement pour cet homme alors que je n’étais même pas de son rang était si fort soudain. Je perdais incontestablement la tête. Je fis l’effort de me ressaisir et laissai l’eau couler suffisamment sur moi avant de la couper. C’est alors je me rendis compte de n’avoir pas pris de serviette pour m’essuyer. Priant les cieux pour qu’aucun infirmier ne tombât sur moi, je sortis, le pagne noué au buste, pour retourner au dressing. J’ouvris mon compartiment et pris la serviette puis retournai à la douche sans le refermer.

Rhabillée, je fus maintenant ressortie. Pointée devant le dressing, alors que je fourrais au fond de mon sac mon godévi (caleçon) que je venais d’enlever, Bernice et une autre infirmière, Edith elle s’appelait, firent leur entrée dans les vestiaires.

Edith s’empressa dans les toilettes. Elle devait avoir une bonne quantité pressante à éjecter.

Bernice m’approcha :

—Dogbé, tu es là ? J’ai appris que tu étais envoyée dans l’inattendu au bloc !

—J’étais prise au dépourvu sous ordre incompréhensible du major. On venait de sortir, tout s’est bien passé, Dieu merci, et j’avais besoin de me rafraîchir un peu.

—Tu n’étais pas trop stressée maintenant, vu que tu ne t’étais pas préparée à une telle éventualité ?

—C’est de ça tu parles aisément ainsi ? J’avais la gorge nouée même, et les tripes serrées. Mais c’est aussi ça notre métier et notre sacerdoce, tu le sais. Quand la contrainte vient, on s’y fait !

—Oui, tu as raison, tu es mentalement prête. Je vois pourquoi de l’eau fraîche en cette matinée !

—Ne t’en moque surtout pas, Bernice !

—Je n’en ai même pas l’intention [elle rit…] Au fait, je voulais m’entretenir un peu avec toi sur ce qui venait de se passer ce matin avec docteure ABLEVON.

Je soupirai avant de lui dire :

—Je suis à l’écoute, Bernice !

Elle prit une sérénité et alla :

—Je voudrais te dire simplement d’être sur tes gardes avec cette femme, ma chérie. Je t’avais déjà parlé en bref de qui elle est. Et ce matin déjà, tu t’es frottée à son personnage pour la découvrir un peu de toi-même. Dis-toi que tu viens, hélas, d’être élue sa pire ennemie comme cela et elle va toujours t’avoir dans ses collimateurs. Aussi je te l’avais dit, le major est son fiancé. Et bien qu’il soit un homme carrément à part pour être admiré de nous tous, pour deux personnes qui se descendent culottes et strings et construisent des projets de vie ensemble, son soutien envers toi n’est pas tout de suite gagné. L’être humain est imprévisible et l’homme est facilement influençable dans les moments d’intimité avec sa bien-aimée pour être instrumentalisé.

—Ne l’effraie pas, s’il te plaît, Bernice ! dit Edith sortie des toilettes.

—Ce n’est pas une question de l’effrayer et tu es mieux placée pour savoir de quoi je parle, Edith, se retourna-t-elle pour lui répondre.

—Je comprends, mais elle vient à peine d’arriver parmi nous pour goûter déjà à ce que nous subissons ici malheureusement. Et si tu lui mets dans la tête tout de suite qu’elle pourrait se mettre docteur ADELA-LOTSUI aussi à dos, ça risque de la décomposer, de déséquilibrer son ressort. Ce dont elle a besoin, ce qu’elle est censée savoir pour une suite sereine de sa carrière ici suite à ce qui s’est passé, est, qu’elle a irréfutablement notre solidarité à nous pour pouvoir tenir face à toute persécution de cette femme. Moi, je suis particulièrement fière d’elle en apprenant sa hardiesse de ce matin à son tout premier contact avec cette mégère. Une harpie, je veux dire. Et nous partageons tous sûrement le même sentiment. Presque tous les infirmiers sont au courant déjà de cette histoire (la rumeur étant du vent, s’invite de soi). Et c’est de l’admiration qui se lit dans tous les yeux bien qu’il puisse y avoir de faux-semblants. Si j’avais, ne serait que le dixième de son courage-là, il y a longtemps je suis la pire ennemie de cette perverse pour qu’elle ne voulût même plus me sentir de loin afin que je sois libre, chacune marchant de son côté, hélas. Et elle, elle l’a fait. Ce qu’elle a besoin cependant d’entendre est, qu’elle a notre soutien. Lui dire que nous sommes là, derrière elle, quoi qu’il arrive et non des choses à l’émouvoir, je t’en prie !

Je restai pointée à les écouter. La seule chose que je réalisais en ce moment était que Bernice, dans sa parfaite ignorance, me rappelait dans ses propos sur le grand docteur, qu’il m’était un homme interdit. « Aussi je te l’avais dit, le major est son fiancé. Et bien qu’il soit un homme carrément à part pour être admiré de nous tous, pour deux personnes qui se descendent culottes et strings et construisent des projets de vie ensemble, son soutien envers toi n’est pas tout de suite gagné ». Cette parole se répétait en boucle dans ma tête et mon cœur partait en éclat. Mes pieds tremblaient pour ne plus valablement me supporter, l’on dirait que j’étais devenue subitement trop lourde, trop pesante pour eux. Je vacillais pratiquement sur place. Il importait que je fisse vite quelque chose pour qu’elles (mes amies) ne décelassent pas mes émotions.

« Merci les chéries, pour vos mots d’alerte et de soutien à toutes les deux. Mais je dois y aller. Le major me demande à son bureau. Et là, je traîne de trop déjà », dis-je en poussant mon sac au fond du compartiment que je refermai dans un tel empressement.

Obstinément, je les dépassai. Je sortis fugitivement des vestiaires, les laissant sur le cul sans un autre mot. Elles ne manqueraient pas de se rendre compte que je les fuyais, et de se demander ce qui me chassait, ou n’allait pas avec moi.

Je me trimballai vers le bureau du major, les poings fermés. Mon cœur continuait de s’éclater. Affliction ! Chagrin !

J’appréhendais d’affronter le docteur, de me mettre en face de lui pour tout ce qui se passait en moi et prenait possession de tout mon être sans que je n’eusse aucune force. Mais je devais répondre impérativement à la convocation. Je n’avais aucun prétexte pour ne pas y aller. C’était plus fort que moi. Si seulement j’avais le choix.

Et si seulement je pouvais disparaître de cet hôpital. Disparaître pour ne plus jamais y revenir, afin de m’éloigner à jamais de cet homme et me refaire tout un vide, moi qui avais tant cherché cette affectation, une sorte de promotion pour laquelle j’étais toute excitée quand je l’ai décrochée, et fus envoyée dans ce grand centre à la capitale. Je quittai le village avec joie extrême de grimper un échelon. Mais, voilà qu’à peine une semaine, et en une seule matinée, je me retrouvai déjà dans l’embarras. Bousculement de ma vie. Bouleversement de mon soi. Déséquilibre émotionnel. J’aurais aimé rester dans mon village, dans toute ma tranquillité.

LE DOCTEUR INTERDIT

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