Au bureau du docteur
CHAPITRE 6 : AU BUREAU DU DOCTEUR
Ivan Agbessi ADELA-LOTSUI
J’espérais l’infirmière TOKONOUBA au bureau, comme je le lui avais demandé. Sa venue tardait. Plausiblement, elle prenait son temps, pour s’assurer que j’étais bien là avant de se présenter, vu qu’au sortir du bloc, alors que l’on cheminait, je fus stoppé par un collègue, le docteur dermatologue Koffi FAGNON. Drôlement, je lui trouvais même des excuses.
J’entendis toquer à la porte. Le bureau s’ouvrit à mon accord donné. Ce fut enfin elle. Elle était là.
Lorsqu’elle franchit la porte, et que mes yeux la frôlèrent, mes émotions ressurgirent. Je fus encore saisi par son charme, quelque chose de particulier qu’elle avait, qu’elle tenait.
Cependant, je remarquai aussi qu’elle gardait toujours sa gêne. La même frustration, la même angoisse. Et peut-être, plus exaspérée encore. Sûrement, elle a deviné la raison de ma convocation. Et alors la peur l’engrenait.
Je pris sur moi tout de suite de lui avoir une certaine amabilité, pour qu’elle se décompressât. C’est ainsi je l’invitai à s’asseoir à ses bredouillements d’excuses pour son retard accusé.
Elle prit place, presque tremblotante. Son profil était bas. Elle triturait ses doigts, comme une gamine apeurée. Et moi, mon pauvre cœur corrompu, battait la chamade.
La femme est le violon sur lequel se joue si harmonieuse la musique de l’âme, par des mains invisibles. Des mains enchanteresses d’êtres célestes qui en ont, seuls, l’art, de l’exécuter, si délicieusement. Et l’infirmière TOKONOUBA était ce violon-là à mon âme et qui s’était mis à se jouer pour la faire danser endiablement, quelque chose de nouveau et de singulier que je n’avais jamais ressenti auparavant. A vrai dire, j’aimais particulièrement cela, autant que j’en avais peur : les battements de mon cœur scandaient aux rythmes éthérés qu’elle m’imposait.
J’avais déjà mon pélot érigé. Je fus devenu vicieux ; elle me séduisait à fond. Heureusement, j’étais assis. Sinon elle ne manquerait pas de remarquer ma gêne au frôlement de regard.
Je pressai sur le pélot mes chairs entre lesquelles il se trouve pour le maintenir serein.
Dogbéda TOKONOUBA
Je fus arrivée devant le bureau du docteur. De la sueur froide m’inondait. J’avais fermement maintenant une seule idée en tête avant de cogner : que cet appel soit en rapport avec l’altercation. Que notre supérieur, le docteur, prît partie de sa satanée fiancée, essayant seulement de me tancer, me semoncer vertement, pour m’exaspérer et me révolter excessivement contre lui. Et que je pétasse un plomb en face de lui, lui montrer une image monstrueusement obscure de moi, et qu’il me détestât aussi aussitôt. Ce qui était sûr, je n’allais pas ployer l’échine. J’allais être une dure à cuir, être une fille foncièrement impolie, exécrablement insolente, rétive, pour donner raison à la fiancée à ses yeux.
Sur ces idées, je soufflai. Ferme, je toquai. Il était là. Je l’entendis de l’autre côté de la porte. Je pris une profonde respiration avant d’ouvrir.
Dès que je franchis le seuil pour me retrouver de l’autre côté de la porte pour la refermer derrière moi, je me mis de nouveau à frissonner, à trembler. L’instant me fut fatal.
—Excusez-moi, docteur, pour mon retard sur votre convocation, bredouillai-je.
—Ah, infirmière TOKONOUBA, vous êtes là ? Venez prendre place, s’il vous plaît, me répondit-il affablement.
Merde, cet homme n’allait pas m’être d’une utilité avec cette allure avenante qu’il adoptait déjà au grand dam de mes attentes. Je bredouillai un merci et pris place dans le siège visiteur en face de lui, le bureau nous séparant. J’eus le profil bas, je me refusai de frôler son regard. Seuls mes doigts, je me mis à triturer pour tenter de me distraire et de flatter mon anxiété.
—Vous avez quoi, mademoiselle TOKOUNOUBA ? Soyez dégagée et mettez-vous à l’aise, s’il vous plaît ! reprit-il.
J’émis un sourire timide. Lui bafouillant encore quelques mots égarés de ma voix étranglée, je fis semblant de lever sur lui mon regard. Mais je le rabaissai aussitôt : le sien (son regard) me fut si pénétrant. Mais que me voulait-il ? Lire plus clair en moi pour un brin de ses effets sur moi qu’il serait en train de déceler ? Voulait-il jauger mes émotions ? Alors se serait-il rendu compte de mon embarras au bloc, que j’eus succombé à son charme gracieux ? Diable, qu’il aille droit au but ! C’est quoi ces circonlocutions ?
*
* *
Pff ! Enfin, je sortis du bureau du docteur. Et je sortis plus souple, plus ramollie que je ne le fusse avant d’y entrer. Il m’avait désappointée sur tout ce que j’attendais de lui, celui-là !
Je fus tantôt entrée en besogne quand je me rendis compte que je ne pouvais plus tenir encore longtemps en face de lui sans craquer. Sa simple respiration m’appelait au feu de la salacité dans ses bras à m’étreindre comme pour m’étrangler et m’incorporer à lui à jamais. Bien que j’eusse le profil bas pour ne pas soutenir son regard, je le sentis fortement sur moi, me faisant de douces caresss. Mes envies de lui se décuplaient. Les fourmis me parcoururent. Mes sens se libérèrent. Je frissonnais.
Je sentis comme un objet vivant, un ver qui sillonnait mon bas-ventre, faisant un rond endiablé sur soi. Il excitait ma framboise. Ma vulve s’ouvrait et se refermait. Elle palpitait. Mes poils se hissèrent sous ma tenue. Non, il urgeait que je fisse vite quelque chose, que je me trouvasse un subterfuge.
J’impatientais qu’il abordât le sujet de la dispute. Mais il prenait toujours beaucoup trop son temps pour moi, avec une prévenance que lui attribuaient toutes les infirmières, laquelle prévenance moi-même je lui remarquai d’ailleurs dès nos tous premiers contacts. Puis, du coup, je l’entendis m’appeler comme d’habitude : « mademoiselle... »
Je bondis instinctivement sur cela comme si c’était l’occasion que je lui cherchais.
—Madame, s’il vous plaît, docteur ! lui coupai-je la parole avant même qu’il ne terminât de me mentionner.
Je le vis ahuri par ma réaction subite. J’eus levé mon regard sur lui pour soutenir le sien en lui réclamant avec fermeté de ne pas m’appeler mademoiselle. Je réalisai moi-même sur le coup que je venais de me précipiter dans une absurdité. Cela n’avait aucun sens.
J’allais tout de suite me raviser et m’excuser, mais j’eus le réflexe de ne pas le faire, car cela m’aurait encore déstabilisée, aurait aussi montré toutes mes faiblesses pour ne plus pouvoir me reprendre et le dérouter. Je ne pourrais donc plus réaliser ce que je projetais si jamais il m’offrait l’occasion que je méditais en moi. Autant alors maintenir la rampe et me montrer intransigeante pour faire d’une pierre deux coups. Un zèle inattendu m’envahit. Ça dégringole ou ça dégringole, ce fut ça.
Le docteur voulait essayer de raisonner. Mais je m’imposai ferme. Cependant, je fus désenchantée dans un premier temps.
Au lieu qu’il me trouvât désagréable, insolente et s’énervât tel que je le souhaitais excessivement, le type, se vêtit d’une sérénité émouvante. Il me perça encore de ce sourire timide émis plutôt. Lequel sourire encore très beau à mes yeux. Puis il s’excusa pour se conformer, si facilement, à mon exigence que je n’avais vraiment pas pensée, qui n’avait rien de conviction réelle. Je baissai du coup la garde sans néanmoins égailler mon tempérament imprévisible que j’eus affiché.
Enfin, il aborda le sujet de la dispute. Il me demanda ma version des faits. Après un rectificatif, je lui relatai tout, sans la moindre omission. Je pris toute la salle de la pédiatrie à témoins. Je lui dis même fièrement comment j’avais tenu tête à sa fière malotrue de fiancée pour la ridiculiser et la voir sortir comme un taon. Le but étant toujours qu’il me vît d’un mauvais œil et de le mettre en rogne contre moi.
Maintenant j’attendais sa sentence. Mais il avait l’air perdu, distrait. Je restai suspendu à ses lèvres et il ne réagissait toujours pas. Cela me paraissait déjà une éternité suffocante. Alors je l’appelai pour lui ramener son esprit égaré dans sa dépouille qu’il a laissée avec moi.
—Docteur !
—Oui, madame TOKONOUBA, excusez-moi pour le silence, je ne vous ai pas négligée !
Merde, c’est qui ce supérieur hiérarchique qui s’excusait à tout bout de champ même, en face de sa subordonnée ! Etait-il vrai que cet homme était le major ou le directeur de ce centre ? De quoi était-il vraiment fait ? Je me questionnais sur lui dans ma tête en le fixant toujours. Et encore, contre mes ententes, il se mit à me porter des excuses pour le malentendu survenu, à condamner le comportement de la fameuse docteure avant d’arriver à moi pour me blâmer. Et même pour faire cela, il était si doux et agréable. Il adopta une voix si calme et qui apaisait, qui me pénétrait et me faisait chanceler. Il me fit de la morale constructive sur le coup, il me raisonna et je me pliai. Il me désarma complètement cette fois-ci. Mon admiration pour lui s’accrut plutôt plus et je fus encore plus que séduite. Je voulais même m’excuser pour la futilité de l’appellation et lui dire que je ne savais pas ce qui m’avait prise, mais je me ressaisis une fois de plus. C’était mieux comme ça. Je lui fis un méa culpa et il me libéra. C’est alors que je sortis de chez lui, encore plus succombée, encore plus désireuse de lui, et le cœur aussi toujours chagriné.
Ivan Agbessi ADELA-LOTSUI
Malgré tout mon bouleversement, et, ma perche que je parvenais à peine à maitriser face à l’infirmière, je fis comme de rien n’était et lui adressai dans son inconfort :
—Qu’avez-vous, infirmière TOKONOUBA ? Soyez dégagée et mettez-vous à l’aise.
Elle hésita un instant et me dit timidement d’un sourire forcé, un regard filant sur moi :
—Merci, docteur, c’est gentil, et une fois encore, excusez-moi pour le retard. Je ne l’ai pas accusé de volonté expresse.
—Excuses acceptées pour une première fois, fis-je semblant de me refermer pour faire valoir mon autorité que je détenais.
Je devrais aussi garder la tête haute. Il ne faudrait pas que ce béguin inattendu pour cette jeune femme, nouvellement venue, me fît perdre mes sens, et m’étalât trop à ses yeux pour me rabaisser et mettre en cause mon autorité.
—Merci, docteur, articula-t-elle d’une voix profonde à peine audible.
Je lui continuai pour aller avec la brouille survenue entre elle et Sikavi, l’objectif de cette convocation :
—Mademoiselle TOKONOUBA…
—Madame, s’il vous plaît, docteur, me coupa-t-elle étonnamment la parole.
—Etes-vous une femme mariée ? lui demandai-je, les sourcils ruchés de surprise, sur sa réplique qui me sonna comme une langue fourchée, un lapsus grossier.
—Avec tout le respect que je vous dois, docteur, mon statut matrimonial ne vous est d’aucun intérêt et vous n’avez aucunement pas à vous y intéresser avant de respecter ma volonté manifeste. C’est comme cela que je voudrais que vous m’appeliez : madame, dans le respect profond de cette appellation sinon dites seulement infirmière !
Je la sentis monter d’un cran. Elle semblait avoir une assurance d’un coup et je fus tout brusqué. C’était quoi, ce qui lui était arrivé ou lui arrivait subitement !
—Mais cela ne vous a pas causé de problème jusqu’ici de vous appeler mademoiselle depuis que vous êtes là ! parvins-je à sortir.
—Et ça ne vous cause aucun problème que je vous aie cette exigence maintenant je crois ?
Woao, cette fille qui, quelques instants bien avant, était si timide et tremblotante, ne pouvait que bafouiller et crincriner à quelques égards, était devenue d’un coup une autre personne, au ton autoritaire et fier ! Il y avait comme une sorte de changement de peau. Et elle m’impressionna en plus. Je l’imaginai tout de suite face à Sikavi dans ses œuvres habituelles sur les infirmières, et je me fis une idée de ce qu’elle aurait subi d’elle pour courir vers moi telle une furie. Elle avait buté sur une proie à sa hauteur, et peut-être plus lourde.
—Comme vous voudrez, mademoiselle, enfin, bref, madame TOKONOUBA, me repris-je pour me conformer à sa volonté.
Elle me murmura un merci de contentement et me fit maintenant vraiment face. Elle me fixait dans les yeux, elle me jaugeait de regard. Plus la moindre trace apparente de ses émois encore décelable en elle. Je me rhabillai dès lors, complètement de ma responsabilité à laquelle je suis investi au centre pour aller avec sérénité à la raison de sa présence dans mon bureau.
—Madame TOKONOUBA, ou infirmière TOKONOUBA, venons-en maintenant au fait. Ce matin vous avez eu une brouille avec une docteure de ce centre à la pédiatrie. Non seulement la docteure en question est venue se plaindre de vous, la rumeur en fait état dans les coulisses de l’hôpital entre le personnel médical. Et il m’est rapporté que vous avez été très intransigeante avec la docteure qui est votre supérieure. Je voudrais avoir votre version des faits, savoir ce qui s’est passé pour en arriver là déjà.
Sûre d’elle et prête, elle me dit :
—Merci, docteur, pour l’opportunité que vous me donnez de m’expliquer ou de relater ma version des faits avant quoi que ce soit. Mais tout d’abord, cela me tient à cœur de rectifier, humblement, un propos que vous venez de tenir à propos de cette histoire indigne et surannée. Ce qui ne sied en rien à la réalité. Je tiens, vivement, à rappeler que, ce n’est pas moi qui fus intransigeante face à la fameuse docteure. C’est elle qui a été fort désagréable, revêche envers moi, chosifiant d’abord mes camarades d’équipe de ce matin, pour vouloir reproduire la même insanité sur ma personne, chose que je ne saurais digérer de qui que ce soit dans l’exercice de mes fonctions et me complaire.
—D’accord, admettons-le ! Dites maintenant ce qu’était le souci.
—Nous étions au chevet des enfants, consultant comme il est professionnel, leurs cahiers de santé pour avoir une idée textuelle de ce qu’a laissé l’équipe de nuit lorsque la concernée docteure fit son entrée. Elle était dans une allure ahurissamment indigne d’une docteure et une condescendance inouïe. Je vis mes camarades complexés dès son apparition sous nos regards dans la salle […]
Et la dame alla d’un ton neveux pour me relater la scène. Elle prit pour témoins, non seulement ses collègues, mais aussi, les femmes au chevet de leurs enfants et me demanda d’aller dans la salle y faire mes propres investigations. Elle était même prête, que je la confrontasse avec Sikavi. Elle m’en fit la demande, pour juger moi-même de la véracité de ses dires. Je fus scandalisé. Je restai bouche bée. Mon Dieu ! Sikavi n’a pas pu oser pour autant en dépit des règles et conventions, et de se ridiculiser de la sorte ! Même au milieu des enfants souffrants !
Je fus devenu si lourd dans mon siège comme s’il y avait une grande charge posée sur ma tête. J’étais si enveloppé d’un sentiment d’inconfort suffocant face à l’infirmière qui me fixait. Elle attendait clairement mon verdict. Et dans ce regard-là, elle me mettait la pression pour que je l’ouvrisse enfin. Et moi, je ne retrouvais même pas encore ma voix. J’étais sous l’emprise de la méduse. J’imaginais l’avenir dans ce centre. L’infirmière TOKONOUBA était vraisemblablement une dure à cuir qui répondrait du tic au tac, Sikavi était la peste pour toujours vouloir suffoquer. Pour une fois, il y avait quelqu’un pour lui tenir tête. Cela devrait me réconforter. Mais j’avais dans le même temps peur. J’étais à la fois nerveux et perdu dans ma folle du logis.
« Docteur ! »
J’entendis ainsi l’infirmière m’appeler. Elle devait être lasse d’espérer une personne qu’elle ne sentait plus être avec elle.
—Oui, madame TOKONOUBA, excusez-moi pour le silence, je ne vous ai pas négligée ! tentai-je de me rasséréner en m’émergeant.
Il fallait maintenant que je trouvasse très vite la formule convenante sur cette histoire incongrue entre les deux. Il me fallait le juste milieu pour tout de même assumer mon rôle de premier responsable des lieux envers l’une comme l’autre.
Alors, je trouvai de d’abord condamner l’acte sordide de Sikavi. Je formulai ainsi des excuses à l’infirmière pour le plat qu’il lui a été servi et qui lui fut inconsommable comme il était tout naturel et normal de l’être pour toute autre personne.
En plus je revins à elle aussi, pour sa réaction en réponse immédiate à la docteure. Pas parce que celle-ci était sa supérieure et qu’elle devrait se soumettre. Mais qu’elle avait manqué aussi tout comme la docteure, de respecter les enfants pleurant leurs maux dans leur lit et leur maman à leur chevet. Elle avait mieux à faire : quitter simplement la salle, par respect effectivement aux malades quand la docteure l’a violentée et lui retirer le document des mains, pour aller se plaindre d’elle à la hiérarchie en prenant toute la salle et ses collègues à témoins comme elle venait de le faire. Pour une nouvelle arrivée, se chamailler au chevet des malades, dans sa tenue, c’était aussi se donner une très mauvaise image de sa personne. Au finish, aucune des deux n’était pour autant excusable.
Elle comprit, elle se plia et se confondit en excuses.
LE DOCTEUR INTERDIT