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La nouvelle infirmière

CHAPITRE 3 : LA NOUVELLE INFIRMIÈRE

Bernice HOUNDOADIKA

Le calme semblait revenir un peu dans ce centre et on respirait enfin pour au moins un mois.

Un mois de tranquillité plein pour nous sans nous frotter aux exécrabilités de la très distinguée docteure Sikavi AGBLEVON. Plus de ces stress constants de la croiser à tout moment et d’avoir à faire à son caractère caustique. Chaque infirmier, et même des docteurs pouvaient circuler librement et vaquer à leurs tâches sans être embêtés. On aimerait même qu’elle ne revînt plus jamais. Hélas, c’était au grand dam de ce désir que son retour nous rattrapait. Le temps, pour nous, avait tellement filé. On jouissait de cette absence en ignorant un peu les jours qui s’enchaînaient.

Notre fameuse docteure AGBLEVON était en effet en congé d’un mois pour nous procurer un air pur à respirer. Et elle était partie selon les ouï-dire passer ce congé à Liège. Si seulement elle pouvait y percevoir au moins un petit sou de jugeote et y apprendre un peu de bonnes manières avant de revenir !

Ce jour, j’étais de journée. Nous avions eu assez de mouvements. Il fallait bouger sans répit. Courir ici et là au chevet des patients. Et le plus éreintant était de monter et descendre constamment les escaliers. Mais c’était avec un enthousiasme réel que l’on vaquait à nos ouvrages qui nous incombaient.

Vous ne pouvez pas imaginer la satisfaction d’un soignant au chevet d’un patient qui lui sourit après un soin, car sa douleur s’était estompée. Ou ce patient qui, enfin, quitte son lit pour rentrer chez soi, sa santé recouvrée. Et puis, ne cesse de manifester sa félicité au personnel médical qui voit un sourire tout resplendissant sur son visage en lieu et place des douleurs et chagrins qu’y régnaient à son arrivée. Ce patient guérit qui souhaite avec effervescence un bon courage à ses compagnons de salle qu’il quitte.

Ce plaisir d’apporter du nôtre à décharger nos patients de leurs poids nous animait de telle sorte que l’on ne se rendait pas compte de tous ces kilomètres journaliers que nous faisions au même endroit.

J’avais tellement fait de ces kilomètres avec le monter et descendre qu’en fin de journée, j’avais les pieds tous engourdis. On a beau s’habituer à la routine, l’organisme ressent toujours ce poids. Je fis alors appel à un camarade pour un massage relaxant. Il accepta tout de suite malgré ses charges et on entra en salle. Je m’abandonnai à ses mains magiques pour un massage restaurateur profond.

Ouf, je me sentais enfin toute dégourdie et légère. Il savait exceller dans ce domaine. Ce qui me plaisait encore plus chez lui, il était professionnel. Il faisait juste son travail, dans la déontologie du métier…

Je descendais du lit lorsque mon portable se mit à signaler un appel entrant. Je le pris et c’était mon mari. Je fus désolée au bout de l’appel. Il m’annonça avec désolation ne pas pouvoir venir me chercher, car il était, subséquemment mon appel de fin de journée, pris par une urgence. Je soufflai ma désolation en raccrochant. Mais je n’avais point aucun pouvoir. J’étais face au mélodrame et je devais m’y faire ; me débrouiller autrement pour rentrer. Le choix qui me restait.

Je remerciai mon masseur et sortis en trombe de la salle. Mes pieds mis hors du centre pour promener mon regard et me trouver un taxi-moto, que je vis aller au bord de la voie, de toute lenteur, notre nouvelle collègue qui venait d’être fraîchement affectée chez nous. Cela faisait à peine trois jours qu’elle était venue et n’avait encore aucune affinité avec quiconque bien qu’elle nous eût une mine agréable. Elle allait dans la même direction que moi. J’oubliai dans l’instant que je cherchais le moyen de rentrer et eus la fringale de presser mes pas pour la rattraper et cheminer ensemble : tenter de familiariser.

Dogbéda TOKONOUBA

C’était la fin de ma journée. Je sortis du centre, longeant la voie le temps de me trouver un taxi-moto qui me déposerait à une autre voie un peu plus loin : la Nationale N°2, longeant la côte maritime. Là, je prendrais le taxi pour rentrer.

Disons que ma résidence était vraiment un peu éloignée de mon domicile. Fraîchement revenue dans cette ville par affectation dans ce centre après mon cursus universitaire pour retourner exercer dans mon village, cette résidence était le seul endroit qui m’était un acquis dans un premier temps. Je logeais chez une cousine et son mari, dans la contrée d’une autre ville carrément.

Et alors que, malgré moi, j’aspirais allant sur la voie, sous la pression de mes doigts, l’une des oranges juteuses au goût exquisément savoureux prises au portail du centre, pour tenter de récupérer un peu sur toute l’énergie dégagée de cette journée, j’entendis derrière moi une voix qui me semblait un peu familière m’interpeler :

—Coucou, ma chérie !

Je me retournai et pouvais reconnaître facilement l’une des infirmières du centre, une collègue. Le centre étant grand et très mouvementé. Je ne pouvais avoir que de la familiarité pour les visages que j’avais déjà eu à côtoyer sans vraiment les identifier. D’ailleurs, je n’avais encore aucun nom de connu à poser sur un quelconque visage. Mais ce qui m’avait paru un peu curieux est son ton de camaraderie tout de suite : « coucou, ma chérie ! »

Elle pouvait lire cet air d’un peu de surprise sur mon visage à la tombée de mon regard sur elle.

—Désolée de vous embêter, me dit-elle.

—Non, vous n’embêtez surtout pas. On peut se tutoyer, s’il vous plait ? lui retournai-je dans un sourire affiché pour dissimuler mon sentiment et être courtoise afin de ne pas l’incommoder aussi.

Après tout, elle m’avait l’air inoffensif et gentil, le genre que j’aime.

Relaxée, elle me redit :

—Ah, merci beaucoup, c’est bien gentil. Tu dois te demander pourquoi je t’arrête. Ou peut-être tu ne me reconnais pas. D’abord, je suis Bernice. Bernice HOUNDOADIKA. Et comme toi, je suis…

—Une infirmière du centre où je viens travailler aussi.

—Exactement !

—Et donc une collègue !

—En effet.

—Et moi, c’est Dogbéda TOKONOUBA, pour les civilités. Pour les intimes, c’est Dogbé.

—Joli prénom hein !

—Merci, c’est gentil !

—On peut poursuivre le cheminement ?

—Avec plaisir. Ah, j’ai des oranges, lui proposai-je en reprenant la marche.

Je lui ouvris le sachet et elle en tira une des deux qu’y restaient. Celle-là devrait être sérieusement une « je m’en foutiste ! »

—Merci pour l’orange et surtout pour ton ouverture facile.

—Ce n’est rien du tout. Nous taffons quand même dans un même centre. Nous formons de ce fait une équipe et nous constituons déjà une famille.

—Que tu me plais bien déjà, toi ! En fait je suis sortie du centre et je t’ai vue, allant dans la même direction que moi. Du coup, je me suis dit, pourquoi ne pas me joindre à toi et essayer de nous familiariser. Et voilà que ma curiosité paie. Je gagne de ton avenance.

—C’est un honneur pour moi et ça me plaît bien. Sauf que je suis à la recherche d’un zémidzan pour me remorquer, ce qui va malheureusement me faire te fausser vite compagnie.

—De même que moi. En tout cas, si je ne t’avais pas vue pour décider de te rattraper, je serais restée au bord de la voie à attendre du zémidzan. Mon mari devrait venir me chercher mais il est pris d’urgence à la dernière minute.

—Désolée !

—T’en fais pas pour moi. Par sa venue avortée, me voici en bonne compagnie non ?

—Ça, tu l’as dit.

—Et nous y allons. Tu habites loin d’ici.

—Vraiment loin hein. Je prends zémidzan, je vais au bord de la grande voie longeant la plage où je descends et je prends taxi pour rentrer. Ils appellent là-bas, Togocomé.

—Attends, t’es sérieuse, que tu viens de là ?

—Puisque c’est le seul choix que j’ai pour l’instant.

—Olala ! Et quand tu seras appelée à être de nuit ou que ton heure de sortie sera la nuit, tu vas t’y prendre comment ? Et surtout, tu ne vas juste travailler que pour les taxis !

—Je saurai m’aménager pour prendre de l’avance sur l’heure et être tôt au centre ou attendre le lever du jour pour rentrer. Effectivement je ne me vois pas prendre le risque de faire ce trajet dans la nuit profonde.

—Quel calvaire, ma chérie !

—Vraiment ! Merci de t’inquiéter pour moi. Tu es bien gentille et aimable. Heureusement pour moi, je connais un peu quelques coins de cette ville, pour y avoir étudié. C’est dans ce secteur où je me retrouve maintenant pour le travail que je n’avais jamais mis pieds.

—Tu as effectivement là, un atout. Et courage, ma belle !

—Merci ! Et quant à mon salaire à empiffrer par le transport, j’espère en sacrifier juste pour deux ou trois mois, le temps de me trouver un logement pas trop loin d’ici. Même si je suis particulièrement amoureuse déjà de la paisibilité de ce coin où je suis actuellement. Sinon je m’acquérais une moto chinoise pour en faire mon moyen de déplacement.

—Ah, je suis de tout cœur avec toi. Une moto, ce serait excellent. Ça te permettrait d’être libre aussi dans tes mouvements. J’y pense aussi sérieusement.

Elle s’était vraiment inquiétée pour moi. Je sentis en elle une personne aimable pour apprécier sa compagnie tout de suite. Les taxi-motos nous sifflaient mais curieusement on ne leur prêtait plus attention. Nous continuâmes ainsi le chemin en confabulations. Bernice avait même ignoré son chemin qui menait chez elle lorsque l’on est y arriva pour me suivre. J’appris d’elle qu’elle venait de se marier il y a six mois à peine et déjà, elle tenait une vie dans ses entrailles. Son mari, un homme plus âgé qu’elle d’une dizaine d’année à peu près, très doux et aimable, n’était encore au courant de rien. Ce soir, elle comptait lui annoncer la bonne nouvelle pour l’enchanter.

Elle était vraiment heureuse et d’une gaité affable. Ce qui était magnifique et remarquable tantôt, elle était follement amoureuse de cet homme qui lui témoignait aussi tout l’amour qu’il lui portait par de petits gestes et attentions au quotidien dont la somme de tout constituait le bonheur recherché. Elle ne pouvait pas rêver ou demander mieux. J’étais fière pour elle, fière d’être celle avec qui elle partageait sa joie ce soir malgré notre rapprochement très frais.

De fil à aiguille dans ce bavardage incessant de femmes, Bernice me fit une mise en garde des plus percutantes sur une docteure : une certaine Sikavi AGBLEVON, le supplice de tout le corps médical, et de laquelle je devrais me méfier. Ceci sonna pour moi de la médisance, du commérage, de la félonie ; choses que je détestais du plus intime de moi pour effectivement éviter les diserts dans mes relations.

Mais, elle m’avait l’air si sérieux. Et de me faire savoir qu’elle ne me tirait que la sonnette d’alarme sur le personnage hideux aux côtés duquel je serais appelée à travailler et à supporter son humeur si fétide, désagréable. Elle me dit aussi quelque chose de curieux.

De très curieux : la Sikavi AGBLEVON, était la fiancée du grand docteur du centre, le major docteur ADELA-LOTSUI, un médecin chirurgien de renom, mais très sympa, ouvert, agréable et candide.

Mais qui était cette Sikavi AGBLEVON, fille de hauts perchés, crainte de tout le monde et de laquelle je devais me méfier ? J’attendais de voir. Selon Bernice, elle était en congé qu’elle épuisait déjà et la semaine qui suivait, c’est-à-dire dans quatre jours, elle reprendrait service.

LE DOCTEUR INTERDIT

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