02
2
Voilà, ça, c'est dit. Dans ta face !
Quoi ? J'ai été polie et concise, donc très professionnelle. Par contre, M. garde du corps, n'a pas l'air d'apprécier ma franchise et se jette sur moi, empoigne mon bras gauche, me secoue comme un prunier et s'apprête à me traîner de force vers la sortie. De son côté, le musicien reste stoïque, au point où je le soupçonne d'avoir un bâton coincé dans son postérieur.
- Lâchez-moi tout de suite, espèce de brute ! Je ne le répéterai pas deux fois, si vous persistez à me démembrer, je vous colle mes escarpins dans les grelots !
Choqué, Brutus relâche un peu la pression qu'exerçaient ses gros doigts, au point de me couper la circulation du sang. Puis, un léger rire résonne dans la salle.
- C'est bon Seige, Madame Conti peut m'interviewer.
Seige me libère de son emprise, ce qui déclenche mon joli sourire de chipie. En plus, je reprends du poil de la bête, car je ne suis pas peu fière d'avoir réussi à dérider la star en le faisant rire.
- Vanessa Joana. Je m'appelle Mme Joana.
- Mais, votre supérieur m'a assuré que vous étiez mariée, donc pas…
- C'est assez compliqué et je ne suis pas ici pour étaler ma vie privée. De plus, vous vous surestimez quand vous pensez que je vais me jeter sur vous, telle une groupie en folie.
Non, mais pour qui il se prend ce type ?
- Vos questions. J'écoute !
À vos ordres mon général ! J'ai vraiment le chic pour rencontrer des hommes irrespectueux.
- Pourriez-vous me regarder dans les yeux ? C'est un peu limite de parler à votre dos.
Le chien de garde réagit directement à ma requête et sa réponse est cinglante.
- Écoute minette, si tu continues à asticoter le patron de la sorte, je te fais voler jusqu'à dehors, sans toucher le parquet !
Grrr… pour un peu, il mordrait, l'abruti ! Tant pis, j'insiste.
- Retournez-vous M. Lewis, s'il vous plaît, l'imploré-je.
Mon ton est plus doux, presque suppliant et avant que Seige ne m'attrape par la peau des fesses pour m'envoyer en orbite, Emile obéit.
- Vous êtes satisfaite Mme Joana ? Le spectacle vous plaît ? Vous vous sentez en position de supériorité dorénavant ? Au moins, avant, nous étions à égalité…
Il prononce ces derniers mots avec une tristesse si profonde, que mon cœur rate un battement. Toute hostilité de ma part, vient en une fraction de seconde, de disparaître. Il me faut alors quelques secondes pour reprendre mes esprits et enfin rebondir sur ses propos.
- Je me trouve maintenant face à un homme qui m'accorde son attention et son respect.
- Certes… mais, vous vous trouvez également face à un homme que vous pouvez examiner sous toutes les coutures alors qu'il lui est impossible d'en faire de même.
La souffrance se lit dans ses mots, mais je ne veux surtout pas qu'il ressente de la pitié de ma part pour sa cécité.
- Et, j'ai de la chance de pouvoir mater un homme aussi bien balancé.
Je marche sur un fil, oui, je joue avec le feu en lui envoyant de telles répliques, mais l'adrénaline que cela me procure est vivifiante. J'ai enfin l'impression de vivre, de prendre des risques quitte à me brûler les ailes. Sa réaction est plutôt positive, car il esquisse un micro sourire et m'invite à prendre place sur une chaise face à la sienne.
- Merci Seige, vous pouvez disposer.
Hourra ! Je vais garder les pieds sur terre.
- Cet interrogatoire, ça vient !
Bon… j'ai gagné une bataille, mais pas la guerre. Il ne me mange pas dans la main, non plus.
- Je vais commencer par vous lire mes notes sur votre identité afin que vous puissiez les valider. Donc… M. Emile Lewis, vous avez 35 ans, vous êtes né à Rennes, donc ce passage ici est pour vous un retour aux sources.
Il acquiesce d'un bref geste de la tête.
- Vous avez deux frères et vous êtes marié à…
- Taisez-vous ! Pauvre idiote ! Comment osez-vous venir me rencontrer sans même avoir pris la peine de passer ma vie au peigne fin ? Internet grouille d'informations sur moi. Sortez tout de suite avant que je ne maîtrise plus mon langage !
Je suis estomaquée… Que vient-il de se passer ?
Avec le peu de temps que mon merveilleux patron m'a accordé pour collecter des renseignements sur ce pianiste, j'ai très certainement loupé un épisode de la vie de cette star. Peut-être que Madame Lewis lui a fait porter des cornes et qu'il est en plein divorce. Ceci expliquerait qu'il soit aussi à vif sur le sujet. Bref, je ne demande pas mon reste et prends la poudre d'escampette avant de me prendre la foudre en pleine face.
Le chemin qui me ramène chez moi, me parait interminable. D'innombrables scénarios sur le couple Lewis me traversent l'esprit et je n'ai qu'une envie, me retrouver en tête-à-tête avec mon ordinateur pour approfondir mes recherches. À peine la porte de mon appartement franchie, je me jette sur mon écran et épluche tous les articles concernant cet étrange individu. Vinrent enfin les révélations sur la fameuse Madame Lewis. Linda, belle brune au sourire ravageur. Les écrits relatant leur rupture sont assez vague, seul est précisé que c'est elle qui a quitté leur demeure. J'en conclus donc que ma gaffe a réveillé chez lui une douleur encore présente cinq ans après les faits. En bonne journaliste que je suis, je pressens que le scoop tant attendu par mon supérieur se trouve à portée de main. Je dois absolument gagner sa confiance pour qu'il me crache le morceau sur le pourquoi du comment, son ex-femme l'a ainsi abandonné. Toutefois, je suis consciente que je vais avoir du pain sur la planche, il n'est pas le genre d'homme à confier ses peines à qui que ce soit.
Bon… je pense qu'un bon bain chaud va me permettre d'oublier le boulot. C'est avec plaisir que j'abandonne ma somptueuse tenue et que je me laisse glisser dans cette eau parfumée et recouverte d'une légère mousse blanche. Quand…
Toc, toc, toc
Zut ! Qui cela peut bien être ? Et puis mince, en l'absence de réponse de ma part, l'intrus va rentrer chez lui.
Toc, toc, toc…
- Je sais que tu es là ma belle. Ouvre !
Toc, toc, toc… Je sais que tu es là ma belle. Ouvre !
J'entends un cliquetis, puis des pas résonnent sur le parquet, mais je ne suis nullement inquiète. Cette voix, je la connais depuis toujours.
- Tu es où, ma belle ?
- Dans mon bain !
- Cool ! Je viens te frotter le dos.
- Avec plaisir.
Attention ! Je vois vos yeux s'agrandir en portant un jugement hâtif sur notre relation.
Lopez est comme une super copine pour moi, ni plus, ni moins. Donc, oui, il pénètre dans ma salle de bains, alors que je ne suis pas vêtue. Oh, Sacrilège ! La suite ne va pas parler en ma faveur et risque de vous faire douter un peu plus de mes propos, mais à tort.
Mon ami, pour ne pas mouiller ses vêtements, ôte son pull, ainsi que son t-shirt.
Oh, ça va ! Il est juste torse nu, on ne va pas en faire toute une affaire. J'avoue tout de même, en amatrice d'arts, que son buste magnifiquement dessiné est très agréable à regarder.
Bref… il s'avance vers moi, prends ma fleur, vous savez ce fameux filet entortillé sur lui-même qui, une fois recouvert d'une lichette de gel douche et en contact avec votre peau, génère une mousse abondante.
Voilà… vous y êtes. Moi aussi d'ailleurs et je vous assure qu'un massage mousseux du dos effectué par Lopez, ça vaut tous les décontractants musculaires du monde.
J'enroule mes bras autour de mes genoux, incline ma tête vers ceux-ci afin d'offrir un peu plus ma nuque à ces délicieux mouvements de va-et-vient, ferme les paupières, ralentis mon rythme cardiaque en respirant lentement et complète ce moment jouissif, en m'enivrant de l'odeur de fleur de Tiaré et de Monoï qui se répand tout autour de moi. Partie dans ce rêve de douceur, j'en oublierais presque d'adresser la parole à mon bienfaiteur.
- Tu as des doigts de fée mon chéri.
Ma voix est, elle aussi, totalement détendue et sûrement sous le charme de cette pause, car elle me trahit en sortant de ma bouche, sous forme d'un souffle érotique. Ce qui décroche un rire moqueur, voir satisfait, de mon beau masseur.
- Tu ne sais pas à quel point.
Il est temps pour moi de sortir de mon état de transe.
- Coquin ! Passe-moi mon peignoir éponge, au lieu de raconter des bêtises.
- À vos ordres Mme Joana ! Mais, vous avouerez que j'ai marqué un point. Vous êtes sous mon charme et je suis irrésistible.
Il s'amuse de mon moment de faiblesse, tout en me frictionnant le dos et en me serrant contre lui. Je prends le temps de faire un arrêt sur image, d'ancrer mes yeux dans les siens, de les descendre vers sa bouche charnue, puis de photographier dans ma mémoire, son sourire qui illumine son visage. Il m'arrive parfois de prendre quelques secondes, pour imprimer en moi, des moments de ma vie où je me sens tout simplement bien. À cet instant précis, je prends conscience que Lopez a une place importante dans mon cœur et que dès que sa chasse aux blondes sera terminée, il m'abandonnera pour passer tout son temps avec l'élue de son cœur. L'idée même de ne plus le savoir près de moi, me submerge d'une vague de tristesse.
- Eh ! Que se passe-t-il ma belle ? Mais… je plaisantais… je ne me moquais pas vraiment de toi. OK, OK… On reste à 0-0 et je ne suis pas si séduisant que cela.
Il couvre mon visage de baisers et très vite, ces petits contacts brûlants sur mon épiderme, me redonnent le sourire.
- C'est bon, c'est bon ! Je vais bien et arrête de me manger ainsi, je ne suis pas une friandise. Mais… au fait, pourquoi débarques-tu chez moi ce soir ?
- D'abord, tu m'as donné ta clef d'appartement, donc je viens quand je veux et ensuite, j'ai rencontré une bombe qui est de passage dans la région. Et comme je te raconte toujours tout, tu vas avoir droit à tous les détails croustillants.
- Premièrement M. le tombeur, être en possession de ma clef ne signifie pas débouler dans mon intimité quand cela te chante. Deuxièmement, je ne suis pas sûre de vouloir entendre les détails salaces de vos ébats.
- Tu parles ! Avoue que tu adores entendre les récits sur mes aventures torrides !
Je ressens toujours une pointe d'agacement quand Lopez parle de toutes ces femmes, comme si elles étaient de la marchandise consommable et jetable. Non, je n'ai pas vraiment pitié pour elles, quoi que… Mais, je sais que Lopez souffre de cette incontrôlable frénésie sexuelle. Seulement, malgré nos années de complicité, je n'arrive toujours pas à saisir, ce qui le pousse à agir ainsi.
À 27 ans, tout comme moi, le feu dans son caleçon devrait moins le démanger et la maturité devrait l'inciter à se tourner vers des filles respectables. J'ai souvent tenté de le questionner sur le sujet, mais pour une raison que j'ignore, il évite le sujet, change de conversation et si j'insiste, il se fâche en me rappelant que nous ne sommes pas à l'église et que donc, il n'est pas nécessaire qu'il se confesse. Son manque de confiance en moi sur ce sujet m'a souvent blessé, c'est pourquoi, je préfère éviter de lui en parler de nouveau.
- Oh oui ! D'ailleurs, fais attention de ne pas glisser, j'en mouille ma petite culotte d'avance.
Je roule des yeux et soupire, mais il s'empresse tout de même de me détailler ironiquement à quel point cette Mélanie avait hurlé de plaisir dans les toilettes publiques. Comme vengeance personnelle, je mime à la perfection, la petite fille contrariée et boudeuse. Je suis persuadée qu'il va craquer devant ma mine d'enfant peinée.
Bingo ! Il stoppe ses explications détaillées et prend mon visage en coupe avec douceur.
- D'accord, j'arrête d'être aussi cru. De toute façon ma belle, tu sais très bien que la seule femme que j'aime vraiment, c'est toi !
Voilà ! Ma bouille renfrognée avait eu raison de lui et je retrouvais mon Lopez à moi, le beau et doux garçon que j'appréciais plus que tout. Seulement, mon côté diabolique m'incite à lui infliger une petite punition. Comme ses yeux bloquent sur les miens, que mon visage est agréablement lové contre ses paumes, je décide de m'amuser un peu. J'effectue quelques battements rapides de cils, j'accélère volontairement ma respiration, pince ma lèvre inférieure entre mes dents, joue au ping-pong entre ses iris et sa bouche, jusqu'à percevoir une atmosphère brûlante entre nous deux. Puis, je lui lance un dernier regard, décidé cette fois-ci, délivre ma lippe de mes incisives, passe ma langue sur celle-ci de façon suggestive et me dirige dangereusement vers sa bouche. Mon Lopez est à deux doigts de perdre connaissance. Ses yeux sont en mode interrogatifs et sa pomme d'Adam joue au yoyo tellement il déglutit. Au moment où nos lèvres s'apprêtent à se rencontrer, je bifurque délicatement vers son oreille et…
- Je meurs de faim ! Une omelette aux champignons, ça te tente ?
J'éclate de rire, fière de ma supercherie, quand j'entraperçois un voile de brume passer sur ses yeux. Je me sens mal tout à coup, sans comprendre pour autant, la réaction de mon ami. Nous restons alors quelques longues secondes sans parler ni bouger, puis, il embrasse ma joue avec tendresse.
- Moi aussi je suis affamé.
Le repas se déroule avec un nuage chargé en embarras, au-dessus de nos têtes. C'est pourquoi, Lopez ne s'attarde pas après sa dernière bouchée avalée et me quitte sans un mot, juste en me déposant un baiser sur le front.
Ma nuit fut mouvementée.
Décidément, en ce moment, mon rapport avec les hommes est difficile. C'est donc, avec de grosses poches sous les yeux, que je sors de mon lit à 6 h 00 du matin. Une nouvelle journée de travail m'attend et je ne suis pas motivée du tout. Le point positif est que je dois passer la journée au bureau, donc je n'ai pas à afficher ma mine déconfite aux yeux de personnes à interviewer. De plus, je n'ai pas prévu d'affronter de sitôt M. Lewis, alors tout doit bien se passer pour moi aujourd'hui.
- Mme Joana. Votre lit vous a enfin jetée ? Eh bien, ce n'est pas trop tôt !
Je l'avais presque oublié celui-là…
- Oui, bonjour à vous aussi et merci, j'ai bien dormi.
L'abruti se bidonne et croit bon de rajouter :
- Vous rigolez ! Je peine à voir vos yeux tellement ils sont boursouflés. Votre vie intime grignote beaucoup trop sur votre temps de sommeil, à ce que je vois.
Et il se retourne vers son bureau en s'esclaffant de plus belle.
Se rend-il compte qu'il est blessant ou est-il idiot ? Je préfère éluder la question et me dirige vers mon ordinateur. Mes recherches approfondies sur Emile Lewis sont plutôt fructueuses, notamment sur l'accident de voiture qui lui a coûté la vue. Je peux également constater que cette catastrophe est survenue au même moment que sa rupture sentimentale.
Y aurait-il cause à effet ?
Une chose est sûre, je n'allais pas lui demander à lui, je tenais à ma vie tout de même. Ma concentration fut perturbée par une intrusion en trombe dans mon bureau.
- Vanessa ! M. Lewis vous attend à « La Fontaine Aux Perles » dans une heure. Je compte sur vous pour lui soutirer un peu plus d'infos qu'hier.
Quoi ? Au restaurant avec le pianiste ! Mais où est donc passée ma bonne étoile ? Bon sang, j'ai plutôt une tête à aller à un bal des vampires. Tant pis, après tout, je ne suis pas une Escort girl, ma tête de chien battu fera bien l'affaire pour ce malotru.
- Bonjour. Je suis Mme Joana et…
- Bonjour Madame Joana. M. Lewis vous attend. Veuillez me suivre, je vous prie. Je vais vous accompagner jusqu'à votre table.
Waouh ! Resto chic. Après tout, même si je n'arrive pas à le faire parler, une chose est certaine, je vais me régaler sans débourser un sou.
Le pianiste est assis sur un magnifique canapé blanc et quand il sent ma présence , il m'intime de m'asseoir à ses côtés. Intimidée par cette ambiance cosy, je m'exécute.
Pour être honnête, je suis rassurée qu'il ne puisse pas voir mes joues léchées par les flammes.
- Bonjour Vanessa. Je peux vous appeler par votre prénom ?
- Bonjour Vanessa. Je peux vous appeler par votre prénom ?
Sa voix est calme, posée, limite suave. Quelle mouche l'a piqué ? Cet homme est vraiment lunatique, tantôt son comportement est glacial, tantôt séducteur à souhait.
Je dois garder la tête froide face à ce personnage aux facettes multiples, car je me sens indubitablement attiré par lui. Je ne sais pas, peut-être que son côté compliqué me séduit ou tout simplement, son physique dessiné à la perfection. Oui, je dois l'avouer, je bave littéralement devant M. Lewis.
- Bonjour M. Lewis. Oui, vous pouvez.
Je sais que ce n'est pas bien, mais je le reluque sous toutes les coutures et mon regard se fige subitement sur sa bouche charnue. Elle s'étire très lentement pour former un joli sourire, ce qui crée au passage, deux jolies fossettes sur ses joues fraîchement rasées. La seule pensée qui me vient en tête à ce moment précis, est : « Vanessa, ramasse ta langue, ou tu vas trébucher dessus ! ». Son physique m'hypnotise, son parfum m'envoûte et sa voix… sa voix de baryton basse, commence en me transperçant la poitrine, puis vibre dans mes entrailles, pour finir échouée contre mon petit cœur émoustillé.
- Emile. Appelez-moi simplement, Emile.
Emile… Si tu savais à quel point j'ai envie de t'appeler ainsi, voir de crier ton prénom !
Vanessa, Vanessa ! Ressaisis-toi, ou il va finir par percevoir que tu te trémousses à ses côtés, comme une adolescente à un concert de Kendji Girac.
L'atmosphère romantique du lieu, le fumet de Saint Jacques qui règne dans la salle mêlé à celui du pianiste, le costume sexy qu'il porte, le manque d'homme dans ma vie, tout cela réuni, doit me faire perdre pied.
- Je… Enfin…
- Non, moi d'abord. Je tiens à vous présenter mes excuses pour mon comportement déplorable, lors de notre première rencontre. J'ai été idiot de vous traiter ainsi et j'espère que nos prochains rendez-vous me permettront de vous faire oublier cela.
Nos prochains rendez-vous ?
J'avais bien entendu ? Il considérait notre entretien professionnel comme un déjeuner entre… amis… ou… ou quoi d'ailleurs ?
Ses mots résonnent dans ma tête et je n'arrive pas à ordonner à ma bouche de sortir un quelconque son, pour lui tenir la conversation. Je suis en pause et je n'ai plus assez de débit pour poursuivre la lecture de mes pensées. C'est à cet instant, que Emile pose sa main sur la mienne avec la délicatesse d'une plume. Ce simple contact embrase mon corps tout entier. Une gigantesque flamme me léche, ce qui augmente brutalement ma température corporelle. Le désir est en train de prendre possession de la situation et je ne trouve plus le chemin qui mène aux signaux de détresses, afin de lancer un SOS.
Mayday… mayday ! Atterrissage d'urgence demandé.
Au lieu de recevoir un quelconque signe d'aide, c'est une caresse approfondie sur ma main, causée par la pulpe de ses doigts, que je reçois. Je suis foutue, je vais m'écraser et m'enfoncer dans une situation très certainement dangereuse. Ce qui est démentiel, c'est qu'un jour auparavant, je ne désirais qu'une seule chose, obtenir un scoop de cet odieux personnage et aujourd'hui, j'aspire juste à me perdre dans ses bras.
J'en déduis donc que je suis folle alliée, voilà, c'est ça, je yoyote de la crinière.
- C'est oublié, n'en parlons plus.
Pour me remercier de ma compréhension, enfin je suppose, il serre tendrement ma main et émet de petites caresses circulaires sur le dos de celle-ci. C'est alors que, le serveur arrive cartes de menus en main, juste avant que je ne me précipite sur Emile pour lui enfourner ma langue dans la bouche, en guise d'entrée. La tension entre nous est palpable et je ne suis pas sûre de me tenir correctement du début du repas jusqu'au café. Donc, je prévois déjà de faire l'impasse sur le dessert, afin de ne pas me laisser tenter par la sucrerie assise à quelques centimètres de moi.
Je ne me reconnais plus, mais j'aime l'ivresse que cette tension sexuelle provoque en moi. Après tout, depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours été sage avec la gent masculine, pas d'excès, pas d'histoires sans lendemain, pas de tromperie et qu'est-ce que ma droiture m'a rapportée ?
Dites-le moi !
Un mariage avorté dans l'œuf. Voilà ce que ma sagesse m'a rapporté… Donc, je lâche la bride et je vis l'instant présent, sans me poser de limites inutiles.
- Vous vouliez que l'on parle de ma femme, alors parlons-en.
Nous passons commande d'un carpaccio de Saint Jacques aux agrumes, ainsi qu'un filet de bœuf dans sa crêpe à la bordelaise et commençons à déguster quelques bouchées, avant que je ne lui provoque une indigestion avec mes questions.
- Bien… Je me suis documentée sur votre vie privée et j'ai relevé une rupture avec une certaine, Linda.
Je laisse volontairement un blanc à la fin de ma phrase, afin de voir sa réaction. Celle-ci ne se fait pas attendre, il crispe sa mâchoire et son regard se durcit presque instantanément. Je décide tout de même de poursuivre ma torture.
- Mais, rien d'autre n'est mentionné. L'avez-vous quittée ou est-elle partie en vous abandonnant ?
Un pincement se forme au creux de mon estomac et pour la première fois dans ma carrière de journaliste, je me déteste. Ma façon d'éplucher son passé pour décrocher ma palme d'or, me donne des haut-le-cœur.
De quel droit, je me permets de l'inciter à se mettre à nu pour satisfaire mon ambition ?
- C'est elle… Linda m'a quitté, il y a cinq ans.
Sa phrase est lourde. Lourde de peine, de regrets, d'amertume et de larmes trop souvent versées. Malgré cela, mon côté diabolique me pousse à continuer, à lui enfoncer le poignard un peu plus dans sa chair.
- Quelle raison a-t-elle évoquée pour rompre avec vous ?
La journaliste a repris la possession de mon corps et débite froidement ses questions, sans se soucier du mal que celles-ci peuvent occasionner. Je salive comme un lion devant une gazelle, en espérant une réponse juteuse de douleur et d'événements trash.
Emile, surpris par ma froideur, arc-boute ses sourcils en accents circonflexes, passe sa main sur son menton, toussote légèrement pour s'éclaircir la voix et me donne l'os que j'attends tant.
- Vous êtes la première personne avec qui je vais en parler, à part bien sûr, mes proches. Je ne sais pas ce qui me pousse à vous faire confiance alors que le jeu est clair, vous allez étaler ma vie privée sur votre magazine et ainsi booster votre carrière.
Il avale une gorgée de vin, passe négligemment sa serviette sur ses lèvres et poursuit.
- Ma femme, enfin… mon ex-femme, avait mis sa vie professionnelle de mannequin entre parenthèses, afin de pouvoir me suivre sur toutes mes tournées. Et, savez-vous ce que représente une vie sur les routes ?
Je secoue lentement la tête de gauche à droite, tout en gardant ma bouche scellée. Je suis concentrée et honorée que M. Lewis se livre à moi en toute confiance.
- Eh bien, Mme Joana, cela signifie, la solitude. Oui, vous êtes entouré de Senars de personnes et pourtant, vous vous sentez seul… Linda a très mal vécu cet éloignement et s'est progressivement renfermée sur elle-même. La seule personne qu'elle voyait régulièrement et avec qui, elle avait un contact téléphonique immuable, c'était Sena, ma meilleure amie. Donc, le mal-être de Linda et ma surcharge de travail, avec le temps, ont usé notre relation. En effet, on ne se parlait plus beaucoup, nos contacts physiques s'espaçaient et arriva ce qui devait arriver, elle s'est lassée de moi… Mais, j'aurais pu accepter cela, si…
Il pâlit subitement et malgré sa rapidité pour essuyer la larme qui glissait sous ses lunettes sombres, j'eus le temps de l'apercevoir. Ce moment de faiblesse dans ce corps aux apparences inébranlables, me touche profondément. Je ne réfléchis donc pas, quand je pose chaleureusement ma main sur sa joue. Le contact de celle-ci, le fait frémir et la surprise passée, il la recouvre de la sienne. Sa poitrine se soulève et je sens qu'il refrène les sensations qui l'envahissent. Avec douceur, il effectue une légère pression sur ma peau, comme pour me demander la permission sur ce qui allait suivre. Je reste figée et attends avec envie qu'il ose tenter une approche plus approfondie vers moi. Il tourne son corps un peu plus vers moi, descend ma main vers ses lèvres, tout en l'accompagnant de la sienne et dépose un doux baiser. Mon épiderme rencontre alors son souffle chaud et mon corps se met immédiatement en ébullition. Mais, un petit diablotin apparait sur mon épaule gauche et me chuchote à l'oreille : « la suite ma belle, la suite ! ».
- Si ?
Ma question ressemble plus à un gémissement qu'à une réelle question digne d'une interview. Mais, à l'instant où il va me révéler la partie la plus importante de cet entretien, mon portable entonne une musique entraînante.