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- Smist ? Anicet Smist ? Votre concierge ?

- Oui, celui là même, qui j'en suis certain, vous a détaillée de haut en bas à votre arrivée. Il passe son temps à espionner les locataires de l'immeuble. Il m'espionne du matin au soir depuis quatre ans qu'il travaille ici. Si je m'assois sur l'autre banc, je suis dans la ligne de mire depuis sa loge et ça… m'agace.

Elle éclate de rire. Un rire clair, joyeux et dénué de toute amertume. J'adore ce son et je suis prêt à donner beaucoup pour le provoquer de nouveau. Nous sommes proches l'un de l'autre comme si nous nous connaissons depuis longtemps. C'est notre « parenthèse » et quoi que ce soit, ça fonctionne. Un peu trop bien.

- Mr Deve ?

Tiens donc !

- Quand on parle du loup… je me penche à nouveau sur l'épaule de Ruth pour lui murmurer ces quelques mots.

- Je suis désolé de vous déranger mais, des livreurs sont arrivés et Mme Deve, qui n'arrive pas à vous joindre, vient de m'appeler afin que j'insiste pour que vous réceptionniez la marchandise.

Le rire ensorcelant de Ruth reprend de plus belle et le mien s'y joint, complice.

Vendredi 16H30 – Anicet Smist

Transmettre des messages faisait partie de mon rôle et je l'accomplissais généralement avec plaisir, mais rarement avec autant de jubilation que lorsqu'il m'avait fallu interrompre la scène de séduction du Sieur Deve et de ma jolie brune. J'avais un prétexte pour les déranger. Il allait détester et elle allait repartir… Avec moi peut être. Seulement rien ne s'est passé comme je l'avais prévu. Je suis dégouté.

J'ai eu l'impression qu'ils riaient à mes dépens et je me suis senti… comme un chiot qui avait fait une bêtise et dont les maîtres se moquaient.

Humilié.

Et en plus, elle est montée chez lui.

ooOoo

Laris

Je referme la porte de l'appartement derrière Ruth. Elle reste sur le seuil, muette. Je pense qu'elle découvre l'espace de vie. Il est vaste, lumineux grâce à deux portes fenêtres. À gauche, un grand espace cuisine. À droite un escalier et une chambre. Celle de Samira.

- Ruth, merci d'être venue. Euh… Je vais accueillir demain ma fille, Samira. Avant elle dormait dans la pièce voisine de mon bureau à l'étage supérieur du loft, mais c'est un peu… petit et je… enfin, je préfère être seul en haut.

Je ne vais pas expliquer que certaines de mes nuits sont très… pénibles et que Samira n'a pas à être réveillée par les cris de son père.

– Ma mère a acheté des meubles pour sa nouvelle chambre comme tu l'as compris. Cette pièce était jusqu'ici non utilisée ou presque. C'est juste ici.

Je me déplace de quelques mètres sur la droite et ouvre la porte d'une pièce presque vide. Elle s'avance à son tour et son parfum me submerge. Elle ne dit rien.

- Et … ma foi… ça, la déco et tout… c'est au dessus de mes forces. Si tu veux bien m'aider à gérer, je t'offre… une assiette de délicieux muffins maison ?

Je sais, j'exagère un peu. Mais si peu. Elle rit. Enfin. Avec elle, tout est simple.

OK. Opération « chambre de Samira » peut démarrer. Les meubles arrivent quand ?

La sonnerie de la porte nous interrompt… Je souris.

Maintenant.

En une heure, Ruth a résolu pour moi ce qui m'aurait… agacé si j'avais dû le prendre en charge. Ma mère serait furieuse de m'entendre, ne serait ce que penser ceci, mais la disposition de la commode par rapport au lit et la couleur des rideaux et de la couette me sont totalement indifférentes.

Je me demande souvent si c'est un locus particulier du chromosome X qui exige la parfaite coordination de tout ceci. Si mon hypothèse est vraie, Ruth possède, tout comme ma mère, un chromosome X, plutôt deux, parfaits et le mien est loin de suffire pour me transformer en chef décorateur, même pour ma Samira.

Je reste donc assis très tranquillement sur mon canapé, caressant distraitement Luna, dont l'humeur agacée par la présence des livreurs, se traduit par des frissons réguliers de sa peau sous la fourrure soyeuse. La voix patiente et malgré tout ferme de Ruth, distille dans la pièce voisine des indications précises à deux des hommes pour monter les meubles, installer les rideaux et le home cinéma pendant que le troisième fait disparaître les quelques meubles jugés inadéquats par ma mère.

Ruth est… adorable. Je ne reconnais pas la jeune femme qui m'a traité de tous les noms. Ou plutôt si, c'est comme une évidence, elle est « elle », elle fait ce qu'elle dit et pense. Elle ne dissimule pas ses sentiments et c'est rafraîchissant pour moi. J'ai cette impression reposante que je n'ai pas à réfléchir au sens caché de ses paroles.

Elle a d'abord accepté de me suivre dans mon appartement lorsque Anicet Smist a interrompu notre conversation. Mon soulagement a été intense car je n'ai pas le souvenir d'une discussion aussi riche et intense avec une inconnue. J'ai voulu instinctivement créer un lien avec elle, juste après sa réaction – ou plutôt son absence de réaction – lorsqu'elle a compris mon problème. Sa réaction franche, sa compassion ni tabou m'a surpris. M'a soulagé.

Ruth, à contrecœur au départ, est entrée dans mon jeu dans le jardin. Puis chez moi.

Elle a pris les choses en main dans mon appartement, pour mon plus grand bonheur. J'ai l'impression de la connaître depuis longtemps et je brûle d'en savoir plus sur son histoire, sur les raisons de sa colère et de sa fragile situation.

La vibration de mon téléphone dans la poche de mon jean interrompt ma réflexion.

- Laris, tu vas bien ? Je suis désolée de t'avoir laissé en plan.

La voix de ma mère est légèrement affolée.

- Tout va bien, maman. Ne te tracasse pas.

- Mais je t'ai laissé les livreurs à gérer et je sais que tu n'aimes pas cela. Je t'avais promis de m'occuper de tout et je t'ai…

- Maman ! Je l'interromps rapidement, il n'y a rien de grave, mais pourquoi es tu en retard ?

C'est à mon tour de m'inquiéter. Ce n'est pas son style en effet de me laisser tomber ainsi.

- J'ai rencontré, euh… une amie par hasard dans une galerie. Nous nous sommes attardées à discuter, nous ne nous sommes pas vues depuis longtemps. Et …

Sa voix, gênée se tait.

- Maman ?

Elle me cache quelque chose.

- Oui, Laris ?

- Ok, une amie. C'est pas grave… mais qui est ce ?

Je l'entends déglutir et prendre son souffle. Je n'aime pas insister ainsi, mais mon instinct me dit que je dois savoir.

- C'est Jordy, Laris, chuchote t elle.

Ah. Un frisson me saisit et je passe ma main dans mes cheveux, espérant réduire la tension qui vient de m'envahir. Je ne m'attendais pas à cela. Jordy habite encore Chicago, je crois. Le monde est vraiment petit.

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