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08

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Ah. Un frisson me saisit et je passe ma main dans mes cheveux, espérant réduire la tension qui vient de m'envahir. Je ne m'attendais pas à cela. Jordy habite encore Chicago, je crois. Le monde est vraiment petit.

– Elle ne savait même pas que Samira allait venir à New York, reprend doucement Sue. Elle voudrait que je prenne un thé avec elle, pour discuter un peu plus mais…

Ma mère hésite à poursuivre. Je secoue la tête. Jordy est une femme adorable. Son seul défaut est d'avoir assez mal élevé sa fille, Line. Elle aussi souffre de la situation : elle ne voit plus ni sa fille, ni sa petite fille, je pense. Mais cela ne me regarde plus. Je hausse les épaules

- Maman, n'hésite pas, je te dis que tout va bien. J'ai une… amie qui dirige l'opération « Chambre de Samira » de main de maître, aussi bien que tu l'aurais fait. Profite de la présence de Jordy et …. Embrasse la de ma part.

Je n'aurais jamais cru dire cela un jour. Je progresse sûrement. Mais je me rends compte que j'ai parlé un peu trop et je sens les antennes maternelles s'agiter en frémissant d'espoir.

- Une amie ? Je la connais Laris ? Je serai là dans une heure, tu sais ! Garde cette amie avec toi, que je la remercie de son aide.

- Non, tu ne la connais pas, maman, et… euh on verra, si elle peut rester un peu plus longtemps, je la retiendrai. À tout à l'heure.

Je glisse mon téléphone dans la poche arrière de mon jean en souriant à demi aux intentions clairement affichées de ma mère. Je lui parle rarement – voire jamais – de mes relations, aussi je comprends sa surprise. Elle ne l'a pas dit, mais je sais qu'elle bout de curiosité de voir mon « amie ». Curieusement, même si je préfère rester seul avec Ruth, cela ne me dérange pas que ma mère arrive et fasse sa connaissance. Nul ne peut résister aux femmes de la famille Deve. Peutêtre saura telle mieux que moi la convaincre, si j'échoue. Enfin, il faudrait d'abord que je lui demande. Je me trouve pour une fois et curieusement, assez hésitant devant la réaction probable d'une femme.

Un des livreurs se plante alors devant moi et me demande timidement si je peux signer le bon de livraison. Soudain irrité je grimace. Je suis aveugle, pas analphabète. Je lui demande de poser son doigt à l'endroit exigeant ma signature, puis paraphe nerveusement le papier qu'il a mis devant moi.

- Tout a été placé suivant les indications de Mlle Parker ?

- Bien sûr, M. Deve ! Elle est drôlement efficace votre amie, s'exclame til.

Même si je suis tout à fait d'accord avec son commentaire, je ne lui réponds rien et me contente de sortir de mon portefeuille, un billet que je glisse dans son bon de livraison, lui rendant ensuite le tout.

- Merci, Mr Deve. Nous vous souhaitons un bon aprèsmidi.

Il s'éloigne, appelant ensuite ses deux collègues et j'entends Ruth les saluer avant de refermer la porte d'entrée derrière eux.

- Voilà, Laris, tout est fin prêt pour accueillir Samira. C'est une petite fille gâtée par son père et sa grandmère.

Je souris en direction de la jeune fille et me laisse guider vers sa voix joyeuse.

- Et ceci, aussi grâce à toi.

Je la tutoie soudain.

- Suis moi et assiedstoi ici, Ruth, s'il te plaît. On doit discuter un peu.

Elle s'est encore approchée de moi et je la dirige de ma main, en effleurant son coude, vers un des tabourets qui s'alignent derrière le comptoir de ma cuisine ouverte dans la pièce à vivre. M'éloignant rapidement d'elle, je contourne le bar et pose alors devant elle une assiette pleine des muffins de ma mère et un jus de fruits frais que j'ai préparé pendant qu'elle surveille le chantier dans la chambre de ma fille.

- Pour te remercier de ton aide, je t'offre ce modeste goûter. On peut se tutoyer, n'est ce pas ? dis je en m'installant en face d'elle.

- Merci Laris, c'était un plaisir pour moi. C'était… amusant de… faire cela.

Elle marque une pause, je la sens hésitante.

- Vasy, dis moi ce qui te tracasse ?

Elle bouge légèrement sur son tabouret et je l'entends poser son verre. Les rouages de son cerveau fonctionnent tellement qu'il me semble les entendre.

- Il y a une heure, tu envoyais mes livres en l'air, ensuite tu m'entraînes à venir voir des personnages magiques sur un vieux mur très laid qui devient un livre d'histoires, maintenant, je suis chez toi à boire un jus de fruits comme si nous nous connaissions depuis longtemps. C'est curieux, non ? Je ne suis pas comme ça. Ma mère dit que je suis encore plus asociale que mon père.

Elle se pose les mêmes questions que moi. Je choisis de lui répondre franchement à mon tour.

- Je n'ai pas d'explications. Je ressens un peu la même chose. Il semble que tu m'apportes un petit quelque chose dont j'avais besoin sans le savoir. Une amitié immédiate, spontanée, ça existe peut être.

Je hausse les épaules. Quitte à être sincère, autant se jeter à l'eau. Le moment est idéal. Je prononce les mots qui m'étonnent moi même et qui pourtant sont présents dans ma tête dès l'instant où elle a découvert que j'étais aveugle.

- Je vais être franc. Il me faut une personne à domicile pour accompagner ma fille. L'aider. Lui tenir compagnie, que sais je. À partir d'aujourd'hui et pour une durée indéterminée. Accepterais tu ce rôle ?

J'entends un petit hoquet de surprise et m'empresse de poursuivre.

- Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas de moi. Je m'occupe de moi tout seul. C'est pour Samira. Ma mère s'inquiète, elle pense que je ne peux pas la prendre en charge.

Une pointe d'agacement m'a échappé. Le tabouret racle le sol et j'entends Ruth marcher de long en large.

- Je comprends ce que tu veux dire, Laris. Mais… je ne sais pas si je peux m'occuper d'une enfant.

- Je ne veux pas que tu t'occupes d'elle. C'est mon rôle. Elle aura juste sûrement besoin d'une compagnie féminine de temps en temps. Et puis, quand je travaille, même si je suis présent physiquement dans mon bureau, je montre d'un mouvement vague de la tête les pièces de l'étage, concrètement je ne vois pas le temps passer. Je risque de l'oublier,

Je suis un peu confus d'avouer ceci, mais sur ce point, ma mère a totalement raison.

- Je suis sûre que non. Ta mère a peur par rapport à ta cécité, n'est ce pas ?

Droit au but. Toujours. Un sourire effleure mes lèvres.

- Oui. Elle a peur de tout pour moi. Jusqu'ici, j'avais une assistante pour mon boulot qui, peu à peu, avait pris un rôle plus conséquent : courses, repas, vêtements. Elle faisait de l'intendance dès qu'elle venait ici. Ça rassurait Maman de la savoir présente pour moi. Elle a dû partir, mais surtout, je n'ai plus besoin de cela. Je refuse de prendre une nouvelle assistante qui ferait tout à ma place.

- Que lui est il arrivé ? Pourquoi n'est elle plus avec toi ?

- Je l'ai poussée vers son futur conjoint. Elle est maintenant mariée et follement heureuse d'être débarrassée d'un patron pénible et associal.

Elle souffle, tournant toujours autour de moi. Quelque chose d'autre semble la perturber.

- Ruth, que se passe t il ? Dis moi franchement quel est le problème ? Tu n'auras pas à faire tout cela. Je veux dire … la cuisine et tout … La cuisine, j'essaye et je commande une pizza ou autre chose quand je n'ai pas le temps. Une femme de ménage passe tous les deux jours. Tu aurais juste à prendre soin de ma fille quand je ne suis pas disponible pour elle.

Elle ne dit toujours rien. Le silence que j'adore me tue. Je répète alors les arguments les plus forts.

– Je te propose un emploi, logée, nourrie, qui te laissera beaucoup de temps pour préparer tes cours afin d'être kiné. Mais je sens que ça ne te plaît pas.

Je finis de parler, un peu découragé. Dès le départ, je sais que ce sera difficile de la convaincre. Mais je n'ai pas prévu cette… résistance silencieuse. C'est un des moments où mon handicap me fait rager. Je ne la vois pas. Je sens juste qu'elle s'éloigne. Que je perds sa complicité, son aide, sa présence.

- Quel âge a ta fille ? demande t elle en murmurant presque craintivement.

De quoi a t elle peur ?

- Samira aura 7 ans dans un mois, le 18 février exactement.

Un gémissement à peine audible lui échappe. Elle ne bouge plus ensuite. C'est le silence le plus lourd qui puisse exister. Je ne sais plus que dire, que faire.

- Laris …

Seul mon prénom franchit ses lèvres. Plaintif. Elle souffre. Je m'aperçois que je déteste absolument l'idée même de l'avoir fait souffrir. J'ai juste voulu l'aider, en aucun cas rajouter à sa douleur. Je soupire. Je dois renoncer.

- C'est pas grave, Ruth. Oublie ma proposition.

- J'ai… besoin de temps. De réfléchir aussi. Tu veux bien attendre un peu ?

Retient elle des sanglots ? Je m'interroge pendant que l'espoir renait. Elle n'a pas dit non.

- Bien sûr, réponds je. Prends tout le temps que tu veux. La proposition reste valable, de toute façon, je ne cherche pas d'autres candidates. Promis !

Elle s'approche de moi, créant un léger courant d'air autour de nos corps, et sa main effleure la mienne. Elle hésite à me toucher.

- Je repasse ce soir te donner ma réponse.

- Bien. Prends soin de toi, et quelle que soit ta réponse, je serais heureux de te revoir.

Je l'entends rejoindre précipitamment la porte de l'appartement qui se referme derrière elle.

Je suis affreusement malheureux d'être seul. C'est la première fois que la solitude est désagréable.

Dans le terrible calme de mon loft, je ne sais pas vraiment comment interpréter cette fuite, ni même comment réagir aux sentiments terriblement protecteurs que cette femme a su réveiller en moi.

Elle semblait si mal, si triste en sortant de cet ascenseur. Si belle aussi. Son petit visage pâle en forme de cœur me rendait tout bizarre. Comme si mes muscles devenaient de la guimauve. Il l'avait rendue malheureuse. Si Mme Deve n'avait pas été avec moi, je serais monté au 9ᵉ injurier le sale type responsable de son état avant d'aller lui faire comprendre à coups de poing ma façon de voir les choses. Aveugle ou pas !

Il était évident qu'elle avait pleuré et elle semblait à bout de forces. J'ai dominé ma fureur mais, quand elle reviendra tout à l'heure, car elle reviendra, je lui dirai ce que je pense de lui. Éthique professionnelle ou pas.

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