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J'ai prononcé le mot magique, en m'asseyant sur la chaise qu'Jean m'a présentée, comme si c'était une excuse.
C'était une excuse. Je souris à demi, prenant sa main dans la mienne. J'aime ce contact. Ma mère a de jolies mains qui lui ressemblent, douces et fines, et pourtant très fortes.
– Et alors ! Est ce une raison pour m'oublier ?
– Humm, non bien sûr, maman. Mais tu sais comment les choses s'enchaînent. Tu as commandé pour moi ? dis je en changeant volontairement de sujet.
– Évidemment. De toute façon ce jeune serveur sait déjà presque mieux que moi ce que tu aimes. Finalement ça me rassure de voir que tu seras un peu entouré ici. Mais dans l'appartement… Elle achève sa phrase sur un soupir mi agacé, mi inquiet.
– Maman, ne commence pas. Laisse moi au moins jusqu'au dessert.
Je sens sa main vibrer dans la mienne, hésitante. Je la resserre doucement afin qu'elle comprenne à quel point c'est important pour moi.
– Bien. J'ai acheté des meubles pour la chambre du bas. Elle est plus agréable que l'ancienne chambre de Samira. Cet après midi, les livreurs viennent et je mettrai tout cela en place avant de préparer mes bagages. Tu verras tout sera impeccable pour elle. Il y a un nouveau lit, ainsi qu'une commode et un petit bureau. Tu verras je pense qu'elle va adorer !
– Merci maman, tu es une vraie mère pour moi.
– C'est ça, moque toi… j'ai aussi pris de nouveaux draps… et commandé une nouvelle télévision et un ensemble home cinéma pour agrémenter les moments où tu l'oublieras comme tu m'as oubliée. La pauvre, elle…
Oublier Samira ? Cela pourrait il m'arriver ? Je m'inquiète soudain de ce qu'allaient être les prochains jours. Jusqu'ici j'ai idéalisé un peu ces retrouvailles avec elle. Mais cela fait un an qu'on ne s'est pas retrouvé seuls tous les deux. Pourrais je prendre soin d'elle comme je le veux, comme je le dois ?
Mon genou se met à vibrer comme à chaque fois que je suis préoccupé. Je le bloque d'un geste discret sous la table. Hors de question que ma mère se rende compte de mon inquiétude. Je serai à la hauteur. Je dois bien cela à Samira.
– Arrête ! Je vois que tu ne m'écoutes plus.
Lorsqu'elle tapote mon bras, je reviens à elle.
– Excuse moi, maman. Tu disais ?
– Je te disais qu'il fallait que tu sois à l'aéroport demain à midi pour accueillir Samira. Line, sa mère, t'a envoyé un message hier tu te souviens ? Tu y arriveras ?
Soudain agacé, je pince les lèvres.
– Oui, je sais commander par téléphone un taxi. Donner une adresse. Curieusement je sais même marcher…
– Je ne parle pas de cela, tu le sais bien. Il faut que tu acceptes d'évoquer le sujet. Cela fait une semaine que j'essaie et que tu repousses l'échéance. Je pars ce soir et il n'y a personne pour prendre soin de toi.
– Peut être parce que je n'ai besoin de personne ? réponds je d'un ton sec.
Trop sec. Mais je veux qu'elle comprenne. J'ai besoin d'espace, besoin de savoir que j'y arriverais seul.
J'ai enfin l'occasion de me prouver, à moi même plus qu'aux autres, malgré mes appréhensions, que je peux rester seul. L'appartement est aménagé. Je suis « rétabli », enfin autant que possible et même mon psy m'a donné le feu vert.
Elle ne dit rien. Son regard inquiet glisse sur moi j'en suis certain et je peux sentir sa désapprobation et même pire que ça, son angoisse.
Le silence s'éternise entre nous, à peine troublé par Jean qui apporte le café.
– Maman, laisse moi gérer cela. Si je dis que je le peux… c'est que je peux. J'ai besoin d'autonomie, d'un peu d'espace. Tu peux comprendre cela ? Samira ne risque rien et moi non plus. Papa et toi devez en être persuadés.
Je me force à rester calme et posé, mais je bous intérieurement. Quoiqu'elle en dise, cela fait quelques mois que nous discutons de cela. Elle a gagné le précédent match et l'adorable Casey a pris soin de moi, chez moi, pendant plusieurs mois. Maintenant, c'est à mon tour d'imposer mes conditions.
– Je dois partir ce soir. Tu peux comprendre que je sois inquiète ?
– Je peux le comprendre mais, maman, tu devras vivre avec et moi je dois vivre avec mon… problème. C'est ainsi. Je le peux et je le veux. Je ne suis pas au fin fond du désert mais, dans une grande ville américaine, jouissant de tous les conforts et agréments possibles. Tu m'as doté à la naissance d'un cerveau qui ne fonctionne pas trop mal et je sais m'en servir grâce à Papa et toi, alors s'il te plaît, laisse moi vivre. J'en ai besoin.
Les derniers mots sont soufflés doucement. Ma colère a disparu, je veux l'apaiser, mais j'ai besoin aussi qu'elle accepte, qu'elle comprenne.
Nous maintenons le contact par nos mains qui ne se sont pas lâchées depuis le début de la discussion. Je pose alors mon autre main sur la sienne qui a serré mes doigts jusqu'ici. Elle recouvre, protectrice, celle de ma mère, enfin détendue.
Vendredi 16h. Anicet Smist
Non, je n'espionne pas « mes locataires », mais parfois, même si je les aime bien, il m'arrive d'en être jaloux.
Pas jaloux de leur statut social ou de leur compte en banque. Ma petite vie tranquille me suffisait. Un physique à faire tomber toutes les filles. Un boulot pas pénible, une superbe moto et une tribu de copains.
Mais jaloux quand même. Furieusement. Surtout quand ce connard glacé de Deve conduit chez nous une magnifique brunette aux yeux tristes. Qui peut m'expliquer pourquoi les plus belles filles sont elles toujours attirées par ce type d'homme froid et lointain ?
C'est l'heure de pointe. Les habitants passent dans le hall. La routine. Ça ne m'intéresse pas vraiment. Ils sont dans le jardin… Elle m'a remercié gentiment avec un petit sourire adorable dans son visage en forme de cœur, lorsque je lui ai donné son café. Elle est encore plus belle de près et Deve m'a ignoré pour une fois. C'était même assez grossier de sa part. Peut être craint il la concurrence ? Je suis plutôt beau gosse, brun musclé. Une belle gueule quoi.
De mon poste, je ne les vois pas et ne les entends pas. Frustration.
ooOoo
Laris Le même jour
- Drew, je dois te laisser, j'ai encore mille choses à faire avant la fermeture des magasins.
Elle m'embrasse en me caressant la joue et me laisse seul devant mon café refroidi. Je suis le son de ses pas légers s'éloigner et se fondre dans le brouhaha léger du café. Passant distraitement mes doigts dans ma crinière, je fais un signe à Jean afin de régler les consommations.
Je suis encore troublé par ma discussion avec ma mère en sortant sur le trottoir. Il fait frais, aussi je remonte le col de ma veste bleue à carreaux. Le tissu épais me gratte le cou, me remémorant désagréablement le jour de son achat. Avec Lana. J'aurais dû jeter cette veste, mais on ne peut pas se débarrasser aussi facilement de ses souvenirs. Il faut vivre avec donc autant garder cette bonne grosse veste qui n'y est pour rien dans le fiasco de mon mariage. Longeant les trottoirs en frôlant du bout des doigts les murs, j'avance d'un pas rapide. Est ce que je demande trop à mes proches ?
Je trébuche soudain et m'arrête instantanément.
Merde !
Plongé dans mes pensées, j'ai trop avancé. Je prête alors plus d'attention aux bruits de la rue. Klaxons et portières de voitures qui claquent. Un petit garçon bavardant avec sa mère me double et je prends conscience des nombreux cris d'enfants à proximité. L'école de Green Square est à quelques mètres plus loin sur ma gauche. Furieux contre moi et cette distraction que je ne peux me permettre, je fais demi tour avec précaution. Longeant à nouveau le mur, je tourne à droite une première fois et, pressé de retrouver le calme de mon appartement, accélère l'allure.
Je n'aurais pas dû. Je heurte violemment un corps, une femme. Plusieurs évènements se déroulent simultanément et mes sens aiguisés sont saturés.
Des objets heurtent bruyamment le sol, l'un deux heurte mon pied. Un parfum frais et léger m'envahit, percutant mon cerveau de façon très inhabituelle. Jasmin. Fraise. Savon. Antiseptique. Un mélange curieusement troublant me rappelant mon rêve. Mon bras gauche se dirige instinctivement en avant pour rattraper celle que j'ai bousculée. Il s'enroule autour d'une taille fine, cachée sous une veste au tissu trop léger pour la saison. L'inconnue chancèle légèrement et je la serre un peu plus contre moi. Son cœur bat fort contre le mien. J'ai dû la heurter vraiment plus violemment que je ne le pense. De l'électricité statique crépite entre nous, je tressaille et manque d'échapper ce cadeau précieux et fragile alors mon autre main lâche le mur rassurant pour venir à son tour entourer l'inconnue. Elle est plus petite que moi, arrivant à peine à mon épaule, et mon menton alors frôle ses cheveux, libérant à nouveau une effluve fleurie perturbante.
- Putain, mais vous ne pourriez pas faire attention ?