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CHAPITRE 06

Le temps ne s'améliora pas en route. La pluie battante les fouettait violemment et trempait leurs habits comme leurs chevaux. Rapidement, les montures se fatiguèrent et renâclèrent à faire quelques lieues de plus pour atteindre Makaroff. Ils parcoururent le chemin restant à pieds dans la boue et la fange des routes terreuses de Dasten. Ici, les pavés avaient laissé place à une mer de boue sale et visqueuse qui collait à leurs chaussures et leurs capes.

Ils passèrent devant un panneau vieilli par les intempéries et les années qui leur indiqua qu'il ne leur restait plus que deux lieues à parcourir. Ils marchaient d'un bon pas mais les chevaux, tirés par leurs sangles, les ralentissaient et le fiacre fut bientôt coincé dans une crevasse. Ils durent s'arrêter pour récupérer leurs affaires et laisser partir les chevaux qui y étaient attachés. Finalement, ils optèrent pour une solution simple : chacun porterait une valise à la main et le reste serait attaché à Tonnerre, la jument fière et obéissante d'Yvan.

Lorsqu'ils arrivèrent aux portes de Makaroff, toute la longue nuit s'était écoulée. Ils étaient tous couverts de boue et dégoulinants de pluie. Alianora avait proclamé aux alentours de minuit que sa robe était fichue mais, à six heures du matin, elle ressemblait plus à une statue de terre mouillée qu'à une princesse en devenir. Charlie ne pensait, elle, plus qu'à une chose : enlever ses vêtements et se glisser dans un bon bain chaud.

Les gardes de la porte reconnurent Yvan une fois qu'il eut retiré son capuchon et rabattu ses cheveux trempés en arrière et s'empressent de leur ouvrir les portes. Dans la Cour, Yvan ordonna qu'on leur prépare des chambres et de bons bains et les trois filles furent conduites dans une très grande chambre où reposaient quatre lits. Epuisée, Charlie laissa tomber sur le sol de l'entrée sa lourde cape et ôta ses bottes. Alianora semblait sur le point de suffoquer.

"Je ne veux plus jamais vivre ça. Si je dois porter ce corset une seconde de plus, je m'évanouis !"

Isobel et Charlie l'aidèrent, s'écharpèrent les doigts sur les lacets rêches et abîmés du vêtement et, enfin, la libérèrent.

"Quelle idée de porter un corset quand aucune mégère et aucun homme ne t'y oblige ?"

Alianora voulut répondre à Isobel mais celle-ci s'était déplacée jusqu'à la salle de bain. Elles y trouvèrent une baignoire géante et un système de robinetterie résolument moderne. Quand elles furent propres, toutes les trois, elles s'écroulèrent dans les lits qui avaient été dressés pour elles. Leurs affaires sales avaient disparu et un mot figurait sur la porte. Charlie, épuisée, se coucha dans son lit et ne songea même pas à sécher ses cheveux. Elle s'endormit rapidement et dormit profondément, d'un sommeil sans rêve.

Prochain chapitre, mercredi Lotus Flower.

CHARLIE

Ironiquement, ce fut le silence qui la réveilla. L'orage avait cessé et le ciel semblait désormais calme, comme vidé de toute sa colère. Les rideaux étaient tirés mais la nuit sans lune était si noire qu'on y voyait pas grand chose dans la chambre. Elle distinguait avec peine la tête de sanglier empaillée, accrochée tel un trophée au mur et entendait la respiration d'Alianora, légère et gracieuse. Isobel devait déjà être debout.

Charlie s'étira et découvrit ses vêtements de la veille parfaitement pliés sur une chaise au pied de son lit. Une fois qu'elle les eut enfilé, elle sortit discrètement de la chambre. Alianora avait bien mérité quelques minutes supplémentaire de sommeil.

Derrière la porte, la forteresse militaire regorgeait de vie. Des recrues passaient en portant des mannequins en paille et en métal, des cris d'officiers perçaient à travers les hauteurs et de nombreux serviteurs s'affairaient ci et là. Subjuguée par toute cette agitation, elle qui venait de passer plus d'un an dans le calme plat de la campagne de Condé, elle se laissa quelques secondes pour s'imprégner de l'ambiance dynamique du camp avant de se mettre en marche pour trouver sa sœur ou ses parents.

Elle tomba tout d'abord sur Yvan, qui semblait de fort méchante humeur. Il était le plus familier de la caserne géante qu'il fréquentait une semaine par mois afin de jouer son rôle de généralissime et il se fondait parfaitement dans le décor. Sa coupe de cheveux réglementaire - courte et pratique - et son uniforme de général le fondaient dans la masse et il n'en ressortait que grâce à son charisme. Quand il constata qu'elle était réveillée, il repoussa un lieutenant pour venir la trouver.

Il n'avait pas exactement l'air extatique et elle frémit quand il l'attrapa par le poignet pour l'attirer dans une alcôve marquée, au mur, d'une épée peinte en noir.

"Nous resterons un jour de plus, j'ai ... quelques affaires à régler ici.

- Quelque chose s'est produit ?"

Après avoir regardé prudemment autour de lui, il baissa la voix. Les choses devaient avoir dérapé ici aussi ! C'était parfaitement incroyable.

"Visiblement, certains officiers ont décidé de profiter de la position quelque peu reculée de ma citadelle pour organiser un trafic de drogue. Je ne vais pas les laisser monter leur petite affaire sous mon nez.

- Oh, je vois."

Sa citadelle, on pouvait le dire. Techniquement, Makaroff était la capitale du duché de Dasten, dont Yvan était le duc attitré. Si on lui prêtait plutôt le titre de prince, elle savait bien qu'il était celui qui s'occupait de tenir Dasten en ordre. Ceux qui pensaient pouvoir se moquer de son autorité étaient soit vraiment téméraires soit vraiment stupides.

"Rends toi à la cafétéria, Isobel devrait s'y trouver. Et fais attention sur ton chemin : le bruit de ton exploit ne s'est pas encore dissipé et quelques admirateurs pourraient se montrer hardis."

Charlie sourit doucement. Yvan était toujours si méfiant envers la gente masculine. Il lui avait appris à castrer définitivement un homme en douze secondes avec seulement ses poings. Elle exécuta une courbette peu appuyée et se redressa promptement.

"Oui, et je reste à vos ordres."

Démanteler un trafic de drogues, voilà qui devait être excitant ! Mais Yvan ne la laisserait jamais participer à cette chasse aux sorcières.

Elle demanda son chemin quatre fois mais finit par arriver à la grande salle à manger de Makaroff. Pièce immense, elle était meublée d'une dizaine de tables longues arrangées en six colonnes bien droites. Un ragoût de lapin frémissait dans une énorme marmite posée dans la cheminée et embaumait l'air d'une senteur toute particulière, qui couvrait à peine celle de la bière, apparemment imprégnée dans le bois des meubles depuis bien longtemps. Isobel sourit en la voyant et lui désigna la place juste en face d'elle.

"Papa t'a parlé ? On est parties pour s'ennuyer un ou deux jours ici."

Charlie n'était jamais venue à Makaroff mais Isobel y avait effectué de courts séjours . Elle avait certainement trouvé un bon moyen de s'occuper, les autres fois.

"Tu as des projets pour la journée ?"

Isobel reposa sa choppe de bière sur la table avant de manger un morceau de lapin. Isobel était une hybride et elle devait se nourrir de mets préparés pour les humains et de sang en parts égales. Charlie, elle, tira un godet en fer blanc de la pile soigneusement rangée au centre de leur table et se servit une bonne dose de sang.

"Tu savais qu'il y avait une salle du trône ici ? Avant l'Empereur venait écouter les doléances dans tous les Duchés de l'Empire."

Charlie avala d'un trait son gobelet de sang et haussa les épaules, elle ne voyait pas le rapport avec une quelconque occupation intéressante.

"Et quelqu'un, je ne sais pas qui, a tenu une retranscription écrite, extrêmement détaillée, de tout ce qui a été demandé. Gamine, je pouvais passer des nuitées entières à les lire. Crois moi, les gens sont vraiment des tordus !"

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