CHAPITRE 05
Au crépuscule, la tempête faisait encore rage. Les éclairs la faisaient sursauter à chaque fois qu'ils illuminaient sa chambre, si bien qu'elle avait fini par fermer ses rideaux afin qu'ils occultent la petite fin du monde qui se déroulait dehors. La jeune fille referma difficilement sa petite valise marron, celle là même qu'elle avait emprunté à l'Orphelinat. Elle ne contenait que deux toilettes et une trousse de secours.
La première fois qu'elle avait quitté la campagne pour Ravenwell, elle était seule avec Monsieur Branston. Elle était alors vierge de toute corruption et pensait pouvoir, peut-être, être vendue à une gentille famille et devenir une dame de compagnie. Désormais, elle se rendrait vers Ravenwell vêtue d'une robe frappée du symbole fantastique des Condé, accompagnée de sa famille, parfaitement consciente de son pouvoir et de sa réputation.
Yvan frappa à la porte, et cette fois, Charlie reconnut son style sans équivoque, plein de force. Ses lourdes bottes militaires s'étaient arrêtées devant la porte et elle se racla la gorge avant de lui demander de rentrer. Il la salua d'un geste concis de la tête et s'empara de la valise qu'elle venait de refermer. Puis il s'éloigna et, arrivé à la porte, il s'arrêta pour se retourner dans un mouvement qui aurait rappelé une parade un jour de fête nationale.
"Nous partons dans quinze minutes. Finis vite de te préparer."
Sa porte claqua après cela et Charlie sursauta légèrement. Yvan était d'ordinaire adroit mais il semblait nerveux aujourd'hui, bien plus qu'il ne l'aurait dû. Il retournait dans sa ville natale, après tout, et en plus de huit cent ans, il aurait dû être immunisé à l'effet que produisait sur elle la grande capitale de Nox.
Elle avait choisi une tenue sobre pour son retour à Ravenwell. Une robe noire, fendue mais pas trop haut, des gants en soie assortis et une paire d'escarpins de grand créateur. Elle les plia et les fourra hâtivement dans son sac de rechange. Il était hors de question qu'elle chevauche avec sa belle tenue, aussi avait-elle choisi une tenue d'équitation noire et classique pour le voyage. Elle se changerait à une escale quand ils s'arrêteraient pour se reposer.
Ses cheveux avaient été relevés, autant que possible et cela lui donnait l'air de porter un chignon classique. Elle savait parfaitement que ses cheveux gris seraient reconnaissable entre mille mais elle avait tout de même pris le soin d'ajouter une capeline brodée d'une licorne à sa tenue.
Une fois sa robe lissée et ses gants enfilés, elle se permit de rouvrir ses rideaux pour avoir un aperçu de ce qui se passerait une fois en bas.
Dehors, la pluie tombait à seaux et le cocher et Allen chargeait difficilement la partie haute du petit fiacre qui contenait leurs affaires. L'usage aurait voulu qu'ils empruntent eux même le fiacre pour se rendre à la capitale mais Yvan et Père préféraient chevaucher, même sous une pluie battante, et Charlie partageait parfaitement cette opinion. Un fiacre ne montrait rien de la vue et elle passerait certainement son temps à dormir ... pas vraiment intéressant.
Isobel était déjà en bas. Ses cheveux dorés - elles ressemblaient beaucoup plus à des sœurs depuis qu'Isobel avait décidé d'arborer des cheveux blonds éclatants - dépassaient de sa lourde cape noire et Charlie reconnut sa façon de donner des ordres aux serviteurs pour qu'ils déplacent telle ou telle valise. Allen plaça un sac aux motifs fleuris de la mauvaise façon et il tomba dans la boue. A ce spectacle, la princesse s'enflamma et Charlie entendit ses injures très clairement, même séparée d'elle par une hauteur conséquente et une vitre solide.
Charlie sourit doucement et referma ses rideaux. La princesse était d'un caractère fort et elle ne supportait pas que tout le monde ne donne pas de son meilleur quand elle le faisait. En un sens, elle avait raison.
Cinq coups furent frappés rapidement à sa porte et elle sourit en voyant entrer Roman et Myrtille. Ils étaient dans un état presque somnambulique - il était encore très tôt pour des enfants de cet âge- et elle s'accroupit pour leur faire signe de venir l'enlacer. Tout le matin, elle les avait entendu remuer dans leurs lits, probablement autant inquiété par l'orage que par l'ambiance étrange qui avait enveloppé la maison depuis la lettre de l'Empereur.
Myrtille portait sa chemise de nuit à manches ballon et Roman était, lui aussi, encore en pyjama. Elle enlaça d'abord Roman puis se pencha au dessus de Myrtille pour la serrer contre elle sans se faire gêner par sa chaise roulante.
"Pourquoi est-ce que vous partez tous ?"
Charlie balaya une mèche du front de son petit frère avant de s'accroupir à nouveau. Sa grande taille n'était pas toujours la plus simple des difformités à supporter.
"L'Empereur a besoin de nous. Mais ne vous en faites pas, ce n'est pas grand chose, nous serons tous revenus pour mon anniversaire."
Quand ils avaient appris que Père organisait une grande fête pour les quinze ans de sa fille, ils avaient tous deux bondi de joie. Naturellement, ils étaient jeunes, il ne comprenaient pas encore les dangers et les les enjeux du bal qui se déroulerait dans deux semaines.
"Aucun loup ni aucune mauvaise sorcière ne viendra pour vous, si vous vous tenez sages !"
En chœur, ils promirent et elle se redressa, satisfaite. Même à l'Orphelinat, elle n'avait jamais été une très bonne grande sœur mais avec eux ... c'était si simple. Taesch apparut à ce moment dans l'encadrement de la porte et lui sourit doucement.
"Il est temps, Charlette."