CHAPITRE 03

Dehors, le ciel ressemblait à un grand parapluie blanc ponctués de grandes tâches grises et la pluie continuait de tomber, formant un rideau flou sur les vitres du salon. Quelques éclairs se montraient de temps à autre, plus rapprochés de minute en minute mais Charlie n'en avait pas peur. La région était orageuse et il y pleuvait énormément. Elle s'était habituée au bruit de la pluie sur les statues du jardin et les tuiles du toit.

Elle l'adorait ce petit terrain derrière la maison. Les parterres de fleurs avaient connu des jours meilleurs, même si Allen essayait de les raviver, et les statues géantes sous sa fenêtre étaient craquelées mais elles lui donnaient de quoi rêver. Une hydre, un grand général des temps anciens armé d'une massue, Saint Ilas, celui-là même qui aurait parlé aux Dieux et qui avait bâti le premier Temple à Nox ...

Il était difficile de croire que le jardin était, quelques heures auparavant, envahi de trombidions et de sauterelles joyeuses. Désormais les escargots et les grenouilles étaient de sortie et on entendait ces dernières coasser en chœur.

La nuit entière était passée, finalement, sans que rien ne vienne troubler la quiétude de ce lieu si paisible qu'on s'y ennuyait bien souvent. Pas même la lettre, ni les révélations de leur amie. Si tout se passait comme cela jusqu'à leur départ, Charlie pourrait affirmer qu'elle était sereine quant à leur séjour à Ravenwell.

Allen passa leur apporter des chocolats chauds fumants. Sa tenue était un peu froissée par sa journée mais il la portait encore bien. C'était celle d'un vieux domestique qui officiait ici avant que ce domaine ne soit presque abandonné mais on distinguait encore très bien les broderies dorée sur le col et la licorne gravée sur chacun de ses boutons de manchette. Il affirma que les enfants étaient bien couchés et Charlie sourit doucement à cette évocation. Elle avait quinze ans désormais, et ne faisait plus partie des 'enfants'.

Taesch avait enfilé une veste noire et blanche aux manches larges qui couvrait ses mains par dessus son pyjama très court et Yvan ne s'était pas embarrassé de grand chose : une simple tenue d'un noir unie composée d'un pantalon en lin et d'une chemise sans manche. Charlie et Isobel s'étaient contentées de robes simples mais Alianora n'avait pu supporter tant de décontraction et avait enfilé une robe blanche qui couvrait l'intégralité de sa peau de son cou à ses chevilles. Ses nombreux jupons ne lui avaient pas facilité le travail quand il avait fallu s'asseoir dans un des fauteuils près du feu.

"Petit lièvre, toi qui as toujours l'oreille tendue, souhaiterais-tu commencer ?"

Charlie rougit un peu - Père devait-il vraiment lui donner ce surnom en présence de sa meilleure amie ?! - mais elle se racla la gorge. Lorsqu'ils étaient près du feu, avant le lever du soleil, ils échangeaient des histoires. Taesch leur parlait de ses expériences passées, Yvan de grands récits héroïques et Isobel se chargeait des nouvelles qui venaient de tout l'Empire. Charlie, elle, avait pour spécialité les histoires d'horreurs, issues du folklore du duché, que racontaient les pêcheurs, les villageois, les gardes forestiers ... Alianora détesterait certainement.

"Eh bien, Alianora vient de loin, je suppose que nous devrions lui laisser le privilège de nous rapporter les dernières nouvelles de la capitale."

La jeune Fell la regarda comme si Charlie l'avait placée au centre d'une ronde de diablotins malicieux, puis se racla la gorge et prit son air le plus digne.

"De la Cour, je n'ai pas grand chose à dire. La vie se passe comme d'habitude, lentement et tranquillement. La grogne des nobles n'y a pas changé grand chose, après tout. Les seules choses que l'on y voit ce sont les manques, les jeunes filles qui ne viennent plus sur interdiction de leurs parents mais elles sont fort peu, encore. Mais je peux vous parler de la capitale en elle même, de ses petites rues vibrantes de vie, de son marché plein d'articles incroyables. Tenez pas plus tard que l'autre jour, j'ai croisé ..."

Elle fut interrompue par Allen, qui entrait en précipitation. Il semblait essoufflé en sentait la volière à oiseau si fort que Charlie en fronça le nez. Il tendit les mains vers Taesch qui souleva un sourcil en y découvrant, comme eux, un oiseau mort. De nombreux signes avaient été gravés dans sa chair et son plumage était parsemé de nombreuses absences. De toute évidence, ce corbeau avait été ensorcelé ou possédé afin qu'il ne s'arrête pas avant d'atteindre sa cible.

"Il vient du palais, messire."

Avec un certain dégoût, Taesch prit le message accroché à la patte de l'animal mort aux yeux révulsés. Il lut le message et son visage marqua une surprise évidente. Yvan se leva presque de son siège.

"Que dit le message ?"

Taesch lui passa mais Charlie eut le temps de le lire avant qu'Yvan ne lui cache. Il ne contenait que quatre mots. 'Besoin de vous. Maintenant."