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CHAPITRE 06             

Sur le chemin de la chapelle, il évita aussi Bethany et Nanny, deux bonnes d'enfant qui s'étaient occupé d'Isobel autrefois et qui lui auraient certainement tiré les oreilles si elles l'avaient vu hors de son lit à cette heure. Il se faufila dans les ombres pour atteindre la grande porte en ébène qui le séparait de la chapelle et vérifia que personne ne le suivait avant de s'engouffrer dans le lieu saint. Doucement, il referma l'imposante porte derrière lui. 

Aussitôt, le silence l'écrasa. Il soupira doucement et s'avança, sous le regard des dieux. Les balcons étaient peuplés de statues des Dieux principaux, qui jugeaient les fidèles quand ils venaient prier. Bien entendu, cette chapelle était très peu utilisée puisque le temple était vraiment proche mais elle avait servi à démontrer la piété d'Aesmilien quand on l'avait accusé de vénérer le dieu des Lumènes. Quelle idiotie ... Qui serait assez bête pour vénérer un dieu unique ? A part les habitants de Lumen bien entendu. 

Cependant, ce n'étaient ni les Dieux ni la chapelle en elle-même qui l'intéressait, mais le cercueil de verre dans lequel reposait son père, sur l'autel. Une fois arrivé à sa hauteur, il s'arrêta et déglutit. Il n'était pas venu le voir depuis qu'on l'avait placé dans cette boîte de présentation vulgaire. Luscka, comme lui, aurait voulu le garder dans sa chambre, bien au chaud, mais les nobles avaient argué que le peuple aussi avait le droit de pleurer son Empereur, alors on l'avait placé dans une jolie boîte en verre et en bois, à la vue de tous. Et, en effet, le peuplé était venu. Tout l'autel était pollué de fleurs et de mots gentils. 

Parmi l'effroyable masse de canailles qu'il avait fréquenté, il s'était trouvé un homme qui lui avait appris à crocheter une serrure. Il mit toutes ses connaissances à profit et ouvrit le cercueil, aussi rapidement que possible. Si la chapelle était silencieuse, il ne savait pas quand les premiers pieux adorateurs de son père viendraient. La serrure céda facilement et Lucius se fit la réflexion qu'elle ne devait pas avoir coûté plus de quelques pennys. Cette situation était ridicule. 

Une fois le couvercle rabattu sur le côté, Lucius put prendre la main glacée de son père. Il était toujours aussi beau, dans la mort, mais il était ... différent. Terriblement différent. 

Lucius ne se souvenait pas d'avoir connu un moment de toute sa vie où son père ne lui avait pas souri. Bien sûr, il arrivait à Elijah d'être sévère et sérieux mais pas avec ses enfants, jamais avec ses enfants. Il avait l'impression que son père allait se réveiller d'un moment à l'autre et le prendre dans ses bras. Il l'espérait, à vrai dire. 

"Lucius ?"

Le prince sursauta et se retourna, hâtivement, sans lâcher la main d'Elijah. Son père, son autre père, était là. Il était vêtu simplement et il avait des cernes sous les yeux, si grandes qu'on aurait pu s'y baigner. En déglutissant, Lucius lâcha sa prise et se redressa. Il commença à marcher vers la sortie à pas rapide mais Luscka l'intercepta et le serra contre lui. Si Lucius avait appris quelque chose en seize ans d'existence, c'était bien qu'on n'échappait pas à l'étreinte de Luscka. 

"Je suis désolé, Lucius ... Je ne voulais pas te dire tout cela."

En écarquillant les yeux, Lucius releva la tête. Il n'avait jamais entendu son père s'excuser de quoique ce soit auparavant. Il détendit ses muscles et ne chercha plus à lutter contre sa tristesse. Si les malheurs du prince ne s'étaient pas estompés, ils semblaient moins horribles. Son père, celui qui le tenait entre ses bras, disait toujours que la misère paraissait moins terrible quand on avait une main à serrer. 

"Je sais ce que tu fais ... j'ai juste peur. Je ne veux pas te perdre en même temps que ton père."

Déglutissant difficilement, le prince rendit son étreinte à son père. Il lui en avait tellement voulu ... il n'avait pas pensé une seconde qu'il avait voulu le protéger. Cependant, il ne comptait pas lâcher l'affaire pour autant. 

"Je me suis battu, aujourd'hui, et je vais bien, père ! Tu dois me faire confiance ... Et puis, quelqu'un doit bien le faire. Tout le monde est trop occupé à se tirer dans les pattes pour trouver le véritable coupable."

Luscka lâcha un soupir qui fit trembler son fils. Son père était une de ces forces de la nature dont le rire ressemblait à un éboulement ... mais il ne s'y ferait jamais.

"Je sais bien ... Mais ce n'est pas une raison pour traîner dans le château à cette heure là. Vas te recoucher."

Lucius s'abstint de lui faire remarquer qu'il n'était pas le plus fatigué des deux et qu'il avait bien assez dormi et se détacha des bras de son père, à grands regrets. Il fit une révérence minable et se dirigea vers la porte.

Juste avant qu'il ne passe cette dernière, son père sembla se souvenir de quelque chose et l'apostropha. 

"Au fait ! N'oublie pas de commander ta tenue pour le bal."

Lucius s'arrêta et fit volte face, lentement, une expression d'incrédulité complète peinte sur ses traits. 

"Quel bal ?"                          

                              

ALIANORA 

                              

Yule. Personne ne s'y était attendu. Tenir un bal alors que l'Empereur était aux portes de la mort était d'un mauvais goût évident. Bien entendu, la cérémonie était plus une veillée funèbre qu'autre chose. Le frère du mourant l'avait lui même organisé, sans le consentement de sa famille. Il y avait probablement quelque chose à jouer, sur l'échiquier politique, mais Alianora ne savait pas franchement quoi. La politique n'était pas une affaire de femmes, après tout. 

                              

Et pourtant ... Pourtant, Lucie von Dast. La petite femme se tenait bien droite sur ses immenses chaussures à talons en face de la jeune Fell. L'assurance qu'elle dégageait avait bien failli lui faire incliner la tête mais, techniquement, en tant que pairs de l'Empire, elles avaient le même rang. Toutes deux héritières du côté féminin de leur famille, elles auraient pu être amies. Si Lucie n'avait pas une telle aura destructrice et si, bien sûr, elles n'avaient pas six cent ans d'écart.

                              

Avec une longue robe blanche et pourpre qui collait à ses formes fines et dévoilait juste ce qu'une princesse devrait dévoiler et sa panthère de compagnie, Lucie von Dast ne ressemblait à aucune femme de la famille d'Alianora. Fière, indépendante, elle était le contraire exact de sa mère, venue prendre place dans la famille des Fell pour s'y marier à contrecoeur et abandonnant le peu de libertés qu'elle avait auparavant. 

                              

Ses longs cheveux blonds pâles étaient retenus en arrière dans un chignon aux courbes bien trop compliquées et même Alianora se sentait simple à ses côtés. Lucie ne posait qu'une main légère sur l'encolure de son animal et celui-ci aurait pu l'attaquer à n'importe quel moment. Bien sûr, Alianora connaissait la Cour et elle savait que ce n'était pas de la panthère qu'elle devait se méfier. 

                              

"La rumeur dit que tu as rencontré le prince et que vous êtes devenus très proches."

                              

C'était vrai. Elle avait lié une amitié toute particulière avec Lucius au fil des jours. Il lui apprenait à se battre, un peu, et il lui avait prêté une quantité phénoménale de livre sur le droit. Devoir poser les bases de son nouveau rêve dans le plus grand secret était quelque chose de fatiguant mais elle pouvait compter sur ses amis et leur discrétion. Cependant, Alianora décida de se montrer prudente avec la princesse. Si elle était la tante d'Isobel et Lucius, elle était aussi une femme redoutable qui se nourrissait des secrets des autres. 

                              

"En effet. Le prince Lucius et moi entretenons des relations cordiales."

                              

Elle avait veillé à courber la tête pour montrer son respect mais pas sa soumission totale. A la Cour, personne ne devait se montrer faible. Surtout pas en ce moment. Et si la peine de Lucius et Charlie étaient excusés, étant données les conséquences, Alianora ne bénéficierait pas du même traitement de faveur. 

                              

Sous ses paupières, Alianora observa Lucie qui fronçait légèrement les sourcils. Bien entendu, elle ne parlait pas de ce genre de choses mais la jeune Fell n'était pas une jeune oie et ne comptait pas se laisser avoir aussi facilement. Toutefois, un sourire se dessina sur les lèvres de la princesse, qui se pencha pour parler à voix plus basse. 

                              

"Si tu penses pouvoir profiter de la situation pour te faire une place parmi les Von Dast, je t'assure que c'est une mauvaise idée."

                              

Au milieu des chandeliers scintillants, la peau de Lucie paraissait encore plus blanche et ses yeux dorés ressemblaient à de l'or en fusion. Elle était la parfaite princesse que tout le monde enviait. Beaucoup de gens regrettaient qu'Isobel ne soit pas comme elle... Mais elle lui ressemblait plus qu'on aurait pu le penser. Si seulement les gens savaient que la fille d'Yvan maîtrisait la cérémonie du thé et les pinceaux à maquillage comme personne ... 

                                          

              

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