CHAPITRE 05          

"Vingt sept, en janvier."

Il était si jeune ... Comment avait-il grimpé les échelons aussi rapidement ? Est-ce qu'il avait été appuyé par Taesch ou bien était-ce juste le fait que les voleurs, même ceux de la Guilde, ne vivaient jamais bien longtemps ? Quand avait-il commencé à voler ? Ses lèvres le brûlaient de poser tant de question mais Hazel bougea avant même qu'il n'ait pu ouvrir la bouche. Il venait d'ouvrir les yeux. 

Tout le groupe se rassembla autour du prisonnier et Isobel se permit même un regard méprisant. Elle avait envie de lui cracher au visage, de toute évidence, mais elle se retenait. D'un accord tacite, ils laissèrent Lazarus commencer. Il était son ami après tout. 

"Hazel, est-ce que tu es mêlé à la tentative d'assassinat de l'Empereur ?"

Le voleur passa l'étape de la dénégation pour tout de suite sauter à la partie où il essayait de se trouver des excuses. 

"J'ai besoin d'argent, Laz ! C'est ma femme ..."

Lazarus écarquilla les yeux. Visiblement, il savait de quoi son ami pouvait parler. Lucius ne dit rien, mais il espérait qu'ils ne gardent pas une information vitale pour eux. 

"Lucienne ?

- Oui. Sa maladie a empiré et ... merde, je comprends pas grand chose mais ils disent qu'elle a un caillou dans les poumons, que ça va certainement la tuer."

En tant que fils de médecin, Lucius ne pouvait pas s'empêcher de chercher une connaissance dans sa bibliothèque mentale de maladies. Une pierre dans les poumons ? Oh. Merde. 

"Un nodule pulmonaire. La principale source du cancer des poumons chez l'humain."

Hazel lui lança un regard noir mais il redirigea bientôt sa fureur vers Lazarus, comme s'il était celui qui l'avait coupé. 

"Je m'en fous de comment ça s'appelle ! J'ai besoin de fric pour l'amener à Percellian ! Les médecins disent qu'ils ont de quoi la soigner là bas. Et puis, là, Wes se pointe avec un deal à plusieurs milliers de souverains, alors moi forcément je dis oui. Mais je savais pas qu'il voulait liquider le big boss de Nox, je te jure, Laz ! Il avait besoin d'hommes, de tueurs mais qui n'appartenaient pas à la Guilde des Assassins, alors je lui ai trouvé des mecs parmi les pires ordures de la Basse Ville. J'ai juste diffusé une rumeur de boulot et ils ont mordu à l'hameçon."

Charlie s'avança prudemment, apparemment chamboulée parce qu'Hazel venait de leur révéler. Elle était pâle comme un humain mort et déglutit. 

"Quatre hommes. Et pendant qu'ils s'en prenaient à mon père, vous avez volé son sang, puis vous l'avez donné à Wesley, n'est-ce pas ?"

Le fils adoptif de Taesch était donc derrière cette mascarade ? C'était lui qu'ils devaient trouver et forcer à avouer. Alianora, à son tour, prit la parole. Elle semblait fière d'avoir quelque chose à dire.

"Mais, si vous avez rempli un contrat qui devait vous rendre riche, pourquoi vous êtes vous endettés dans plusieurs bars et pourquoi donner une représentation ce soir?"

Hazel déglutit doucement et baissa les yeux. Il semblait être sur le point de pleurer. 

"Parce que Wes a refusé de me payer. Il a dit que sa patronne n'était plus d'accord, qu'il était dans une mauvaise situation. J'ai voulu le saigner ce connard mais il s'est enfui avant !"

D'après Rozen, Wesley et Hazel étaient très proches. Pour qui diable l'hybride aurait-il trahi son ami ? Sa 'patronne' devait avoir un moyen de pression pour le faire travailler ou bien ... elle le manipulait. Lazarus soupira et planta son couteau dans le bois de la chaise. Hazel frémit. 

"Où est-ce que tu le rencontrais?"

Le voleur ne mit pas de temps à se mettre à table et à leur révéler la cachette de Wesley. Une vieille annexe du temple, abandonnée depuis longtemps, juste en dehors de la ville. Il proposa même de leur dessiner un plan. 

Honteux d'avoir pesté contre Hazel, qui, au final, n'était qu'un pion sur l'échiquier, Lucius fit le tour de sa chaise et trancha les liens qui le retenaient. Il retira ensuite une de ses bagues et lui tendit. 

"C'est un saphir monté sur de l'argent, elle devrait vous rapporter au moins mille six cent souverains. Si vous n'en faites pas n'importe quoi, vous pourrez aussi payer une partie du traitement avec. "

Le voleur prit la bague, les yeux ronds, mais Charlie sortit son couteau et posa sa lame sur la gorge d"Hazel. Elle avait les sourcils froncés. 

"Qu'est-ce que tu fais, Lucius ? On a enfin un témoin qui peut prouver l'innocence de mon père et tu veux l'envoyer à Lumen ? On va l'amener au château et il va témoigner devant le Conseil !"

Elle était furieuse, de toute évidence, mais Lucius la força à baisser sa lame, doucement. Hazel suait à grosses gouttes. 

"Cela ne suffira jamais ! Ils diront que nous avons acheté son témoignage et, de toute façon, la parole d'un voleur n'aura aucune valeur à leurs yeux. Et puis, si nous faisons cela ... il sera probablement emprisonné et sa femme n'aura plus aucune chance de s'en sortir."

Enragée, Charlie jeta son couteau à terre. Hazel n'attendit pas une autre occasion et se fit la malle, discrètement. Lentement, Lucius vint enlacer Charlie. Elle lui frappa le torse à plusieurs reprises mais ses coups n'étaient pas franchement douloureux. Elle pleurait à chaudes larmes et, bientôt, ses attaques cessèrent. Secouée par des sanglots, elle se contentait de pleurer dans ses bras. Bien vite, Isobel et Alianora vinrent se joindre à l'étreinte, tentant de réconforter la jeune Condé. 

"C'est ... tellement ... injuste !"

Oui, tout cela était injuste. Lucius allait peut-être perdre son père et Charlie allait certainement perdre le sien. Même s'ils réussissaient à le faire innocenter, il serait sans doute emporté par la maladie. Il avait lu quelques récits relatant les derniers jours des malades de la Grande Mort. Ce n'était ni beau à voir, ni complètement sans danger. Les cendres de Taesch devraient entre enterrées pour éviter une épidémie après sa mort. 

"Charlie, tu devrais aller au château, te reposer."

Lui même était épuisé, même s'il n'était que vingt trois heures. Il avait à peine dormi cette nuit. Toute cette horreur l'avait empêché de fermer l'œil pendant les quelques heures qu'ils s'étaient accordé pour se reposer. La nuit était encore jeune mais ils étaient tous dans un état d'épuisement proche du malaise. Ils ne pouvaient plus rien faire pour cette nuitée.

Incapable de dormir, Lucius se tournait et se retournait dans son lit. Il était complètement reposé, à présent, mais il devait attendre que le soleil ne soit couché pour sortir de nouveau et continuer à mener leur enquête. Il était presque sûr que ses amies étaient éveillées, elles aussi, mais il ne pouvait pas aller réveiller sa cousine et Charlie et encore moins Alianora qui habitait à quinze minutes de fiacre. 

Finalement, il finit par se lever et s'habiller sommairement avant de quitter sa chambre. Il croisa une servante, une certaine Lisa si ses souvenirs étaient bons. Par bonheur, elle ne lui demanda pas ce qu'il faisait ici à cette heure du jour. Il n'avait pas regardé l'horloge de sa chambre, mais il devait être aux alentours de deux heures de l'après midi. Les plus lève-tôt des résidents du château, comme son oncle Yvan, ne se lèveraient que dans trois heures, quand la nuit commencerait à se coucher.