CHAPITRE 02
CHARLIE
La salle était froide mais ils avaient peur d'attirer les serviteurs ou les gardes s'ils osaient allumer un feu. L'hiver était bien installé à présent et, derrière les carreaux glacés, tombait une neige tenace. Même Lucius frissonnait de temps à autres, frigorifié comme les autres. Il avait bien essayé, à un moment, de se réchauffer avec un feu magique mais Alianora lui avait dit que ce n'était pas franchement décent d'exposer sa magie devant des Dames de la Cour et il avait arrêté.
L'heure du coucher était dépassée depuis au moins deux heures et le soleil brillait fort dans le ciel. Même les rideaux en velours noir épais de la chambre de Taesch ne pouvait les en préserver. Ils s'endormaient à vue d'œil, fait encore accentué par le froid. Alianora et Lazarus s'étaient glissés dans un édredon poussiéreux qui traînait sur le lit. Isobel ne tolérait toujours pas la présence du voleur mais Lucius avait insisé pour qu'il les accompagne. Son expertise pourrait leur servir quand ils tomberaient sur quelque chose. S'ils tombaient sur quelque chose.
Ils s'étaient retrouvé au Howling Magic, par peur de croiser un membre de leur famille au Gobelin Rouge, peu après minuit et ils avaient prit un café en réunissant les informations qu'ils avaient réussit à obtenir. Autrement dit, rien. Ils n'avaient pas franchement appris quoique ce soit en se séparant, à part que leurs cibles étaient au dessus de tout soupçon. Enfin, en ce qui concernait cette tentative d'assassinat. Yvan et Taesch avait commis des meurtres, Rozen avait dû pousser des gens au suicide et Chien ... Charlie n'en revenait toujours pas de ce qu'il avait fait à Alianora. Elle avait envie de l'étrangler de toutes ses forces.
Et puis, Alianora avait eu un éclair de génie et avait suggéré que si Taesch tenait des carnets personnels, il devait faire pareil pour son autre vie, celle où il assassinait des gens parce que le père de Lucius lui demandait.
Après un saut par une cachette secrète de Lazarus, ils avaient filé au manoir de Charlie. Enfin, de Venus actuellement. Elle y régnait en maîtresse et était déjà en train de préparer les funérailles de son frère. Elle avait aussi fait installer des clôtures électriques importées de Lumen tout autour de la propriété. Selon John elles possédaient le voltage suffisant pour faire partir un vampire en cendres en moins d'un seconde. Heureusement, le garde les avait fait passer par la porte arrière. Charlie s'était dit, sur le coup, que c'était une bonne chose d'avoir des alliés correcte dans sa propre maison.
Charlie soupira et repoussa le carnet noir. Il y en avait des centaines de ceux là, et, même s'ils étaient cinq, ils mettraient des jours à tous les lire. Peut-être bien qu'il n'y aurait rien. Peut-être bien qu'ils devraient aller voir directement Taesch. Enfin, pas elle bien sûr puisque la famille n'avait pas le droit de visite mais peut-être bien Lucius, Isobel et Alianora. Elle avait tellement envie que tout cela se finisse et qu'elle puisse ... serrer son père dans ses bras. Elle avait envie de le voir sourire.
Dehors, la neige avait été remplacée par de la pluie. Elle tombait au sol avec violence et frappait les carreaux régulièrement. Elle avait envie de dormir et elle n'était pas la seule. Elle voyait presque Lazarus s'affaisser contre sa comparse de couette.
Charlette tenait contre elle un carnet dont elle lisait la première page en boucle. Il datait des premières années de Taesch en tant qu'assassin et Charlie se dit qu'il n'y trouverait rien.
Vêtue d'une belle robe marron et crème, Charlie n'était pas vraiment confortablement installée. Elle avait laissé tomber le corset mais elle se dit qu'elle aurait dû mettre des vêtements de garçon plutôt. Toutefois, elle avait préféré cette solution pour ne pas se faire remarquer. Les relations de ses amis avec leur famille était tendue ces temps-ci et personne ne ferait attention à une jolie fille bien habillée, même si elle avait les cheveux gris.
Elle défit le petit chignon qu'elle avait réussi à confectionner et se servit de son ombrelle pour attirer un journal à elle. Années de vie 2155 à 2308. Au moment où elle allait l'ouvrir, Lucius se racla la gorge. Lazarus et Alianora se réveillèrent en sursaut et Isobel, qui piquait du nez, releva des yeux fatigués vers son cousin.
"Si on ne réussit pas ... "
Il s'interrompit, juste à temps pour qu'Isobel claque son journal et l'envoie valser sur la pile des journaux déjà lus. Il devait y en avoir une petite trentaine.
"On va réussir, Lux. C'est juste une question de temps."
Charlie voulait réussir, elle aussi, mais elle ne se permettait pas de rêver. Ses amis avaient beaux être géniaux, elle avait du mal à croire que des adolescents allaient réussir à démêler un cas aussi épineux. Elle commençait à croire qu'elle avait fait une erreur.
"Justement, du temps, on en a plus !"
Les adolescents hochèrent la tête douloureusement. Venus avait réussi à faire passer une requête au nom de Taesch pour réduire le temps qui les séparait de l'exécution. Ils n'avaient plus que sept jours pour résoudre ce crime ou ... Elle préférait ne pas y penser.
"On devrait le faire évader ! Mon père a des plans de la prison, je pourrais les lui voler."
Tout le monde se tourna vers Alianora, au ralenti. Elle était tellement proprette sur elle même, précieuse et tellement d'autres choses aussi. Pas du genre à voler des plans à son père et à faire évader un prisonnier.
Un silence pesant écrasa la pièce jusqu'à ce qu'Isobel ne se lève et ne tende sa main en avant, comme un mousquetaire en manque d'épée.
"On fait ça. Deux jours avant l'exécution, si on n'a rien, on le fait s'évader."
Alianora et Charlie se joignirent toutes les deux au mouvement. Oui, ils pourraient partir, s'enfuir jusqu'à la maison au verger et que Père voulait lui montrer. Ils pourraient aller loin, se cacher. Et tant pis si elle devait abandonner les bals et la capitale, le fait d'être une Dame et les belles robes, son père valait plus que tout cela.
Lazarus s'avança et posa sa main sur les leurs. Elle était étrangement douce pour celle d'un voleur. Isobel releva le nez avec un air de mépris puis jeta un regard à Lucius, le seul à être encore par terre. Il les regardait avec une espèce de nausée dans le regard qui donna des frissons à Charlie.
"Très bien, on le fera évader, si c'est ce que vous voulez. Mais rasseyez vous, vous êtes ridicules."
La jeune Condé sentait bien qu'il leur cachait quelque chose mais elle n'aurait su dire quoi. Elle relégua l'interrogatoire à plus tard et se rassit, appuyée contre le lit moelleux de son père. Elle aurait bien fait un somme mais elle avait encore du travail. Et puis, elle se sentait ragaillardie par ce plan B. Son père ne mourrait pas.
En attirant le journal laissé de côté sur ses genoux, elle fit tomber une photographie glissée à l'intérieur. En se penchant pour la ramasser, la jeune duchesse capta le regard de Lazarus, comme figé, bloquée sur le cliché.
"C'est la personne que j'ai vu dans les jardins."
Elle écarquilla les yeux et, alors que ses amis se resserraient en cercle autour d'elle pour mieux observer cette nouvelle piste, elle déglutit difficilement.
"Tu en es sûr ?"
Lazarus se pencha sur la photographie de malheur et fixa un instant la personne représentée. Et puis, il hocha la tête.